La Pomme prisonnière – Chats et filles nues

Il y a un an une sorte d’Objet Manga Non Identifié est sorti chez Noeve Grafx sous un titre étrange : La Pomme prisonnière. Comme l’explique Kenji Tsuruta dans sa postface, il s’agit en quelque sorte de la continuation sous forme de manga de ses travaux d’illustrations publiés dans un art book intitulé Hita hita. Il en profite pour expliquer quelles associations d’idées lui ont permis de passer de Hita hita (une onomatopée faisant référence à la submersion) à La Pomme prisonnière (en français dans la version originale). Il se révèle très rapidement que cette bande dessinée est en fait un improbable croisement entre deux passions de l’auteur : les chats et les filles nues. Voyons donc comment le mangaka en est arrivé là et quel en est le résultat…

Le lectorat francophone a pu découvrir très tôt Kenji Tsuruta, ce qui fait que nous avons en français la quasi-totalité de ses mangas. Son premier recueil, Spirit of Wonder, a été publié chez nous en 1999 par Casterman. Il s’agit d’une compilation de courts récits de science-fiction qui ont été prépubliés entre 1987 et 1996 dans Morning ou Afternoon, deux des magazines seinen de Kodansha. Il s’agit alors de son premier tankobon (volume relié). Tsuruta a débuté professionnellement à l’âge de 25 ans avec une histoire courte réalisée en 1986 pour Morning, après une carrière d’assistant pour plusieurs mangaka et après avoir publié plusieurs dôjinshi (fanzines) durant ses études en optique. En 2004, rebelote chez Casterman avec Forget-me-not, qui introduit Mariel Imari, une détective privée japonaise vivant à Venise. Il y a cette fois une sorte d’histoire suivie mais chaque chapitre est autoconclusif. Ceux-ci ont été prépubliés à partir de 1997 (toujours dans Morning) et regroupés au Japon en un seul tome en 2003.

Ensuite, plus rien en francophonie jusqu’à ce que Ki-oon édite en 2017 le premier des deux tomes de L’île errante. La série, commencée en 2010 dans Afternoon, est plus ou moins en pause depuis de nombreuses années. Plus exactement, elle est à parution très lente car le premier tome est sorti en 2011, le second en 2017 au Japon. C’est ensuite au tour d’Emanon de nous être proposé, toujours par Ki-oon. Il s’agit là de l’adaptation en manga d’une série de nouvelles de science-fiction écrites par Shinji Kajio. Les quatre tomes parus au Japon (en 2008, 2010, 2013 et 2018) ont été traduits en français entre 2018 et 2020. Notons que, cette fois, la série (inachevée) a été prépubliée dans le défunt mensuel Comic Ryu de Tokuma Shoten. En effet, le mangaka s’est mis à travailler assez tôt pour divers éditeurs, notamment pour Hakusensha. Sa dernière œuvre finie, La Pomme prisonnière (2016, Hakusensha) a été prépubliée dans le magazine Rakuen Le Paradis (un recueil périodique d’histoires courtes destiné essentiellement à un lectorat féminin, trois numéros par an) entre 2010 et 2014. Tsuruta y a commencé une nouvelle série en 2017, Le Repaire de Captain Momo (à paraitre en français, normalement fin 2023, chez Noeve Grafx). Cependant, une fois de plus, l’auteur est très lent (le rythme de parution du magazine n’aide pas, il faut dire) et le premier tome relié n’est sorti au Japon que fin 2022.

Car oui, le mangaka n’est pas très productif. Il faut dire qu’il est aussi un illustrateur de romans et qu’il réalise régulièrement des art books dont l’imposant Hydrogen (254 pages, 1997, Hakusensha) ou, comme déjà évoqué, Hita hita, un recueil d’images friponnes (40 pages, 2002, Hakusensha). Récemment, Tsuruta vient de sortir Tsubu-an (120 pages, 2022, Akita shoten), un nouvel art book revenant sur l’ensemble de sa carrière et comprenant notamment de nombreuses illustrations promotionnelles ou de commandes (pour des films ou des albums de musique, par exemple). S’il n’y a pas de nudité, les filles y sont souvent présentées de façon sexy, voire avec un peu de voyeurisme de la part de l’auteur.

La Pomme prisonnière est donc un manga particulier, « un peu spécial » comme le dit lui-même l’auteur. Pour commencer, il est impossible de présenter l’histoire car il n’y en a pas. En vingt-deux chapitres, représentant seize saynètes sans lien les unes avec les autres (certaines sont très courtes car ne comptant que trois pages), nous suivons les rêves, les cauchemars ou les agissements de Mariel, la détective privée du manga Forget-me-not. Le point commun à tous ces petits récits ? Le chat Oni. N’oublions pas les nombreuses apparitions de félidés en plus d’Oni avec, notamment, M. J, Hana et Chee. Il y aurait pu avoir un autre point commun avec la nudité de notre héroïne. Cependant, il arrive parfois que Mariel reste habillée. Venise aurait pu être un troisième fil rouge, mais la plupart des chapitres se passent dans des ruines à demi immergées qui pourraient se trouver n’importe où en Méditerranée. Quoi qu’il en soit, les chats sont représentés de manière réaliste, leur comportement est incontestablement crédible. Nous pouvons donc prendre La Pomme prisonnière avant tout pour une déclaration d’amour envers la gent féline, mais avec une contrainte : faire un manga avec des filles nues, dans la lignée de Hita hita, cet art book où Tsuruta s’en était donné à cœur joie.

En effet, comme nous l’apprend la postface, c’est une demande du rédacteur en chef (qui avait déjà travaillé avec l’auteur) du magazine pour jeunes femmes Rakuen Le Paradis qui a permis la création de cet OMNI. Néanmoins, l’existence d’une telle œuvre dans la bibliographie du mangaka n’est pas réellement surprenante. Les chats sont présents dans de précédents titres, tels que Forget-me-not (forcément) ou L’île errante. Et plus les années passent, plus les héroïnes de Tsuruta sont sexy et déshabillées, de Mariel que l’on voit de plus en plus découverte au fil des pages à Emanon qui n’est pas toujours très vêtue (surtout dans Errances d’Emanon). Sachant que l’auteur avoue dans ses petits commentaires qu’il aime dessiner des filles nues, il est tout à fait logique que ces différents centres d’intérêt se retrouvent ici… sans oublier le milieu marin que l’on retrouve dans une grande partie de ses mangas.

Dans le cas de Hita hita et, par extension, de La Pomme prisonnière, sommes-nous en présence d’un hommage rendu à un certain courant artistique européen, le nu ? Ou s’agit-il tout simplement de voyeurisme avec ce « male gaze » si important dans l’idéologie woke ? En effet, nous pourrions bien être en face d’une sexualisation exacerbée de la femme asiatique dans un univers occidental, un lointain avatar de l’orientalisme du XXe siècle. Après tout, Mariel est japonaise et l’histoire (si on peut dire) se passe à Venise. D’ailleurs, La Pomme prisonnière est-elle une œuvre compatible avec l’évolution récente des mentalités (et des débats que cela provoque) en ce qui concerne la représentation des femmes dans l’art ? Toutefois, toutes ces questions ne relèveraient-elles pas d’un certain ethnocentrisme ou plutôt d’un culturocentrisme qu’il faudrait apprendre à dépasser ? En effet, nous parlons là d’une œuvre réalisée avec un « esprit d’avant-garde » et créée pour un public de niche, japonais, sans visée exportatrice.

Évacuons de suite l’hypothèse d’un éventuel hommage à l’art du nu. Rappelons que ce dernier, du moins en Europe, est très ancien. Dans l’Antiquité, il s’agissait d’ailleurs plus de nus masculins qui exaltaient les vertus viriles des hommes sans la moindre sexualisation des corps. Petit à petit, ce genre artistique a évolué vers une mise en scène de femmes. Il y a plusieurs raisons à cela, certaines pouvant être amusantes. Notons que le dénudement partiel des corps, surtout féminins, était plutôt transgressif en Europe au XIXe et durant la première moitié du XXe siècle, ce qui permettait aussi de faire parler de soi. Il n’en est pas de même au Japon où l’ukiyo-e est un art pictural qui remonte au début de l’époque d’Edo. À partir du milieu du XVIIe siècle, de nombreuses estampes popularisent l’ukiyo-e, accompagnant ainsi le développement de l’industrie du livre de divertissement. Pour un certain nombre d’entre elles, il s’agit de montrer des courtisanes dans leur vie de tous les jours. Forcément, ces femmes ne sont pas toujours habillées, notamment lorsqu’elles vont au bain. S’il y a une référence au passé dans Hita hita et dans La Pomme prisonnière, c’est plutôt là qu’il faut chercher, et peut-être aussi dans l’art contemporain japonais.

De notre point de vue occidental et actuel, Tsuruta porte-t-il sur Mariel et ses filles de papier un regard masculin réifiant le corps féminin en en faisant un objet de désir ? C’est certain, du moins selon certains points de vue. Nous pouvons aussi penser que nous sommes plus dans une représentation onirique, référencée et humoristique de la nudité plutôt que dans un certain érotisme. D’ailleurs, dans La Pomme prisonnière, il s’agit plus de vivre nue quand cela est possible. Vivant seule à Venise ou dans une ruine à demi immergée à l’écart de toute habitation, Mariel est plutôt dans une position de nudiste, mais plutôt dans la sphère privée. Dans un chapitre, lorsque le brouillard (un phénomène habituel à Venise) se lève, elle et la fille à lunettes doivent cesser de danser nues sur la rive et elles se cachent pour ne pas être vues d’un promeneur solitaire. Toutefois, rappelons que la pudeur n’est pas tout-à-fait la même au Japon qu’en Occident. D’ailleurs, il y a un côté assez transgressif de la part du mangaka lorsqu’il montre la pilosité pubienne et axillaire. Les filles de Tsuruta ne sont pas épilées, elles sont naturelles. Nous pourrions même considérer que l’auteur promeut, notamment avec Mariel, une image de la femme libérée, ayant le contrôle de son corps.

