Il y a un an une sorte d’Objet Manga Non Identifié est sorti chez Noeve Grafx sous un titre étrange : La Pomme prisonnière. Comme l’explique Kenji Tsuruta dans sa postface, il s’agit en quelque sorte de la continuation sous forme de manga de ses travaux d’illustrations publiés dans un art book intitulé Hita hita. Il en profite pour expliquer quelles associations d’idées lui ont permis de passer de Hita hita (une onomatopée faisant référence à la submersion) à La Pomme prisonnière (en français dans la version originale). Il se révèle très rapidement que cette bande dessinée est en fait un improbable croisement entre deux passions de l’auteur : les chats et les filles nues. Voyons donc comment le mangaka en est arrivé là et quel en est le résultat…
Le lectorat francophone a pu découvrir très tôt Kenji Tsuruta, ce qui fait que nous avons en français la quasi-totalité de ses mangas. Son premier recueil, Spirit of Wonder, a été publié chez nous en 1999 par Casterman. Il s’agit d’une compilation de courts récits de science-fiction qui ont été prépubliés entre 1987 et 1996 dans Morning ou Afternoon, deux des magazines seinen de Kodansha. Il s’agit alors de son premier tankobon (volume relié). Tsuruta a débuté professionnellement à l’âge de 25 ans avec une histoire courte réalisée en 1986 pour Morning, après une carrière d’assistant pour plusieurs mangaka et après avoir publié plusieurs dôjinshi (fanzines) durant ses études en optique. En 2004, rebelote chez Casterman avec Forget-me-not, qui introduit Mariel Imari, une détective privée japonaise vivant à Venise. Il y a cette fois une sorte d’histoire suivie mais chaque chapitre est autoconclusif. Ceux-ci ont été prépubliés à partir de 1997 (toujours dans Morning) et regroupés au Japon en un seul tome en 2003.
Ensuite, plus rien en francophonie jusqu’à ce que Ki-oon édite en 2017 le premier des deux tomes de L’île errante. La série, commencée en 2010 dans Afternoon, est plus ou moins en pause depuis de nombreuses années. Plus exactement, elle est à parution très lente car le premier tome est sorti en 2011, le second en 2017 au Japon. C’est ensuite au tour d’Emanon de nous être proposé, toujours par Ki-oon. Il s’agit là de l’adaptation en manga d’une série de nouvelles de science-fiction écrites par Shinji Kajio. Les quatre tomes parus au Japon (en 2008, 2010, 2013 et 2018) ont été traduits en français entre 2018 et 2020. Notons que, cette fois, la série (inachevée) a été prépubliée dans le défunt mensuel Comic Ryu de Tokuma Shoten. En effet, le mangaka s’est mis à travailler assez tôt pour divers éditeurs, notamment pour Hakusensha. Sa dernière œuvre finie, La Pomme prisonnière (2016, Hakusensha) a été prépubliée dans le magazine Rakuen Le Paradis (un recueil périodique d’histoires courtes destiné essentiellement à un lectorat féminin, trois numéros par an) entre 2010 et 2014. Tsuruta y a commencé une nouvelle série en 2017, Le Repaire de Captain Momo (à paraitre en français, normalement fin 2023, chez Noeve Grafx). Cependant, une fois de plus, l’auteur est très lent (le rythme de parution du magazine n’aide pas, il faut dire) et le premier tome relié n’est sorti au Japon que fin 2022.
Car oui, le mangaka n’est pas très productif. Il faut dire qu’il est aussi un illustrateur de romans et qu’il réalise régulièrement des art books dont l’imposant Hydrogen (254 pages, 1997, Hakusensha) ou, comme déjà évoqué, Hita hita, un recueil d’images friponnes (40 pages, 2002, Hakusensha). Récemment, Tsuruta vient de sortir Tsubu-an (120 pages, 2022, Akita shoten), un nouvel art book revenant sur l’ensemble de sa carrière et comprenant notamment de nombreuses illustrations promotionnelles ou de commandes (pour des films ou des albums de musique, par exemple). S’il n’y a pas de nudité, les filles y sont souvent présentées de façon sexy, voire avec un peu de voyeurisme de la part de l’auteur.
La Pomme prisonnière est donc un manga particulier, « un peu spécial » comme le dit lui-même l’auteur. Pour commencer, il est impossible de présenter l’histoire car il n’y en a pas. En vingt-deux chapitres, représentant seize saynètes sans lien les unes avec les autres (certaines sont très courtes car ne comptant que trois pages), nous suivons les rêves, les cauchemars ou les agissements de Mariel, la détective privée du manga Forget-me-not. Le point commun à tous ces petits récits ? Le chat Oni. N’oublions pas les nombreuses apparitions de félidés en plus d’Oni avec, notamment, M. J, Hana et Chee. Il y aurait pu avoir un autre point commun avec la nudité de notre héroïne. Cependant, il arrive parfois que Mariel reste habillée. Venise aurait pu être un troisième fil rouge, mais la plupart des chapitres se passent dans des ruines à demi immergées qui pourraient se trouver n’importe où en Méditerranée. Quoi qu’il en soit, les chats sont représentés de manière réaliste, leur comportement est incontestablement crédible. Nous pouvons donc prendre La Pomme prisonnière avant tout pour une déclaration d’amour envers la gent féline, mais avec une contrainte : faire un manga avec des filles nues, dans la lignée de Hita hita, cet art book où Tsuruta s’en était donné à cœur joie.
En effet, comme nous l’apprend la postface, c’est une demande du rédacteur en chef (qui avait déjà travaillé avec l’auteur) du magazine pour jeunes femmes Rakuen Le Paradis qui a permis la création de cet OMNI. Néanmoins, l’existence d’une telle œuvre dans la bibliographie du mangaka n’est pas réellement surprenante. Les chats sont présents dans de précédents titres, tels que Forget-me-not (forcément) ou L’île errante. Et plus les années passent, plus les héroïnes de Tsuruta sont sexy et déshabillées, de Mariel que l’on voit de plus en plus découverte au fil des pages à Emanon qui n’est pas toujours très vêtue (surtout dans Errances d’Emanon). Sachant que l’auteur avoue dans ses petits commentaires qu’il aime dessiner des filles nues, il est tout à fait logique que ces différents centres d’intérêt se retrouvent ici… sans oublier le milieu marin que l’on retrouve dans une grande partie de ses mangas.
Dans le cas de Hita hita et, par extension, de La Pomme prisonnière, sommes-nous en présence d’un hommage rendu à un certain courant artistique européen, le nu ? Ou s’agit-il tout simplement de voyeurisme avec ce « male gaze » si important dans l’idéologie woke ? En effet, nous pourrions bien être en face d’une sexualisation exacerbée de la femme asiatique dans un univers occidental, un lointain avatar de l’orientalisme du XXe siècle. Après tout, Mariel est japonaise et l’histoire (si on peut dire) se passe à Venise. D’ailleurs, La Pomme prisonnière est-elle une œuvre compatible avec l’évolution récente des mentalités (et des débats que cela provoque) en ce qui concerne la représentation des femmes dans l’art ? Toutefois, toutes ces questions ne relèveraient-elles pas d’un certain ethnocentrisme ou plutôt d’un culturocentrisme qu’il faudrait apprendre à dépasser ? En effet, nous parlons là d’une œuvre réalisée avec un « esprit d’avant-garde » et créée pour un public de niche, japonais, sans visée exportatrice.
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Évacuons de suite l’hypothèse d’un éventuel hommage à l’art du nu. Rappelons que ce dernier, du moins en Europe, est très ancien. Dans l’Antiquité, il s’agissait d’ailleurs plus de nus masculins qui exaltaient les vertus viriles des hommes sans la moindre sexualisation des corps. Petit à petit, ce genre artistique a évolué vers une mise en scène de femmes. Il y a plusieurs raisons à cela, certaines pouvant être amusantes. Notons que le dénudement partiel des corps, surtout féminins, était plutôt transgressif en Europe au XIXe et durant la première moitié du XXe siècle, ce qui permettait aussi de faire parler de soi. Il n’en est pas de même au Japon où l’ukiyo-e est un art pictural qui remonte au début de l’époque d’Edo. À partir du milieu du XVIIe siècle, de nombreuses estampes popularisent l’ukiyo-e, accompagnant ainsi le développement de l’industrie du livre de divertissement. Pour un certain nombre d’entre elles, il s’agit de montrer des courtisanes dans leur vie de tous les jours. Forcément, ces femmes ne sont pas toujours habillées, notamment lorsqu’elles vont au bain. S’il y a une référence au passé dans Hita hita et dans La Pomme prisonnière, c’est plutôt là qu’il faut chercher, et peut-être aussi dans l’art contemporain japonais.
De notre point de vue occidental et actuel, Tsuruta porte-t-il sur Mariel et ses filles de papier un regard masculin réifiant le corps féminin en en faisant un objet de désir ? C’est certain, du moins selon certains points de vue. Nous pouvons aussi penser que nous sommes plus dans une représentation onirique, référencée et humoristique de la nudité plutôt que dans un certain érotisme. D’ailleurs, dans La Pomme prisonnière, il s’agit plus de vivre nue quand cela est possible. Vivant seule à Venise ou dans une ruine à demi immergée à l’écart de toute habitation, Mariel est plutôt dans une position de nudiste, mais plutôt dans la sphère privée. Dans un chapitre, lorsque le brouillard (un phénomène habituel à Venise) se lève, elle et la fille à lunettes doivent cesser de danser nues sur la rive et elles se cachent pour ne pas être vues d’un promeneur solitaire. Toutefois, rappelons que la pudeur n’est pas tout-à-fait la même au Japon qu’en Occident. D’ailleurs, il y a un côté assez transgressif de la part du mangaka lorsqu’il montre la pilosité pubienne et axillaire. Les filles de Tsuruta ne sont pas épilées, elles sont naturelles. Nous pourrions même considérer que l’auteur promeut, notamment avec Mariel, une image de la femme libérée, ayant le contrôle de son corps.
Toutefois, nous pouvons nous demander si tout ceci ne serait qu’une intellectualisation excessive destinée à cacher le fait qu’il s’agit uniquement de se faire plaisir en dessinant / regardant des corps féminins, et qu’il n’y a rien de plus. Après tout, Tsuruta l’a bien dit à propos de Hita hita : « […] des filles nues et c’est tout. » Donc… place aux images !
L’archivage des nombreuses bandes dessinées et revues consacrées au 9e art est l’une des missions de la Cité Internationale de la Bande Dessinée et de l’Image (CIBDI). L’idée de mettre en place à Angoulême un fonds dédié à la BD s’est concrétisée il y a une quarantaine d’années avec le doublement (entre 1984 et 2015) du dépôt légal de la BnF, bien avant la création de la Cité. Cette dernière est ainsi l’héritière de la bibliothèque d’Angoulême, première récipiendaire de ce fonds du fait de sa proximité géographique avec le Salon International de la Bande Dessinée d’Angoulême (devenu en 1996 un festival). À l’occasion de la cinquantième édition du festival, nous (a-yin et moi) avons eu l’occasion de visiter ce fonds en compagnie d’un petit groupe de privilégié·e·s et de découvrir certaines vieilles pépites qui y sont entreposées.
Un peu d’histoire
Ces réserves sont installées dans les chais dits « Magelis » depuis 2008, une fois ceux-ci profondément remodelés pour recevoir le musée de la bande dessinée ainsi qu’un musée du cinéma (qui n’ouvrira finalement jamais). En effet, le lieu a une histoire qui prend ses racines durant la glorieuse période industrielle d’Angoulême et même au-delà.
L’usine Weiller (1910)L’usine COFPA (1960)Musée de la BD (2010)
Remontons à 1857 pour trouver l’origine de ces chais. C’est à cette époque que les onze corps de bâtiments, dont on voit toujours la façade ordonnancée le long de la Charente dans le quartier de Saint-Cybard, ont été construits afin de stocker de l’eau-de-vie (Cognac n’est pas loin). Ces chais ont été transformés par la société Lazare Weiller et Cie en 1908-1910 pour recueillir son usine métallurgique (alors située quelques dizaines de mètres plus loin) et une usine à feutre de papeterie (alors située à Nersac, à l’Ouest d’Angoulême) qui profite ainsi de la proximité des papeteries d’Angoulême. Un entrepôt industriel et des bureaux ont été construits vers 1930 avant que de nouveaux ateliers de fabrications soient ajoutés en 1945 puis en 1960. L’ensemble s’est transformé en friche industrielle après le transfert de l’usine COFPA (ex-Weiller) à Gond-Pontouvre (au Nord d’Angoulême) en 1995. Cette friche a subsisté jusqu’à la réhabilitation du site décidée en 2002 avec la mise en place de la « Cité Magelis ». Tous ces bâtiments ont dû être détruits, en gardant néanmoins les façades et quelques murs, afin de faire place à une nouvelle structure dédiée à la bande dessinée (le musée, ouvert en 2009 dans sa partie droite) et à l’image (l’ex-musée du cinéma des Studios Paradis). Cette partie n’a jamais été ouverte au public entre 2004 et 2022, à une exception près en 2017 à l’occasion d’une exposition temporaire. Depuis peu, les Studios Paradis sont définitivement fermés. Les décors ayant été démontés, le FIBD a pu en profiter en 2023 en y créant un nouvel espace jeunesse.
La Cité Internationale de la Bande Dessinée et de l’Image
La Cité, née en 2008 de la réunion du CNBDI (le Centre National de la Bande Dessinée et de l’Image, dont la création à Angoulême a été décidée en 1984) et de la Maison des auteurs, est organisée en plusieurs pôles sur trois sites (Vaisseau Mœbius, Maison des auteurs, Chais Magelis). Les trois principaux pôles sont le musée de la bande dessinée, la bibliothèque de la bande dessinée et la maison des auteurs, auxquels s’ajoutent des fonctions supports (administration, communication, action culturelle et centre de soutien technique multimédia). Depuis quelques années, le cinéma et la librairie sont directement rattachés à la direction générale, l’action culturelle / médiation, la bibliothèque, le centre de ressources documentaires et les fonds (lecture publique, centre de documentation, patrimoniaux) sont rattachés à la direction « lecture publique et transmissions », en attendant une nouvelle organisation qui ne manquera pas de se mettre en place dans un futur plus ou moins proche.
Le Vaisseau Moebius (2013)Les chais Magelis (2017)
C’est au premier étage, au-dessus du musée et de la librairie, que se trouvent, entre autres, le centre de documentation avec ses bureaux sur un côté, et en son cœur, la réserve des albums et celle des périodiques (les deux dépendant donc du fonds « imprimés » de la bibliothèque) ainsi que les réserves des collections du musée (des planches et illustrations originales mais aussi divers objets en rapport avec la BD). Elles représentent une surface d’environ 600 m² (dont 190 pour les albums, 230 pour les périodiques et 180 m² pour les collections du musée). Elles étaient situées jusqu’en 2008 au premier étage du CNBDI, du côté de la bibliothèque (donc au bâtiment Castro, devenu en 2013, le Vaisseau Mœbius). Elles représentaient une surface de 355 m² (soit 100, 129 et 126 m²). D’ailleurs, le manque de place dans les nouvelles réserves ont conduit à en ré-ouvrir une ancienne (avec la réimplantation de certains types de documents) dans le Vaisseau Mœbius (la surproduction de bandes dessinées ne touche pas que les lectrices et lecteurs ou les libraires). Cette nouvelle/ancienne réserve sert aussi de lieu de stockage à un récent don exceptionnel.
Qu’est-ce que le fonds patrimonial des imprimés ?
En principe, est patrimonial tout livre qui est soit ancien (antérieur à 1830), soit rare (moins de cinq exemplaires sur le territoire national), soit précieux (plus de 50 000 €), un seul de ces trois critères suffit. Cependant, il est possible de « patrimonialiser » en dehors de ces trois caractéristiques. Rappelons qu’un ouvrage « patrimonialisé » est inaliénable et imprescriptible. Du coup, il n’a pas vocation à être prêté, ni à être aliéné ou détruit. Et des règles de conservation (température, hygrométrie, ventilation, stockage, sécurisation, recollage, etc.) s’imposent à son entreposage et à son prêt pour des expositions temporaires (pas plus de trois mois consécutifs suivi d’une longue mise au « frigo » afin de le préserver de la lumière). Un fonds patrimonial est donc constitué d’un site de conservation, d’une collection qui y est entreposée et d’un catalogue des pièces constituant ladite collection.
Pour simplifier, une bande dessinée (au sens large), mais aussi une revue en lien avec la BD peuvent entrer dans le domaine public mobilier et ainsi devenir un bien d’intérêt national à partir du moment où ledit l’objet a rejoint le fonds de la Cité. Pour cela, il n’est pas nécessaire d’être rare ou précieux, il suffit que l’ouvrage présente un « intérêt public du point de vue de l’histoire, de l’art, de l’archéologie, de la science ou de la technique ». Du coup, cela a permis d’inclure les livres et périodiques collectés au titre du dépôt légal et qui ont été envoyés à Angoulême par la BnF entre 1984 et 2015. Mais aussi ceux obtenus par différents dons (par exemple les fonds « Alain Saint-Ogan » ou « Pierre Couperie » mais il y a d’autres donations) ou à l’occasion de divers achats. Notons que la Cité n’est pas destinataire, pour les bandes dessinées, du dépôt légal imprimeur de la région Nouvelle Aquitaine (pour l’ex-région Poitou-Charentes, c’est la bibliothèque municipale de Poitiers qui est concernée), ce qui aurait été une source permettant d’alimenter le fonds de quelques nouveautés locales.
En fait, l’idée de mettre en place à Angoulême un fonds dédié à la BD s’est concrétisée il y a une quarantaine d’années avec la réception d’un des exemplaires du dépôt légal de la BnF, bien avant la création de la Cité. Cette dernière est ainsi l’héritière de la bibliothèque municipale d’Angoulême, première récipiendaire de ce fonds. Celui-ci a donc commencé à être constitué en 1984 et a été transféré à la bibliothèque du CNBDI en 1990. Un des exemplaires du dépôt légal a cessé d’être envoyé par la BnF en 2015, coupant alors la principale source d’alimentation du fonds. C’est en tout plus de 60 000 ouvrages qui ont été reçus par ce biais et qui sont archivés dans les rayonnages dédiés. Heureusement, la Cité avait et a toujours d’autres possibilités d’acquisition. Par exemple, en 2021, un don de plus 30 000 ouvrages est venu enrichir le fonds des imprimés : une collection privée qu’il faut désormais répertorier et dédoublonner avec l’existant, puis archiver et cataloguer, ce qui représente un travail considérable mais passionnant.
La visite du fonds des imprimés
Après avoir été reçus dans les bureaux du centre de documentation par Pauline Petesch, Lisa Portejoie et Maël Rannou, et après avoir eu une présentation des différentes missions de la division « lecture publique et transmissions » de la Cité, notamment celle de proposer un espace de consultation du fonds des imprimés aux chercheuses, chercheurs, et autres spécialistes de la BD, nous avons pu entrer dans le vif du sujet. Les réserves sont accessibles par de longs couloirs sans fenêtre agrémentés de figures bédéesques illustres en grand format, des formes imprimées récupérées, j’imagine, à l’issue de telle ou telle exposition organisée par le CNBDI puis par la Cité.
