La Bande dessinée asiatique au festival d’Angoulême (2A/4)

Après avoir essayé de retracer la présence du manga (et de la bande dessinée asiatique) entre 2001 et 2004, attaquons-nous à ce que certaines et certains d’entre nous considèrent comme étant l’âge d’or du manga à Angoulême. Bien entendu, cette notion d’âge d’or correspond encore et toujours à des souvenirs personnels. Par conséquent, l’appréciation l’est aussi, toute personnelle. Cependant, un certain nombre d’éléments factuels permettent d’être affirmatif : la période 2005-2010 a hissé le manga à Angoulême à un niveau jamais atteint auparavant, et il a fallu attendre les années « Beaujean », c’est-à-dire 2018-2020, pour retrouver une telle excellence. C’est à partir de 2006 qu’une équipe « Mangaverse » est présente « officiellement » grâce à l’obtention de badges Presse, ce qui permet une plus grande facilité de déplacement grâce aux entrées réservées et l’accès à des ressources documentaires.

En 2005, un espace manga / manhwa est créé au sein de la bulle Sud de l’espace Champ de Mars. On y trouve « l’immense » stand Tokebi & Co et sa légion d’auteur·e·s coréen·ne·s, ainsi que les éditeurs Pika, Kana et Akata (officiant pour Delcourt à l’époque). En face du stand du jeune magazine Virus Manga se trouve un espace de rencontre animé par Sébastien Langevin, co-rédacteur en chef de ladite revue. Les invité·e·s venus·e du Japon y défilent durant les quatre jours : Si Hiroyuki Takei (Shaman King, chez Kana) en est la tête d’affiche, Junko Mizuno (éditée par IMHO), Kan Takahama (éditée par Sakka) et Naïto Yamada (éditée par Carabas) permettent de montrer la diversité du manga au féminin qui ne se limite pas qu’au shôjo. Yoshihiro Tatsumi est aussi présent au festival cette année pour parler du gekiga dont il est le représentant le plus éminent. De plus, il est possible de trouver du manga autre part : Glénat et Casterman ont leur corner dédié, IMHO est présent sur le stand du Comptoir des indépendants, Carabas sur celui de Semic, etc. Dans la bulle New-York, il est possible d’aller faire des achats sur le stand d’Asian Alternative. En ce qui concerne le palmarès du festival, le tome 2 du Sommet des dieux de Jirô Taniguchi et Yumemakura Baku (Kana) remporte le prix du dessin et un prix hommage est rendu à Yoshihiro Tatsumi pour l’ensemble de sa carrière. Le manga est là, et bien là !