Toutefois, nous pouvons nous demander si tout ceci ne serait qu’une intellectualisation excessive destinée à cacher le fait qu’il s’agit uniquement de se faire plaisir en dessinant / regardant des corps féminins, et qu’il n’y a rien de plus. Après tout, Tsuruta l’a bien dit à propos de Hita hita : « […] des filles nues et c’est tout. » Donc… place aux images !

Contrition – L’Amérique malade

Dans le Sud de la Floride, près d’un lac, un petit bled rural en plein déclin… Nahokee a une particularité : elle abrite une étrange communauté située à l’écart des autres habitants, regroupée dans un hameau appelé « Contrition Village ». Il s’agit essentiellement de personnes jugées coupables de crimes sexuels, généralement liés à la pédopornographie. Condamnés pour le reste de leur vie, ils ont interdiction d’habiter à moins de 1 000 pieds (300 m.) de tout lieu où des enfants peuvent se trouver : il leur est donc impossible de « vivre en ville ».

Christian Nowak est l’un d’eux. Il a purgé sa peine de prison mais n’a nul autre lieu où aller. Il agissait sur Internet en se faisant passer pour une gameuse championne d’un jeu vidéo à succès. Il obtenait ainsi des photos plus ou moins dénudées de ses victimes, de jeunes garçons pouvant être un peu paumés. Un soir, saoul, il meurt dans l’incendie de sa maison, incendie qu’il semble avoir involontairement provoqué. Mais s’agit-il vraiment d’un accident ? Marcia Harris ne le croit pas et elle a raison, cela se confirme rapidement. C’est alors le début d’une enquête rendue difficile par l’absence de mobile, d’indices et par le manque de compréhension de ses proches et de son entourage professionnel pour ce qui est devenu, pour elle, une obsession. Cela pourrait même amener notre journaliste à mettre en péril son couple et son avenir dans une petite ville où il n’est pas bon d’aller à l’encontre des décisions des édiles.

Basée sur des faits réels, Carlos Portela, le scénariste, imagine une enquête située dans le monde des pédocriminels ayant achevés leurs années de prison. Nahokee ressemble beaucoup à la ville de Pahokee en Floride. D’ailleurs, on y trouve le Miracle Village, devenu le Contrition Village dans la bande dessinée. Il y a réellement eu une artiste qui a fait un livre de photographies sur ces criminels sexuels, comprenant que pour eux, leur période de privation de liberté ne se finira jamais, étant fichés publiquement. Ainsi mis définitivement au ban de la société américaine, nulle possibilité de rédemption, nul avenir ne leur est proposé.

Mais un pédophile est-il amendable ? Peut-il s’empêcher de recommencer ? Les avis divergent et n’allez pas penser que Portela prend une position claire sur la question, même si on peut imaginer la réponse au fil des pages. Il livre avant tout un roman graphique policier efficace, une sorte de thriller, bien que les deux premiers chapitres soient un peu longuets, la mise en place de l’histoire manquant un peu de rythme. Par contre, les quatre chapitres suivants sont magistraux avec une alternance de points de vue, des changements d’unités de temps et de lieux maîtrisés, ne perdant jamais lectrices et lecteurs, et apportant par petites touches les réponses aux différents points soulevés au début du récit. On appréciera aussi que les personnages qui font avancer l’intrigue soient des femmes et que l’importance de la communauté afro-américaine de Pahokee ne soit pas gommée.

Le dessin très sombre de Keko retranscrit parfaitement l’atmosphère du récit, même si sa façon de dessiner les décors, manifestement d’après photo, rend souvent ses cases moyennement lisibles, les personnages se détachant mal de l’arrière-plan. L’Amérique rurale des états du Sud est ainsi fidèlement reproduite tant on reconnait les paysages, les habitations, les véhicules de la Floride. Dommage que la technique du dessinateur pour le rendu des volumes et des matières repose sur des hachures réalisées de façon peu convaincante. À l’inverse, ses personnages sont parfaitement caractérisés et dessinés de manière plus sobre. Heureusement, les pages sont principalement réalisées avec des aplats de noir, ce qui sied aux thèmes abordés au fil des pages. Le découpage et le rythme de lecture sont tout à fait réussis, avec plusieurs planches muettes de toute beauté.

Toutefois, on pourrait regretter que les auteurs de Contrition ne prennent pas clairement le parti de dénoncer une législation aberrante typique de l’hypocrisie américaine. Les crimes et délits sexuels sont hystérisés par le puritanisme américain. Les peines peuvent être infligées de façon totalement hors de proportion dans certains cas. D’un autre côté, même si les deux problématiques sont différentes, les tueries de masse sont tolérées d’une manière totalement incompréhensible pour les Européens que nous sommes. Le système de fichage public et l’interdiction de se trouver à moins de 300 (ou 500 mètres voire plus) de tout lieu où peuvent se trouver un enfant est stupide dans l’optique de la réinsertion des individus condamnés ayant purgés leur peine et achevés leur période probatoire.

Si encore cela concernait uniquement les véritables pédocriminels, on pourrait le comprendre, mais comme des articles de presse nous le montraient dans les années 2010, ici ou , à propos de Miracle Village ou d’un équivalent, toutes les situations sont mélangées sans réel discernement. Surtout, cette vision des crimes sexuels alimente le mythe du prédateur sexuel agissant dans l’espace public alors que la plupart des crimes pédophiles se déroule au sein du cercle familial étendu ou dans des structures religieuses, sportives ou éducatives, ce qui est de plus en plus mis en évidence depuis quelques années notamment en Europe (mais il n’y a pas de raison que ça soit très différent aux USA).

Quoi qu’il en soit, le sujet est complexe et il a de tout temps évolué dans nos sociétés occidentales. Il est donc compréhensible que Portela et Keko aient préféré réaliser une excellente fiction basée sur le réel sans chercher à emprunter au domaine du documentaire. Ils ont bien raison et ils laissent ainsi le soin aux lectrices et aux lecteurs d’approfondir le sujet à leur guise. D’ailleurs, c’est un peu ce que fait le présent billet…

Je remercie Manuka pour sa relecture et ses corrections, et a-yin pour ce remarquable cadeau d’anniversaire qui apporte à nouveau la preuve qu’elle connaît parfaitement mes goûts en matière de bande dessinée.

Contrition de Carlos Portela (scénario) et Keko (dessin)
Traduction de l’espagnol par Alexandra Carrasco
168 pages, N&B
Parution : 22/03/2023
Denoël Graphic

Le fonds patrimonial des imprimés de la Cité, un petit reportage

L’archivage des nombreuses bandes dessinées et revues consacrées au 9e art est l’une des missions de la Cité Internationale de la Bande Dessinée et de l’Image (CIBDI). L’idée de mettre en place à Angoulême un fonds dédié à la BD s’est concrétisée il y a une quarantaine d’années avec le doublement (entre 1984 et 2015) du dépôt légal de la BnF, bien avant la création de la Cité. Cette dernière est ainsi l’héritière de la bibliothèque d’Angoulême, première récipiendaire de ce fonds du fait de sa proximité géographique avec le Salon International de la Bande Dessinée d’Angoulême (devenu en 1996 un festival). À l’occasion de la cinquantième édition du festival, nous (a-yin et moi) avons eu l’occasion de visiter ce fonds en compagnie d’un petit groupe de privilégié·e·s et de découvrir certaines vieilles pépites qui y sont entreposées.

Un peu d’histoire

Ces réserves sont installées dans les chais dits « Magelis » depuis 2008, une fois ceux-ci profondément remodelés pour recevoir le musée de la bande dessinée ainsi qu’un musée du cinéma (qui n’ouvrira finalement jamais). En effet, le lieu a une histoire qui prend ses racines durant la glorieuse période industrielle d’Angoulême et même au-delà.

Remontons à 1857 pour trouver l’origine de ces chais. C’est à cette époque que les onze corps de bâtiments, dont on voit toujours la façade ordonnancée le long de la Charente dans le quartier de Saint-Cybard, ont été construits afin de stocker de l’eau-de-vie (Cognac n’est pas loin). Ces chais ont été transformés par la société Lazare Weiller et Cie en 1908-1910 pour recueillir son usine métallurgique (alors située quelques dizaines de mètres plus loin) et une usine à feutre de papeterie (alors située à Nersac, à l’Ouest d’Angoulême) qui profite ainsi de la proximité des papeteries d’Angoulême. Un entrepôt industriel et des bureaux ont été construits vers 1930 avant que de nouveaux ateliers de fabrications soient ajoutés en 1945 puis en 1960. L’ensemble s’est transformé en friche industrielle après le transfert de l’usine COFPA (ex-Weiller) à Gond-Pontouvre (au Nord d’Angoulême) en 1995. Cette friche a subsisté jusqu’à la réhabilitation du site décidée en 2002 avec la mise en place de la « Cité Magelis ». Tous ces bâtiments ont dû être détruits, en gardant néanmoins les façades et quelques murs, afin de faire place à une nouvelle structure dédiée à la bande dessinée (le musée, ouvert en 2009 dans sa partie droite) et à l’image (l’ex-musée du cinéma des Studios Paradis). Cette partie n’a jamais été ouverte au public entre 2004 et 2022, à une exception près en 2017 à l’occasion d’une exposition temporaire. Depuis peu, les Studios Paradis sont définitivement fermés. Les décors ayant été démontés, le FIBD a pu en profiter en 2023 en y créant un nouvel espace jeunesse.

La Cité Internationale de la Bande Dessinée et de l’Image

La Cité, née en 2008 de la réunion du CNBDI (le Centre National de la Bande Dessinée et de l’Image, dont la création à Angoulême a été décidée en 1984) et de la Maison des auteurs, est organisée en plusieurs pôles sur trois sites (Vaisseau Mœbius, Maison des auteurs, Chais Magelis). Les trois principaux pôles sont le musée de la bande dessinée, la bibliothèque de la bande dessinée et la maison des auteurs, auxquels s’ajoutent des fonctions supports (administration, communication, action culturelle et centre de soutien technique multimédia). Depuis quelques années, le cinéma et la librairie sont directement rattachés à la direction générale, l’action culturelle / médiation, la bibliothèque, le centre de ressources documentaires et les fonds (lecture publique, centre de documentation, patrimoniaux) sont rattachés à la direction « lecture publique et transmissions », en attendant une nouvelle organisation qui ne manquera pas de se mettre en place dans un futur plus ou moins proche.