Il y a nombre époustouflant d’étagères montées sur rail (on appelle ça des rayonnages mobiles haute densité) sur lesquelles sont entreposées de grandes quantités de livres qui sont rangés par taille (petits, moyens ou grands formats) puis par ordre de catalogage, ce qui tranche avec les collections amateures qui vont privilégier un classement par série, auteur, éditeur, etc. En effet, il n’est pas possible d’avoir une telle approche pour un fonds car il est impossible de ré-agencer en permanence les BD ou d’essayer de garder différents espaces libres pour les futures parutions. Cela donne un effet très disparate mais l’efficacité prime ici sur l’esthétisme, d’autant plus que le lieu est fermé au public. Malgré leur solidité apparente, certaines étagères ploient légèrement sous la charge qui leur est imposée. Car oui, c’est lourd, la bande dessinée…
L’archivage des périodiques est différent de celui des livres, du fait de leur finesse et de leur fragilité. Les magazines, revues, journaux sont regroupés chronologiquement dans de larges chemises boites plastiques. Cela rend le fonds moins impressionnant car nous ne pouvons pas faire un parallèle avec nos propres collections de BD rangées dans nos bibliothèques personnelles. Pour avoir une meilleure vision du fonds des imprimés, dix-huit autres photos sont disponibles sur le mini-siteDes Mangaversien·ne·s à Angoulême réalisé à l’occasion du reportage photographique sur l’édition 2023 du fameux festival de la bande dessinée angoumoisin.
Quelques trésors du fonds des imprimés
La visite se termine traditionnellement (il est possible de la faire lors des journées européennes du patrimoine) par la présentation de quelques pièces intéressantes que le fonds préserve et propose pour étude aux chercheuses et chercheurs dans le domaine de la bande dessinées.
Parmi les trésors du fonds des imprimés, outre une édition très ancienne des Aventures de M. Jabot de Töpffer (les premières impressions de l’imprimerie Caillet à Genève datent de 1833), nous avons pu voir le numéro 1 du Journal de Mickey (le vrai, pas le facsimilé que j’ai pu avoir avec différentes éditions commémoratives) mais aussi le mythique numéro 296 imprimé mais jamais distribué du fait de l’arrivée de l’armée allemande à Paris quelques jours avant le 16 juin 1940 (date de sortie prévue du fameux illustré).
Il y avait aussi une reliure éditeur de plusieurs numéros du magazine d’arts martiaux Budo Magazine Europe contenant un des premiers mangas en français connu (avant la revue Le Cri qui tue, donc) : « La dramatique histoire budo du samouraï Shinsaburo » de Hiroshi Hirata (non crédité), un récit publié en octobre 1969 (une autre histoire du mangaka a été publiée un peu avant dans le numéro de mai 1969 de la revue Judo KDK du même éditeur). Le fonds des imprimés possède aussi une curiosité : une sorte de recueil / catalogue promotionnel d’histoires traduites en français d’Osamu Tezuka réalisé en 1984. Il faudrait étudier les raisons de son existence, mais je suis persuadé qu’il a été réalisé par Atoss Takemoto car il était au festival d’Angoulême en 1984 pour essayer de « fourguer » du manga aux éditeurs francophones, après l’arrêt du Cri qui tue. En effet, s’il jouait avec son orchestre des génériques d’animés pendant le festival, il essayait aussi cette année-là de devenir l’agent d’auteurs comme Tatsumi ou Tezuka. Il est difficile de poser la question aux personnes concernées, malheureusement…
Nous avons aussi pu voir le prototype du premier numéro de Métal Hurlant, maquetté en 1974 par Étienne Robial (qui a aussi conçu l’identité visuelle de la Cité). Il s’agit d’un ozalid collé sur les pages d’un numéro de Charlie Mensuel (le n° 71 de décembre 1974). Ce montage permettait de se faire une idée précise de la maquette de ce numéro 1 (sorti en janvier 1975) avant de donner le bon à tirer à l’imprimeur.
Le fonds possède aussi de nombreuses bandes dessinées étrangères, ce qui permet de comparer des éditions selon les pays. C’est ainsi que des différences de format et même de contenu peuvent apparaitre, comme nous le montre une rapide comparaison entre les éditions canadienne (celle en langue anglaise), belge et allemande des Aventures : Planches à la première personne de Jimmy Beaulieu. Il est aussi montré la richesse du fonds en bandes dessinées asiatiques, que ce soient des titres en français reçus du dépôt légal ou des dons, notamment des délégations coréennes, hongkongaises ou taïwanaises, régulièrement présentes au festival d’Angoulême.
Il ne nous restera plus qu’à essayer de visiter les réserves du musée de la bande dessinée à l’occasion d’une prochaine édition du FIBD pour compléter le présent texte par un nouveau billet. Ce serait surtout l’occasion de pouvoir admirer de nombreuses planches originales, nous qui faisons régulièrement des expo-ventes dans les différentes galeries parisiennes spécialisées. N’oubliez pas, pour compléter cet article, d’aller lire le reportage réalisé par Damien Canteau pour le site Comixtrip.
Minami n’est pas un adolescent comme tous les autres. Certes, il a la chance d’avoir une petite amie mais il ne peut pas s’afficher avec car elle est… littéralement trop petite. Par un effet mystérieux, Chiyomi a rapetissé jusqu’à avoir la taille d’une poupée. Elle a préféré s’enfuir de chez elle, et trouver refuge auprès de son copain, plutôt que de demander de l’aide à sa famille. Minami se retrouve donc à cacher chez lui une fille qui est devient parfois un véritable jouet vivant entre ses mains, lorsqu’il doit l’habiller, la nourrir mais aussi l’utiliser pour des activités qu’une certaine morale pourrait réprouver. Il faut dire que nos deux jeunes comparses sont des adolescents pleins de vie. En fait, malgré sa petitesse, Chiyomi a tout d’une femme…
Shungiku Uchida, artiste pluridisciplinaire (écrivaine, mangaka, actrice, chanteuse), n’est pas totalement inconnue en France. S’il s’agit là de son seul manga à être, pour l’instant, traduit en français, les amateurs de films de série Z ont eu l’occasion de la voir jouer le rôle de la mère battue, toxicomane et prostituée de Visitor Q, un film fortement dérangeant de Takashi Miike, le réalisateur controversé qui a adapté au cinéma le manga ultra-violent Ichi the Killer. Avec de telles références, on pourrait donc supposer que l’éditeur IMHO s’est intéressé à une œuvre extrême, parue principalement dans la revue alternative Garo entre 1985 et 1987. Mais est-ce vraiment le cas ?
La petite amie de Minami est un conte moderne dont il est toujours aussi difficile de déchiffrer le message avec sa réédition de 2022 (la première édition date de 2011). Le refus de Chiyomi de faire connaître son état et de rechercher une solution pour retrouver sa taille d’origine révèle-t-il une absence d’acceptation à devenir adulte ? L’aide inconditionnelle que Minami apporte à celle-ci est-elle liée à un désir de toute puissance, à une envie d’avoir un jouet sexuel ou plutôt à un sens des responsabilités développé ? L’amour ne peut pas tout expliquer. Pourtant, il ne faut attendre aucune explication tout au long du récit ou lors de la postface de l’autrice. Ce flou n’est à aucun moment frustrant et n’empêche pas de ressentir les doutes, les questionnements et les peurs de nos deux jeunes gens. Il en résulte une lecture très plaisante, dont la subtilité peut amener les lectrices et lecteurs à réfléchir et c’est bien là le principal.
Il est toutefois possible d’estimer que Shungiku Uchida a voulu imaginer ce qu’il peut se passer dans la tête d’un garçon, d’essayer d’explorer le sentiment amoureux chez un adolescent. Elle ne cherche pas à occulter la dimension sexuelle d’une relation qui ne se contente pas ici d’être platonique, comme nous pouvons le voir trop souvent dans les mangas plus grand-public publiés à destination d’un lectorat âgé de 12 à 16 ans (couvrant principalement la période du collège au Japon). De ce fait, la nudité, très régulièrement montrée dans La petite amie de Minami, est, du moins quand il s’agit de la représentation des organes sexuels, exclusivement féminine. L’époque étant aux sensibilités exacerbées, cela peut poser problème à une partie du lectorat actuel, ce qui n’était pas le cas il y a une dizaine d’années.
C’est ainsi que l’autrice montre des jeunes filles sexuellement actives, que ça soit Chiyomi (avant son rétrécissement) ou Nomura, une camarade de classe de Minami qui a du succès auprès des garçons. En cela, Shungiku Uchida illustre un mouvement qui a débuté durant les années 1980 et s’est développé dans les années 1990, ce qui a émut une partie de l’opinion publique japonaise au début des années 2000 : les jeunes japonaises se montrent de plus en plus pressées d’avoir des rapports sexuels, au point que 45% de celles qui sont en dernière année de lycée (dans leur 18 ans, donc) en ont déjà eu. Ce phénomène, d’après un article du fameux journal Asahi Shimbun paru à cette époque, est attribué notamment au développement des médias qui encouragent la précocité dans ce domaine, médias qui présentent une culture du sexe dictée par les hommes et qui considèrent les jeunes filles comme des objets sexuels. Cela amène les lycéennes à penser qu’elles doivent être des objets de désir, à l’exemple du girls bandMorning Musume. Il est donc « normal » que les adolescentes en viennent à exercer leur sexualité de plus en plus tôt, et que ce n’est pas à elles à qui on doit le reprocher.
Shungiku Uchida ne se situe pas clairement par rapport à ce débat, elle laisse lectrices et lecteurs se faire leur propre opinion. Elle se contente de montrer des comportements. Par exemple, c’est à chacune ou à chacun de se positionner devant une scène où Minami se masturbe devant Chiyomi (leur différence de taille ne permet plus une relation plus intime) puis éjacule sur sa petite amie. Celle-ci est entièrement souillée (forcément), ce dont Minami s’excuse tout en l’essuyant avec une lingette. Le garçon a vraiment l’impression de prendre la jeune fille pour un jouet sexuel et d’être un pervers, ce que ne comprend pas Chiyomi. C’est une situation qu’elle accepte tout naturellement car, comme elle le dit, elle l’aime. Voilà un argument qui pousse trop souvent les filles à accepter certaines exigences de leur copain, ce qui n’est plus aussi toléré de nos jours. En cela, La petite amie de Minami est, en 2022-23, incontestablement une œuvre qui demande à se questionner et à se déterminer sur les questions du féminisme actuel.
Alors que le Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême n’a pas fêté en grande pompe sa cinquantième édition, préférant se tourner vers la jeunesse et l’avenir (heureusement que l’Association du Festival et que PLG ont su faire le boulot), j’ai réalisé que, de mon côté, j’en avais suivi une vingtaine et que ça méritait bien un petit coup d’œil dans le rétroviseur. Néanmoins, me méfiant de ma mémoire et de la propension de nos cerveaux à enjoliver les souvenirs, j’ai voulu classer ces vingt éditions selon onze critères plus ou moins subjectifs, mais appliqués de la même manière à chaque fois. J’avoue avoir été un peu surpris par certains résultats. Pour en terminer avec cette édition 2023, voici donc un petit retour en arrière sur le festival, à partir de ce classement. Bien entendu, je vais en profiter pour ressortir du disque dur quelques-unes de mes photos de la manifestation angoumoisine…
Sans surprise, l’édition 2019 est ma préférée. L’exposition « Batman 80 ans » risque de rester durant de nombreuses années comme la meilleure jamais vue à Angoulême entre scénographie immersive, qualité de cartels très instructifs et nombre d’originaux exposés, sans oublier la présence d’une batmobile devant l’Alpha. Rajoutons à cela l’excellente exposition consacrée à Tayou Matsumoto (dit « le bon »), la venue du mangaka, des dédicaces obtenues, du nombre de jours passé sur place avec tels ou telles Mangaversien·ne·s (ce sont des critères de notation), et globalement de la qualité du programme proposé, nous avons 2019 largement devant toutes les autres années (le graphique a une échelle logarithmique afin de lisser les écarts). Quatre autres éditions sont à classer parmi les excellentes : 2007, 2010, 2011 et 2020. D’ailleurs, elles se tiennent toutes les quatre dans un mouchoir de poche.
Celle de 2007 est particulière car l’ensemble des éditeurs avaient été regroupés à Montauzier, même si le Champ de Mars n’était plus un grand trou (enneigé). Une des raisons de sa bonne note est que je commençais à prendre mes marques en tant que festivalier accrédité, ce qui m’a permis de (nettement) plus l’apprécier que celle de l’année précédente. À cela, il faut aussi se rappeler qu’il y avait à nouveau un véritable espace dédié au manga avec un programme bien organisé, riche en rencontres, en tables rondes et en conférences (un critère important à mes yeux). Je dois l’avouer, les éditions 2010 et 2011 doivent en grande partie leur classement à des Mangaversiennes présentes ces années-là. Néanmoins, beanie_xz et Taliesin ne peuvent à elles seules propulser aussi haut dans mon classement telle ou telle édition. Si 2010 a vu la dernière année du Manga Building et la fin de l’excellent travail effectué par ses deux responsables, Nathalie Bougon et Julien Bastide, la nouvelle version de l’espace Manga, gérée par Erwan Le Verger n’est pas inintéressante, du moins en 2011. Certes, l’évolution a fait un peu mal à l’époque, mais les années suivantes furent pires du point de vue des fans de BD asiatique. Comme le reste de la programmation est intéressant aussi bien en 2010 qu’en 2011 et que le plaisir de longuement bavarder avec José Roosevelt sur son stand (avant que le festival le rejette) lors d’une séance de dédicaces, tous ces éléments font que ce sont deux excellentes éditions.
Ensuite, viennent deux éditions dont une sur laquelle je n’aurai pas misé un centime sur sa sixième position : il s’agit de celle de cette année. Il faut reconnaître qu’elle était plutôt réussie malgré les reproches que j’ai pu lui faire. Son bon classement provient en grande partie du nombre et de la qualité générale de ses expositions. D’ailleurs, ça a été ma principale activité durant ce court passage (deux jours et demi). Outre 2023, il y a aussi l’année 2015 que je classe en « très bonne édition ». Les expositions consacrées à Bill Watterson, celle consacrée à Jack Kirby et à l’originale « The Kinky & Cosy Experience » y sont pour beaucoup. On est fan ou on ne l’est pas, après tout. Il y avait aussi une belle présence de la bande dessinée chinoise cette année-là. Néanmoins, malgré notre présence durant quatre jours et demi et les nombreuses activités que nous avons pu faire, l’absence d’un véritable espace manga avec sa propre programmation et une exposition Taniguchi totalement ratée ont plombé le classement de l’année 2015.
Les six éditions suivantes sont de bonne années mais sans plus. Elles représentent en quelque sorte l’intérêt général de la manifestation et ce que j’attends a minima du festival (et donc que j’en espère plus). 2008 et 2018 en son deux bons exemples, à des périodes différentes. Elles finissent avec le même score, même si ce n’est pas pour les mêmes raisons. 2008 est marquée par l’arrivée du Manga Builing, de son programme intéressant et de son excellente exposition consacrée aux CLAMP. 2018 voit l’édition des premiers catalogues de 9e Art+. En effet, son directeur artistique, Stéphane Beaujean, tenait à laisser une trace des expositions montées par le festival lorsque cela est possible. Une tradition qui se poursuit depuis, pour mon plus grand plaisir (j’en ai une douzaine). Suivent ensuite un peu plus loin les éditions 2022, 2016, 2017, 2013 et 2009, toutes séparées par un demi-point entre elles. Année de reprise post-pandémie, deux années de transition, année plombée par l’absence d’un espace manga digne de ce nom, année trop centrée sur le Manga Building peuvent expliquer ces classements moyens. En fin de compte, elles ne sont pas plus marquantes que cela malgré leurs quelques points forts (les expositions consacrées à Andréas ou à Mickey et Donald en 2013 par exemple) .
Il faut écarter du classement les années 2004 et 2005 où je suis venu en simple festivalier avec un billet pour une journée. Bien entendu, il faut aussi écarter l’année 2021qui n’a existé qu’en distanciel (en plus, la retransmission en direct sur Internet de la cérémonie de remise des prix n’a pas bien fonctionné, c’est le moins que l’on puisse dire). Il reste donc trois éditions en bas de mon classement. 2012 a un mauvais score à cause d’un espace Mangasie totalement dénué d’intérêt et d’un programme général assez moyen. De plus, mes conditions de logement n’ont pas eu la qualité habituelle (mais au moins, j’ai pu découvrir Fables durant une nuit presque blanche passée sur un canapé). En fait, c’est surtout la dernière venue à Angoulême (sur une journée) de beanie_xz qui permet à cette année de devancer l’édition 2006. En effet, cette dernière ne bénéficie pas des points que rapportent un espace dédié à la bande dessinée asiatique ou un programme très intéressant. De plus, à cette époque, les expositions n’avaient pas l’ampleur qu’elles prendront par la suite.
2006 est pourtant une année marquante pour trois raisons : il s’agit de ma première édition s’étalant sur plusieurs jours en tant qu’accrédité et il est tombé tellement de neige le samedi que Sakumoyo et moi sommes rentrés dès le milieu d’après-midi, sans que je laisse le soin à ma jeune conductrice (elle venait juste d’avoir son permis) de nous ramener à l’hôtel sur Cognac. Enfin, en 2006, j’ai passé du temps avec Moonkey et Vanyda, à l’occasion de deux entretiens, activité que je n’ai plus jamais reproduit à Angoulême par la suite. Dans mes souvenirs, voilà donc une édition qui m’est chère malgré son mauvais classement.
L’année 2014 ferme la marche et c’est une édition où je ne me suis pas vraiment amusé. Un peu seul une partie des deux jours et demi passés sur place (ça, je déteste), mal logé (faire du camping dans une maison est une option que je subis, pas que je décide de gaité de cœur). Terminons par un programme me laissant peu de souvenirs à part la venue de Li Kunwu, l’exposition coréenne sur le sort des « femmes de réconfort » durant la Seconde guerre mondiale et plusieurs conférences intéressantes au Conservatoire, sans oublier la très réussie exposition consacrée à Mafalda. Cela fait beaucoup à l’arrivée ? Certes, mais on parle d’Angoulême, un festival d’une très grande qualité habituellement. Du coup, un Little Asia d’une nullité incroyable achève d’expliquer cette mauvaise impression et ce classement pitoyable (2014 est même derrière 2005 et sa journée et demi en tant que simple festivalier).
Voilà, il est temps de passer à autre chose que de faire des comptes rendus sur le Festival d’Angoulême, du moins jusqu’à la fin de l’année et la traditionnelle conférence de presse. Nous en saurons plus alors sur le programme de 2024, programme qui risque d’avoir du mal à se mettre en place avec une direction artistique décimée par les démissions, une mauvaise habitude prise en 2020 et qui se poursuit toujours.