En ce qui concerne les rencontres et animations, le programme est chargé : Le jeudi, l’espace propose une projection vidéo de cosplay (à défaut d’en proposer un vrai), une conférence sur le manga pour ado (shônen et shôjo) présentée par Pierre Valls, à l’époque directeur de collection chez Pika, et une autre sur les bad boys du manga par Jean-Marie Buissou (enseignant à Science-Po et spécialiste du Japon). Le vendredi débute par une rencontre avec Vanyda parlant de la bande dessinée hybride dont elle est une des plus talentueuses représentantes. Ensuite vient une présentation du manhwa par la délégation coréenne. Le point d’orgue de la journée est la rencontre avec Yoshihiro Tatsumi venu parler du « gekiga, le manga d’après-guerre ». Le samedi est assez chargé avec une rencontre croisée entre Junko Mizuno et Johann Sfar. Vient ensuite une table ronde consacrée à Osamu Tezuka avec Patrick Gaumer (journaliste BD), Dominique Véret (directeur de collection chez Akata) et Rodolphe Massé (adaptateur chez Asuka) suivie d’une autre sur le manga alternatif avec Junko Mizuno, Benoit Maurer (IMHO) et Loïc Néhou (ego comme x). La cerise sur le gâteau : une rencontre avec Hiroyuki Takei (qui a été fait citoyen d’honneur de la ville d’Angoulême) suivie d’une séance de dédicaces. Dimanche, il est possible d’assister à la projection du documentaire « Un monde manga » (déjà diffusé en avant-première le jeudi et le samedi dans la petite salle Odéon du Théâtre d’Angoulême) en présence d’un des deux réalisateurs, Jérôme Schmidt (un des fondateurs des Éditions Inculte). Nous avons droit ensuite à une table ronde sur « la bande dessinée par et pour les femmes » avec Florence Cestac entourée de Junko Mizuno, Kan Takahama, Naïto Yamada et animée par Nathalie Bougon. Enfin, un premier bilan français sur le manhwa est dressé par trois représentants de la délégation coréenne et Christophe Lemaire (directeur éditorial de SeeBD). N’oublions pas les Rencontres internationales à l’Espace Franquin de Yoshihiro Tatsumi, animée par Martin-Pierre Baudry (journaliste BD à France Culture), le samedi et de Junko Mizuno le dimanche, avec (à nouveau) Martin-Pierre Baudry et Olivier Jalabert (libraire à Album Comics à l’époque), Pour être complet, ajoutons une table ronde consacrée au droit à l’image se déroulant le vendredi au Marché international des droits et de l’image animée par Stéphane Ferrand, un des deux rédacteurs en chef du Virus Manga, avec (d’après le programme) Pierre Valls, Yuya Kato, Okamoto Kenji et Renaud Morini.

L’édition 2006 est compliquée par la disparition du Champs de Mars où un énorme trou béant empêche de poser les deux grandes bulles principales. L’espace manga est placé tout au bout de la place New-York et si les éditeurs sont nombreux à y avoir un (plus ou moins) petit stand (Glénat, Kana, Ki-oon, Kurokawa, Pika, Soleil Manga, Tonkam, Panini Manga, Paquet, Ponen Mont (un éditeur espagnol), Taifu, Xiao Pan), il n’y a pas d’endroit dédié aux animations. SeeBD (Tokebi, Saphira, etc.) a sa propre bulle rue Hergé que l’éditeur partage avec la délégation coréenne. Une grande exposition consacrée à l’œuvre de Kotobuki Shiriagari (Jacaranda, Kankô), invité d’honneur du festival, est présentée à l’Hôtel Saint-Simon. Un Pavillon Chine est installé place Saint-Martial afin de présenter la bande dessinée chinoise des années 1950 à 2000. Un cosplay en rapport avec le manga (avec très peu de participant·e·s alors que la salle est comble) est proposé le samedi au théâtre d’Angoulême. Remarquons enfin que la bande dessinée asiatique est absente du palmarès de l’édition 2006.

Six rencontres / tables rondes manga sont délocalisées en salle Iribe à l’Espace Franquin. Il faut dire que le Virus Manga a disparu courant 2005 et ne peut plus prendre en charge la bande dessinée asiatique. Qu’à cela ne tienne, le retour d’une partie de l’équipe sera remarquable en 2007. C’est ainsi que nous pouvons suivre le jeudi « Le marché du manga aujourd’hui » avec Dominique Véret, Grégoire Hellot (Kurokawa) et Paul Gravett (éminent spécialiste anglais de la bande dessinée internationale) puis « Traduire un manga » avec à nouveau Dominique Véret et Grégoire Hellot, rejoints par Xavière Daumarie (traductrice / adaptatrice pour Panini Manga) et Frédéric Guyader (adaptateur pour Tonkam). Le vendredi propose une présentation de « La BD coréenne » puis une rencontre avec Kotobuki Shiriagari qui participe à la table ronde « Regards sur le manga indépendant » avec Shizuka Nakano (Piqueur d’étoiles, IMHO) et Noriko Tetsuka (éditrice de la revue AX). Enfin, le dimanche permet de suivre une rencontre « manga » (très mal animée, une fois de plus) avec des « auteurs de bandes dessinées hybrides » (Moonkey et Vanyda en l’occurrence, les autres intervenant·e·s n’étant pas venu·e·s) puis une rencontre (ou une table ronde) consacrée au « Le jeu dans les mangas et le succès du go en France ». Pour cette dernière, il faut avouer qu’au même moment, la délégation mangaversienne est sur la route du retour et que nous n’avons aucune idée de qui est là et de ce qui s’y dit. N’oublions pas deux conférences relevant de la bande dessinée asiatique, organisées par les Littératures Pirates dans la petite salle Méliès de l’Espace Franquin. La première a un titre faussement provocateur (ce qui est évident quand on connait les invités) : « Mangalisation – Le nouveau péril jaune » avec Frédéric Boilet (Sakka), Emmanuelle Lavoix (Lézard Noir), Benoît Maurer (IMHO) et Jean-Louis Gauthey (Cornélius). Terminons sur la deuxième : « Traduire ou Trahir, lire des bandes dessinées en VO » avec Noriko Tetsuka, Shizuka Nakano, Satoko Fujimoto (traductrice manga et interprète), Tanitoc (auteur et critique de BD), Kim Dae Jong (Sai Comics) et Choi Juhyun (auteure, traductrice pour Sai Comics et pour des éditeurs francophones).