C’est au premier étage, au-dessus du musée et de la librairie, que se trouvent, entre autres, le centre de documentation avec ses bureaux sur un côté, et en son cœur, la réserve des albums et celle des périodiques (les deux dépendant donc du fonds « imprimés » de la bibliothèque) ainsi que les réserves des collections du musée (des planches et illustrations originales mais aussi divers objets en rapport avec la BD). Elles représentent une surface d’environ 600 m² (dont 190 pour les albums, 230 pour les périodiques et 180 m² pour les collections du musée). Elles étaient situées jusqu’en 2008 au premier étage du CNBDI, du côté de la bibliothèque (donc au bâtiment Castro, devenu en 2013, le Vaisseau Mœbius). Elles représentaient une surface de 355 m² (soit 100, 129 et 126 m²). D’ailleurs, le manque de place dans les nouvelles réserves ont conduit à en ré-ouvrir une ancienne (avec la réimplantation de certains types de documents) dans le Vaisseau Mœbius (la surproduction de bandes dessinées ne touche pas que les lectrices et lecteurs ou les libraires). Cette nouvelle/ancienne réserve sert aussi de lieu de stockage à un récent don exceptionnel.

Qu’est-ce que le fonds patrimonial des imprimés ?

En principe, est patrimonial tout livre qui est soit ancien (antérieur à 1830), soit rare (moins de cinq exemplaires sur le territoire national), soit précieux (plus de 50 000 €), un seul de ces trois critères suffit. Cependant, il est possible de « patrimonialiser » en dehors de ces trois caractéristiques. Rappelons qu’un ouvrage « patrimonialisé » est inaliénable et imprescriptible. Du coup, il n’a pas vocation à être prêté, ni à être aliéné ou détruit. Et des règles de conservation (température, hygrométrie, ventilation, stockage, sécurisation, recollage, etc.) s’imposent à son entreposage et à son prêt pour des expositions temporaires (pas plus de trois mois consécutifs suivi d’une longue mise au « frigo » afin de le préserver de la lumière). Un fonds patrimonial est donc constitué d’un site de conservation, d’une collection qui y est entreposée et d’un catalogue des pièces constituant ladite collection.

Pour simplifier, une bande dessinée (au sens large), mais aussi une revue en lien avec la BD peuvent entrer dans le domaine public mobilier et ainsi devenir un bien d’intérêt national à partir du moment où ledit l’objet a rejoint le fonds de la Cité. Pour cela, il n’est pas nécessaire d’être rare ou précieux, il suffit que l’ouvrage présente un « intérêt public du point de vue de l’histoire, de l’art, de l’archéologie, de la science ou de la technique ». Du coup, cela a permis d’inclure les livres et périodiques collectés au titre du dépôt légal et qui ont été envoyés à Angoulême par la BnF entre 1984 et 2015. Mais aussi ceux obtenus par différents dons (par exemple les fonds « Alain Saint-Ogan » ou « Pierre Couperie » mais il y a d’autres donations) ou à l’occasion de divers achats. Notons que la Cité n’est pas destinataire, pour les bandes dessinées, du dépôt légal imprimeur de la région Nouvelle Aquitaine (pour l’ex-région Poitou-Charentes, c’est la bibliothèque municipale de Poitiers qui est concernée), ce qui aurait été une source permettant d’alimenter le fonds de quelques nouveautés locales.

En fait, l’idée de mettre en place à Angoulême un fonds dédié à la BD s’est concrétisée il y a une quarantaine d’années avec la réception d’un des exemplaires du dépôt légal de la BnF, bien avant la création de la Cité. Cette dernière est ainsi l’héritière de la bibliothèque municipale d’Angoulême, première récipiendaire de ce fonds. Celui-ci a donc commencé à être constitué en 1984 et a été transféré à la bibliothèque du CNBDI en 1990. Un des exemplaires du dépôt légal a cessé d’être envoyé par la BnF en 2015, coupant alors la principale source d’alimentation du fonds. C’est en tout plus de 60 000 ouvrages qui ont été reçus par ce biais et qui sont archivés dans les rayonnages dédiés. Heureusement, la Cité avait et a toujours d’autres possibilités d’acquisition. Par exemple, en 2021, un don de plus 30 000 ouvrages est venu enrichir le fonds des imprimés : une collection privée qu’il faut désormais répertorier et dédoublonner avec l’existant, puis archiver et cataloguer, ce qui représente un travail considérable mais passionnant.

La visite du fonds des imprimés

Après avoir été reçus dans les bureaux du centre de documentation par Pauline Petesch, Lisa Portejoie et Maël Rannou, et après avoir eu une présentation des différentes missions de la division « lecture publique et transmissions » de la Cité, notamment celle de proposer un espace de consultation du fonds des imprimés aux chercheuses, chercheurs, et autres spécialistes de la BD, nous avons pu entrer dans le vif du sujet. Les réserves sont accessibles par de longs couloirs sans fenêtre agrémentés de figures bédéesques illustres en grand format, des formes imprimées récupérées, j’imagine, à l’issue de telle ou telle exposition organisée par le CNBDI puis par la Cité.

Il y a nombre époustouflant d’étagères montées sur rail (on appelle ça des rayonnages mobiles haute densité) sur lesquelles sont entreposées de grandes quantités de livres qui sont rangés par taille (petits, moyens ou grands formats) puis par ordre de catalogage, ce qui tranche avec les collections amateures qui vont privilégier un classement par série, auteur, éditeur, etc. En effet, il n’est pas possible d’avoir une telle approche pour un fonds car il est impossible de ré-agencer en permanence les BD ou d’essayer de garder différents espaces libres pour les futures parutions. Cela donne un effet très disparate mais l’efficacité prime ici sur l’esthétisme, d’autant plus que le lieu est fermé au public. Malgré leur solidité apparente, certaines étagères ploient légèrement sous la charge qui leur est imposée. Car oui, c’est lourd, la bande dessinée…

L’archivage des périodiques est différent de celui des livres, du fait de leur finesse et de leur fragilité. Les magazines, revues, journaux sont regroupés chronologiquement dans de larges chemises boites plastiques. Cela rend le fonds moins impressionnant car nous ne pouvons pas faire un parallèle avec nos propres collections de BD rangées dans nos bibliothèques personnelles. Pour avoir une meilleure vision du fonds des imprimés, dix-huit autres photos sont disponibles sur le mini-site Des Mangaversien·ne·s à Angoulême réalisé à l’occasion du reportage photographique sur l’édition 2023 du fameux festival de la bande dessinée angoumoisin.

Quelques trésors du fonds des imprimés

La visite se termine traditionnellement (il est possible de la faire lors des journées européennes du patrimoine) par la présentation de quelques pièces intéressantes que le fonds préserve et propose pour étude aux chercheuses et chercheurs dans le domaine de la bande dessinées.

Parmi les trésors du fonds des imprimés, outre une édition très ancienne des Aventures de M. Jabot de Töpffer (les premières impressions de l’imprimerie Caillet à Genève datent de 1833), nous avons pu voir le numéro 1 du Journal de Mickey (le vrai, pas le facsimilé que j’ai pu avoir avec différentes éditions commémoratives) mais aussi le mythique numéro 296 imprimé mais jamais distribué du fait de l’arrivée de l’armée allemande à Paris quelques jours avant le 16 juin 1940 (date de sortie prévue du fameux illustré).

Il y avait aussi une reliure éditeur de plusieurs numéros du magazine d’arts martiaux Budo Magazine Europe contenant un des premiers mangas en français connu (avant la revue Le Cri qui tue, donc) : « La dramatique histoire budo du samouraï Shinsaburo » de Hiroshi Hirata (non crédité), un récit publié en octobre 1969 (une autre histoire du mangaka a été publiée un peu avant dans le numéro de mai 1969 de la revue Judo KDK du même éditeur). Le fonds des imprimés possède aussi une curiosité : une sorte de recueil / catalogue promotionnel d’histoires traduites en français d’Osamu Tezuka réalisé en 1984. Il faudrait étudier les raisons de son existence, mais je suis persuadé qu’il a été réalisé par Atoss Takemoto car il était au festival d’Angoulême en 1984 pour essayer de « fourguer » du manga aux éditeurs francophones, après l’arrêt du Cri qui tue. En effet, s’il jouait avec son orchestre des génériques d’animés pendant le festival, il essayait aussi cette année-là de devenir l’agent d’auteurs comme Tatsumi ou Tezuka. Il est difficile de poser la question aux personnes concernées, malheureusement…

Nous avons aussi pu voir le prototype du premier numéro de Métal Hurlant, maquetté en 1974 par Étienne Robial (qui a aussi conçu l’identité visuelle de la Cité). Il s’agit d’un ozalid collé sur les pages d’un numéro de Charlie Mensuel (le n° 71 de décembre 1974). Ce montage permettait de se faire une idée précise de la maquette de ce numéro 1 (sorti en janvier 1975) avant de donner le bon à tirer à l’imprimeur.

Le fonds possède aussi de nombreuses bandes dessinées étrangères, ce qui permet de comparer des éditions selon les pays. C’est ainsi que des différences de format et même de contenu peuvent apparaitre, comme nous le montre une rapide comparaison entre les éditions canadienne (celle en langue anglaise), belge et allemande des Aventures : Planches à la première personne de Jimmy Beaulieu. Il est aussi montré la richesse du fonds en bandes dessinées asiatiques, que ce soient des titres en français reçus du dépôt légal ou des dons, notamment des délégations coréennes, hongkongaises ou taïwanaises, régulièrement présentes au festival d’Angoulême.