Ce billet est la version rédigée d’une conférence donnée en février au CDI du lycée Jean Monnet de La Queue-lez-Yvelines.
Qu’est-ce que le manga ?
Le terme manga fait normalement référence à la bande dessinée japonaise. Pour beaucoup, cela englobe aussi les dessins animés (au Japon, on parlait à une époque de terebi manga même si le terme anime, venu des USA, a pris de l’importance depuis de nombreuses années), mais aussi toutes les illustrations d’inspiration « manga », le cosplay, etc. c’est-à-dire tout ce que l’on pourrait regrouper dans un ensemble nommé « culture manga ». Au Japon, pour la bande dessinée, on parle d’ailleurs plutôt de komikku (comics). Nous allons ici nous concentrer principalement sur l’aspect livre de cet univers manga et voir comment il est créé au Japon et en France.
Caractéristiques
Il est difficile de caractériser le manga sans faire de généralités tant la bande dessinée japonaise est variée. Néanmoins, un certain nombre de caractéristiques sont relativement communes et associées au manga par le sens commun. La première de ces caractéristiques est certainement le noir et blanc et le petit format qui font ressembler les mangas à nos livres de poche. En effet, pour des raisons historiques de coût de création et de fabrication, le choix du N&B s’est imposé dans le développement des magasines d’après-guerre (avant, ils étaient fréquemment en couleur ou en bi ou trichromie). C’est une grande différence avec, par exemple, des États-Unis où la couleur s’est imposée, y compris dans la presse (pour les sunday). Les trames (mécaniques, c’est-à-dire autocollantes, puis informatiques) ont rapidement permis de donner du volume au dessin en l’absence de couleur. Cette utilisation des trames donne un cachet particulier au dessin qui est spécifique au manga. Il faut dire que les trames sont très variées au Japon et permettent de réaliser de nombreux effets, même si cela ne se voit pas trop sur certaines séries comme Naruto. La taille des mangas reliés est souvent comprise entre A5 (les deluxe) et A6 (les bunko). Le format le plus commun est le B6.
La deuxième est sans aucun doute les « grands yeux » qui peuvent occuper jusqu’à un quart du visage (sourcils compris), surtout chez les personnages féminins. Il ne s’agit pas de ressembler aux Occidentaux comme cela a été trop rapidement affirmé par les détracteurs du manga mais d’appliquer le principe de la néoténie au manga. En bande dessinée, il s’agit de la conservation de certains caractères de l’enfance afin de provoquer un attachement, une attirance inconsciente et abstraite chez les humains, y compris envers les animaux. Un bon exemple est celui du Chat potté dans Shrek 2, qui rappelle le chaton lorsqu’il fait les grands yeux. Utilisée en bande dessinée, cela provoque un sentiment de sympathie, crée une plus forte emprise sur les lecteurs. Walt Disney a énormément utilisé ce principe, vraisemblablement de façon inconsciente, notamment pour distinguer les gentils des méchants et créer une sorte d’attirance envers ses personnages. Mais Disney lui-même n’a rien inventé car on peut trouver des usages de la néoténie dans l’art du XIXe siècle. Au Japon, c’est aussi le succès dans les années 1920 des illustrations de Yumeji Takehisa dont le style a été de nouveau popularisé après-guerre par Jun’Ichi Nakahara qui peut expliquer l’importance des grands yeux dans la culture shôjo. Il ne s’agit donc pas d’une invention d’Osamu Tezuka qui était un grand amateur de Disney et connaisseur de l’imagerie née dans les magazines pour filles. Par son influence sur le style graphique des mangas des années 1950, Tezuka a surtout généralisé le phénomène.
La troisième caractéristique du manga est moins perceptible car elle ressort de la narration et de la mise en page. Pourtant, il s’agit là d’une différence fondamentale avec la bande dessinée franco-belge et le comics. Il y a certes le sens de lecture de la droite vers la gauche mais c’est surtout l’agencement des cases et le rythme de l’action qui sont très différents entre ces trois pays de bandes dessinées. Le rythme de lecture dépend, pour commencer, du nombre de cases par planche. Dans le manga, ce nombre est généralement compris entre quatre et six sur deux ou trois bandes de deux cases. Bien entendu, pour créer des « pages mémorables » ou créer une mise en situation, il est possible de descendre à deux ou trois cases et de jouer sur la notion d’ellipse. Les bandes sont aussi plus ou moins éclatées, surtout dans le shôjo manga, notamment pour donner du dynamisme à la composition, et donc à la narration. Cela permet aussi de retranscrire des émotions comme la confusion. De plus, les chapitres sont courts : 16 pages pour les hebdomadaires, 30 à 60 pour les autres rythmes de prépublication. La construction en feuilleton (que l’on retrouve aussi dans les comics) est liée à cette prépublication en chapitre des mangas.
Enfin, outre l’omniprésence des onomatopées (il en existe même une pour signifier le silence, le fait qu’il ne se passe rien) dans de nombreux mangas (surtout ceux d’action), il y a toute une série de codes graphiques spécifiques au manga qui permettent de faire passer des émotions, mais aussi toute une gamme d’informations sur l’état des personnages. La goutte de gêne, la veine temporale gonflée de colère, les lignes de vitesse, les lignes de tensions, etc. sont des signes qui sont des marqueurs importants dans le manga, même si de nombreux titres japonais ne les utilisent pas, rappelons-le. Cela donne aux auteur·e·s tout un dictionnaire graphique pour dessiner des sentiments, donner des impressions, dynamiser l’action.
La prépublication
Si en France, on connaît les mangas principalement sous forme reliée, au Japon, les mangas sortent généralement dans des magazines de prépublication. Une fois qu’il y a assez de chapitres et donc de pages, le manga sort en format relié, c’est-à-dire sous la forme d’un livre (tankobon) comprenant 140 à 220 pages (180 le plus souvent). Certains magazines sont hebdomadaires, d’autres bimensuels, mensuels, trimestriels, voire annuels (les « spéciaux »).
Il existe de nombreux magazines de prépublication (mangashi) et ils visent tous une tranche d’âge et un genre. C’est un marché très segmenté et c’est donc en fonction du public principalement visé que l’on va les classifier. Ceci dit, les magazines papiers sont de plus en plus remplacés par des sites internet de prépublication qui sont plus multi-audiences (par exemple le webzine Ura Sunday). Et comme les classifications japonaises sont assez mal utilisées en France, il vaudrait peut-être mieux les oublier pour s’intéresser plutôt aux types d’histoires proposées, comme le fait un éditeur comme Akata. Néanmoins, étant utilisés par quasiment tout le monde, voici un rappel des principales classifications qui sont faites : shônen, shôjo, seinen, josei mais aussi kodomo, etc.
Il s’agit là de cœurs de cible, le lectorat est plus étendu et les limites des catégories sont parfois assez floues. Les filles ou les adultes peuvent lire du shônen là où on ne verra quasiment aucun garçon lire du shôjo. Il y a aussi de nombreux genres qui sont abordés dans des magazines spécialisés. Ils ont aussi un cœur de cible axé sur le thème qui compte plus que la tranche d’âge et le sexe. Voici quelques exemples de mangas de genre : horreur / fantastique, mah-jong, Gundam (franchise à succès mettant en scène des robots géants) , boys’ love (yaoi), érotisme ou pornographie, lolicon (lolita complex) / moe (mignon), yonkoma (gags en quatre cases), etc.
Tout part donc du magazine de prépublication (sauf rares exceptions comme celle des anthologies qui regroupent plusieurs mangaka de l’éditeur autour d’un thème). Chaque magazine a un rédacteur en chef qui dirige le mangashi (littéralement « magazine de manga ») et qui en définit la ligne éditoriale. Il y a surtout une équipe d’éditeurs (tantosha), ceux-ci étant chargés de superviser un certain nombre d’auteur·e·s. Ce sont ces tanto qui vont voir avec chaque mangaka dont ils ou elles (il y a de plus en plus de femmes parmi les tantosha) ont la charge afin de réaliser un chapitre pour le prochain numéro à paraitre. Le rythme de parution du magazine conditionne la taille du chapitre et la fréquence des réunions. Pour un hebdomadaire, il faut produire généralement 16 pages. Pour un bimensuel, on est généralement à 20-30 pages, pour un mensuel, c’est entre 40 et 60 pages.
Les mangaka travaillent rarement seul·e·s, ils ou elles montent un studio et réalisent leur manga en équipe, équipe qui est payée sur les propres revenus des auteur·e·s. Ils ou elles sont généralement assisté·e·s par des personnes (les assistant·e·s) qui vont réaliser des tâches précises (gommer les crayonnés, poser des trames, dessiner telle ou telle partie du décor, etc.). Le nombre d’assistant·e·s est très variable, il dépend du nombre de pages à rendre, des séries en cours. Cela peut aller de un à plus d’une dizaine. Généralement, plus on s’approche de la date de rendu, plus il y a d’assistant·e·s. Dans les années 1970, Osamu Tezuka avait mis en place les 3 × 8 : il avait trois équipes d’assistants qui se relayaient 24 heures sur 24 dans les locaux de l’auteur. Le studio est généralement situé dans un appartement loué pour l’occasion (permettant de dormir sur place en période de bouclage) ou chez l’auteur·e dans une pièce dédiée à cet usage. Akiko Higashimura est actuellement une des mangaka les plus productive et compte de très nombreuses personnes dans son studio, ce que l’on peut voir dans le reportage Manben qui lui est consacré.
Un chapitre est généralement réalisé ainsi : L’auteur·e conçoit le scénario en réalisant un brouillon, une sorte de story-board qu’on appelle le name (namu). Ce brouillon contient les dialogues, les grandes lignes de la mise en page (la narration). Ensuite, l’auteur·e va rencontrer son ou sa tanto pour en discuter, soit dans les bureaux du magazine, soit dans un café. Les tanto peuvent demander des changements (et ne s’en privent pas), estimant que telle ou telle partie n’est pas assez bonne, donnant ainsi des conseils pour rendre l’histoire plus attractive. Cela peut concerner un point de vue, un enchainement de cases, un dialogue, etc. Une fois que mangaka et tanto sont d’accord sur le chapitre, il est temps de passer au crayonné. C’est l’auteur·e qui s’en occupe et qui dessine toute les pages au crayon. Ensuite, c’est la phase de l’encrage. L’auteur·e peut s’en occuper entièrement ou déléguer une partie plus ou moins importante du dessin à encrer (les décors, les onomatopées, une partie des personnages). Les trames sont généralement posées par les assistant·e·s, tout comme la typographie des dialogues (qui peut aussi être faite par l’imprimeur). Une fois que tout est terminé (généralement juste à temps), les planches sont rendues au tanto qui les remet à l’imprimeur.
Pour un hebdomadaire, cela occupe généralement six jours sur les sept de la semaine. Le dimanche, l’auteur·e peut se reposer. Les assistant·e·s, pour un hebdomadaire, interviennent généralement les trois derniers jours. Mais cela peut varier d’un·e auteur·e à l’autre, selon sa façon de travailler. Créer des histoires pour un mensuel donne plus de temps pour s’organiser, mais il y a souvent plus de planches à produire. Il est à noter que certain·e·s passent d’un magazine hebdomadaire à un mensuel car ils ou elles n’arrivent pas à suivre le rythme ou que cela correspond mieux au récit. Il y a aussi la possibilité de paraitre un numéro sur deux.
La Diversité
La prépublication, chapitre par chapitre, de plusieurs séries en parallèle permet en effet de fournir une grande diversité d’histoires aux lecteurs et lectrices. Quand un mangashi contient plus de 400 pages de mangas, soit une vingtaine de séries, à chaque numéro, il est assez facile de proposer des créations différentes. Il est important, commercialement, de toucher le plus vaste public possible dans le segment visé, ce qui est encore plus vrai depuis le retournement du marché manga qui a eu lieu une vingtaine d’années au Japon. À cela, s’ajoute un système des votes permettant de savoir quelles séries plaisent le plus et surtout celles qui plaisent le moins, ce qui donne la possibilité de prendre des risques : si ça ne trouve pas son public, on arrête et on propose autre chose. Le marché français, en plus de 25 années d’éditions francophones, a réussi plus ou moins, sauf peut-être pour le shôjo, à représenter cette diversité. Il faut avoir à l’esprit qu’un manga ne se contente pas d’avoir un seul thème mais en mélange plusieurs (deux, trois, voire plus).
Un succès décliné à l’infini
Quand un manga (papier) rencontre un certain succès, il est souvent adapté en animé qui peut faire une ou deux saisons (ou plus si l’audience est au rendez-vous). Cette adaptation est importante pour les auteurs comme pour les éditeurs du manga originel car, outre des droits d’auteurs, la diffusion à la télévision accroit la notoriété donc l’audience du titre et amplifie ses ventes. C’est un phénomène qu’on ne rencontre pas qu’au Japon. En Occident, c’est la même chose : une série qui passe à la télévision (même par Internet) a de très grandes chances de mieux se vendre sous la forme de livre. Les plus gros succès commerciaux ont droit à une déclinaison cinématographique (bénéficiant donc d’un budget nettement plus important). Cette adaptation qui est diffusée dans les salles de cinéma est le plus souvent sous la forme d’un film d’animation, mais peut être aussi un fil en prise de vues réelles, avec de véritables acteurs et actrices. Le film d’animation peut être aussi produit uniquement pour une diffusion à la télévision (on parle alors d’OAV). L’adaptation peut aussi se faire sous la forme d’une série TV en prises de vues réelles avec de véritables acteurs et actrices. On parle alors de drama.
Une autre déclinaison des mangas qui connaît un succès certain est la figurine. En Occident, on aime beaucoup les figurines, il en est de même au Japon, ce qui fait le bonheur des magasins spécialisés, les marges étant bien meilleures que sur le livre. Elles ont tendance à être plus petites, moins travaillées et surtout moins cher au Japon qu’en France. Il s’agit ici d’une figurine de Sailor Moon, mais il en existe des centaines et des centaines, issues de séries comme Les Chevaliers du zodiaque, Dragon Ball, etc. Cependant, les produits dérivés sont bien plus variés que cela. Il existe par exemple des bandes dessinées réalisés par des auteur·e·s non professionnel·le·s (il y en a même qui en vivent) qui auto éditent leurs créations qui reprennent l’univers et/ou les personnages de séries à succès. Cette pratique est normalement interdite mais elle est (plus ou moins) tolérée dans les faits. Ces BD sont appelées dojinshi, un phénomène qui s’est développé dans les années 1970 dans les clubs manga des lycées japonais. Les dojinshi ont leurs propres conventions comme le Comiket (le plus grand rassemblement BD au monde) qui se déroule deux fois l’an, ou le Comitia, plus accès sur les créations originales où des éditeurs francophones comme Ki-oon ont l’habitude de prospecter, à la recherche de talents encore inconnus des éditeurs japonais. En France, le phénomène existe aussi, de bien moindre importance), comme on peut le voir en allant dans la partie dédiée au fanzinat de conventions comme Japan Expo ou Yaoi/Yuri Con.
Les séries à succès peuvent être aussi déclinées sous une forme purement littéraire, en romans appelés « light novel », c’est-à-dire proposant une littérature sans grande prétention autre que de distraire. Nous sommes là dans la pure industrie du divertissement. Il s’agit le plus souvent de spin-off, c’est-à-dire des histoires parallèles mettant en scène des personnages plus ou moins secondaires. Néanmoins, il existe des séries qui font le chemin inverse. Des light novels, créations originales ayant rencontré un certain succès public, sont adaptés en manga et même en animés. Il y a même des cas où les trois supports sont prévus dès l’origine afin d’être très présents sur les trois canaux en même temps, renforçant ainsi leur notoriété et leur exposition.
Enfin, les plus grands succès commerciaux trouveront leur Graal en étant adapté en jeu vidéo. Deux des trois principaux fabricants de consoles de jeux vidéo étant japonais, un nombre important de mangas à succès ont eu droit à une adaptation. Bandai est un des éditeurs de référence, un des plus actifs dans le domaine. Dragon Ball, Naruto, One Piece, mais aussi Mobile Suit Gundam, JoJo’s Bizarre Adventure, la liste est longue des adaptations réussies en jeux vidéo, que ce soit sur Super Nintendo ou Playstation.
La liste des produits dérivés est réellement interminable. Ce peut être aussi des jouets ou des jeux de sociétés, des peluches ou des poupées, des goodies sous toutes les formes imaginables (agenda, trousses, cahiers, stylos, cartables, cartes téléphoniques ou de train, vêtements et chapellerie, maroquinerie, et même des préservatifs Sailor Moon en 2016). Il existe aussi des chaines de cafés comme le Gundam Cafe que l’on peut trouver dans les principales villes japonaises. Le centre commercial Diver City à Odaiba accueille même une reproduction d’une armure à l’échelle un depuis 2009 (le modèle a changé en 2017).
La cinquantième édition du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême s’est achevée il y a peu. Après y avoir passé deux journées et demie, voici ce que j’en retiens, pour le meilleur et pour le mauvais car, oui, j’en ressors avec une impression mitigée. En premier lieu, la magie opère toujours et les heures passées sur place ont défilé extrêmement rapidement. Les expositions sont toujours aussi nombreuses et souvent magnifiques, même si certaines me semblent avoir été moins travaillées que d’habitude, notamment sur les cartels. À l’heure du bilan, et même si les points négatifs ne l’emportent pas sur les positifs comme je le craignais au début, l’impression finale classe la fameuse édition anniversaire plutôt en bas de mon panthéon personnel.
Les points positifs
J’ai pu aller au festival avec ma commère a-yin alors que celle-ci voulait boycotter la cinquantième à cause de l’affaire Vivès et de l’expo manga sur l’œuvre d’Ikegami, le virilisme incarné dans le manga. Mais l’appel des 6 voyages de Philippe Druillet et celui de L’Attaque des titans ont été les plus fort. Ouf ! D’ailleurs, alors que la délégation mangaversienne s’annonçait des plus limitées entre manque d’intérêt, travail chronophage, problème de logement, économies à réaliser pour avoir plus de budget pour de proches vacances à Hong-Kong, etc. je me suis vu jusqu’au dernier moment y aller seul avec parfois comme compère Tanuki (qui a un programme assez différent du mien).
La programmation des rencontres et tables rondes à Manga City semble avoir été de grande qualité. Les trois auxquelles j’ai assisté étaient vraiment réussies. J’adresse mes félicitations à Julien Bouvard et ses trois invités (Christophe de naBan, Benoit d’IMHO, et Vincent de Revival), ainsi qu’à Laure Gamaury et ses deux invité·e·s (Laura d’Akata et Timothée de Kana), sans oublier Rémi et son invitée Akane Torikai accompagnée de son interprète Bruno Pham (Akata). Les retours que j’ai pu avoir concernant la table ronde sur l’édition de manga (je n’ai pas pu y aller, étant occupé autre part) étaient bons ; et je n’ai aucun doute que la table ronde sur la traduction animée par le toujours excellent Julien Bouvard était aussi d’une grande qualité. Pour le reste, je n’en ai aucune idée mais ce serait étonnant que c’eut été mauvais.
