En proie au silence

Misuzu Hara est une jeune professeure dans un lycée d’une quelconque ville japonaise. Un de ses élèves (Nizuma) rencontre des problèmes avec ses camarades, accusé par la rumeur dans un premier temps d’être gay, puis de sortir avec une femme mariée. En tant que professeure principale de cet élève, c’est à elle de gérer le problème. Parallèlement à cela, Misuzu a fait la connaissance du fiancé (Hayafuji) de sa meilleure amie, Minako. Or, celui-ci devient rapidement son amant, Mizunu n’ayant pas su résister à ses avances. Elle se retrouve ainsi coincée dans une relation toxique basée sur le mensonge et la dissimulation. Il en résulte un nouvel exemple d’une relations homme-femme basée sur la contrainte et les rapports de force, force qui est du côté des hommes bien entendu, étant donné que nous sommes dans une société foncièrement sexiste, voire phallocrate.

Akane Torikai n’est pas une débutante dans l’industrie du manga : elle a plus de 15 années de carrière professionnelle. Elle a débuté en 2004 à l’âge de 23 ans. Après des débuts dans le shôjo (dont certains sont « matures »), elle s’est assez rapidement orientée vers des œuvres destinées à un public plus âgé en faisant du seinen dans Morning Two et du josei dans BeLove et dans Feel Young, ainsi que dans d’autres magazines dits culturels. Elle a actuellement une série en cours dans Big Comic Spirit intitulée Saturn Return. La série qui nous intéresse aujourd’hui, En proie au silence, a été prépubliée dans Morning Two entre 2013 et 2017 et a fait parler d’elle par son attaque directe de la phallocratie et la misogynie japonaise.

N’hésitons pas à le dire : le tome 1 n’est pas excellent, loin de là. Le propos d’Akane Torikai manque de subtilité et la narration n’est pas fluide. Le tout n’est pas aidé par un dessin sans originalité, très « seinen ». Il est toutefois de bonne facture et efficace, ce qui est le principal. Ajoutons à cela des personnages un peu trop caricaturaux et une narration reposant trop sur des récitatifs au début, et nous avons des éléments pouvant amener à laisser de côté la série. Nous sommes loin du chef d’œuvre annoncé (une fois de plus) par Akata (oubliez cette communication, un peu insupportable par ses perpétuelles exagérations). Heureusement, derrière ces quelques défauts, il y a un message, un contenu qui peut interpeller aussi bien le public féminin que masculin (ou du moins, qui devrait interpeller). Il est à noter que la lecture du tome 2 passe nettement mieux malgré un premier chapitre qui est dans la droite ligne du volume 1. La mangaka y développe ses personnages et leurs interactions, notamment par le biais de Misuzu et Nizuma. Surtout, elle continue à illustrer ses thèmes et à les approfondir. Elle en aborde même de nouveaux, comme celui de la liberté des femmes sur leur corps.

En proie au silence traite donc des relations homme-femme dans la société japonaise actuelle (mais cela est directement transposable dans les sociétés occidentales). Le thème principal est celui de la masculinité qui repose sur la misogynie et le sexisme. Akane Torikai fait le constat que les femmes sont à la disposition des hommes, notamment (surtout ?) sexuellement. Elle aborde différents thèmes dans le tome 1 comme l’obligation « d’être belle » et l’obligation de se marier. En effet, tel qu’il est conçu, le mariage est un mode de vie qui s’impose à tout le monde : le mariage garantit la cellule familiale et la solidarité intergénérationnelle. Le célibat est donc un problème, pas un choix de vie. Il y a une réprobation généralisée du célibat, notamment dans le monde du travail et au sein du cercle familial. C’est ainsi qu’il y a un « âge normal du mariage » qui est une horloge sociale imposée aux femmes plus qu’aux hommes. Les célibataires qui dépassent cet âge (30 ans au Japon) sont considérés comme des perdants, voire comme des parasites. Passé 35 ans, c’est fichu, il devient quasiment impossible de se marier alors que c’est une volonté qui semble partagée (du moins dans les sondages).