Il ne nous restera plus qu’à essayer de visiter les réserves du musée de la bande dessinée à l’occasion d’une prochaine édition du FIBD pour compléter le présent texte par un nouveau billet. Ce serait surtout l’occasion de pouvoir admirer de nombreuses planches originales, nous qui faisons régulièrement des expo-ventes dans les différentes galeries parisiennes spécialisées. N’oubliez pas, pour compléter cet article, d’aller lire le reportage réalisé par Damien Canteau pour le site Comixtrip.

Je remercie Pauline Petesch, Lisa Portejoie et Maël Rannou pour leur invitation, la qualité de leurs explications et leur amabilité. Elles et lui nous ont permis de passer un moment privilégié au « saint des saints » des chais Magelis. Je remercie à nouveau Maël Rannou pour ses corrections et précisions ainsi que Manuka pour sa relecture et ses corrrections. Les photos sont © 2010-2023 Hervé Brient / Éditions H sauf, bien entendu, les deux premières représentant les usines Weiller puis COFPA.

Angoulême, 20 années de festival

Alors que le Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême n’a pas fêté en grande pompe sa cinquantième édition, préférant se tourner vers la jeunesse et l’avenir (heureusement que l’Association du Festival et que PLG ont su faire le boulot), j’ai réalisé que, de mon côté, j’en avais suivi une vingtaine et que ça méritait bien un petit coup d’œil dans le rétroviseur. Néanmoins, me méfiant de ma mémoire et de la propension de nos cerveaux à enjoliver les souvenirs, j’ai voulu classer ces vingt éditions selon onze critères plus ou moins subjectifs, mais appliqués de la même manière à chaque fois. J’avoue avoir été un peu surpris par certains résultats. Pour en terminer avec cette édition 2023, voici donc un petit retour en arrière sur le festival, à partir de ce classement. Bien entendu, je vais en profiter pour ressortir du disque dur quelques-unes de mes photos de la manifestation angoumoisine…

Sans surprise, l’édition 2019 est ma préférée. L’exposition « Batman 80 ans » risque de rester durant de nombreuses années comme la meilleure jamais vue à Angoulême entre scénographie immersive, qualité de cartels très instructifs et nombre d’originaux exposés, sans oublier la présence d’une batmobile devant l’Alpha. Rajoutons à cela l’excellente exposition consacrée à Tayou Matsumoto (dit « le bon »), la venue du mangaka, des dédicaces obtenues, du nombre de jours passé sur place avec tels ou telles Mangaversien·ne·s (ce sont des critères de notation), et globalement de la qualité du programme proposé, nous avons 2019 largement devant toutes les autres années (le graphique a une échelle logarithmique afin de lisser les écarts). Quatre autres éditions sont à classer parmi les excellentes : 2007, 2010, 2011 et 2020. D’ailleurs, elles se tiennent toutes les quatre dans un mouchoir de poche.

Celle de 2007 est particulière car l’ensemble des éditeurs avaient été regroupés à Montauzier, même si le Champ de Mars n’était plus un grand trou (enneigé). Une des raisons de sa bonne note est que je commençais à prendre mes marques en tant que festivalier accrédité, ce qui m’a permis de (nettement) plus l’apprécier que celle de l’année précédente. À cela, il faut aussi se rappeler qu’il y avait à nouveau un véritable espace dédié au manga avec un programme bien organisé, riche en rencontres, en tables rondes et en conférences (un critère important à mes yeux). Je dois l’avouer, les éditions 2010 et 2011 doivent en grande partie leur classement à des Mangaversiennes présentes ces années-là. Néanmoins, beanie_xz et Taliesin ne peuvent à elles seules propulser aussi haut dans mon classement telle ou telle édition. Si 2010 a vu la dernière année du Manga Building et la fin de l’excellent travail effectué par ses deux responsables, Nathalie Bougon et Julien Bastide, la nouvelle version de l’espace Manga, gérée par Erwan Le Verger n’est pas inintéressante, du moins en 2011. Certes, l’évolution a fait un peu mal à l’époque, mais les années suivantes furent pires du point de vue des fans de BD asiatique. Comme le reste de la programmation est intéressant aussi bien en 2010 qu’en 2011 et que le plaisir de longuement bavarder avec José Roosevelt sur son stand (avant que le festival le rejette) lors d’une séance de dédicaces, tous ces éléments font que ce sont deux excellentes éditions.

Ensuite, viennent deux éditions dont une sur laquelle je n’aurai pas misé un centime sur sa sixième position : il s’agit de celle de cette année. Il faut reconnaître qu’elle était plutôt réussie malgré les reproches que j’ai pu lui faire. Son bon classement provient en grande partie du nombre et de la qualité générale de ses expositions. D’ailleurs, ça a été ma principale activité durant ce court passage (deux jours et demi). Outre 2023, il y a aussi l’année 2015 que je classe en « très bonne édition ». Les expositions consacrées à Bill Watterson, celle consacrée à Jack Kirby et à l’originale « The Kinky & Cosy Experience » y sont pour beaucoup. On est fan ou on ne l’est pas, après tout. Il y avait aussi une belle présence de la bande dessinée chinoise cette année-là. Néanmoins, malgré notre présence durant quatre jours et demi et les nombreuses activités que nous avons pu faire, l’absence d’un véritable espace manga avec sa propre programmation et une exposition Taniguchi totalement ratée ont plombé le classement de l’année 2015.

Les six éditions suivantes sont de bonne années mais sans plus. Elles représentent en quelque sorte l’intérêt général de la manifestation et ce que j’attends a minima du festival (et donc que j’en espère plus). 2008 et 2018 en son deux bons exemples, à des périodes différentes. Elles finissent avec le même score, même si ce n’est pas pour les mêmes raisons. 2008 est marquée par l’arrivée du Manga Builing, de son programme intéressant et de son excellente exposition consacrée aux CLAMP. 2018 voit l’édition des premiers catalogues de 9e Art+. En effet, son directeur artistique, Stéphane Beaujean, tenait à laisser une trace des expositions montées par le festival lorsque cela est possible. Une tradition qui se poursuit depuis, pour mon plus grand plaisir (j’en ai une douzaine). Suivent ensuite un peu plus loin les éditions 2022, 2016, 2017, 2013 et 2009, toutes séparées par un demi-point entre elles. Année de reprise post-pandémie, deux années de transition, année plombée par l’absence d’un espace manga digne de ce nom, année trop centrée sur le Manga Building peuvent expliquer ces classements moyens. En fin de compte, elles ne sont pas plus marquantes que cela malgré leurs quelques points forts (les expositions consacrées à Andréas ou à Mickey et Donald en 2013 par exemple) .

Il faut écarter du classement les années 2004 et 2005 où je suis venu en simple festivalier avec un billet pour une journée. Bien entendu, il faut aussi écarter l’année 2021qui n’a existé qu’en distanciel (en plus, la retransmission en direct sur Internet de la cérémonie de remise des prix n’a pas bien fonctionné, c’est le moins que l’on puisse dire). Il reste donc trois éditions en bas de mon classement. 2012 a un mauvais score à cause d’un espace Mangasie totalement dénué d’intérêt et d’un programme général assez moyen. De plus, mes conditions de logement n’ont pas eu la qualité habituelle (mais au moins, j’ai pu découvrir Fables durant une nuit presque blanche passée sur un canapé). En fait, c’est surtout la dernière venue à Angoulême (sur une journée) de beanie_xz qui permet à cette année de devancer l’édition 2006. En effet, cette dernière ne bénéficie pas des points que rapportent un espace dédié à la bande dessinée asiatique ou un programme très intéressant. De plus, à cette époque, les expositions n’avaient pas l’ampleur qu’elles prendront par la suite.

2006 est pourtant une année marquante pour trois raisons : il s’agit de ma première édition s’étalant sur plusieurs jours en tant qu’accrédité et il est tombé tellement de neige le samedi que Sakumoyo et moi sommes rentrés dès le milieu d’après-midi, sans que je laisse le soin à ma jeune conductrice (elle venait juste d’avoir son permis) de nous ramener à l’hôtel sur Cognac. Enfin, en 2006, j’ai passé du temps avec Moonkey et Vanyda, à l’occasion de deux entretiens, activité que je n’ai plus jamais reproduit à Angoulême par la suite. Dans mes souvenirs, voilà donc une édition qui m’est chère malgré son mauvais classement.

L’année 2014 ferme la marche et c’est une édition où je ne me suis pas vraiment amusé. Un peu seul une partie des deux jours et demi passés sur place (ça, je déteste), mal logé (faire du camping dans une maison est une option que je subis, pas que je décide de gaité de cœur). Terminons par un programme me laissant peu de souvenirs à part la venue de Li Kunwu, l’exposition coréenne sur le sort des « femmes de réconfort » durant la Seconde guerre mondiale et plusieurs conférences intéressantes au Conservatoire, sans oublier la très réussie exposition consacrée à Mafalda. Cela fait beaucoup à l’arrivée ? Certes, mais on parle d’Angoulême, un festival d’une très grande qualité habituellement. Du coup, un Little Asia d’une nullité incroyable achève d’expliquer cette mauvaise impression et ce classement pitoyable (2014 est même derrière 2005 et sa journée et demi en tant que simple festivalier).

Voilà, il est temps de passer à autre chose que de faire des comptes rendus sur le Festival d’Angoulême, du moins jusqu’à la fin de l’année et la traditionnelle conférence de presse. Nous en saurons plus alors sur le programme de 2024, programme qui risque d’avoir du mal à se mettre en place avec une direction artistique décimée par les démissions, une mauvaise habitude prise en 2020 et qui se poursuit toujours.

Angoulême 50, impressions

La cinquantième édition du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême s’est achevée il y a peu. Après y avoir passé deux journées et demie, voici ce que j’en retiens, pour le meilleur et pour le mauvais car, oui, j’en ressors avec une impression mitigée. En premier lieu, la magie opère toujours et les heures passées sur place ont défilé extrêmement rapidement. Les expositions sont toujours aussi nombreuses et souvent magnifiques, même si certaines me semblent avoir été moins travaillées que d’habitude, notamment sur les cartels. À l’heure du bilan, et même si les points négatifs ne l’emportent pas sur les positifs comme je le craignais au début, l’impression finale classe la fameuse édition anniversaire plutôt en bas de mon panthéon personnel.