Les expositions consacrées à Marguerite Abouet et à Julie Doucet étaient vraiment intéressantes et concernaient deux autrices dont je connais très mal le travail mais dont j’entends souvent parler en bien. Avec des scénographies habituelles pour les lieux concernés (l’Espace Jeunesse pour la première, l’Hôtel Saint-Simon pour la seconde), celles-ci étaient intéressantes, montraient bien le travail des deux femmes et le propos qu’elles portaient. Celle consacrée à Philippe Druillet était un peu courte avec assez peu de planches (forcément, vu leur taille) mais c’était impressionnant, surtout que je n’ai rien lu de l’auteur et que je le connais plus par les parodies de Gotlib que par ses propres bandes dessinées. La projection en musique de ses dessins sur les murs et le plafond de la chapelle du lycée Guez de Balzac était là aussi impressionnante quoique le cycle d’animation était un peu court.
Un peu en marge du festival, organisée uniquement à destination des professionnels, j’ai pu visiter avec a-yin et un groupe d’une dizaine de personnes dont deux membres de Pow Pow (l’éditeur québécois bien connu), le fonds patrimonial des imprimés de la CIBDI et voir comment sont archivées de nombreuses bandes dessinées et revues consacrées au 9e art hors du dépôt légal de la BnF. C’était intéressant : de belles pièces nous ont été montrées. Nous avons ainsi pu voir ce que l’on considère comme le premier manga jamais publié en français dans la revue d’arts martiaux Budo (« La dramatique histoire budo du samouraï Shinsaburo », une histoire courte d’Hiroshi Hirata), éditée de façon pirate (dans le sens où l’éditeur français a traduit l’histoire sans se soucier des droits). Alors, certes, c’est pour amatrices et amateurs de (plus ou moins) vieux papiers, mais j’ai été surpris par la présence de nombreux ouvrages en langues étrangères, dont des mangas, des manhua et des manhwa. Je prépare un reportage photographique sur cette visite.
Les petites déceptions
Ni positifs, ni réellement négatifs, les points suivants sont à classer dans les petites déceptions. Il y a la rencontre avec Geof Darrow, annulée car l’auteur s’est, peut-être à juste titre, vexé. Je pense que de petits soucis de communication et d’incompréhension en sont la cause. Sur le message Facebook qu’il a posté, il s’est plaint, notamment, que ni le déplacement ni le logement ne lui étaient payés par l’organisation, qu’il n’était pas sur le programme officiel (il était dans le « Heure par heure ») alors qu’il devait assurer une masterclass. En fait, j’imagine que dans l’esprit du festival, la prise en charge devait être du ressort de l’éditeur, ce qui est plus que discutable. Autre rencontre ratée, celle avec Fabrice Neaud car nous n’avions plus le temps d’aller au Théâtre (surtout que c’était dans le petit studio tout en haut) à la sortie de la visite du fonds des imprimés de la CIBDI. C’est de ma faute, et c’est ça le festival : des conflits d’emploi du temps. Pourtant, cette année, j’en ai eu très peu, des collisions d’activités, signe d’un programme ne m’intéressant que peu.
Les expositions Junji Itô, dans l’antre du délire et L’Attaque des Titans, de l’ombre à la lumière m’ont un peu déçu par leur manque d’explications, de mise en contexte et d’informations en général. Bref, ça manquait de cartels à mon goût. J’ai eu l’impression que tout le budget et les efforts étaient passés dans la déco et la scénographie (le résultat était réussi, il faut dire). Autant je peux le comprendre pour une question d’ambiance, et la volonté de Junji Itô qui a eu l’occasion d’expliquer que son œuvre parle pour lui et qu’il veut qu’on la découvre à travers son travail, autant je trouve qu’il était possible d’en faire un peu plus pour le manga d’Hajime Isayama, surtout que nous avons eu la chance d’avoir une visite commentée par Fausto, le commissaire, qui nous disait des choses très intéressantes. Du coup, elle se visitait assez rapidement, une grosse demi-heure suffisant pour faire les quatre salles thématiques. Par contre, la musique d’ambiance (originale) était une réussite totale. Quoi qu’il en soit, c’était superbe, même si ça n’arrivait pas au niveau de l’exposition Batman 80 ans, proposée en 2019 et qui avait réussi à être plus belle, plus impressionnante que celle sur L’Attaque des Titans, sans oublier d’être très didactique et avec de nombreux originaux. Mais on nous l’a tellement « vendue », cette exposition titanesque qu’il était facile d’être déçu lorsqu’on est un grincheux comme moi.
Je n’en attendais pas grand-chose et heureusement : l’exposition de la Cité Rock ! Pop ! Wizz ! Quand la BD monte le son était plus que moyenne. Il n’y avait pas réellement de logique aux accrochages, les explications étaient pauvres et les commissaires ne semblaient pas savoir que le manga Nana existe. En plus, le catalogue est moche, incomplet, mais au moins, il n’est pas cher. Celle-là, par contre, j’en attendais plus : je parle de l’exposition Couleurs ! qui manquait franchement de contenu et faisait trop la part belle aux auteurs complets plutôt qu’aux coloristes, un comble. Je m’attendais à une approche historique, sociologique puis technique, il n’en était rien. Les planches proposées ne semblaient pas avoir de liens entre elles. Et comment peut-on oser ignorer à ce point Évelyne Tran-Lê (on la voyait témoigner dans la sempiternelle projection d’extraits du documentaire L’Histoire de la page 52 mais on ne voyait pas son travail in situ)… Reste que de nombreuses planches étaient bien jolies.
Je trouve dommage que le festival n’ait pas mis en avant l’aspect anniversaire de la cinquantième édition. Il y avait bien une petite exposition, 50 ans, 50 regards, située à Franquin mais elle était assez anecdotique, même si quelques illustrations étaient bien jolies et certaines étaient même amusantes. Cela fait peu, et il fallait plutôt compter sur l’exposition du Musée de la BD, 50 ans, 50 œuvres, 50 albums, et les photos géantes que l’on pouvait voir rue Hergé grâce à l’Association du FIBD (sans oublier les 50 affiches dans leur boutique éphémère) pour se faire une séquence nostalgie. Je sais bien qu’il faut être tourné vers le futur et pas vers le passé, mais quand-même…
Le négatif
Cette année, il n’y avait pas les conférences du Conservatoires, alors qu’il s’agit de l’activité que nous préférons après les visites d’expositions et les rencontres avec des autrices et auteurs. Non seulement, j’aime bien en proposer sur le manga (même si c’est beaucoup de travail et un peu stressant) au public angoumoisin, mais surtout j’apprécie celles données par des conférenciers de talent comme Xavier Lancel, Alex Nikolavitch, Paul Gravett ou Bernard Joubert. L’érudition et l’aisance de ces spécialistes font que nous passons à chaque fois d’excellents moments. Pourquoi les avoir supprimées du programme (alors qu’elles étaient annoncées dans de dossier de presse) ? Je sais bien qu’il faut faire « grand public », numérique, jeunesse et manga, mais la fréquentation de ces conférences pointues a toujours été bonne et elles faisaient salle comble (une cinquantaine de personnes, donc) la plupart du temps, aussi bien les vendredis que les samedis, même entre midi et 14h00.
Manga City avait rétrécit au profit d’Alligator 57. Du coup, l’espace Conférences était plus petit que les deux années précédentes et surtout très bruyant étant situé avec les stands. Surtout, malgré l’absence d’éditeurs tels que Ki-oon et Taïfu/Ototo, il y avait peu de place pour circuler, notamment quand il y avait des files d’attente pour les dédicaces. Voilà qui était très gênant pour un éditeur comme naBan qui se retrouvait régulièrement invisibilisé et inaccessible. Dommage, car la bulle était joliment conçue et décorée. C’était d’autant plus problématique que la fréquentation du lieu a été très importante tout au long du festival, la palme revenant au samedi avec une file d’attente extérieure de plusieurs dizaines de mètres. Car malgré Alligator 57 en passage obligé, les festivaliers venaient pour les mangas, pas pour bouffer des trucs nuls hors de prix ou regarder évoluer des skateurs sur de la musique techno. D’ailleurs, ce nouvel espace était ridicule et hors sujet. J’espère que ce n’était qu’une installation provisoire.
Cela va passer inaperçu du fait de la fréquentation record et des ventes qui vont avec mais il y a eu des ratés dans la programmation : du fait d’erreurs d’horaire dans la version imprimée du « Heure par heure », de chevauchement de programmes, plusieurs rencontres ont été annulées, ou ont commencé en retard, ou se sont déroulées devant un très maigre public. Rien qu’à mon niveau, j’en ai eu l’écho de trois mais je sais qu’il y en a eu d’autres. Une festivalière pro m’a fait part de son désappointement de s’être rendue à une rencontre (et d’avoir interrompu une discussion avec des auteurs sur un stand pour cela) pour se retrouver dans une salle pratiquement vide et une animation annulée après plus d’une demi-heure de flottement où on annonçait simplement un retard, tout simplement parce que le « Heure par heure » était erroné. Et ce n’était pas la première fois que ça se produisait, lui a-t-on dit. C’est un peu ce qu’a connu Derf Backderf dont la rencontre avait été mal annoncée (une erreur de lieu) et qui s’est déroulée devant pratiquement personne. Son interprète s’en est excusé le lendemain lors de la rencontre sur la musique punk / rock et la BD. À propos de cette dernière, pauvre Derf Backderf qui a attendu plus d’un quart d’heure (on sentait qu’il s’impatientait) que JC Menu arrive après une dédicace qui avait débordé (et oui, il faut du temps pour descendre du Plateau). Encore plus fort, la rencontre croisée entre Akane Torikai et Maybelline Skvortzoff a été annulée parce que cette dernière était à une quarantaine de kilomètres de là, à Cognac, au moment de commencer la discussion autour des relations hommes-femmes.
Dernier loupé, la gestion des catalogues d’exposition : il n’y en avait que deux qui concernaient les expositions du musée d’Angoulême. Pourquoi si peu ? Surtout, ils ont étés rapidement indisponibles à la boutique du musée, dès le samedi midi. Celui consacré à Druillet, tiré seulement à 1 000 exemplaires (pour 1 500 pour celui consacré à Ikegami, c’est du gros n’imp’) était donc introuvable dans les bulles. Sans Rémi nous informant dimanche matin qu’il en restait un peu à la boutique de Manga City, je n’aurai pas pu en acquérir alors que j’y tenais particulièrement. Pourtant, ils n’étaient pas épuisés comme cela avait été le cas pour le Corben en son temps vu qu’il est désormais vendu sur la boutique en ligne du festival depuis ce lundi matin. Je ne sais pas si c’était la faute de Glénat qui tenait la boutique du musée ou celle de l’éditeur-distributeur 9e Art+, mais organisez-vous, bon sang !
Un point particulier
Il me reste à terminer sur l’exposition Ryōichi Ikegami, à corps perdus. Pour moi, elle n’avait rien à faire au musée d’Angoulême, étant donné le caractère « second couteau » du mangaka, un tâcheron comme il y en a tant au Japon mais pourtant adulé par quelques fans des mangas de genre, ceux avec des yakuzas ou avec de l’action à la façon des films de Hong-Kong des années 1980-1990. Certes, Ikegami a eu en francophonie son petit succès avec Crying Freeman et Sanctuary (mais à une époque où il y avait beaucoup moins de sorties), et il est toujours publié au Japon et en France malgré son âge avancé. Dans mon esprit, Fausto, le responsable de la programmation Asie s’est fait plaisir en bon fan-boy et a profité d’une occasion d’avoir l’auteur à Angoulême avec une exposition en sus. Cependant, ça n’a pas grand-chose de patrimonial, ce qui semble pourtant devenir le thème principal des expositions du musée. Il y a tellement d’auteurs et surtout d’autrices qui méritent plus qu’Ikegami d’être exposé·e·s à Angoulême, à commencer par Moto Hagio qui est déjà venue en France à trois reprises (Salon du livre de Paris, BPI, Japan Expo). Qu’on ne vienne pas me dire qu’elle est inaccessible comme l’est Rumiko Takahashi. En plus, le travail de Moto Hagio va être de plus en plus disponible en français dans les mois qui viennent.
Néanmoins, connaissant XaV, un des deux co-commissaires, je n’étais pas inquiet pour la partie contenu, et j’ai eu raison (même si j’ai eu l’impression que les cartels étaient moins développés que pour les expositions précédentes du musée angoumoisin). Pour moi, la scénographie montre bien les limites d’Ikegami qui était incapable de concevoir lui-même une histoire à ses débuts (il a donc rapidement travaillé avec des scénaristes). De ce fait, elle met bien en valeur ses co-créateurs et développe un aspect plus méconnu de la création du manga, plus collégial. J’ai aussi pu voir à quel point l’auteur faisait du sous-Chiba puis du sous-Hojo avant de trouver un style personnel, réaliste et reconnaissable (ce qui explique à mon sens son succès en francophonie au mitant des années 1990). Alors, oui, c’est plutôt beau, notamment le long du couloir final (mais ça manquait de fesses d’hommes a fait remarquer a-yin et c’est bien vrai), cependant c’est un peu sans intérêt à mes yeux. Toutefois, j’ai pu constater que le public appréciait l’exposition à entendre des réflexions autour de moi. J’ai pu aussi voir qu’il y avait du monde pour les dédicaces, et que sa masterclass avait fini par afficher complet. Il y avait manifestement des fans de l’auteur à Angoulême.
Le butin d’Angoulême
Finalement, je suis rentré avec pas mal d’achats, deux livres étant même dédicacés, Le 50e de Philippe Tomblaine (PLG, 2023) qui retrace les cinquante éditions du festival d’Angoulême. Agréable à lire, factuel, bien illustré, l’ouvrage permet de se rendre compte que les polémiques existaient déjà dès les premières éditions. Mon autre dédicace est de JC Menu sur Croquettes (Fluide Glacial, 2016). Cela m’amuse d’avoir un titre dédicacé de l’auteur (au talent certain, comme j’ai pu le voir dans l’exposition qui lui avait été consacré au festival il y a quelques temps) qui a tant craché sur les BD commerciales avant d’être publié par un éditeur « grand public » (Bamboo se trouve derrière Fluide Glacial). Je voulais le catalogue Druillet, je l’ai eu, et j’ai pris celui sur Ikigami, car je suis complétiste et que je sais que les textes et les reproductions seront de qualité. Je vais aussi avoir de la lecture en manga d’horreur / épouvante (merci à Benoit pour le Service de Presse, essaye de t’en souvenir et de ne pas me l’envoyer en double, haha !) alors que je ne suis absolument pas fan du genre. Mais Moroboshi, quoi ! No Offense est un catalogue d’une exposition fictive satirique envers le mouvement ayant entrainé l’annulation de celle consacrée à Bastien Vivès. Elle se base sur des feuilles blanches, une façon de dénoncer la censure apparue en Russie puis qui s’est développée en Chine. C’était gratuit, je n’allais pas refuser… Le Journal de Mickey était gratuit, lui aussi, je l’ai pris sur le stand du fameux magazine, magazine dont on a pu voir un exemplaire extrêmement rarissime au fonds patrimonial des imprimés. Un passage à la librairie de la Cité m’a permis d’acheter le petit livre des débuts de Fabcaro, celui que j’appréciais, pas comme celui qui a du succès depuis Zaï Zaï Zaï Zaï et qui ne fait que se répéter…
Enfin, je remercie 9e Art+, l’Agence La Bande, l’Association du FIBD, la Cité Internationale de la Bande Dessinée et de l’Image pour tout leur travail et la possibilité de me permettre de profiter du festival dans des conditions privilégiées. Je remercie aussi Manuka pour sa relecture. Je donne rendez-vous à tout le monde à janvier 2024, pour la cinquante-et-unième édition (soyons optimiste) !
La conférence de presse de la cinquantième édition du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême a eu lieu ce lundi 28 novembre. Cette année, elle était située à la BNF Richelieu, dans la salle Ovale, nouvellement rouverte au public et proposant plusieurs milliers de BD dont de nombreux mangas. Impressionnant !
Depuis la réunion éditeur du mois de septembre, votre serviteur fait le grognon et critique le choix des expositions mangas qui n’ont pas l’heur de lui plaire. Et ce ne sont pas les horribles affiches et le flou sur le programme qui ont arrangé son humeur. Il faut dire qu’assistant au raout de fin janvier depuis 2004, il lui est difficile de ne pas se dire que c’était mieux avant alors qu’on a là une édition anniversaire.
C’est ça de devenir un vieux con blasé 😊… Cela ne m’empêchera pas de présenter un nouveau mini-site « Des Mangaversien·ne·s à Angoulême » !
La magie d’Angoulême a réussi à agir une fois de plus lors de cette conférence de presse (j’y vais depuis 2009). Est-ce le plaisir de retrouver quelques connaissances du monde de l’édition et de la presse spécialisée ? Est-ce le lieu chargé d’histoire et de livres qui a été choisi pour l’événement ? Quoi qu’il en soit, me voilà regonflé pour aller passer quelques jours dans la ville française de la BD fin janvier. Mais voyons plus en détail ce qui nous est présenté.
2023, une édition tournée vers la jeunesse et le futur.
Celles et ceux qui me connaissent savent mon amour pour les enfants et les réseaux sociaux : je déteste les uns comme les autres, ha ha ! Alors, voir que le festival développe de plus en plus son offre en direction de la jeunesse et sur Internet ne m’enchante pas plus que cela. Néanmoins, il faut reconnaître que c’est une évolution normale et souhaitable. Pfff, il va donc falloir que j’apprenne à utiliser Twitch ou Tik Tok (argl). Le festival ne voudrait pas plutôt aller sur Discord ? Au moins, j’y suis présent. Comme l’a fait remarquer (plus diplomatiquement que les propos suivants qui n’engagent que moi) Franck Bondoux, le directeur délégué du festival, il faut s’ouvrir au futur, ne pas regarder le passé (c’est pour cela qu’il n’y aura pas d’exposition rétrospective sur les 50 éditions du festival) et dépasser la BD « à papa » lue par les quinquas (et plus) qui sont, pour certains, incapables de lire autre chose que les séries de leur enfance. Le web est appelé à dépasser le papier, du moins auprès des jeunes. D’ailleurs, concernant le Quartier Jeunesse, je suis assez intéressé par l’exposition qui sera dédiée à la scénariste Marguerite Abouet, même si je n’ai rien lu de l’autrice. Et je me souviens d’y avoir vu une excellente exposition dédiée à Tom-Tom et Nana de Bernadette Després. Le Quartier Jeunesse aura encore un peu plus de place que les années précédentes, toujours aux Chais.