Il faut dire aussi que les rôles H/F sont distribués dans le mariage : il y a complémentarité et non égalité, surtout pour les tâches domestiques : l’homme doit avoir une situation financière stable et la femme doit s’occuper du foyer. Cependant, cette situation n’est confortable pour personne, y compris pour les hommes. En effet, la règle des 3 H (Haut niveau de rémunération, Haut niveau d’éducation et Haute taille) s’imposent à eux et malheur à ceux qui n’arrivent pas à correspondre à cette règle. Or, pour le confort de tous, à commencer pour les femmes dominées et exploitées car en état de dépendance financière, il vaudrait mieux que s’applique la règle des 3 C (Confort, Coopération, Communication).

Les relations amoureuses homme / femme passent par l’obligation d’être actifs pour les premiers, passives pour les secondes. En proie au silence présente plusieurs situations intéressantes illustrant ce thème et ses limites : il y a Erisa Misakana, la lycéenne très populaire qui n’a pas l’air soumise à Wadajima, son (plus ou moins) petit copain. Il y a aussi Niizuma qui a couché avec une femme mariée. N’oublions pas la petite amie officielle de Niizuma qui se demande si elle doit accepter les avances des (rares) garçons qu’elle intéresse (certes, elle a de gros seins mais elle est plutôt grosse et quelconque). Il y a surtout Hayajuji, le type même du prédateur sexuel qui sait manipuler les femmes pour obtenir ce qu’il veut : leur sexe. Ce même Hayajuji vit en couple avec Minako mais trouve toujours l’excuse du travail pour repousser les besoins de cette dernière. Le besoin sexuel féminin est ainsi plus ou moins mis en avant mais considère aussi que l’acte sexuel peut être une sorte de négociation entre la femme et l’homme, on couche pour exprimer le souhait d’être en couple. Cette considération se retrouve, confirmée ou infirmée par les différents personnages de la série.

Rappelons qu’au Japon, si le sexe masculin est glorifié notamment à travers plusieurs fêtes phalliques, celui féminin est tabou et ne doit pas être représenté. Megumi Igarashi s’en est aperçue à ses dépens lorsqu’elle s’est retrouvée en prison à cause de son « art vaginal ». Sa démarche artistique (représenter sa vulve sous différentes formes) est de casser le tabou entourant le sexe féminin, caché et qui doit le rester (lire son manga L’art de la vulve, une obscénité ? pour plus de détails). Ce tabou est un puissant instrument de contrôle des hommes sur les femmes, comme les deux premiers tomes d’En proie au silence le montrent. Akane Torikai rappelle aussi que dans la relation sexuelle, l’homme est la plupart du temps l’initiateur, le demandeur. Si dans l’imagerie érotique et pornographique, la femme doit démontrer sa « pureté » par le refus (modéré), du moins dans un premier temps. L’homme, par insistance et talent, va apporter la jouissance à la femme qui va finir par apprécier la relation. Il faut noter que ce n’est pas toujours le cas dans le manga et que la mangaka cherche à démonter ce fantasme masculin par différentes scènes de sexe (peu explicites en dehors d’un sein apparaissant ici ou là).

Ainsi, l’homme, initiateur des relations sexuelles dans nos sociétés, peut exercer la contrainte : relations forcées par manipulation mentale, ce qui peut être considéré comme un viol, même sans contrainte physique ni pénétration (au Japon, comme en France, pour qu’il y ait viol, il faut pénétration sinon, c’est une agression sexuelle). En proie au silence nous montre la difficile nuance entre acceptation passive et viol, et surtout nous montre les traumatismes qui peuvent en résulter. Que ce soit le comportement passé d’un ancien petit copain de Minako, qui a violé littéralement Misuzu (même si celle-ci ne se défend pas), ou les exigences sexuelles d’Hayafuji, le fiancé de Minako, une seule conclusion s’impose : l’homme est un agresseur, il exige et finit par obtenir ce qu’il veut de la femme.

Le sentiment de culpabilité, comme celui de honte, est un puissant outil de protection des agresseurs. Les femmes intériorisent ce qui leur est arrivé car elle se sentent coupables et honteuses. Le fait que la société refuse d’entendre et de comprendre la position des femmes abusées et va jusqu’à leur faire porter la responsabilité des actes qui se sont produits, permet ainsi une véritable culture du viol. Remarquons que dans le manga, comme cela se produit la plupart du temps dans la réalité, le viol est réalisé dans l’espace privé (au domicile ou dans un lieu de rencontre privé) par une connaissance (plus ou moins proche) de la victime et non pas par un inconnu dans l’espace public.