En 2007, le Champ de Mars ne permet toujours pas de réinstaller les bulles principales (le centre commercial n’est pas achevé). Pour éviter de manquer de surface et de proposer des stands de taille réduite comme l’année précédente, l’organisation a décidé d’installer la plupart des espaces dans une Bulle géante (éditeurs, BD alternative, para-BD, marché international des droits, les accueils pro et presse) à Montauzier, un quartier d’Angoulême bordant la Charente où des installations sportives (dont une piscine fermée) bénéficient d’une surface d’un hectare et demi. Cependant, il y a un problème, et un gros : le lieu est très excentré, bien au-delà du CNBDI, ce qui fait grincer des dents les restaurateurs et autres tenanciers de bar situés sur le plateau. Tout le festival est délocalisé à Montauzier. Tout ? Non ! Car une Bulle résiste au déplacement. Et elle contient des espaces : jeunesse, jeunes talents et manga. C’est l’Espace Découvertes ! Une nouvelle organisation de l’Espace manga, sous la direction conjointe de Julien Bastide et Nathalie Bougon, animé par Stéphane Langevin (futur rédacteur en chef de Canal BD Manga Mag) pour la partie conférence / débat et par Yvan West Laurence (Animeland) pour la partie projection, pérennise ainsi la présence de la bande dessinée asiatique. Elle préfigure le Manga Building avec ses trois espaces dédiés, un aux projections d’animés (Naruto, Bleach, Nana, Beck, Monster, Rumiko Takahashi Anthology, etc.), un aux expositions et le dernier aux conférences et débats. Ainsi, les animations et les stands des éditeurs mangas / manhwa / manhua se retrouvent séparés. Ces derniers sont d’ailleurs moins nombreux que l’année précédente : Kana, Kami, Ki-oon, Kurokawa, Pika, Tokebi / Saphira, Tonkam et Xiao Pan ont fait le déplacement, sauf que le stand Kurokawa reste désert durant les quatre jours de la manifestation, une pub géante remplissant le stand. Glénat a son corner manga, tout comme Soleil, Kankô squatte un côté du stand Milan (sa maison mère), Sakka a son espace au sein de Casterman, Panini a divisé son emplacement en deux avec une partie manga et une partie comics. Enfin, Akata a droit à un espace chez Delcourt pour présenter les mangas de l’éditeur parisien. Le festival chinois Shanghai NCACG a un stand, tout comme le magazine Shogun et l’éditeur alternatif IMHO. Concernant les expositions, c’est un peu la misère : « Sport et manga », au contenu intéressant, est présentée sous forme de piliers disséminés dans l’espace Manga alors que « Chocolat et Vanilla » (Moyoco Anno, édité par Kurokawa) fait sa pub à coups de tirages originaux (la mangaka travaille sur ordinateur) sur un des côtés de l’Espace Manga.