Du manga, beaucoup de manga
Les jeunes lisant du manga, la bande dessinée japonaise va aussi bénéficier d’un effort pour offrir un espace plus grand et plus attractif. Situé dans des bulles hors du plateau d’Angoulême depuis quelques années, le Quartier Manga va investir la Halle 57, un vieux bâtiment de la SNCF situé à côté de la médiathèque l’Alpha, bâtiment qui devait être détruit et qui va devenir un nouvel espace en dur pour le festival. Cela faisait quelques années qu’on en parlait, ça va devenir une réalité en 2023. C’est ainsi 3800 m² (nettement plus que la bulle située rue Coulomb) qui pourront être proposés aux fans de manga. Les éditeurs auront ainsi de la place pour s’installer. Un habillage rappelant les villes asiatiques (Tokyo, Séoul, Taipei) mettra les festivaliers en conditions pour le futur Manga City des prochaines années (une fois la réfection de la Halle 57 totalement achevée). Nous aurons ainsi le plaisir de retrouver Akata, Des Bulles dans l’océan, Glénat, IMHO, Hong-Kong, Kana, Makma, naBan, Nazca, Pika, Taïwan, etc. Il y aura même un stand Passe Culture, ça va faire hurler quelques grincheux sur un certain forum BD de référence, ha ha !
Trois expositions manga sont annoncées. Il y aura au Musée d’Angoulême Ryōichi Ikegami. À corps perdus, exposition dont je me fiche totalement tant l’auteur ne m’a jamais intéressé, même à mes débuts de lecteur de manga. Le seul point qui peut sauver cette exposition patrimoniale, à mes yeux, est que les commissaires devraient arriver à faire quelque chose d’instructif sur un auteur has been qui n’intéresse plus grand-monde, à part Fausto, le responsable de la programmation Asie. Oui, je suis toujours remonté envers un tel choix… Un catalogue sera proposé mais je ne pense pas l’acheter.
Nous pourrons voir (je ne dis pas admirer) le travail de Junji Ito au sous-sol de l’Espace Franquin (en salle Iribe, donc) avec l’exposition Junji Itō, Dans l’antre du délire. Moi, ça ne me fait pas délirer mais il faut reconnaître que grâce à l’éditeur Mangestu, l’auteur est à la mode actuellement et il mérite amplement une présentation de son travail. De plus, c’est un fidèle du festival. On nous promet une exposition immersive. Nous verrons bien sur place mais je dois avouer que ma curiosité est titillée…
La grosse exposition du festival sera L’Attaque des Titans, de l’ombre à la lumière. Située à la médiathèque l’Alfa, elle devrait être du niveau de l’inoubliable exposition Batman 80 ans de 2019. Dans un décor immersif, 150 planches originales couvrant l’intégralité de la série nous serons proposées. D’ailleurs, étant donné son coût, l’exposition sera payante : il faudra ajouter 10 euros au passe festivalier et elle ne sera ouverte aux professionnels qu’uniquement le mercredi. Il sera toutefois possible d’acheter un billet seul s’il reste de la place (en toute fin de journée, j’imagine) lors des autres journées. Le souci est que je ne prévois pas d’être au festival dès mercredi, ce qui ne me traumatise pas, même si j’aimais bien le titre (mais pas au point de l’acheter).
Sauf contretemps, les trois auteurs concernés par les expositions viendront du Japon et honoreront le festival de leur présence. Il y aura vraisemblablement quelques autres mangaka invité·e·s par différents éditeurs. N’oublions pas la remise du prix Konishi qui récompense le travail d’une traductrice ou d’un traducteur de manga. Sylvain Chollet sera-t-il enfin récompensé ?
De la Franco-Belge, oui, du Comics, non
Les fans de bande dessinée américaine risquent d’être déçus. Aucune exposition sur la création américaine n’est prévue, ni aucun espace dédié : ce sera « passez, il n’y a rien à voir ». Le Canada sera présent grâce à un stand (Pow Pow aussi) dans la bulle du Nouveau Monde. Une exposition dédiée à Julie Doucet, Grand Prix 2022, se tiendra à l’Hôtel Saint-Simon. Il faudra se tourner vers les éditeurs dédiés comme Urban Comics (Panini semble devoir être absent), 404 Comics, Delirium, Komics Initiative, etc. pour pouvoir se prendre une dose d’amerloqueries. Pour ce qui est des invité·e·s en Rencontres Internationales, il est trop tôt pour savoir qui sera présent·e.
La bande dessinée franco-belge va surtout être représentée par l’exposition Les 6 Voyages De Philippe Druillet. Il y aura deux lieux : le Musée d’Angoulême et la chapelle voisine. Je n’aime pas Druillet mais cela pourrait être intéressant. Un catalogue va être proposé et je prévois de l’acheter de suite, afin de ne pas connaître la mésaventure du catalogue dédié à Corben en 2020. Il y aura aussi Dans les yeux de Bastien Vivès au Musée du Papier, mais là, ça sera sans moi. J’espère que l’exposition Couleurs! sera intéressante. En tout cas, il y aura pour cela de l’espace car située au rez-de-chaussée du bâtiment Castro, pardon, au Vaisseaux Mœbius (c’est à ce détail qu’on voit les vieux festivaliers). Le métier de coloriste a trop longtemps été ignoré malgré son importance. Certainement parce qu’il était essentiellement exercé par des « bonnes femmes ». Au fait, les scénographes, pensez à mettre un peu de lumière, par comme les années précédentes, hein ! Toujours au Vaisseau Mœbius, mais à l’étage, nous aurons Elle résiste, elles résistent, exposition dédiée à Madeleine, Résistante : la rose dégoupillée, de Jean-David Morvan et Madeleine Riffaud au scénario et Dominique Bertail au dessin.
Et le reste…
Au rez-de-chaussée de l’Espace Franquin, il sera possible d’admirer 50 regards d’autrices et d’auteurs (dont Derf Backderf, Ino Asano, Florence Dupré la Tour, Tom Gauld, Léa Murawiec, Naoki Urasawa) sur les 50 ans du festival. Intéressant… Un portfolio à 150 € sera même proposé aux plus fortunés d’entre nous. Les amateurs de planches originales et d’illustrations devraient trouver leur bonheur à la nouvelle Place du 9e art. Les autres bulles devraient être reconduites dans une configuration proche de l’édition 2022. Le Spin Off sera à nouveau aux Ateliers Magelis, le Pavillon Jeunes talents au NIL (avec l’exposition Worldwide Comics Explosion présentant dix autrices et auteurs de demain), il y aura un concert dessiné au Théâtre avec Ana Carla Maza et Aude Picault (dont on avait pu apprécier une exposition en 2022), des masterclass (celle de Hajime Isayama est déjà complète), des rencontres Internationales, et d’autres sous le patronage de Télérama ou du Point, des conférences au Conservatoire (vais-je en proposer une ? cela va dépendre du responsable, s’il veut de moi), etc. etc. Il y aura aussi les animations de la CIBDI, avec une exposition dédiée à Fabcaro, entre autres. Stay Tuned, comme on dit…
Asa, fille unique, a perdu ses parents dans un accident de la circulation un peu avant sa rentrée au lycée. Recueillie par sa tante âgée de 35 ans, elle doit s’habituer à une nouvelle vie, tout en réussissant à faire le deuil d’un père distant et d’une mère exigeante, à s’habituer à la perte d’une enfance douillette. Makio, qui a toujours détesté sa sœur, doit elle aussi accepter cette intrusion dans son intimité, sa vie de romancière asociale, donc la fin d’un certain confort. De plus, Makio doit prendre des responsabilité envers une enfant, elle qui n’en a jamais voulu. C’est ainsi que les deux femmes vont devoir évoluer et se remettre en cause, notamment en s’interrogeant sur la nature des liens familiaux et les sentiments qui les accompagnent. Minori, la défunte (mère de l’une et sœur de l’autre), tient naturellement une place prépondérante dans cette nouvelle relation. Incontestablement, il va s’agir pour Asa et Makio d’exorciser un certain fantôme.
Une « josei mangaka » venue du Boys Love
Tomoko Yamashita est surtout connue pour ses nombreux titres Boys Love. En effet, comme un certain nombre de ses consœurs, elle a débuté dans le manga par les dôjinshi puis s’est exprimée dans le BL, notamment dans plusieurs déclinaisons de Be x Boy (Libre shuppan) et dans OnBlue (Shodensha). Très rapidement, elle réalise de courts récits dans différents supports de type josei (des magazines visant un public de plus ou moins jeunes femmes) tels que Cocohana (Shûeisha) et Feel Young (Shodensha). Love,Hate,Love et HER en sont deux titres emblématiques. Néanmoins, son plus grand succès est un BL : The Night Beyond the Tricornered Window (10 tomes entre 2013 et 2020, Libre shuppan), qui a été adapté en 2021 en film pour le cinéma et en animé pour la télévision. Entre les lignes est une série toujours en cours, qui compte neuf volumes au Japon et qui est prépubliée depuis 2017 dans le fameux magazine Feel Young. Cinq tomes sont disponibles actuellement en version française chez Kana dans sa collection « Big Kana Life ».
De la vie de tous les jours
Amatrices et amateurs d’action, passez votre chemin. Après cinq tomes, Entre les lignes confirme que nous sommes ici en présence d’une chronique du quotidien. Or, dans la vie de tous les jours, il ne se passe pas grand-chose et il n’y a pas de drames à chaque instant. Du coup, nous ne sommes pas très avancé en ce qui concerne l’histoire d’Asa et Makio. En effet, Tomoko Yamashita prend son temps pour développer son propos et ses personnages, tellement de temps qu’il est pour l’instant difficile de comprendre où la mangaka veut en venir, même si certaines pistes se dessinent. Mais est-ce vraiment un problème ? Chaque moment de vie n’est pas narré avec une exposition, un développement, un dénouement. Logiquement, il y a régulièrement des conflits entre nos deux protagonistes. D’ailleurs, le cinquième tome en propose un, marquant, dans sa deuxième partie. Sa résolution va d’ailleurs forcer nos deux jeunes femmes à évoluer, mais ça, nous ne le verrons que dans la suite ru récit, ce qui nous rend assez impatientes et impatients de lire le sixième opus !
La difficile vie des orphelins au Japon
Être orphelin est un thème récurrent dans de nombreux mangas, car cela permet de dramatiser facilement le passé du héros ou de l’héroïne. Il faut dire que leur situation n’est pas enviable, encore moins dans une société qui privilégie le modèle traditionnel familial. Certes, l’époque actuelle n’a rien à voir avec l’immédiate après-guerre où plus de 120 000 orphelins ont été rejetés par la société (les orphelinats ne pouvaient en accueillir plus de 10%), ont été victimes d’abandon pur et simple par l’État et ont souvent été victimes de maltraitance dans les familles d’accueil. Il n’en reste pas moins que la situation des orphelins n’est pas enviable dans les années 2010 : le placement en famille ou l’adoption ne sont pas des pratiques répandues, le système privilégiant les institutions spécialisées (90% des enfants ne pouvant pas vivre avec leurs parents y sont placés). Il faut dire que certaines personnes y trouvent leur compte, notamment financièrement, sans oublier que c’est plus simple à gérer pour le gouvernement. Que le futur de ces enfants soit sombre (notamment du fait de leur parcours éducatif tronqué) n’intéresse pas grand-monde. Heureusement pour Asa, sa tante s’est portée volontaire pour l’accueillir.
L’incommunicabilité à la japonaise, un mythe ?
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il n’y a pas réellement de problème d’incommunicabilité entre Asa et Makio. Certes, elles ne passent leur temps à se raconter leur vie d’avant, mais il y a un réel échange entre les deux femmes, même s’il n’est pas toujours spontané. Cependant, il faut ici se méfier du travail de traduction. La construction grammaticale des phrases, le style indirect et les niveaux de langage qui sont spécifiques au japonais sont difficile à rendre en français sans alourdir la lecture. De plus, Pascale Simon, la traductrice, est réputée pour le peu de fluidité de son travail. On peut donc espérer une certaine fidélité au texte original dans le rendu des dialogues. D’ailleurs, ça parle beaucoup dans Entre les lignes. En effet, si Makio est une solitaire, elle fait de nombreux efforts pour comprendre les besoins de sa nièce. Cette dernière a aussi des amies au lycée, une surtout. Malheureusement, cela n’empêche pas de graves incompréhensions. Toutefois, ce genre de situation n’a rien de spécifiquement japonais. Il en résulte un propos tout à fait universel de la part de Tomoko Yamashita. Et c’est bien là un des nombreux charmes de la série…
Voici la fin de la version rédigée de ma conférence donnée au Conservatoire le 19 mars 2022 à l’occasion du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême. La première partie est consacrée à la définition et à un rapide historique du seinen manga. La seconde se focalise sur la présence des auteures au sein de ces publications principalement destinées à un lectorat masculin adulte.
Quand le manga se féminisait
Durant les années 1960, alors que le miracle économique japonais s’exprime à plein avec le boom Izanagi, les industries culturelles ne sont pas en reste. C’est ainsi que le marché du manga croît prodigieusement. Le passage au rythme hebdomadaire de plusieurs magazines à la fin des années 1950 ainsi que l’apparition de nouveaux titres durant les années 1960 dont le fameux Weekly Shônen Jump, a provoqué un développement économique et éditorial sans précédent de la bande dessinée. Le lancement de ces nouveaux supports oblige les éditeurs à trouver toujours plus d’auteurs pour pouvoir remplir les pages de leurs différents magazines. Cette croissance profite à tous les genres et le shôjo manga est de plus en plus créé par des femmes, les mangaka hommes étant dirigés vers les supports pour garçons. Ils sont donc remplacés par des femmes qui se lancent dans le métier dès la fin de leurs études secondaires. Leur jeune âge permet ainsi une plus grande proximité des magazines avec leur lectrices. Actuellement, à part quelques rares cas, les magazines destinés à un public féminin ne proposent que des mangaka femmes.
Fire!Nous sommes onzeDestination Terra
Durant cette évolution, des auteures vont révolutionner le shôjo manga : Hideko Mizuno et quelques autres ont redéfini les contours du genre en proposant des histoires mettant en scènes des relations, souvent sentimentales, entre les garçons et les filles, en y développant la romance et surtout étant ancrées dans la réalité de la société japonaise. Des pionnières comme Moto Hagio et Keiko Takemiya vont élargir considérablement le champ des possibles, notamment en proposant des récits de science-fiction épiques dans des magazines shôjo et même shônen. En effet, la libéralisation des mœurs venue de l’Occident, le vieillissement du lectorat qui a, de ce fait, de nouveaux centres d’intérêt, permettent aux éditeurs d’accompagner leurs lecteurs et leurs lectrices et de proposer des histoires de plus en plus matures. La série Fire !, parue entre 1969 et 1971 dans l’hebdomadaire Seventeen, est l’une des premières séries shôjo à succès avec un protagoniste masculin. C’est également et surtout une histoire dans laquelle la mangaka met en scène la première représentation connue d’une relation sexuelle dans un magazine shôjo d’un grand éditeur — chose pratiquement inconcevable à une époque où la plupart des personnages étaient des préadolescentes. En effet, l’amour, platonique bien entendu, vient à peine de faire son apparition dans le shôjo vers le milieu des années 1960.
La courte série Nous sommes onze a été prépubliée en 1975 dans le mensuel Bessatsu Shôjo Comic. Pour ce récit, Moto Hagio a reçu le prix manga Shôgakukan en 1976, réalisant le doublé avec son autre série à succès, Poe no ichizoku. C’est une sorte de huis-clos spatial où dix postulants à une prestigieuse académie militaire doivent réussir ensemble une épreuve de survie afin de valider leur concours d’entrée. Bénéficiant d’une narration rythmée, l’histoire nous propose du mystère et du suspense, le tout mis en scène dans un environnement grandiose. L’auteure s’intéresse aux différents protagonistes en prenant le temps de les présenter et de leur donner un rôle. Enfin, cerise sur le gâteau, les questions de genres — biologique, psychologique et social — sont évoquées par le biais du personnage de Flore, ce qui apporte une certaine profondeur au récit. Destination Terra de Keiko Takemiya est un autre exemple de récit de science-fiction écrit par une femme. La série est prépubliée dans le magazine Gekkan manga shônen (Asahi Sonorama) entre 1977 et 1980. Ici, l’humanité a dû migrer sur d’autres planètes suite au désastre écologique qui a rendu la Terre inhabitable. Une nouvelle organisation sociale très stricte a été mise en place pour éviter de renouveler les mêmes erreurs. Celle-ci repose sur le contrôle universel. Le héros de l’histoire va comprendre en quoi celui-ci consiste et va lutter pour que l’humanité retrouve la liberté.
Garo
C’est donc par le biais de la science-fiction que les premières incursions des mangaka femmes vont se faire dans les magazines pour garçons, mais le plus souvent de façon épisodique. Cependant, auparavant, grâce à un magazine bien particulier, elles ont eu l’occasion de s’exprimer en dehors du shôjo manga. Garo a été créé en 1964 pour que Shitaro Sampei puisse créer des gekiga sans les contraintes commerciales des hebdomadaires de shônen manga qu’il ne supportait plus. Très rapidement, le magazine s’est ouvert à l’expérimentation et aux créations personnelles. Yoshiaru Tsuge en est un des représentants emblématique. Si la plupart des bandes dessinées proposées par Garo sont réalisées par des hommes, quelques femmes y trouvent une petite place et font même école.
L’EnvolOreillers de laque
Kuniko Tsurita est la première à être régulièrement publiée dans la revue et une anthologie de ses créations vient de sortir chez Atrabile. Nous sommes là très loin des récits d’aventure ou de romance car la mangaka est résolument en prise avec son époque (du mitant des années 1960 au début des années 1980), ce qui la rattache au courant du gekiga, mais avec un dessin résolument personnel. Autre auteure remarquable : Hinako Sugiura qui a publié durant les années 1980 plusieurs histoires courtes rattachées à son cycle Oreillers de laque. Il s’agit d’une historienne qui faisait aussi du manga en reprenant le style des estampes du « Monde flottant ». Deux tomes sont sortis aux Éditions Philippe Picquier il y a une quinzaine d’années. Être des pionnières ne leur a pas porté chance, les deux femmes étant mortes relativement jeunes (37 ans pour Tsurita, 46 ans pour Sugiura). Notons que Kiriko Nananan a publié dans Garo au début des années 1990 quelques chapitres de Water. N’oublions pas COM, la revue « concurrente » créée en 1967 par Osamu Tezuka, qui propose aussi quelques récits créés par des femmes, la plus importante, outre Hideko Mizuno, étant Masako Yashiro qui sera aussi publiée au début des années 1970 dans le magazine Manga shônen (Asahi Sonorama) avec une courte série de science-fiction, ouvrant peut-être ainsi une porte à Keiko Takemiya et à ses consœurs.
Du ponctuel au succès
En fait, il faut attendre le début des années 1980 pour qu’une série relevant du seinen manga créée par une auteure connaisse un grand succès public. Il s’agit, sans surprise, de Rumiko Takahashi, avec Maison Ikkoku, série prépubliée dans Big Comic Spirit (Shôgakukan) entre 1980 et 1987. L’auteure avait déjà été la première femme à devenir une auteure majeure dans le petit monde masculin du shônen manga avec Lamu — Urusei Yatsura puis avec Ranma ½ (Shûkan Shônen Sunday dans les deux cas, entre 1978 et 1987 puis entre 1987 et 1996). Durant les années 1980 et 1990, de plus en plus de femmes sont publiées dans les magazines pour garçon, la plupart du temps en utilisant un pseudonyme masculin. Cependant, elles restent très largement minoritaires et font généralement des incursions ponctuelles, continuant généralement leur carrière dans le shôjo ou le josei manga (qui est apparu dans les années 1980).