Les points positifs

J’ai pu aller au festival avec ma commère a-yin alors que celle-ci voulait boycotter la cinquantième à cause de l’affaire Vivès et de l’expo manga sur l’œuvre d’Ikegami, le virilisme incarné dans le manga. Mais l’appel des 6 voyages de Philippe Druillet et celui de L’Attaque des titans ont été les plus fort. Ouf ! D’ailleurs, alors que la délégation mangaversienne s’annonçait des plus limitées entre manque d’intérêt, travail chronophage, problème de logement, économies à réaliser pour avoir plus de budget pour de proches vacances à Hong-Kong, etc. je me suis vu jusqu’au dernier moment y aller seul avec parfois comme compère Tanuki (qui a un programme assez différent du mien).

La programmation des rencontres et tables rondes à Manga City semble avoir été de grande qualité. Les trois auxquelles j’ai assisté étaient vraiment réussies. J’adresse mes félicitations à Julien Bouvard et ses trois invités (Christophe de naBan, Benoit d’IMHO, et Vincent de Revival), ainsi qu’à Laure Gamaury et ses deux invité·e·s (Laura d’Akata et Timothée de Kana), sans oublier Rémi et son invitée Akane Torikai accompagnée de son interprète Bruno Pham (Akata). Les retours que j’ai pu avoir concernant la table ronde sur l’édition de manga (je n’ai pas pu y aller, étant occupé autre part) étaient bons ; et je n’ai aucun doute que la table ronde sur la traduction animée par le toujours excellent Julien Bouvard était aussi d’une grande qualité. Pour le reste, je n’en ai aucune idée mais ce serait étonnant que c’eut été mauvais.

Les expositions consacrées à Marguerite Abouet et à Julie Doucet étaient vraiment intéressantes et concernaient deux autrices dont je connais très mal le travail mais dont j’entends souvent parler en bien. Avec des scénographies habituelles pour les lieux concernés (l’Espace Jeunesse pour la première, l’Hôtel Saint-Simon pour la seconde), celles-ci étaient intéressantes, montraient bien le travail des deux femmes et le propos qu’elles portaient. Celle consacrée à Philippe Druillet était un peu courte avec assez peu de planches (forcément, vu leur taille) mais c’était impressionnant, surtout que je n’ai rien lu de l’auteur et que je le connais plus par les parodies de Gotlib que par ses propres bandes dessinées. La projection en musique de ses dessins sur les murs et le plafond de la chapelle du lycée Guez de Balzac était là aussi impressionnante quoique le cycle d’animation était un peu court.

Un peu en marge du festival, organisée uniquement à destination des professionnels, j’ai pu visiter avec a-yin et un groupe d’une dizaine de personnes dont deux membres de Pow Pow (l’éditeur québécois bien connu), le fonds patrimonial des imprimés de la CIBDI et voir comment sont archivées de nombreuses bandes dessinées et revues consacrées au 9e art hors du dépôt légal de la BnF. C’était intéressant : de belles pièces nous ont été montrées. Nous avons ainsi pu voir ce que l’on considère comme le premier manga jamais publié en français dans la revue d’arts martiaux Budo (« La dramatique histoire budo du samouraï Shinsaburo », une histoire courte d’Hiroshi Hirata), éditée de façon pirate (dans le sens où l’éditeur français a traduit l’histoire sans se soucier des droits). Alors, certes, c’est pour amatrices et amateurs de (plus ou moins) vieux papiers, mais j’ai été surpris par la présence de nombreux ouvrages en langues étrangères, dont des mangas, des manhua et des manhwa. Je prépare un reportage photographique sur cette visite.

Les petites déceptions

Ni positifs, ni réellement négatifs, les points suivants sont à classer dans les petites déceptions. Il y a la rencontre avec Geof Darrow, annulée car l’auteur s’est, peut-être à juste titre, vexé. Je pense que de petits soucis de communication et d’incompréhension en sont la cause. Sur le message Facebook qu’il a posté, il s’est plaint, notamment, que ni le déplacement ni le logement ne lui étaient payés par l’organisation, qu’il n’était pas sur le programme officiel (il était dans le « Heure par heure ») alors qu’il devait assurer une masterclass. En fait, j’imagine que dans l’esprit du festival, la prise en charge devait être du ressort de l’éditeur, ce qui est plus que discutable. Autre rencontre ratée, celle avec Fabrice Neaud car nous n’avions plus le temps d’aller au Théâtre (surtout que c’était dans le petit studio tout en haut) à la sortie de la visite du fonds des imprimés de la CIBDI. C’est de ma faute, et c’est ça le festival : des conflits d’emploi du temps. Pourtant, cette année, j’en ai eu très peu, des collisions d’activités, signe d’un programme ne m’intéressant que peu.

Les expositions Junji Itô, dans l’antre du délire et L’Attaque des Titans, de l’ombre à la lumière m’ont un peu déçu par leur manque d’explications, de mise en contexte et d’informations en général. Bref, ça manquait de cartels à mon goût. J’ai eu l’impression que tout le budget et les efforts étaient passés dans la déco et la scénographie (le résultat était réussi, il faut dire). Autant je peux le comprendre pour une question d’ambiance, et la volonté de Junji Itô qui a eu l’occasion d’expliquer que son œuvre parle pour lui et qu’il veut qu’on la découvre à travers son travail, autant je trouve qu’il était possible d’en faire un peu plus pour le manga d’Hajime Isayama, surtout que nous avons eu la chance d’avoir une visite commentée par Fausto, le commissaire, qui nous disait des choses très intéressantes. Du coup, elle se visitait assez rapidement, une grosse demi-heure suffisant pour faire les quatre salles thématiques. Par contre, la musique d’ambiance (originale) était une réussite totale. Quoi qu’il en soit, c’était superbe, même si ça n’arrivait pas au niveau de l’exposition Batman 80 ans, proposée en 2019 et qui avait réussi à être plus belle, plus impressionnante que celle sur L’Attaque des Titans, sans oublier d’être très didactique et avec de nombreux originaux. Mais on nous l’a tellement « vendue », cette exposition titanesque qu’il était facile d’être déçu lorsqu’on est un grincheux comme moi.

Je n’en attendais pas grand-chose et heureusement : l’exposition de la Cité Rock ! Pop ! Wizz ! Quand la BD monte le son était plus que moyenne. Il n’y avait pas réellement de logique aux accrochages, les explications étaient pauvres et les commissaires ne semblaient pas savoir que le manga Nana existe. En plus, le catalogue est moche, incomplet, mais au moins, il n’est pas cher. Celle-là, par contre, j’en attendais plus : je parle de l’exposition Couleurs ! qui manquait franchement de contenu et faisait trop la part belle aux auteurs complets plutôt qu’aux coloristes, un comble. Je m’attendais à une approche historique, sociologique puis technique, il n’en était rien. Les planches proposées ne semblaient pas avoir de liens entre elles. Et comment peut-on oser ignorer à ce point Évelyne Tran-Lê (on la voyait témoigner dans la sempiternelle projection d’extraits du documentaire L’Histoire de la page 52 mais on ne voyait pas son travail in situ)… Reste que de nombreuses planches étaient bien jolies.

Je trouve dommage que le festival n’ait pas mis en avant l’aspect anniversaire de la cinquantième édition. Il y avait bien une petite exposition, 50 ans, 50 regards, située à Franquin mais elle était assez anecdotique, même si quelques illustrations étaient bien jolies et certaines étaient même amusantes. Cela fait peu, et il fallait plutôt compter sur l’exposition du Musée de la BD, 50 ans, 50 œuvres, 50 albums, et les photos géantes que l’on pouvait voir rue Hergé grâce à l’Association du FIBD (sans oublier les 50 affiches dans leur boutique éphémère) pour se faire une séquence nostalgie. Je sais bien qu’il faut être tourné vers le futur et pas vers le passé, mais quand-même…

Le négatif

Cette année, il n’y avait pas les conférences du Conservatoires, alors qu’il s’agit de l’activité que nous préférons après les visites d’expositions et les rencontres avec des autrices et auteurs. Non seulement, j’aime bien en proposer sur le manga (même si c’est beaucoup de travail et un peu stressant) au public angoumoisin, mais surtout j’apprécie celles données par des conférenciers de talent comme Xavier Lancel, Alex Nikolavitch, Paul Gravett ou Bernard Joubert. L’érudition et l’aisance de ces spécialistes font que nous passons à chaque fois d’excellents moments. Pourquoi les avoir supprimées du programme (alors qu’elles étaient annoncées dans de dossier de presse) ? Je sais bien qu’il faut faire « grand public », numérique, jeunesse et manga, mais la fréquentation de ces conférences pointues a toujours été bonne et elles faisaient salle comble (une cinquantaine de personnes, donc) la plupart du temps, aussi bien les vendredis que les samedis, même entre midi et 14h00.

Manga City avait rétrécit au profit d’Alligator 57. Du coup, l’espace Conférences était plus petit que les deux années précédentes et surtout très bruyant étant situé avec les stands. Surtout, malgré l’absence d’éditeurs tels que Ki-oon et Taïfu/Ototo, il y avait peu de place pour circuler, notamment quand il y avait des files d’attente pour les dédicaces. Voilà qui était très gênant pour un éditeur comme naBan qui se retrouvait régulièrement invisibilisé et inaccessible. Dommage, car la bulle était joliment conçue et décorée. C’était d’autant plus problématique que la fréquentation du lieu a été très importante tout au long du festival, la palme revenant au samedi avec une file d’attente extérieure de plusieurs dizaines de mètres. Car malgré Alligator 57 en passage obligé, les festivaliers venaient pour les mangas, pas pour bouffer des trucs nuls hors de prix ou regarder évoluer des skateurs sur de la musique techno. D’ailleurs, ce nouvel espace était ridicule et hors sujet. J’espère que ce n’était qu’une installation provisoire.