Il faut dire que les mangaka se font rares : Kaneko Atsushi (Bambi) est venu grâce à IMHO ; Keiko Ichiguchi (America, 1945 chez Kana) est présente, cependant elle vit en Italie, ce qui facilite les choses. Les rencontres sont en partie remplacées par des conférences plus ou moins érudites. C’est ainsi que le programme propose le jeudi après-midi « Les mangas et les ados français : les raisons d’un succès » par Sébastien Langevin. Le vendredi est plus fourni avec, le matin, une masterclass avec Keiko Ichiguchi suivie de la conférence « Osamu Tezuka : un style narratif unique » par Xavier Hébert (traducteur, universitaire, ancien rédacteur du Virus Manga). L’après-midi, nous avons droit à une rencontre avec Kaneko Atsushi suivie un peu plus tard d’une table ronde animée par Sébastien Langevin, « La BD par et pour les femmes : ghetto ou espace de liberté » avec Chantal Montellier (Sorcières, mes sœurs à La boîte à bulles), Nathalie Bougon (Chronic’Art) et Nicolas Penedo (Animeland). Le samedi matin permet de suivre l’excellente conférence « Les Yôkai : monstres et fantômes traditionnels dans les mangas » par Emmanuel Pettini (traducteur et journaliste à NoLife). Une table ronde est programmée l’après-midi, intitulée « Influence manga : au-delà des grands yeux ? » animée par un Sébastien Langevin en petite forme et avec Bill (Lucha Libre chez Ankama), Julien Neel (Lou ! chez Glénat) et Nicolas Nemiri (Je suis morte chez Glénat). Enfin, le dimanche débute par « Sport et manga : les nouveaux romans d’apprentissage », une conférence donnée par Bounthavy Suvilay (journaliste à Animeland et universitaire), qui est aussi la commissaire de l’exposition « Sport et manga ». L’après-midi est chargé avec une rencontre avec Jean-David Morvan animée par Sébastien Langevin puis un débat sur « La crise de la bande dessinée en Europe : faut-il brûler les mangas ? » avec une franche opposition entre Didier Pasamonik (actuabd.com) et Xavier Guilbert (du9.org) avec Boulet (bouletcorp.com) en « médiateur » et Sébastien Langevin en animateur.

Quelque peu en dehors du programme officiel de l’Espace Manga, le lieu sert en fin de journée à des « Battle MangArena» animées par Meko (Animeland). À Montauzier, loin de là, le Forum Leclerc propose dans le Salon des éditeurs le jeudi après-midi un débat « La bande dessinée asiatique : la nouvelle vague ? » animé par Albert Algoud et avec Yves Schlirf (Kana), Guillaume Dorrison (Shogun Mag), Patrick Abry (Xiao Pan), Frédéric Guyader (Tonkam) et Fabien Tillon (journaliste BD). Toujours dans le Salon des éditeurs, Moonkey (Dys chez Pika) enseigne tous les jours, pendant une heure, les bases du manga à un jeune public présent à la Classe Canson. N’oublions pas l’école japonaise Osaka Sogo College of Design, présente aux Archives départementales comme les années précédentes. L’établissement vient au festival depuis 1999 et il forme notamment au métier de mangaka. Pour les fans de goodies et autres produits dérivés japonais, il y a le stand d’Asian Alternative et d’autres boutiques moins connues dans l’Espace Para-BD. Pour conclure, NonNonBâ de Shigeru Mizuki (Cornélius) remporte le prix du meilleur album. Un manga devant toutes les autres bandes dessinées, voilà qui fait date !

Merci à Manuka pour sa relecture et à Tanuki pour sa documentation.
Tous mes remerciements au FIBD et à ses différentes organisations.
Illustration des poulpes © 2005 Meko / AMP
Toutes les photos sont © 2005-2007 Herbv / Mangaverse