Il faudra attendre les années 2000 pour que des mangas réalisés par des femmes occupent durablement le devant de la scène. Bien entendu, c’est encore dans le shônen manga que cela se passe en premier, avec le studio CLAMP : il y a d’abord Angelic Layer à la fin des années 1990 dans Monthly Shônen Ace (Kadokawa shoten), puis le collectif change de public avec Chobits au début des années 2000, titre prépublié dans Weekly Young Magazine (Kodansha), puis ensuite avec xxxHOLiC (2003-2011, Weekly Young Magazine puis Bessatsu Shônen Magazine). Il y a surtout Hiromu Harakawa. Avec Full Metal Alchemist qui parait dans Monthly Shônen Gangan (Square Enix) entre 2001 et 2010, la mangaka montre qu’à l’instar de Rumiko Takahashi, il est possible pour une femme de faire essentiellement carrière dans les magazines pour garçon. Par contre, Harakawa ne semble pas décidée à faire durablement du seinen manga. À l’inverse, Fumi Yoshinaga, après une belle carrière dans le Boys’ Love et dans le shôjo manga (Antique Bakery et Le Pavillon des hommes), connait depuis quelques années un beau succès avec sa série What Did You Eat Yesterday? prépubliée dans Morning (Kodansha), commencée en 2007 et toujours en cours.
Plus important, il est possible pour une femme de faire carrière en commençant par le seinen manga. Fumiyo Kono débute en 1995 chez Futabasha, éditeur pour lequel elle reste longtemps fidèle. Elle crée de petits bijoux dans Manga Action comme Une longue route, Le Pays des cerisiers, Pour Sanpei, et surtout Dans un recoin de ce monde. Il est même possible de ne faire que du seinen manga, à l’instar de Kaoru Mori. Après avoir commencé comme beaucoup d’auteures avant elle dans le dôjinshi (une sorte de fanzinat), Kaoru Mori débute en 2002 au sein de la revue un peu « arty » Comic Beam (Enterbrain) avec Emma avant de poursuivre dans les différents supports de l’éditeur (Fellows puis Harta) avec Shirley et surtout Bride Stories (depuis 2009). Mieux, il est dorénavant possible de débuter et de connaître immédiatement un important succès public comme nous le montre un duo de femmes, Itsuki Nanao (scénario) et Nekokurage (dessin), avec Les Carnets de l’Apothicaire. La série est l’adaptation en manga d’une série de light novels (roman pour jeunes adultes) du même nom écrit par Natsu Hyūga (possiblement de genre féminin). La bande dessinée est prépubliée depuis 2017 dans Monthly Big Gangan (Square Enix) et a déjà été imprimée au Japon à plus 13 millions d’exemplaires pour seulement neuf tomes. Les éditeurs japonais ont ainsi la preuve que faire appel à des femmes pour leurs magazines destinés à un public essentiellement masculin permet d’avoir des séries à succès, tout en élargissant la base de leur lectorat. Quand aux auteures, elles ont de plus en plus la possibilité d’échapper aux carcans du shôjo ou du josei manga, et ont plus de choix dans le ton de leurs œuvres, dans le genre de récit abordé et dans leur rythme de travail.
Une grande variété
La douzaine de planches montrées ci-après donne un aperçu de la diversité du seinen manga réalisé par des femmes, tel qu’on peut le percevoir en francophonie. Il aurait été possible d’en montrer de nombreuses autres mais il fallait faire un choix. Celui propose toutefois une certaine variété graphique et ce sont toutes des œuvres récentes.
Avec Olympia Kykos, Mari Yamazaki propose une œuvre avec un graphisme et un récit qui sont très typés seinen. La série était prépubliée dans le bimensuel Grand Jump (Shueisha) et totalise sept tomes. Nous voyons ici qu’une mangaka peut faire exactement la même chose qu’un mangaka. Avec Demande à Modigliani (Big Comic Special, Shôgagukan, 5 tomes), nous avons un titre graphiquement plus difficile mais avec un thème typiquement seinen : celui de la vie étudiante. L’originalité vient ici du type d’études, celles que l’on reçoit dans les écoles d’art. Les questions qui tournent autour d’une voie incertaine sont au centre du récit car Ikue Aizawa, une jeune auteure, puise ici dans sa propre expérience. Akane Torikai aborde un thème bien plus difficile dans les huit tomes d’En proie au silence (Morning Two, Kodansha), celui des violences sexistes quotidiennes subies par la population féminine au Japon.
Jun Mayuzuki, qui a conçu une des trois affiches de l’édition 2022 du festival d’Angoulême, est une auteure qui a débuté dans le shôjo manga en 2007. Après la pluie (Big Comic Spirit, Shôgagukan, 10 tomes) est une comédie romantique à succès mettant en scène une lycéenne sportive qui a connu une grave blessure et son patron (elle a un petit boulot de serveuse dans un restaurant) qui est bien plus âgé. Il est aussi question d’une grande différence d’âge dans BL Métamorphose (Comic Newtype, Kadokawa shoten, 5 tomes) de Kaori Tsurutani qui puise dans sa propre expérience pour développer l’histoire d’une vielle dame qui découvre le Boys’ Love et une jeune vendeuse asociale qui rêve de devenir mangaka. Avec A Tail’s Tale (Comic Zenon, Tokuma shoten, 4 tomes), retour à la comédie romantique lycéenne qui propose une ode à la différence. Mizu Sahara est une mangaka qui a débuté dans le dôjinshi avant de connaître une carrière à succès dans le BL sous le nom de plume de Sumomo Yumeka.
Le thriller, le fantastique, la science-fiction, l’horreur et le sexy sont autant de domaines où les femmes excellent. Gift +/- (Manga Goraku, Nihon Bungeisha, 24 tomes, série en cours) est un thriller au dessin très soigné mais classique, mâtiné d’horreur et avec quelques scènes de violences sexuelles non consenties. Le titre s’adresse à un public averti, comme on dit. Yuka Nagate, la mangaka, exerce dans le domaine du seinen manga depuis une quinzaine d’années après avoir débuté dans le Weekly Shônen Magazine de Kodansha et y avoir publié pendant cinq ans. La tonalité de La Lanterne de Nyx est totalement différente. Il s’agit là d’un récit fantastico-historique très calme. Kan Takahama est une auteure connue ici, abondamment publiée y compris avec des créations originales directement destinées à la francophonie. Récit plus ou moins policier et teinté de fantastique, le manga d’Aki Irie, Dans le sens du vent – Nord, Nord-Ouest (Harta, Enterbrain, 5 tomes, série en cours), lui permet d’exprimer pleinement son dessin si soigné et stylisé., ce qui correspond bien à la ligne éditoriale du magazine de prépublication.
Dorohedoro est la série à succès de Q-Hayashida.malgré les vicissitudes qu’elle a connu avec sa prépublication (IKKI puis HiBaNa et enfin Gessan, Shôgakukan, 23 tomes). Mélangeant science-fiction, magie, transformations corporelles ou démembrements divers et humour décalé, l’histoire nous présente un univers divisé en deux. Dans Versailles of the Dead, Kumiko Suekane (qui n’a pas abandonné pour autant sa carrière de dôjinshika) va plus loin dans le gore. Débutée dans le magazine HiBaNa et achevée sur le site web de prépublication Ura Sunday (Shôgakukan, 5 tomes), la série revisite la France du XVIIIe siècle, juste avant la Révolution française, mais une France en proie aux zombies de toutes sortes. Le royaume est menacé, mais par qui ? Restons sur les costumes avec Sexy Cosplay Doll (Young GanGan, Square Enix, 9 tomes, en cours), mais ceux des animés et jeux vidéo à succès. Il s’agit d’un récit situé dans l’univers du cosplay avec des jeunes filles aux formes (très) développées et pas toujours très habillées. C’est pourtant bien une femme qui, sous couvert d’un nom de plume masculin, Shinichi Fukuda, qui en est la créatrice. Il faut dire qu’elle s’est fait une spécialité des mangas plus ou moins érotiques basés sur des « gros plans culottes et décolletés ».
Après avoir rapidement passé en revue douze mangas montrant l’importance et la qualité des seinen réalisés par des femmes, intéressons-nous à deux auteures emblématiques de ce souffle féminin qui apporte une diversité certaine dans le manga pour homme.
Cuvie, une double carrière
Originaire de Nagoya, vivant à Kyoto, née en juillet 1976, Cuvie (dont le pseudonyme est emprunté au magazine CUTiE) a commencé sa carrière professionnelle en 2001, alors qu’elle était encore étudiante, en publiant de courts récits hentai, après avoir été repérée par ses dôjin. En effet, entre 1997 et 2004, elle animait un cercle qui proposait ses travaux lors des comiket d’été. Elle a la particularité de poursuivre sa carrière d’autrice de manga hentai alors qu’elle produit depuis de nombreuses années des séries plus grand public dans des magazines young pour Akita shoten ou seinen (pour Kodansha). Elle est réputée pour sa grande productivité.
En presque vingt ans d’une carrière toujours en cours d’autrice hentai, elle a publié de nombreux recueils reprenant ses différentes histoires courtes (toutes ne sont d’ailleurs pas compilées) chez de nombreux éditeurs spécialisés tels que Issuya, Fujimi Shuppan, Wanimagazine, etc. Selon les années deux à quatre recueils paraissent, ce qui représente plus d’une trentaine d’ouvrages parus entre 2003 et 2021.
Sa carrière prend une autre dimension en 2005 lorsqu’elle publie Dorothea, le châtiment des sorcières, (six tomes chez Asuka) entre juin 2005 et mars 2008 dans un magazine plus grand public de Fujimi Shobo (une marque de Kadokawa shoten, rien à voir avec Fujimi shuppan), le mensuel Dragon Age qui s’adresse à un public amateur d’héroïnes à (très) forte poitrine. Elle crée aussi pour Akita shoten. D’abord, elle publie en 2007 une série courte dans une des déclinaisons du Young Champion, puis vient ensuite toujours dans le même magazine Nightmare Maker, une comédie érotique qui totalise 6 tomes entre 2008 et 2012. À noter qu’il existe une version ebook non censurée qui nécessite un avertissement aux mineurs. En 2013, Cuvie passe dans Champion RED ichigo pour une autre courte série (un volume publié en 2014) mettant en scène succubes et incubes. Ensuite, en septembre 2013, c’est le début de l’aventure En scène ! dans le magazine principal Champion RED, un titre qui compte 19 tomes et qui est toujours en cours.
Kodansha ouvre ses portes à Cuvie en 2011 qui publie dans le défunt Nemesis la série en trois tomes Kagome no Mura, un récit d’action érotisant qui s’achève en 2013. Ensuite, vient Hitohake no Niji entre 2015 et 2017, à nouveau en trois tomes. Il s’agit cette fois d’un récit fantastico-érotisant autour de la peinture classique occidentale glorifiant la beauté féminine. Dans la foulée, toujours pour le même Nemesis (puis pour Comic Days) Cuvie crée une nouvelle série en trois tomes (2018-2020), mais d’une tonalité totalement différente : Erzsébet, une fiction historique située à la fin du 19e siècle et basée sur l’indépendance de la Hongrie. Elle met en scène une activiste qui va être amenée à rencontrer Sissi, l’impératrice d’Autriche.
Ayako Noda, la nouvelle génération
Ayako Noda a commencé sa carrière professionnelle en 2011 après avoir remporté un concours pour débutants organisé par le magazine IKKI (Shôgakukan). Elle y réalise ensuite sa première série, Le Monde selon Uchu (2 tomes, Casterman), qui est remarquée par la presse généraliste à l’exemple du journal Asahi Shimbun. Parallèlement à ses créations dans le seinen manga, elle crée des Boys’ Love sous le pseudonyme de Niboshiko Arai. Elle publie principalement dans deux magazines spécialisés, Opera (Akaneshinsha) et OnBlue (Shodensha). Il s’agit de récits courts, tel que le demande un genre où les histoires longues sont rares. Elle a publié cinq titres dans Opera et trois dans OnBlue. Actuellement, elle a une série BL qui est prépubliée dans Comic Marginal (Futabasha) : Mugi-kun no mune no uchi dont un tome est sorti en version reliée.
En seinen manga, elle a notamment publié Incandescence (Lézard Noir, 3 tomes) et Double (Lézard Noir, 2 tomes sur 5), ce dernier titre fait d’ailleurs l’objet d’une adaptation en un drama de dix épisodes diffusés sur une chaine de télé numérique. Outre le fait de mener en parallèle une double carrière BL / seinen manga, il est remarquable qu’Ayako Noda ne change pas de style graphique, même si celui-ci évolue avec les années. De plus, elle apporte autant de soin à ses personnages, qu’ils soient pour du BL ou du seinen. Nous sommes loin, notamment pour le BL, d’un style graphique « canon », imposé comme cela a été longtemps le cas chez un éditeur comme Libre shuppan. Dans les deux types de manga, ses histoires sont ancrées dans la réalité japonaise actuelle. Par contre, récit de genre oblige, ses histoires BL intègre des relations charnelles que l’on ne retrouve pas dans ses seinen manga.
Le cas d’Ayako Noda n’est pas unique et elle n’est pas précurseure. Depuis quelques années, plusieurs auteures venues du BL poursuivent de front le même genre de carrière, même si leurs publications grand public prennent plus d’importance du fait de leur plus grande audience. Nous avons évoqués ici le cas de Fumi Yoshinaga, ou de Mizu Sahara, mais il ne faut pas oublier des auteures comme Natsume Ono (Ristorante Paradisio, Gente et Goyô chez Kana) / Basso (Tonari ni vo est censé sortir chez Taifu en 2022), est em (Tango aux Éditions H) ou Asumiko Nakamura dont quelques BL sont disponibles dans la collection Hana chez IDP. Cette dernière est aussi réputée pour ses œuvres seinen comme Utsubora (Manga Erotics f, Ohta Shuppan, 2 tomes) que ses BL comme Dôkûsei (Opera, Akaneshinsha, 1 tome). Il est peut-être là, le véritable souffle féminin dans le seinen manga !
Les lundi 7 février et 28 mars, j’ai eu les occasions de donner une conférence présentant manga à des élèves au CDI du lycée Jean Monnet de La Queue lez Yvelines puis à des professeures documentalistes. En voici la version rédigée. Elle porte sur le manga papier, c’est-à-dire sous forme de livre.
Qu’est-ce que le manga ?
Le terme manga fait normalement référence à la bande dessinée japonaise. Pour beaucoup, cela englobe aussi les dessins animés (au Japon, on parlait à une époque de terebi manga même si le terme anime, venu des USA, a pris de l’importance depuis de nombreuses années), les illustrations d’inspiration « manga », le cosplay, etc. c’est-à-dire tout ce que l’on pourrait regrouper dans un ensemble nommé « culture manga ». Au Japon, pour la bande dessinée, on parle d’ailleurs plutôt de komikku (comics). Nous allons ici nous concentrer principalement sur l’aspect livre de l’univers manga.
La prépublication
Si en France, on connaît les mangas principalement sous forme reliée, au Japon, les mangas sortent généralement dans des magazines de prépublication. Une fois qu’il y a assez de chapitres et donc de pages, le manga sort en format relié, c’est-à-dire sous la forme d’un livre (tankobon) comprenant 140 à 220 pages (180 le plus souvent). Certains magazines sont hebdomadaires, d’autres bimensuels, mensuels, trimestriels, voire annuels (les « spéciaux »).
Il existe de nombreux magazines de prépublication (mangashi) et ils visent tous une tranche d’âge et un genre. C’est un marché très segmenté et c’est donc en fonction du public principalement visé que l’on va les classifier. Ceci dit, les magazines papiers sont de plus en plus remplacés par des sites internet de prépublication qui sont plus multi-audiences (par exemple le webzine Ura Sunday). Et comme les classifications japonaises sont assez mal utilisées en France, il vaudrait peut-être mieux les oublier pour s’intéresser plutôt aux types d’histoires proposées, comme le fait un éditeur comme Akata. Néanmoins, étant utilisés par quasiment tout le monde, voici un rappel des principales classifications qui sont faites : shônen, shôjo, seinen, josei mais aussi kodomo, etc.
Il s’agit là de cœurs de cible, le lectorat est plus étendu et les limites des catégories sont parfois assez floues. Les filles ou les adultes peuvent lire du shônen là où on ne verra quasiment aucun garçon lire du shôjo. Il y a aussi de nombreux genres qui sont abordés dans des magazines spécialisés. Ils ont aussi un cœur de cible axé sur le thème qui compte plus que la tranche d’âge et le sexe. Voici quelques exemples de mangas de genre : horreur / fantastique, mah-jong, Gundam (franchise à succès mettant en scène des robots géants) , boys’ love (yaoi), érotisme ou pornographie, lolicon (lolita complex) / moe (mignon), yonkoma (gags en quatre cases), etc.
Tout part donc du magazine de prépublication (sauf rares exceptions comme celle des anthologies). Chaque magazine a un rédacteur en chef qui dirige le mangashi et qui définit la ligne éditoriale. Il y a surtout une équipe d’éditeurs (tantosha), ceux-ci étant chargés de superviser un certain nombre d’auteurs (mangaka). Ce sont les tanto qui vont voir avec chaque auteur·e dont ils ont la charge comment réaliser un chapitre pour le prochain numéro à paraitre. Le rythme de parution du magazine conditionne la taille du chapitre et la fréquence des réunions. Pour un hebdomadaire, l’auteur·e doit produire généralement 16 pages. Pour un bimensuel, on est généralement à 20-30 pages, pour un mensuel, c’est entre 40 et 60 pages.
Les mangaka travaillent rarement seul·e·s, ils ou elles montent un studio et réalisent leur manga en équipe (payée sur les propres revenus des auteur·e·s). Ils ou elles sont généralement assisté·e·s par des personnes (les assistant·e·s) qui vont réaliser des tâches précises (gommer les crayonnés, poser des trames, dessiner telle ou telle partie du décor, etc.). Le nombre d’assistant·e·s est très variable, il dépend du nombre de pages à rendre, des séries en cours. Cela peut aller de un à plus d’une dizaine. Généralement, plus on s’approche de la date de rendu, plus il y a d’assistant·e·s. Dans les années 1970, Osamu Tezuka avait mis en place les 3 × 8 : il avait trois équipes d’assistants qui se relayaient 24 heures sur 24 dans les locaux de l’auteur. Le studio est généralement situé dans un appartement loué pour l’occasion (permettant de dormir sur place en période de bouclage) ou chez l’auteur·e dans une pièce dédiée à cet usage.