Cela va passer inaperçu du fait de la fréquentation record et des ventes qui vont avec mais il y a eu des ratés dans la programmation : du fait d’erreurs d’horaire dans la version imprimée du « Heure par heure », de chevauchement de programmes, plusieurs rencontres ont été annulées, ou ont commencé en retard, ou se sont déroulées devant un très maigre public. Rien qu’à mon niveau, j’en ai eu l’écho de trois mais je sais qu’il y en a eu d’autres. Une festivalière pro m’a fait part de son désappointement de s’être rendue à une rencontre (et d’avoir interrompu une discussion avec des auteurs sur un stand pour cela) pour se retrouver dans une salle pratiquement vide et une animation annulée après plus d’une demi-heure de flottement où on annonçait simplement un retard, tout simplement parce que le « Heure par heure » était erroné. Et ce n’était pas la première fois que ça se produisait, lui a-t-on dit. C’est un peu ce qu’a connu Derf Backderf dont la rencontre avait été mal annoncée (une erreur de lieu) et qui s’est déroulée devant pratiquement personne. Son interprète s’en est excusé le lendemain lors de la rencontre sur la musique punk / rock et la BD. À propos de cette dernière, pauvre Derf Backderf qui a attendu plus d’un quart d’heure (on sentait qu’il s’impatientait) que JC Menu arrive après une dédicace qui avait débordé (et oui, il faut du temps pour descendre du Plateau). Encore plus fort, la rencontre croisée entre Akane Torikai et Maybelline Skvortzoff a été annulée parce que cette dernière était à une quarantaine de kilomètres de là, à Cognac, au moment de commencer la discussion autour des relations hommes-femmes.

Dernier loupé, la gestion des catalogues d’exposition : il n’y en avait que deux qui concernaient les expositions du musée d’Angoulême. Pourquoi si peu ? Surtout, ils ont étés rapidement indisponibles à la boutique du musée, dès le samedi midi. Celui consacré à Druillet, tiré seulement à 1 000 exemplaires (pour 1 500 pour celui consacré à Ikegami, c’est du gros n’imp’) était donc introuvable dans les bulles. Sans Rémi nous informant dimanche matin qu’il en restait un peu à la boutique de Manga City, je n’aurai pas pu en acquérir alors que j’y tenais particulièrement. Pourtant, ils n’étaient pas épuisés comme cela avait été le cas pour le Corben en son temps vu qu’il est désormais vendu sur la boutique en ligne du festival depuis ce lundi matin. Je ne sais pas si c’était la faute de Glénat qui tenait la boutique du musée ou celle de l’éditeur-distributeur 9e Art+, mais organisez-vous, bon sang !

Un point particulier

Il me reste à terminer sur l’exposition Ryōichi Ikegami, à corps perdus. Pour moi, elle n’avait rien à faire au musée d’Angoulême, étant donné le caractère « second couteau » du mangaka, un tâcheron comme il y en a tant au Japon mais pourtant adulé par quelques fans des mangas de genre, ceux avec des yakuzas ou avec de l’action à la façon des films de Hong-Kong des années 1980-1990. Certes, Ikegami a eu en francophonie son petit succès avec Crying Freeman et Sanctuary (mais à une époque où il y avait beaucoup moins de sorties), et il est toujours publié au Japon et en France malgré son âge avancé. Dans mon esprit, Fausto, le responsable de la programmation Asie s’est fait plaisir en bon fan-boy et a profité d’une occasion d’avoir l’auteur à Angoulême avec une exposition en sus. Cependant, ça n’a pas grand-chose de patrimonial, ce qui semble pourtant devenir le thème principal des expositions du musée. Il y a tellement d’auteurs et surtout d’autrices qui méritent plus qu’Ikegami d’être exposé·e·s à Angoulême, à commencer par Moto Hagio qui est déjà venue en France à trois reprises (Salon du livre de Paris, BPI, Japan Expo). Qu’on ne vienne pas me dire qu’elle est inaccessible comme l’est Rumiko Takahashi. En plus, le travail de Moto Hagio va être de plus en plus disponible en français dans les mois qui viennent.

Néanmoins, connaissant XaV, un des deux co-commissaires, je n’étais pas inquiet pour la partie contenu, et j’ai eu raison (même si j’ai eu l’impression que les cartels étaient moins développés que pour les expositions précédentes du musée angoumoisin). Pour moi, la scénographie montre bien les limites d’Ikegami qui était incapable de concevoir lui-même une histoire à ses débuts (il a donc rapidement travaillé avec des scénaristes). De ce fait, elle met bien en valeur ses co-créateurs et développe un aspect plus méconnu de la création du manga, plus collégial. J’ai aussi pu voir à quel point l’auteur faisait du sous-Chiba puis du sous-Hojo avant de trouver un style personnel, réaliste et reconnaissable (ce qui explique à mon sens son succès en francophonie au mitant des années 1990). Alors, oui, c’est plutôt beau, notamment le long du couloir final (mais ça manquait de fesses d’hommes a fait remarquer a-yin et c’est bien vrai), cependant c’est un peu sans intérêt à mes yeux. Toutefois, j’ai pu constater que le public appréciait l’exposition à entendre des réflexions autour de moi. J’ai pu aussi voir qu’il y avait du monde pour les dédicaces, et que sa masterclass avait fini par afficher complet. Il y avait manifestement des fans de l’auteur à Angoulême.

Le butin d’Angoulême

Finalement, je suis rentré avec pas mal d’achats, deux livres étant même dédicacés, Le 50e de Philippe Tomblaine (PLG, 2023) qui retrace les cinquante éditions du festival d’Angoulême. Agréable à lire, factuel, bien illustré, l’ouvrage permet de se rendre compte que les polémiques existaient déjà dès les premières éditions. Mon autre dédicace est de JC Menu sur Croquettes (Fluide Glacial, 2016). Cela m’amuse d’avoir un titre dédicacé de l’auteur (au talent certain, comme j’ai pu le voir dans l’exposition qui lui avait été consacré au festival il y a quelques temps) qui a tant craché sur les BD commerciales avant d’être publié par un éditeur « grand public » (Bamboo se trouve derrière Fluide Glacial). Je voulais le catalogue Druillet, je l’ai eu, et j’ai pris celui sur Ikigami, car je suis complétiste et que je sais que les textes et les reproductions seront de qualité. Je vais aussi avoir de la lecture en manga d’horreur / épouvante (merci à Benoit pour le Service de Presse, essaye de t’en souvenir et de ne pas me l’envoyer en double, haha !) alors que je ne suis absolument pas fan du genre. Mais Moroboshi, quoi ! No Offense est un catalogue d’une exposition fictive satirique envers le mouvement ayant entrainé l’annulation de celle consacrée à Bastien Vivès. Elle se base sur des feuilles blanches, une façon de dénoncer la censure apparue en Russie puis qui s’est développée en Chine. C’était gratuit, je n’allais pas refuser… Le Journal de Mickey était gratuit, lui aussi, je l’ai pris sur le stand du fameux magazine, magazine dont on a pu voir un exemplaire extrêmement rarissime au fonds patrimonial des imprimés. Un passage à la librairie de la Cité m’a permis d’acheter le petit livre des débuts de Fabcaro, celui que j’appréciais, pas comme celui qui a du succès depuis Zaï Zaï Zaï Zaï et qui ne fait que se répéter…

Enfin, je remercie 9e Art+, l’Agence La Bande, l’Association du FIBD, la Cité Internationale de la Bande Dessinée et de l’Image pour tout leur travail et la possibilité de me permettre de profiter du festival dans des conditions privilégiées. Je remercie aussi Manuka pour sa relecture. Je donne rendez-vous à tout le monde à janvier 2024, pour la cinquante-et-unième édition (soyons optimiste) !

FIBD 50 le butin

Blutch : Rêveries et souvenirs

Grâce aux éditions 2024, Blutch nous reviens avec une création originale huit années après sa dernière bande dessinée personnelle, Lune l’envers (Dargaud, 214). En effet, Mais où est Kiki ? Une aventure de Tif et Tondu (Dupuis, 2020) était une reprise, avec Robber (son frère étant au scénario), d’un des plus célèbres duos de la BD francophone. Voilà donc une bonne occasion de redécouvrir un auteur plutôt atypique.

Rêveries

Dans La Mer à boire, nous faisons la connaissance de B qui, après un long voyage en train, doit retrouver A dans la ville de Bruxelles, célébrée pour son lac et ses belles plages, ses montagnes aux alentours, sans oublier son casino. En chemin, B retrouve son ancien mentor, ignore ses conseils avisés et le quitte en l’abattant d’un coup de pistolet. Cherchant à rejoindre son point de rendez-vous, B se fait ensuite capturer par une tribu de Peaux-rouges à la couleur plutôt bleue, bien décidés à faire passer une épreuve à notre aventurier. De son côté, A, une jeune fille à l’apparence très garçonne, termine son voyage en taxi, qu’elle partage avec trois autres personnes dont elle ne veut pas entendre des conseils sur ses affaires de cœurs. Arrivée à l’hôtel Métropole, la voilà partie à la recherche de B, en utilisant une corde funambule tendue à partir de sa chambre…

Blutch (dont le nom d’artiste provient de la série Les Tuniques bleues) est un des représentants les plus en vue de la « nouvelle BD », notamment depuis qu’il a reçu le Grand prix du festival d’Angoulême en 2009. Auteur prolifique à ses débuts (pendant sa période Fluide Glacial et Cornélius) se faisant plus rare ces dernières années (rappelons que sa carrière a débuté au début des années 1990), il n’a créé que quatre bandes dessinées depuis sa consécration angoumoisine. Par contre, il est pratiquement de tous les hommages collectifs aux séries franco-belge emblématiques, en grand amateur et connaisseur du genre. Lecteur il était dans sa jeunesse, lecteur il est resté. Son ouvrage Variations (Dargaud, 2017) en est le meilleur exemple où il propose sa version de trente planches issues de ses lectures de bédéphile. Délaissant les grands éditeurs (Dargaud, Dupuis, Casterman, Futuropolis/Gallimard), Blutch nous revient ici avec une création publiée par le plus-si-petit éditeur strasbourgeois 2024. Un retour aux sources en quelque sorte pour ce diplômé de la remarquable école supérieure des Arts Décoratifs de Strasbourg (devenue depuis la Haute école des arts du Rhin).