En proie au silence, malgré quelques défauts formels (surtout sur le premier tome), se révèle être une lecture indispensable et peut aider hommes et femmes à mieux comprendre à quel point le sexisme est toxique, surtout pour les femmes. Un changement rapide des mentalités est indispensable pour une relation plus harmonieuse et plus équilibrée. La postface de Moto Hagio proposée par le tome 2 va bien évidemment dans ce sens. Nous ne pouvons que féliciter les éditions Akata de proposer au lectorat francophone une lecture au contenu si important, pour ne pas dire vital.

Des lectures SF de circonstance

Bannière des lectures SF de circonstance

Le confinement donne du temps pour les loisirs. Un des plus appropriés est la lecture de romans (épais de préférence). N’ayant pas fait suffisamment d’achats lors de l’habituelle (mais en pause) tournée des librairies du quartier Saint-Michel à Paris lors des « courses du samedi », et ayant du mal à être transporté par une de mes lectures actuelles, je me suis retrouvé à ressortir un épais diptyque de ma bibliothèque. Chose amusante, je me suis aperçu que mes trois dernières lectures de science-fiction ont une résonance certaine avec les circonstances actuelles.

La vie après la pandémie

Roman Les enfermés

Les Enfermés de John Scalzi se passe dans un futur relativement proche après qu’une pandémie appelée « la grande grippe » ait tué plus de quatre cents millions de personne à travers le monde. Surtout, certaines victimes ont survécu en étant transformées par la maladie : suite à certaines complications entrainant une inflammation du cerveau, elles se sont retrouvées totalement coupées du monde extérieur. Si une petite minorité des malades connurent « l’enfermement », cela a représenté pour les États-Unis plus de quatre millions de victimes, dénommés sous le terme de « haden ».

Heureusement, la science et la médecine ont réussi, non pas les guérir, mais à les sortir de cet isolement : un monde virtuel, « l’Agora », hébergé sur de puissants serveurs dédiés, leur est devenu accessible et les « enfermés » peuvent littéralement se projeter dans des androïdes pour pouvoir interagir avec le monde extérieur. D’autres malades ne connaissent pas l’enfermement mais développe la capacité d’héberger l’esprit de hadens et ils peuvent ainsi louer leur corps pendant un temps réduit. Ce sont des « intégrateurs ». Bien entendu, plus vous êtes riche, meilleures sont vos possibilités de vivre socialement dans les deux mondes, le virtuel et le réel : nous sommes aux États-Unis, après tout.

Chris Shane, haden depuis sa plus tendre enfance, est depuis peu un agent du FBI. Il travaille par envie de faire quelque chose d’autre de sa vie qu’être un porte-drapeau des personnes de sa condition. En effet, son père, ancien champion de NBA et investisseur avisé, a mis toute sa famille à l’abri du besoin matériel. Dès ses débuts dans ses nouvelles fonctions, et sous la houlette de Leslie Vann, sa co-équipière qui traine comme de bien entendu un lourd passé, il se retrouve à enquêter sur une affaire de meurtre d’un intégrateur. Les circonstances peu claires dans la réalisation de cet homicide semblent révéler une affaire complexe concernant des personnes puissantes de la communauté haden.

Ce roman policier / SF se lit facilement grâce à l’écriture à la première personne, nerveuse et fluide, de John Scalzi, ce que l’on ressent dans la traduction de Mikael Cabon. Ce dernier officie aussi sur les autres livres de Scalzi ainsi que sur les Chronique des rivages de l’Ouest d’Ursula K. Le Guin comme et la série La Longue Terre de Baxter et Pratchett. Les dialogues, nombreux, s’enchainent bien et les parties de récitatif éclairent bien la situation et les enjeux. Il en résulte une lecture distrayante qui captive lectrices et lecteurs jusqu’au dénouement. Certes, il y a quelques ficelles et facilités scénaristiques que nous pourrions regretter mais elles permettent à John Scalzi de garder un rythme élevé et à nous distraire jusqu’au bout. Il en résulte un roman assez court qui est complété par une nouvelle écrite sous la forme de différents entretiens permettant de mieux comprendre le monde mis en place par l’auteur. Il existe une autre enquête de Chris Shane : Prise de tête.