Un chapitre est généralement réalisé ainsi : L’auteur·e conçoit le scénario en réalisant un brouillon, une sorte de story-board qu’on appelle le name (namu). Ce brouillon contient les dialogues, les grandes lignes de la mise en page (la narration). Ensuite, l’auteur·e va rencontrer son ou sa tanto pour en discuter, soit dans les bureaux du magazine, soit dans un café. Les tanto peuvent demander des changements (et ne s’en privent pas), estimant que telle ou telle partie n’est pas assez bonne, donnant ainsi des conseils pour rendre l’histoire plus attractive. Cela peut concerner un point de vue, un enchainement de cases, un dialogue, etc. Une fois que mangaka et tanto sont d’accord sur le chapitre, il est temps de passer au crayonné. C’est l’auteur·e qui s’en occupe et qui dessine toute les pages au crayon. Ensuite, c’est la phase de l’encrage. L’auteur·e peut s’en occuper entièrement ou déléguer une partie plus ou moins importante du dessin à encrer (les décors, les onomatopées, une partie des personnages). Les trames sont généralement posées par les assistant·e·s, tout comme la typographie des dialogues (qui peut aussi être faite par l’imprimeur). Une fois que tout est terminé (généralement juste à temps), les planches sont rendues au tanto qui les remet à l’imprimeur.
Pour un hebdomadaire, cela occupe généralement six jours sur les sept de la semaine. Le dimanche, l’auteur·e peut se reposer. Les assistant·e·s, pour un hebdomadaire, interviennent généralement les trois derniers jours. Mais cela peut varier d’un·e auteur·e à l’autre, selon sa façon de travailler. Créer des histoires pour un mensuel donne plus de temps pour s’organiser, mais il y a souvent plus de planches à produire. Il est à noter que certain·e·s passent d’un magazine hebdomadaire à un mensuel car ils ou elles n’arrivent pas à suivre le rythme ou que cela correspond mieux au récit. Il y a aussi la possibilité de paraitre un numéro sur deux.
Les caractéristiques
Au Japon, le manga est apparu au début des années 1910 pour se transformer à la fin des années 1940 sous l’influence d’Osamu Tezuka puis se développer dans les années 1950-1990, avec une apogée en 1995. Depuis, les magazines de prépublication imprimés sont en déclin continuel mais, comme déjà indiqué, cette prépublication se développe de plus en plus en ligne. Cependant, l’importance du manga est telle que le chiffre d’affaires japonais dépasse largement l’ensemble des autres marchés de bande dessinée pour tout le reste du monde. Il n’y a donc rien d’étonnant que le manga soit prédominant dans toute l’Asie et qu’il ait autant de succès en Occident (surtout depuis ces dernières années) ou en Afrique.
Il est difficile de caractériser le manga sans faire de généralités tant la bande dessinée japonaise est variée. Néanmoins, un certain nombre de caractéristiques sont relativement communes et associées au manga par le sens commun. La première de ces caractéristiques est certainement le noir et blanc et le petit format qui font ressembler les mangas à nos livres de poche. En effet, pour des raisons historiques de coût de création et de fabrication, le choix du N&B s’est imposé dans le développement des magasines d’après-guerre (avant, ils étaient fréquemment en couleur ou en bi ou trichromie). C’est une grande différence avec, par exemple, des États-Unis où la couleur s’est imposée, y compris dans la presse (pour les sunday). Les trames (mécaniques, c’est-à-dire autocollantes, puis informatiques) ont rapidement permis de donner du volume au dessin en l’absence de couleur. Cette utilisation des trames donne un cachet particulier au dessin qui est spécifique au manga. Il faut dire que les trames sont très variées au Japon et permettent de réaliser de nombreux effets, même si cela ne se voit pas trop sur certaines séries comme Naruto. La taille des mangas reliés est souvent comprise entre A5 (les deluxe) et A6 (les bunko). Le format le plus commun est le B6.
La deuxième est sans aucun doute les « grands yeux » qui peuvent occuper jusqu’à un quart du visage (sourcils compris), surtout chez les personnages féminins. Il ne s’agit pas de ressembler aux Occidentaux comme cela a été trop rapidement affirmé par les détracteurs du manga mais d’appliquer le principe de la néoténie au manga. En bande dessinée, il s’agit de la conservation de certains caractères de l’enfance afin de provoquer un attachement, une attirance inconsciente et abstraite chez les humains, y compris envers les animaux. Un bon exemple est celui du Chat potté dans Shrek 2, qui rappelle le chaton lorsqu’il fait les grand yeux. Utilisée en bande dessinée, cela provoque un sentiment de sympathie, crée une plus forte emprise sur les lecteurs. Walt Disney a énormément utilisé ce principe, vraisemblablement de façon inconsciente, notamment pour distinguer les gentils des méchants et créer une sorte d’attirance envers ses personnages. Mais Disney lui-même n’a rien inventé car on peut trouver des usages de la néoténie dans l’art du XIXe siècle. Au Japon, c’est aussi le succès dans les années 1920 des illustrations de Yumeji Takehisa dont le style a été de nouveau popularisé après-guerre par Jun’Ichi Nakahara qui peut expliquer l’importance des grands yeux dans la culture shôjo. Il ne s’agit donc pas d’une invention d’Osamu Tezuka qui était un grand amateur de Disney et connaisseur de l’imagerie née dans les magazines pour filles. Par son influence sur le style graphique des mangas des années 1950, Tezuka a surtout généralisé le phénomène.
La troisième caractéristique du manga est moins perceptible car elle ressort de la narration et de la mise en page. Pourtant, il s’agit là d’une différence fondamentale avec la bande dessinée franco-belge et le comics. Il y a certes le sens de lecture de la droite vers la gauche mais c’est surtout l’agencement des cases et le rythme de l’action qui sont très différents entre ces trois pays de bandes dessinées. Le rythme de lecture dépend, pour commencer, du nombre de cases par planche. Dans le manga, ce nombre est généralement compris entre quatre et six sur deux ou trois bandes de deux cases. Bien entendu, pour créer des « pages mémorables » ou créer une mise en situation, il est possible de descendre à deux ou trois cases et de jouer sur la notion d’ellipse. Les bandes sont aussi plus ou moins éclatées, surtout dans le shôjo manga, notamment pour donner du dynamisme à la composition, et donc à la narration. Cela permet aussi de retranscrire des émotions comme la confusion. De plus, les chapitres sont courts : 16 pages pour les hebdomadaires, 30 à 60 pour les autres rythmes de prépublication. La construction en feuilleton (que l’on retrouve aussi dans les comics) est liée à cette prépublication en chapitre des mangas.
Enfin, outre l’omniprésence des onomatopées (il en existe même une pour signifier le silence, le fait qu’il ne se passe rien) dans de nombreux mangas (surtout ceux d’action), il y a toute une série de codes graphiques spécifiques au manga qui permettent de faire passer des émotions, mais aussi toute une gamme d’informations sur l’état des personnages. La goutte de gêne, la veine temporale gonflée de colère, les lignes de vitesse, les lignes de tensions, etc. sont des signes qui sont des marqueurs importants dans le manga, même si de nombreux titres japonais ne les utilisent pas, rappelons-le. Cela donne aux auteur·e·s tout un dictionnaire graphique pour dessiner des sentiments, donner des impressions, dynamiser l’action.
La Diversité
La prépublication, chapitre par chapitre, de plusieurs séries en parallèle permet en effet de fournir une grande diversité d’histoires aux lecteurs et lectrices. Quand un mangashi contient plus de 400 pages de mangas, soit une vingtaine de séries, à chaque numéro, il est assez facile de proposer des créations différentes. Il est important, commercialement, de toucher le plus vaste public possible dans le segment visé, ce qui est encore plus vrai depuis le retournement du marché manga qui a eu lieu une vingtaine d’années au Japon. À cela, s’ajoute un système des votes permettant de savoir quelles séries plaisent le plus et surtout celles qui plaisent le moins, ce qui donne la possibilité de prendre des risques : si ça ne trouve pas son public, on arrête et on propose autre chose.
Le marché français, en plus de 25 années d’éditions francophones, a réussi plus ou moins, sauf peut-être pour le shôjo, à représenter cette diversité. Nous allons chercher à illustrer celle-ci par le biais d’une grosse cinquantaine de séries remarquables. Le souci rencontré est que de nombreux titres ne sont plus commercialisés (une licence doit être généralement renouvelée tous les 3 ou 5 ans) et ne sont plus disponibles qu’en occasion ou en bibliothèque. C’est pour cela que certains mangas évoqués ici ne sont plus trouvables en neuf, les librairies ayant dû retourner leurs invendus qui ont été ensuite détruits (quelques éditeurs préfèrent la solderie au pilonnage, ceci dit). Il faut avoir à l’esprit qu’un manga ne se contente pas d’avoir un seul thème mais en mélange plusieurs (deux, trois, voire plus). La classification effectuée ci-après est donc personnelle, subjective, en se faisant à partir du thème considéré comme étant le principal.
L’aventure / action
Ce genre d’histoires est surtout présent dans le shônen manga. Basé sur l’action, l’apprentissage et (souvent) l’humour, avec un récit généralement centré sur un protagoniste masculin (un collégien ou un lycéen le plus souvent) qui peut être entouré d’un groupe de personnages secondaires, la série va proposer une aventure trépidante où il est nécessaire de progresser pour vaincre des ennemis de plus en plus puissants. Cet apprentissage est nécessaire pour atteindre un but, généralement fixé dès le début. Ces récits initiatiques sont merveilleux, dépaysant et rythmés.
Assassination Classroom (shônen) – Gros succès auprès des collégiens qui ne se dément pas malgré que la série soit terminée.
Banana Fish (shôjo) – (à venir)
Les Brigades immunitaires (seinen) – (à venir)
La romance
Les histoires d’amour sont associées aux mangas pour fille. Ce n’est pas faux mais ce n’est certainement pas exact. En fait, depuis la fin des années 1960, il s’agit du thème principal des séries qui sortent dans les magazines shôjo. Avant, il était interdit d’évoquer l’amour, même simplement sentimental. Ceci dit, il y a aussi de la romance dans les mangas pour garçon, même s’il s’agit le plus souvent d’un thème secondaire. Néanmoins, il existe des shônen où la relation amoureuse tient un rôle central dans l’histoire. Dans ce cas, le jeune garçon est maladroit, il ne sait pas aborder les filles qui sont pourtant nombreuses à lui tourner autour. On parle dans ce cas de « harem manga ».
Love, Be loved, Leave, Be left (shôjo) – Basé sur l’incontournable triangle amoureux des romances lycéennes, la série propose plus que la simple problématique de trouver l’amour lorsqu’on est une adolescente. Il y a aussi celle de l’amitié, un thème que l’on trouve plutôt dans les shônen d’aventure. Il y a aussi la nécessité d’être honnête avec les autres et surtout avec soi-même.
Love Hina (shônen) – Le harem manga de référence. Adulé par certains, décriés par d’autres, la série n’a pas laissé indifférent lors de sa publication française. Il faut dire qu’il était précurseur dans le genre. La couverture montre bien qu’il ne s’agit pas ici d’un manga romantique pour fille. En effet, la taille de la poitrine des personnages féminins est un marqueur fort pour distinguer shônen romantique et shôjo.
Blue (josei) – L’amitié entre deux lycéennes se transforme petit à petit en amour où les non-dits tiennent une grande importance dans les relations entre les protagonistes. Le traitement réaliste et subtil des sentiments des jeunes filles était une grande nouveauté dans le paysage francophone lors de sa première parution en 2004.
Science-fiction / Fantastique
La SF et le fantastique sont des genres très prisé au Japon (notamment dans les romans et le cinéma), ce qui se retrouve logiquement dans le manga. Il existe même des magazines de prépublication spécialisés. Cependant, la plupart du temps, il ne s’agit pas du thème principal, surtout dans le shônen. La SF ou le fantastique sont le plus souvent un cadre dans lequel les auteur·e·s vont développer leur histoire. C’est dans le seinen que l’on trouve les œuvres les plus « pures » SF. C’est aussi un genre assez développé dans le shôjo notamment grâce à Moto Hagio, précurseure du genre dans les années 1970 : la longue nouvelle « Nous sommes onze » disponible dans Moto Hagio Anthologie (shôjo) est particulièrement représentative de la SF des années 1970 et a montré que cette voie était possible à nombre des consœurs de la mangaka.
The Ancient Magus Bride (shônen) – (à venir)
Les enfants de la baleine (shôjo) – Présenté comme un seinen par Glénat, il s’agit en réalité d’un shôjo prépublié dans Mystery Bonita. Il est assez habituel que les éditeurs francophones fassent passer des shôjo qui ne sont pas des romances lycéennes pour un autre genre de manga (ici, du seinen), afin de moins mal les vendre. De ce fait, il est possible de lire plus de shôjo manga (et de josei) qu’on pourrait le croire de prime abord. Cependant, cela fausse aussi la perception que l’on peut avoir du manga réalisé par les mangaka femmes ainsi que du genre shôjo (ou josei) en général.
L’Atelier des sorciers (seinen) – (à venir)
Sport / Métier
C’est un des nombreux genres réputés peu vendeur en France. Le héros ou l’héroïne pratique un sport, généralement au lycée et va devoir devenir un·e champion·ne grâce à son entrainement, ses efforts et son courage. Bien entendu, différents obstacles vont surgir durant sa progression. Il y a souvent une intrigue secondaire qui est une romance avec un·e camarade d’école. Les mangas sportifs sont nombreux au Japon. De plus, le sport est à considérer ici au sens large et inclus les jeux de stratégie comme le go ou les échecs. Sous le vocable manga de métier, on regroupe les titres où le personnage principal se découvre des qualités et une vocation pour un métier dans lequel il va s’épanouir grâce à l’apprentissage et en surmontant les embûches semées sur son chemin. En cela, les mangas de métier sont très proches de ceux de sport.
Jumping (shôjo) – Une hikonomori (personne s’isolant de la société, ce qui est souvent liée à une phobie) réussit à vaincre ses peurs et ses complexes grâce aux chevaux et à l’équitation. Chose amusante, la classification est à l’inverse de Chihayafuru (josei mettant en scène une lycéenne) car c’est ici un shôjo alors que la protagoniste est une étudiante. D’ailleurs, même si la démonstration inverse est faite ici, l’âge des personnages donne généralement un indice précieux pour la classification, surtout à la frontière des genres : shônen / young seinen / seinen, ou shôjo / josei.
En scène ! (seinen) – Il s’agit d’un titre s’adressant principalement à un public de jeunes adultes masculins, même si cela pourrait sembler étrange au vu de la couverture rose du premier tome, mettant en valeur une enfant en tutu. Nous apprenons à connaître au fil des chapitres le monde du ballet par le biais des aventures de Kanade, passionnée par la danse. Il faut dire que Cuvie a elle-même connu les mêmes débuts que sa petite héroïne, avec beaucoup moins de succès, il est vrai. Mais la passion pour la danse de l’autrice, et sa connaissance du ballet, transparaît à chaque page.
Une vie au zoo (josei) – Cette courte série montre la difficulté qu’il y a à s’occuper d’animaux : dire qu’on les comprends, qu’on les aime ne suffit pas. Cependant, si on s’accroche à sa vocation et que l’on est sincère, on peut arriver à devenir une soigneuse compétente et à s’épanouir dans son métier.
Société japonaise / tranche de vie
À la différence des BD franco-belge et américaines, le manga grand public propose depuis de nombreuses années des histoires se focalisant sur la vie de tous les jours de personnages « normaux ». On retrouve ce thème dans tous les genres de mangas. Si dans le shônen, il ne s’agit pas du thème général le plus souvent, il est très l’élément central dans de nombreux josei et seinen. Mitsuru Adachi est le spécialiste du shônen mélangeant sport, romance lycéenne et vie de tous les jours, Touch (shônen) étant sa série référence. En centrant son récit sur des personnages ordinaires et les mettant en scène dans leur vie de tous les jours, il sait comme personne ancrer son histoire dans la société japonaise.
Kamakura Diary (shôjo) – Sorte de Touch au féminin, la série propose le même mélange sport / romance / vie de tous les jours. Néanmoins, le récit est moins humoristique et développe des sujets graves comme le handicap, la mort et la difficulté d’établir des relations sincères entre les personnes. Cette gravité des sujets abordés est assez habituelle dans nombre de shôjo.
Éclat(s) d’âme (web) – Kamatani Yuhki est une auteure qui se définit comme étant ni femme (son genre biologique), ni homme, du genre neutre, donc. Son manga parle de la difficulté de s’accepter, surtout à cause du regard des autres, de leur moqueries, voire de leur ostracisation. C’est ainsi que le traitement de la question LGBT+ par la société japonaise est au centre de cette série paraissant sur le web suite à la disparition du magazine HiBana.
Chiisakobé (seinen) – Il d’agit de l’adaptation par Minetarô Mochizuki d’un roman historique écrit il y a une cinquantaine d’année. L’histoire s’y déroulait à l’époque Edo. Le mangaka reprend la trame principale tout en la situant à l’époque actuelle pour actualiser le propos. Ayant été prépublié dans un hebdomadaire, le manga est composé de courts chapitres d’une vingtaine de page, qui se terminent à chaque fois sur une situation marquante donnant envie de poursuivre sa lecture. Les nombreux problèmes de communication entre les personnages sont bien rendus par des cadrages inhabituels, généralement des plans serrés en contre-plongé mettant le lecteur dans la peau de l’un ou de l’autre.
Historique
Tout comme la SF et le Polard, l’Histoire du Japon sert généralement de cadre à des fictions plutôt qu’être le thème principal. Pourtant, les titres dits « historiques » sont profondément enracinés dans l’époque où se déroule le récit et permettent d’avoir un véritable aperçu de la vie au Japon à travers les âges. Il faut aussi savoir que les Japonais ne sont pas très forts en Histoire, surtout que les manuels d’enseignement n’hésitent pas à occulter certains aspects peu glorieux du passé nippon.
Kenshin le vagabond (shônen) – Après la chute des Tokugawa et l’arrivée de l’ère Meiji (fin du 19e siècle), la vie est difficile pour les samouraïs sans maître ! Manga de samouraï à succès, le titre est la preuve que l’on peut concevoir une histoire pleine d’action tout en restant fidèle au contexte historique de l’époque.
Le Pavillon des hommes (shôjo) – Et si l’Histoire avait effacé le fait que des femmes avaient été shôgun à l’époque des Tokugawa ? Récit féministe avec une déconstruction des préjugés par inversion des rôles des hommes et des femmes au sein de la société japonaise pendant l’époque d’Edo (et par la même occasion, des inégalités actuelles au sein de la société japonaise).
Ayako (seinen) – Il s’agit d’une des œuvres les plus sombres d’Osamu Tezuka, se déroulant dans l’immédiat après seconde guerre mondiale. La série montre les excès du patriarcat qui sévissait alors dans la société semi-féodale persistant dans les campagnes.
Humour
Les mangas d’humour pur sont aussi réputés pour mal se vendre en version française. Il faut dire que l’humour japonais est très 1er degré, très burlesque. Pourtant, les mangas ne sont pas tous basés sur un humour spécifiquement japonais comme l’est le manzai, un système basé sur un duo comique formé par le tsukkomi (le sérieux) et le boke (le personnage fruste, outrancier et désordonné). Si le couple comique (le sérieux et l’idiot) est un classique de l’humour dans tous les pays (Laurel et Hardy, Astérix et Obélix), c’est ici un humour qui repose beaucoup sur les quiproquos et les jeux de mots, ce qui fait que nombre de mangas relevant du genre sont réputés intraduisibles en français.