Avec La Mer à boire, Blutch nous propose une œuvre onirique sur le désir. En effet, il s’agit ici de la mise en forme d’un rêve qu’aurait pu faire l’auteur. Il se met en scène sous l’apparence d’un cow-boy un peu âgé et dégarni qui cherche à retrouver une jeune femme dans le but de coucher avec elle. Cette dernière a d’ailleurs une apparence changeante au fil des pages. Les péripéties s’enchainent les unes après les autres sans logique apparente, tout comme cela se produit si souvent dans les songes. Il ne faut donc pas s’attendre à un récit construit selon les règles du genre. Blutch ne s’interdit aucune digression, à l’exemple de celle du parfum Incartade. Une fois ce postulat accepté, il ne reste plus qu’à imaginer le propos sous-jacent à telle ou telle scène, voire à se projeter en tant que lectrice ou lecteur dans une création qui se révèle être formellement assez classique. En effet, comme le dit lui-même l’artiste dans un intéressant entretien disponible sur ActuaBD, il voulait faire du Tintin, avec du Manara, du Moebius, etc. dedans. Il cherche d’ailleurs à ne pas perdre son lectorat au fil des pages même si la trame du récit n’est pas toujours très linéaire. Toutefois, le mini-récit final de sept planches nous permet de changer de point de vue et impose une relecture immédiate. Bien entendu, le dessin, joliment mis en couleur par l’auteur lui-même, est une fois de plus le point fort de l’ouvrage. Blutch est un maître en la matière, son style et surtout son encrage sont immédiatement reconnaissables. D’ailleurs, nous pouvons estimer que La Mer à boire représente une excellente synthèse de l’imaginaire et du style de l’auteur.

Les éléments relevant du songe sont immédiatement décelables, entre dialogues décalés, agissements illogiques, personnages surgissant de nulle part, etc. Il s’agit aussi d’un rêve érotique, les deux protagonistes ne cherchant à se retrouver que pour coucher ensemble dans un hôtel (de luxe, bien entendu). Cela n’interdit pas une certaine forme d’humour, le grotesque n’étant jamais loin. L’érotisme, frôlant parfois la pornographie lors de plusieurs scènes assez explicites, se développe au fur et à mesure des pages, une fois que l’auteur a fait se rencontrer A et B. Cet érotisme, avec ses différentes représentations fantasmées, n’est pas uniquement masculin : la nudité n’y est pas exclusivement féminine. Effectivement, une certaine vision du sexe se développe à cette occasion. Certes, le point de vue est indéniablement hétérosexuel mais il est quelque peu ridicule d’en faire le reproche comme cela a pu être vu sur un forum spécialisé en bulles de BD : en quoi cette vision de l’amour ne serait plus possible en 2022 ? Les rêves et les fantasmes sont de l’ordre du privé tant qu’aucune atteinte réelle à autrui (et illégale) ne soit constatée par une décision de justice. Aucun reproche ne devrait être fait à se sujet. Quoi qu’il en soit, la romance promise en quatrième de couverture est là, et elle se révèle être explicite ! Cela n’a rien d’étonnant quand on connait le travail d’illustrateur de Blutch, visible lors de plusieurs expositions qui lui ont été consacrées et dans un livre comme La Beauté (Futuropolis, 2008). Cet érotisme avait d’ailleurs frappé l’auteur de ces lignes lors des dessins proposés en 2010 par le festival d’Angoulême à son Grand Prix 2009.

Souvenirs

En effet, Blutch est un auteur que je suis depuis de très nombreuses années, sans pour autant toujours apprécier à chaque fois ses créations. C’est en 2003 que je le découvre, grâce à son excellent Donjon Monster, le tome 7 intitulé « Mon fils le tueur ». Mais cet opus n’est absolument pas représentatif de l’œuvre de l’artiste. Cinq années plus tard, à l’occasion d’une vente de défraichis dans les locaux parisiens de l’éditeur Cornélius, je m’attaque à Péplum. C’est un échec, je n’arrive pas à apprécier le titre. Pourtant, à l’époque, je me suis habitué à lire de la BD indépendante, notamment celle publiée par ego comme x, par Atrabile et par L’Association. Blutch étant Grand Prix en 2009, c’est l’occasion pour moi d’acheter la version intégrale de Blotch (Audie/Fluide Glacial, 2009). Là, par contre, c’est une réussite : j’adore l’humour caustique, le cynisme et le dessin expressif, vivant, qui nous sont proposés. Il faut dire que ce n’est pas l’exposition angoumoisine de 2010 qu m’avait préparé à la carrière de Blutch dans Fluide Glacial (un magasine BD qui ne m’a jamais plu, malgré la présence de Goossens en ses pages), avec pourtant la présence de plusieurs dessins de presse, plutôt nonsensiques et intéressants. Pour celles et ceux qui seraient intéressé·e·s, plusieurs de ces illustrations se retrouvent dans deux expositions qui ont fait l’objet de catalogues publiés par Dargaud : Vue sur le lac (2015) et Un autre paysage (2019). N’oublions pas Variations (Dargaud, 2017) qui vient compléter de façon remarquable les deux précédents ouvrages.

Si Mish Mash (Cornélius, 2002) a l’heur de me plaire en 2010 (à ma grande surprise), il faut attendre l’année 2014 pour que je me remettre à lire des titres de Blutch. Si j’accroche bien à Sunnymoon (L’Association, l’intégrale de 2009) ce n’est absolument pas le cas de Lune l’envers (Dargaud, 2014). Après une nouvelle pause de six années interrompue par le très plaisant Mais où est Kiki ? (Dupuis, 2020), il se produit un peu le même effet avec ces deux nouvelles lectures : excellente avec les deux tomes du Petit Christian (L’Association, 1998 et 2008), mauvaise avec Pour en finir avec le cinéma (Dargaud, 2011). Par ailleurs, j’ai vu trois expositions consacrées à Blutch entre 2010 et 2020 : à Angoulême en 2010, au Pulp Festival en 2016 et à Formula Bula en 2019. La première était « sans case » et mettait en avant son travail d’illustrateur. La deuxième était plus classique et se focalisait surtout sur ses bandes dessinées (par ailleurs, l’érotisme était bien présent dans « Belles de jour« ). La troisième se limitait à un parallèle entre Le Petit Christian et sa reprise de Tif et Tondu dans une scénographie simple donnant envie de lire les albums concernés. Il ressort donc de ce petit passage en revue de mes lectures « blutchiennes » que je ne sais jamais quoi attendre d’une création de l’auteur et que les titres parus chez Furturopolis pourraient tout aussi bien me plaire que me tomber des mains. Tant mieux, l’effet de surprise est important afin de ne pas devenir blasé, ce que j’ai trop tendance à être…

Saint-Elme, un Jura noir

Les frères Sangaré, des détectives privés, sont sur une nouvelle affaire : ils doivent retrouver la trace d’un fugueur, lequel a disparu il y a trois mois à Saint-Elme, une petite ville de montagne jouxtant un lac et dont l’industrie principale est l’embouteillage d’eau de source. Pour aider Franck, Philippe, retenu par une autre tâche, a dépêché sur place Madame Dombre qui les a déjà assistés sur d’autres enquêtes par le passé. Elle connaît les lieux, ayant passé son enfance dans la vallée voisine. Cette connaissance du terrain va rapidement ne plus leur servir tant « ici, c’est spécial. » En effet, leur enquête va vite se révéler être bien plus complexe et mystérieuse que prévu…

Saint-Elme est le nouveau titre du tandem Serge Lehman / Frederik Peeters dont la collaboration a débuté en 2016 avec le remarqué et remarquable Homme gribouillé, sorti en 2018 et déjà chez Delcourt. Reprenant nombre d’éléments utilisés dans leur première collaboration, du lieu de l’intrigue (le Jura) à la façon de travailler, en passant par la volonté de mélanger univers sombre et fantastique, les deux auteurs nous propose ici un roman noir dont la dimension surnaturelle abouti à la création d’un univers européen avec un imaginaire fort.

Avec trois tomes sur les cinq prévus, l’histoire a désormais pris toute son ampleur. Les deux auteurs ont fini d’entrer dans le vif du sujet. Tous les protagonistes ont été introduits, notamment ceux que l’on peut considérer comme étant les véritables maitres de Saint-Elme. Ils ont fait leur apparition dans le tome 2 et pris en sous-main l’avenir de la ville. Ils viennent rejoindre des figures marquantes et hors du commun comme les frères Sangaré (Philippe est enfin arrivé dans le troisième opus) ou le Derviche. Tous sont plus ou moins antipathiques, et ce n’est certainement pas un hasard. Ils sont mis en scène dans des paysages grandioses, qu’ils soient urbains ou montagneux, ce qui amplifie leur aspect haut en couleur. De plus, l’œuvre est magnifiée par une colorisation réalisée par Frederik Peeters lui-même (et non confiée à une tierce personne comme souvent), des couleurs en a-plat variées qui participent grandement à donner une touche d’originalité certaine à la série.

Un roman noir

L’histoire est caractérisée par une très grande violence. Si les premiers événements débouchent sur des morts par arme à feu, la suite de l’histoire n’est pas en reste. Les informations nécessaires à l’enquête des frères Sangaré sont souvent obtenues par des agressions physiques et pas simplement par la discussion. Il faut dire qu’il n’est pas bon de parler ouvertement des agissements de la famille Sax à Saint-Elme et dans ses environs. Il faut dire aussi que le clan n’hésite pas à faire appel à la torture et au meurtre pour arriver à ses fins, le tout étant couvert par une police locale aux ordres et peu regardante sur la moralité de ce qu’il lui est demandé. Les deux auteurs nous proposent donc un véritable polar noir qui regroupe les ingrédients du genre avec un ancrage du récit dans un environnement sociétal, celui du crime organisé. Cela nous donne un univers violent où le règne de l’argent, la toute puissance de certains, la corruption et la collusion des édiles est dénoncée par les auteurs.