Vivre dans un monde post-apocalyptique

C’est sous l’influence (et le cadeau du premier tome) d’a-yin que je me suis attaqué depuis février à la lecture des Livres de la Terre fracturée de N.K. Jemisin. Cette trilogie nous transporte dans un monde en proie aux tremblements de terre et où des cataclysmes périodiques provoquent la disparition des civilisations qui ont réussies à se développer, ne laissant que quelques survivants en prise à des hivers interminables qui marquent l’entrée de chaque nouvelle saison. L’Humanité est, globalement, divisée en trois castes, celle des « normaux », celle des « orogènes » et celle des « gardiens ». La première, la plus nombreuse, s’organise en citées qui utilisent la deuxième (qui est sous le contrôle de la troisième) pour gérer au mieux les tremblements de terre qui les menacent. En effet, les orogènes ont le pouvoir de contrôler les soubresauts terrestres en tirant l’énergie de la Terre, notamment des volcans. Pourtant, loin d’en faire des héros, ce pouvoir les a transformés en semi-parias que tout le monde déteste. Il faut dire que les orogènes peuvent vous tuer de différentes façon sans la moindre difficulté et même involontairement lorsqu’ils ne maitrisent pas leur pouvoir, ce qui est le cas lorsqu’ils sont trop jeunes pour avoir appris.

Essun, une puissante orogène qui cachait son pouvoir à la communauté qui l’avait accueillie, a découvert son domicile vide et son jeune fils mort sous les coups de son mari, Jija, qui s’est enfuit avec leur fille, Nassun, après avoir découvert la terrible malédiction qui frappait (de son point de vue) sa famille : ses deux enfants étaient des orogènes, ce qui lui avait été dissimulé. Essun, dévastée, décide de les retrouver, coûte que coûte ! Nous suivons aussi Damaya qui vient de découvrir ses pouvoirs et qui est confiée à une organisation, le Fulcrum, chargée d’éduquer et de former les orogènes. Enfin, dans une troisième trame narrative, nous accompagnons Syénite, une orogène prometteuse ayant terminé sa formation et retrouvant le monde extérieur pour sa première grande mission en compagnie du plus puissant agent du Fuclcrum : Albâtre. Cependant, le véritable but de cette sortie est d’enfanter ce qui pourrait devenir le meilleur orogène de tous les temps.

Le premier des trois romans commence avec une narration à la deuxième personne du présent, ce qui est très déstabilisant. Ajoutez à cela un style assez froid, des personnages tous moins sympathiques les uns que les autres, et vous avez une entrée en matière extrêmement difficile. Les deux autres personnages sont suivis de façon plus traditionnelle : à la troisième personne. Ce n’est pas pour autant que ça soit plus amusant à lire car il est impossible de ressentir la moindre empathie pour quiconque. Le style utilisé est assez littéraire avec une narration très descriptive, avec peu de dialogues. Chaque chapitre est assez long (dans les 25 pages) et chacun se révèle assez pénible à lire, les pires étant ceux concernant Essun. Ce n’est pas avec le deuxième tome que ça s’arrange, même si on ne suit qu’Essun et Nassun. Nous y retrouvons le même style même si certains chapitres sont plus courts. Le tome 3 est de la même veine, il ne faut pas espérer d’amélioration sur le style. Si l’effort littéraire de Jemisin est à saluer, si le monde que l’auteure a mis en place est fascinant, très bien construit, si les personnages sont intéressants, cela reste quand même difficileà lire, il faut le dire. Et je suis certain que ça ne vient pas de la traductrice, Michelle Charrier dont j’avais su apprécier le travail sur l’excellent La Fiancée du dieu Rat de Barbara Hambly (une de mes auteures préférées).