Dr Slump (shônen) – Un des premiers grands succès d’Akira Toriyama avant DragonBall. C’est un humour basé sur le grand n’importe quoi et l’exagération. C’est aussi assez scatologique, ce qui en fait un titre très japonais. Sa réussite commerciale en France tient sûrement autant à ses qualités qu’au fait qu’il est sorti avant que l’on ne croule sous les sorties.
Magical Girl Boy (josei) – (à venir)
Yotsuba& (seinen) – Il s’agit d’une de ces séries difficiles à classer. À première vue, elle semble s’adresser aux jeunes filles de 10 à 14 ans vu l’apparente légèreté des histoires ainsi que l’âge et le genre de la plupart des protagonistes. Cependant, si on y regarde bien, le titre semble plutôt s’adresser à leur père étant donné que les adolescentes sont rarement passionnées par des petites chroniques de la vie de tous les jours. Et il faut être parent pour s’amuser des bêtises de Yotsuba, tendrement amusantes sur papier alors qu’il serait infernal d’avoir un enfant pareil en réalité.
Monde post-catastrophe ou apocalyptique
Ce genre se distingue de la SF par une ambiance beaucoup plus sombre et une action plus trépidante. En règle générale, une catastrophe s’est produite et les protagonistes doivent survivre, coûte que coûte. La mise en scène de l’angoisse des personnages et la dramatisation du récit sont deux des principales caractéristiques du genre. Il faut aussi avoir à l’esprit que le Japon est situé dans une zone sismique, que les tremblements de terre sont fréquents, tout comme les ouragans et les tsunamis. Les catastrophes comme celles survenues à Kobe ou à Fukushima montrent que ces récits ne sont pas si éloignés de la réalité que vivent les japonais.
L’Attaque des titans (shônen) – (à venir)
Dragon Head (young seinen) – Premier manga du genre à avoir frappé les esprits du lectorat francophone. Dans une sorte d’huis-clos étouffant, trois jeunes lycéens essayent de survivre à une catastrophe qui a ravagé Tokyo et fait déraillé dans un long tunnel le Shinkansen qui les ramenait chez eux d’un voyage scolaire.
Walking Cat (seinen) – (à venir)
Guerre / Policier
La guerre, surtout la Seconde Guerre Mondiale, a frappé les esprits au Japon, la défaite ayant été vécue comme un traumatisme, amplifié par l’horreur de la bombe atomique. Néanmoins, le refus de reconnaître les atrocités commises par l’armée impériale dans toute l’Asie de l’Est et du Sud-Est est toujours présent, ce qui se retrouve (ou plutôt ne se retrouve pas) dans les mangas traitant du sujet.
Le manga policier est assez développé au Japon, mais ne connais pas le succès chez nous. Que ce soit du thriller, du judiciaire, du crime à élucider, les thèmes sont variés. Il y a quelques années, Soleil Manga a créé une collection comprenant des adaptations mangas dédiées à un auteur de romans policiers à succès au Japon (Hiroshi Mori), mais cela n’a pas fonctionné.
Détective Conan (shônen) – On arrive bientôt au 100ème tome en version française (la parution japonaise a été rattrapée). Il est habituel au Japon que les séries dépassent les 100 volumes, même si ce n’est pas fréquent. Il s’agit d’un manga où un jeune détective doit résoudre des meurtres mystérieux grâce à son génie et malgré son âge.
Don’t Call it Mystery (shôjo) – (à venir)
Peleliu (young seinen) – Peleliu, une petite île perdue dans le Pacifique, a été le lieu d’une grande bataille entre l’armée impériale et les forces américaines. Pourtant, cette île n’a pas eu une grande importance stratégique malgré son aérodrome. Le manga fait immanquablement penser au film Lettres d’Iwo Jima.
Érotique / Yaoi
Si l’érotisme est souvent présent dans le young seinen, c’est généralement de façon secondaire. Il s’agit de placer très régulièrement des scènes à caractère érotique, généralement sans nudité explicite mais avec une sexualisation exagérée des personnages féminins (par exemple, avec des poitrines surdimensionnées). Cependant, il existe des magazines dédiés, allant du simple érotisme (l’acte sexuel n’est pas explicite) à la pornographie la plus débridée. Et cela n’existe pas que pour le public masculin. Il existe un genre de manga, le yaoi ou boys love, qui met en scène des amours homo-érotiques entre hommes écrit par des femmes à destination d’un public féminin hétérosexuel. Il existe aussi les shôjo dit matures où les relations sexuelles entre homme et femme ne sont pas simplement suggérées.
Virgin Hotel (shôjo) – L’érotisme n’est pas réservé aux garçons, les jeunes filles et les femmes ont aussi leurs mangas « de cul », pour le dire vulgairement. À une époque pas si lointaine, il existait des magazines ladies comics destinés aux femmes au foyer où le sexe était très présent. S’ils ont disparu, ils ont été en quelque sorte remplacés par les magazines de shôjo dits « matures » (ou « shôjo pouffe » par les détracteurs) qui s’adressent plutôt aux adolescentes.
10Dance (young seinen) – (à venir)
Love Contest (hentai) – (à venir)
Le manfra et la bande dessinée hybride
Depuis son arrivée dans le paysage éditorial de la bande dessinée au milieu des années 1990, le manga n’a pas cessé de prendre de l’importance et de recruter des lectrices et des lecteurs de tout âge. Inévitablement, une partie de ces lectrices et ces lecteurs étaient des personnes passionnées par le dessin et se sont mises à créer des histoires et à les dessiner. Le petit monde du fanzinat a proposé de plus en plus de petits livres aux dessins et aux récits manifestement influencés par les bandes dessinées japonaises. Tout aussi inévitablement, une partie des fanzineuses et fanzineux sont passés professionnels en choisissant entre deux voies : soit créer des œuvres qui ressemblent aux mangas mais qui sont directement publiées par des éditeurs francophones, soit proposer des titres qui ressemblent plus dans la forme à de la BD plus classique, mais en intégrant de nombreuses références, graphiques et/ou narratives venues des productions venues du Japon. C’est cette influence du manga dans la création francophone de bandes dessinées que nous allons voir.
Le manfra
J’ai eu l’occasion de présenter ma définition du manfra à l’occasion d’une conférence sur le sujet donnée à Angoulême et dans un lycée de la Région parisienne afin d’en retracer sa courte histoire, avec ses réussites et ses échecs les plus marquants. Pour simplifier, le manfra est du manga réalisé par des francophones qui rêvent de faire de la bande dessinée à la façon des Japonais. Le terme n’est pas encore « officiel ». Cependant, il se diffuse de plus en plus dans la communauté, même s’il est rejeté par certains acteurs du genre comme Moonkey qui préfère le terme de « manga français ». Nous avons vu les principales caractéristiques du manga dans la première partie du présent dossier. En les appliquant au manfra, cela donne un ouvrage en N&B avec une pagination importante (au moins 160 pages) édité au format poche ou semi-poche (entre A5/B5 et A6/B6). La présence d’une jaquette est indispensable pour beaucoup, même si cela n’est pas obligatoire. Le sens de lecture « à la japonaise » dépend beaucoup du choix des auteur·e·s. Néanmoins, il est illusoire de publier en sens de lecture japonais en espérant une publication au Japon.
Bien entendu, un graphisme plus ou moins copié des mangas shônen ou des shôjo grand public est inévitable (alors que le manga propose une très grande diversité graphique). C’est ainsi que nous rencontrons surtout un dessin assez stylisé et plutôt rond que j’appelle semi-réaliste néoténique (avec des – plus ou moins – grands yeux) ou alors comique de type SD (Super Déformé). La narration, grâce à la pagination importante de l’ouvrage, est aussi d’inspiration manga, c’est-à-dire avec peu d’ellipses et la présence régulière d’enchainements de point de vue à point de vue (d’après l’analyse de Scott Mc Cloud exposée dans L’Art invisible). Il faut aussi une volonté de l’auteur et de l’éditeur de faire du manfra. Car il faut une édition professionnelle diffusée en librairie spécialisée ou en vente en ligne dans ma définition, sinon, on fait du fanzinat. Un certain nombre de petits éditeurs se sont créés au fil du temps pour pouvoir commercialiser sous forme physique le travail de diverses auteur·e·s. E.D Édition en est un bon exemple, même s’il semble ne pas avoir survécu à une distribution par Hachette (un diffuseur/distributeur plus petit aurait été une bien meilleure idée).
Le manfra fait partie d’un plus grand ensemble d’œuvres non asiatiques s’appropriant les codes et la forme du manga. Cet ensemble est appelé « global manga » et concerne principalement les marchés européens et américains. Ceci dit, le global manga se développe aussi en Afrique et au Moyen-Orient, mais nous en ignorons largement son existence. L’Espagne, l’Italie, l’Allemagne, les États-Unis sont des pays producteurs de global manga dont certains titres arrivent jusqu’à nous.
Intéressons-nous maintenant à la jeune histoire du manfra. On en trouve les prémisses en kiosque au mitan des années 1990 (juillet 1994 pour être précis) dans les petits suppléments de Kameha, la revue de prépublication et de rédactionnel sur le manga des éditions Glénat. Cela s’appelait Kameha Kids et proposait de très courtes histoires dessinées dans un « style manga ». Il y a eu aussi le magazine Yoko, proposant à partir de décembre 1995 et jusqu’à fin 1997 des bandes dessinées plus ou moins travaillées à l’influence manga plus qu’évidente (y compris, et peut-être surtout, dans sa facette hentai). Ceci dit, surtout dans le cas de Kameha Kids, on était plus dans le fanzinat que dans de la véritable publication professionnelle. D’ailleurs, le véritable creuset du manfra se trouve dans le petit monde du fanzinat. Le succès du manga à l’époque a donné des envies à certains fans de la génération du Club Dorothée de créer des œuvres similaires. C’est ainsi que toute une séries de fanzines (magazines de fan, des publications amateures) voient le jour durant les années 1990 et 2000. MyCity en est un des exemples les plus célèbres. Ce fanzine a été édité entre 1995 et 2000 (totalisant 19 numéros), sous la direction d’Aurore (connue pour ses affiches réalisées pour Japan Expo et qui est devenue dessinatrice professionnelle de bandes dessinées qu’on pourrait qualifier d’hybrides). Nous pouvons estimer la naissance du manfra à avril 2005 lorsque Pika Éditions prépublie Dys de Moonkey, suivi de près par Dreamland de Reno Lemaire dans son magazine Shônen Collection.
De son côté, Ankama, l’éditeur roubaisien de jeux vidéo propose à partir de 2005 puis surtout à partir de 2007, dans un format proche du manga des déclinaisons BD de son jeu à succès Dofus. Il y a ensuite l’aventure Shogun Mag (entre 2006 et 2008) : les Humanoïdes associés ont la volonté affichée de faire du manga à l’européenne, de mettre en place une prépublication avant de sortir les récits en tomes reliés. Surtout un grand nombre de titres est proposé en même temps. Le premier numéro de Shogun Mag sort en octobre 2006. Il s’agit d’un magazine mensuel de près de 350 pages et contenant une dizaine de séries réalisées sous forme de chapitres à suivre. Le succès n’est pas au rendez-vous. Ankama va le connaître, ce succès, avec Radiant de Tony Valente (débutée en 2013, la série est toujours en cours et compte quinze tomes).
Radiant est une série intéressante à plus d’un titre. Tony Valente a manifestement intégré les codes du manga mais il a réussit à proposer un graphisme personnel plutôt reconnaissable. Certes, le synopsis (invasion du monde du héros par des monstres, apprentissage de la magie, combats, quête à accomplir, etc.) est tout sauf original. Cependant, les personnages sont attachants, l’histoire est bien racontée, le dessin est réussi et les couvertures sont accrocheuses. Le succès est international et l’auteur n’a rien à envier à ses collègues japonais. Le manfra a connu deux autres succès considérables. Néanmoins, ce succès n’est pas dû aux qualités graphiques (plus que relatives) des deux séries concernées mais plutôt à leur origine. Amour Sucré est l’adaptation en manfra du jeu social en ligne Amour Sucré, un jackpot pour l’éditeur Akileos qui avait tenté l’aventure du global manga avant d’arrêter très rapidement devant les ventes catastrophiques de ses premiers titres. Les deux scénaristes sous pseudo ridicule sont français alors que le studio Xian Nu est composée de deux dessinatrices espagnoles. Bien plus intéressante est la démarche de Kevin Tran. Youtubeur de talent et à succès, il s’est lancé dans une sortie d’hommage aux mangas qu’il appréciait lorsqu’il était plus jeune. Ki & Hi (Michel Lafon) réussit l’exploit de rejoindre à partir de 2017 les plus gros succès mangas en France. Fanny Antigny a un dessin très sommaire qui s’améliore au fil des tomes. La célébrité de son scénariste, l’humour survolté et un certain effet de nostalgie expliquent vraisemblablement un succès qui est difficilement compréhensible autrement.
RadiantAmour sucréKi & Hi
Pour terminer cette partie consacrée au manfra, essayons de réaliser une petite analyse avec Animus d’Antoine Revoy (IMHO). Le présent blog propose par ailleurs une chronique sur ce titre. Comme il y est écrit, l’auteur est un français qui a vécu au Japon plusieurs années et qui est installé aux USA depuis pas mal de temps. Ses influences BD sont donc multiples mais le manga est ici prédominant. Cette séquence de trois planches pose les enjeux dramatiques : la disparition inexpliquée d’enfants dans un quartier de la ville de Tokyo malgré la mobilisation de la police. Ces trois pages sont typiques de la bande japonaise : à chaque fois la première case est une scène d’ensemble, ce qui permet de définir puis de rappeler l’unité de lieu (un commissariat). Ensuite, Antoine Revoy multiplie les points de vue afin de dynamiser une scène qui serait autrement bien statique. Les multiples gros plans servent aussi à dramatiser la séquence et susciter l’émotion. La pagination importante permet de consacrer autant de cases juste pour exposer une situation, là où des récitatifs et des dialogues plus importants auraient été nécessaires dans le cadre d’un récit en 48 pages. Les treize cases se seraient alors retrouvées au nombre d’une dizaine sur une seule page de quatre bandes et de nombreux gros plans auraient sauté. Le dessin rappelle celui de Katsuhiro Otomo en utilisant un style réaliste stylisé et une épaisseur de trait assez uniforme. La suppression des décors dans la quasi totalité des cases n’est pas l’apanage du manga (Gotlib était célèbre pour cela) mais la bande dessinée japonaise, notamment le shôjo manga, s’en est fait une spécialité. Les yeux sont, par contre, dessinés de façon à rendre (et même à grossir) l’effet de pli épicanthal afin de « japoniser » les personnages.
La bande dessinée hybride
L’influence du manga sur la bande dessinée franco-belge ne s’est pas limitée au manfra. Elle peut aussi se retrouver dans la bande dessinée dite alternative ou « indépendante ». Elle est surtout plus visible dans les bons vieux 48CC, du fait d’un dessin manifestement sous influence. Le premier marqueur de cette influence se trouve dans le manifeste de Frédéric Boilet à propos de « La Nouvelle Manga ». Le manifeste, qui date de 2001, n’est pas très intéressant en lui-même. Il est bien trop ethnocentré, un peu trop méprisant envers le manga grand public, et il met plus en évidence les rares influences de la bande dessinée franco-belge sur le manga que l’inverse. Il faut dire qu’au début des années 2000, la bande dessinée asiatique traduite en français n’offre pas encore la diversité actuelle. Néanmoins, Boilet explique bien qu’au Japon, il existe une « bande dessinée du quotidien » qui donne une grande importance à la vie de tous les jours des protagonistes. En fait, l’apport de Frédéric Boilet est plus concret : son label Nouvelle manga s’est retrouvé accolé à deux des premières œuvres françaises manifestement hybrides : L’Immeuble d’en face de Vanyda (La boite à bulles) et Fraise et chocolat d’Aurélia Aurita (Les impressions nouvelles), Bien entendu, plusieurs titres de Frédéric Boilet ont bénéficié aussi du label, notamment L’Épinard de Yukiko (ego comme x), tout comme l’ouvrage collectif Japon (Casterman) qui propose de courtes histoires, notamment de Nicolas de Crécy, Fabrice Neaud, David Prudhomme, François Schuiten et Kan Takahama (il y a aussi des mangaka comme Moyoko Anno, Kazuichi Hanawa, Daisuke Igarashi et Taiyô Matsumoto) et quelques mangas édités en français à l’époque.
Frédéric Boilet, en tant que directeur de collection chez Casterman, permet surtout de faire découvrir en français des josei d’une grande qualité comme Blue de Kiriko Nananan ou All My Darling Daughter de Fumi Yoshinaga, titres qui ont certainement exercés une certaine influence sur de futur·e·s auteur·e·s de bande dessinée franco-belge ou indépendante. un éditeur comme Delcourt a grandement participé au développement du 48 CC qualifié d’« hybride ». Cette forme est apparue un peu avant et s’est développée parallèlement au manfra. Les Légendaires de Patrick Sobral et La Rose écarlate de Patricia Lyfoung en sont les deux meilleurs exemples. N’oublions pas une série comme Sillage de J.D. Morvan et Philippe Buchet où l’influence se fait surtout ressentir au niveau d’une narration adaptée au format 48CC. Il faut dire que les deux auteurs avaient été de l’aventure Nomad, une tentative réussie de Glénat (avec HK de J.D. Morvan et Trantkat) de faire une sorte de manga non-japonais à l’époque du magazine Kameha et des premiers succès du manga dans les années 1990. Bien entendu, d’autres éditeurs spécialisés dans le 48CC ont tenté avec plus ou moins de bonheur de lancer leurs séries. Une des plus récente tentative est proposée par Dargaud avec Sac à Diable de Cédric Mayen et Sandra Cardona. Cette dernière est une dessinatrice espagnole où l’influence du manga est manifeste.
Pour finir, afin d’être un peu plus complet et concret, voici trois comparaisons entre du manga (à gauche), du manfra (au centre) et de la bande dessinée hybride (à droite) issues de ma conférence sur le manfra d’il y a quelques années. Bien entendu, ces classification peuvent sembler un peu artificielles ou discutables, notamment dans un domaine où les exemple et les contre-exemples abondent. Il surtout faut garder à l’esprit que ces distinctions ne doivent être en aucun cas un frein à la curiosité ou au rejet de telle ou telle œuvre parce qu’elle ne serait pas « canonique ». Trop de lectrices et de lecteurs rejettent le manfra car ce n’est pas du « vrai manga » (même si c’est de moins en moins vrai), tout comme de trop nombreux fan de BD franco-belge rejettent les séries où les influences asiatiques sont trop manifestes et restent nostalgiques des années 1950-1970. Toutes sont des bandes dessinées qui peuvent plaire, même si les plus sévères et blasés d’entre nous estiment que la Loi de Sturgeon s’appliquent dans tous les cas… tout en sachant ne pas ériger de barrières et se limiter à tel ou tel genre.