Vivre dans l’incertitude

Je l’avais annoncé dans mon premier billet consacré à la science-fiction, je l’ai fait : je suis en train de relire le diptyque Black-Out et All Clear de Connie Willis. Il faut dire que n’ayant plus aucun livre de John Scalzi à lire (et pas envie de commander sur Internet pour l’instant), j’avais besoin de lire en parallèle aux Livres de la Terre fracturée quelque chose de plus enlevé afin de contrebalancer le style « pénible » de N.K. Jemisin. Quoi de mieux que Connie Willis dont la facilité de lecture, l’humour (même en décrivant des événements graves ou tragique), sont quasiment inégalables. De plus, nous avons là une œuvre tout à fait en raccord avec le temps présent, c’est-à-dire l’incertitude des lendemains et la tension permanente que nous subissons du fait des contraintes qui s’exercent sur tout le monde. Certes, il est mal venu de comparer les horreurs de la Seconde guerre mondiale et notamment du Blitz qu’a subit Londres entre septembre 1940 et mai 1941 avec une maladie qui est terrible surtout dans le fait qu’elle montre les faiblesses sanitaires et économiques de nos sociétés actuelles, trop mondialisées. Il n’en reste qu’il y a un écho certain dans cette lecture. Après tout, nous sommes « en guerre contre le coronavirus » !

Les deux épais tomes de Biltz (le nom de l’édition omnibus) se déroulent dans le cadre des aventures temporelles du département Histoire de la prestigieuse université d’Oxford. Nous avions pu lire les terribles aventures de Kivrin dans Le Grand livre, ainsi que les hilarantes mésaventures de Ned dans Sans parler du chien. Il est d’ailleurs préférable d’avoir lu le premier des deux titres pour mieux apprécier le début de Black-Out tant l’auteure ne prend pas de temps de présenter son univers. Nous sommes censés le connaître, tout comme nous sommes censés connaître le professeur Dunworthy qui dirige une équipe d’étudiants en histoire qui peuvent utiliser un transmetteur temporel afin d’étudier de visu le sujet de leur thèse. Normalement, leur présence ne peut pas provoquer de paradoxe temporel, aucune porte ne s’ouvrant entre les deux époques s’il y a le moindre risque. Néanmoins, en sommes-nous vraiment certain ?

Polly, Merope (pardon, Eileen) et Michael (Mike !) sont trois étudiants du professeur Dunworthy. Elles et il ont besoin d’aller en Angleterre pendant la Seconde guerre mondiale dans le cadre de leurs études. La première veut observer les effets du Blitz sur la population londonienne réfugiée dans les abris lors des bombardements. La deuxième étudie l’évacuation des enfants de Londres et leur vie dans la campagne anglaise. Quant au troisième, il étudie les héros inconnus, ces gens comme vous et moi qui accomplissent des actes valeureux que l’Histoire n’a pas gardé en mémoire. Pour cela, il doit aller à Douvres voir l’évacuation de la poche de Dunkerque. Bien entendu, rien ne va se passer comme prévu, malgré toutes les précautions exigées par le professeur Dunworthy. Surtout, les trois vont vite se rendre compte que les portes temporelles ne s’ouvrent plus pour leur permettre de retourner en 2060, ce qui les amène à se demander, de plus en plus angoissés, ce qu’il se passe. En attendant les secours, il faut réussir à vivre en temps de guerre, alors que la mort peut survenir à n’importe quel moment.

Les romans relevant des voyages temporels de l’université d’Oxford sont toujours basés sur un sens du détail, une certaine rigueur historique, notamment dans la vie de tous les jours de la période concernée. La problématique des paradoxes temporels est au cœur du dytique (tout comme il l’était dans Sans parler du chien) : qu’est-ce qui fait que le voyage dans le passé (aller dans le futur n’est pas possible) ne risque pas de modifier l’Histoire ? Tout simplement en ne rendant pas possible le voyage dans le temps à certaines époques et à certains endroits. Toutefois, Connie Willis essaye d’aller plus loin dans sa réflexion et, notamment en appliquant la théorie du chaos, essaye de montrer que même involontairement et en prenant toutes les précautions à auxquelles on peut songer, voyager dans le temps peut entrainer des bouleversements. Cette réflexion est surtout développée dans All Clear tout en gardant le même rythme, le même humour et la même verve. Magistral, même si quelques péripéties auraient pu être évitées et nous infliger un peu moins de délayage. Comme nous à lire (la traduction de Joëlle Wintrebert ne semble souffrir d’aucun défaut), Connie Willis semble s’être bien s’amusée à écrire, avoir du mal à quitter Polly, Merope, Michael mais aussi Colin, Mary et bien d’autres personnages.