Cependant, le mélange des genres est aussi présent avec l’irruption par petites touches du fantastique (au lieu de la SF) par le biais de certains personnages. Il est certes moins prégnant qu’avec L’Homme gribouillé où le mythe du Golem était revisité par Serge Lehman, et qui ne se privait pas d’invoquer dans le même temps d’anciennes forces chtoniennes dans son histoire. Néanmoins, la petite fille du début du tome 1 et le signe mystique qu’elle trace à deux reprises donne immédiatement le ton. Si cette intrigue est pour l’instant mise de côté, nul doute qu’elle va revenir en force, peut-être même dans le prochain opus de Saint-Elme. En effet, le mysticisme et la prémonition obtenue, sous les effets d’une drogue de synthèse, par le Derviche y font écho. Il y a aussi cette mystérieuse capacité à prévoir très précisément la météo par certains locaux et la présence d’un éventuel fantôme dans une chambre d’hôtel. N’oublions pas les grenouilles mutantes dont le rôle n’est pas encore clair…

Une bande dessinée d’une grande qualité

Les qualités formelles de Saint-Elme sont indéniables. Le récit est impeccablement rythmé même si quelques lecteurs semblent être parfois déroutés par des moments plus lents, tels ceux des promenades champêtres de Romane et Paco, ou de l’évasion de Franck. Il ne faut pas oublier que la narration est définie par Frederik Peeters et qu’il s’agit d »un bédéiste complet (scénario et dessin) aux influences diverses dont le manga où les ruptures de rythme sont fréquentes. La pagination généralement importantes de la bande dessinée japonaise permet ce genre de respiration. Le fait que la série est passée des quatre tomes prévus à l’origine à cinq le permet aussi. La vidéo du making-off proposée par Delcourt est très intéressante sur la répartition des rôles entre les deux auteurs dans la conception et la réalisation de l’histoire. Cette façon de travailler de concert donne une fluidité de lecture remarquable et remarquée. Cela est certainement aidé par le découpage en cinq volumes. En effet, l’importante pagination de L’Homme gribouillé pouvait créer un effet de trop plein vers la moitié du livre.

D’autres lecteurs ont été rebutés par les choix de couleurs de Frederik Peeters (par exemple sur le forum de BDGest). Celui-ci s’en explique dans la vidéo et il faut reconnaitre que le résultat est convainquant. La colorisation participe activement à l’ambiance des différentes scènes. Elle permet aussi de renforcer les sentiments et impressions que les auteurs veulent faire passer. Votre serviteur apprécie tout particulièrement la présence d’aplats en s’abstenant systématiquement d’utiliser des effets de dégradés, si souvent insupportables dans les comic books. L’utilisation de l’informatique ne doit pas donner dans la facilité de l’esbroufe visuelle. Il n’en est rien ici. C’était d’ailleurs un reproche que nous pouvions faire à L’Homme gribouillé et ses niveaux de gris trop souvent artificiels. N’oublions pas un dessin tout aussi magistral avec des personnages bien typés et variés. L’âge et la morphologie des différents protagonistes sont impeccablement rendus, avec des trognes mémorables, ce qui est indispensable pour tout polar qui se respecte.

Nous ne pouvons que conclure ainsi: vivement 2023 pour la parution des deux derniers tomes de Saint-Elme !

ReV – un rêve vidéoludique

Sur l’insistance de son filleul, Gladis découvre un jeu virtuel massivement multijoueur, un de ces univers où l’on peut vivre d’autres histoires que celles que propose la vie réelle. ReV a une double particularité : la psymulation qui rend l’expérience plus « réelle », et l’absence de scénario scripté. En effet, le jeu s’adapte continuellement aux joueuses et joueurs afin de leur proposer une expérience personnalisée et unique. Plus ou moins guidée par un autre joueur qui s’est placé en position d’observateur et qui poursuit sa propre quête (comprendre le fonctionnement du jeu), Gladis va vivre une aventure inoubliable.

La lecture de ReV est assez spéciale mais heureusement prenante, du début à la fin ! Tout au long de la centaine de pages de l’ouvrage, Édouard Cour réussit à rendre l’impression que pourrait provoquer un jeu massivement multijoueur capable de générer des histoires adaptées aux joueuses et joueurs qui s’y plongeraient totalement, avec des IA aux manettes, et non des actions scriptées, pour faire progresser l’aventure. Le monde onirique que l’auteur met en place est tout à fait crédible, tout comme le sont les événements qui s’enchaînent pourtant sans logique apparente et qui rythment le récit. Comme Gladis, nous sommes happés par l’univers de ReV et nous ne pouvons pas nous en détacher avant que la fin survienne. La narration est sans temps mort, elle propose des péripéties variées, ce qui fait de ReV une véritable réussite, ce qui n’était pas obligatoire gagné d’avance. Il faut dire que l’auteur nous avait habitué à sa maîtrise du médium bande dessinée dès sa première création, Herakles (2012-2015, 3 tomes, Akileos).

Édouard Cour n’est effectivement plus un jeune auteur : il s’approche de la quarantaine et a donc débuté sa carrière il y a un peu plus d’une dizaine d’année. Pourtant, il apporte toujours avec ses créations un vent de fraîcheur, une touche d’originalité et de créativité, ce qui est toujours la bienvenue. Il faut dire qu’il a une formation d’infographiste, plus exactement en « design visuel et graphique ». Ce cursus se retrouve dans ses bandes dessinées, notamment par un certain non-respect des canons graphiques de la BD. Ici, pas de dessin réaliste, pas de « gros nez », pas de simili-manga, mais un style personnel qui se retrouve plus ou moins au fil des œuvres, même si celui-ci évolue au fur et à mesure des années et des projets. Par exemple, les aplats, hachures, traits et pointillés destinés à rendre les effets de matière sont assez reconnaissables, surtout depuis O sensei (2016, Akileos). En effet, Herakles reposait plus sur la couleur que les titres suivants où les volumes, éclairages, ambiances doivent être rendues différemment. De plus, le mélange N&B et touches de couleur signifiantes découvert avec L’Extrabouriffante aventure des Super Deltas (2017-2018, série interrompue au deuxième tome, Akileos) est à nouveau de mise avec ReV. La nouveauté, outre le thème et son traitement, est la présence de nombreux décors incluant différents types de techniques graphiques.

ReV utilise donc le thème des mondes virtuels tels nous pouvons les connaître dans Le Deuxième monde (1997-2001, Cryo), qui a été suivi par Second Life (depuis 2003, Linden Lab) ou le petit nouveau Horizon Worlds (depuis 2021, Meta), le métavers proposé par Facebook. N’oublions pas Les Sims (depuis 2000, Maxis) mais aussi les jeux vidéo en ligne massivement multijoueurs (MMOG) tels qu’Ultima Online (depuis 1997, Origin) ou World of Warcraft (depuis 2004, Blizzard). ReV peut aussi faire penser à d’autres jeux vidéo selon les expériences de chacune et chacun. En ce qui concerne le rédacteur de ces lignes, Journey (2020, thatgamecompany) et Gris (2018, Nomada Studio) sont deux références qui s’imposent immédiatement à l’esprit du fait de leur ambiance. Il s’agit là de deux jeux au graphisme affirmé qui se déroulent dans un monde étrange, onirique. En partie jeux de plateforme, mais aussi de découverte et de contemplation, ces deux créations laissent les joueuses et joueurs trouver ce qu’il faut faire et comment le faire, même si les mécanismes sont ensuite un peu toujours les mêmes. Quoiqu’il en soit, ils sont immersifs quoique rapidement terminés, tout comme ReV.

En effet, comme dans tout jeu vidéo, Gladis va devoir apprendre à interagir, puis à agir, afin d’achever une quête qui ne présente pas tellement d’intérêt en elle-même. L’enchaînement des péripéties se fait sans logique apparente, tout comme dans un rêve ou dans certains jeux. En fait, il s’agirait presque d’un cauchemars tant de nombreuses scènes sont assez dures, notamment celles de la chambre d’hôtel et qui suivent immédiatement. D’ailleurs, à ce sujet, nous pouvons nous inquiéter de la façon dont l’IA du jeu a pu obtenir des informations sur Gladis, sur sa vie réelle, alors qu’il s’agit de la première partie de notre héroïne. Il faut rappeler que nous laissons publiquement beaucoup d’informations sur le net, même sans utiliser abusivement les réseaux sociaux, si intrusifs… et que nous ignorons grandement ce que peuvent donner les croisements de bases de données alors que celles-ci sont souvent en vente, légalement ou non. Cette progression dans l’aventure se matérialise par un dessin de plus en plus coloré et d’une narration parfois très syncopée, avec des cases qui peuvent partir dans tous les sens, littéralement.

Comme déjà dit, Édouard Cour mixe dans ReV différentes techniques de dessins, vraisemblablement toutes informatisées, car même les silhouettes semblent être réalisées au feutre pinceau numérique sur leur propre calque. Il faut dire que les outils sur palette graphique permettent dorénavant un résultat des plus satisfaisant. Les résultat est bluffant. Par exemple, les formes produites à base de fouillis de traits génèrent des motifs en parfaite adéquation avec l’effet recherché. Il faut aussi noter le gros travail de l’auteur sur les trames, hachures, effets posés en arrière plan, tous ces procédés étant discrets mais parfaits. Enfin, l’utilisation des couleurs est magistrale : le graphisme en N&B se colorise au fur et à mesure que l’histoire progresse, qu’elle devient de plus en plus épique. Certaines planches sont absolument superbes, et toutes les colorisations semblent justifiées par l’impression recherchée. Il faut dire que la formation de designer d’Édouard Cour a dû bien aider car il y a là une réflexion permanente permettant de concevoir le meilleur design afin d’illustrer au mieux tel ou tel passage du récit.

ReV se révèle donc être donc une excellente surprise grâce à un récit efficace et un graphisme hors norme : il s’agit là d’une lecture et une expérience formelle à ne pas manquer, surtout que l’objet livre ne fait pas injure au titre, bien au contraire !

T’zée, une tragédie africaine

Hippolyte et Bobbi ont un gros problème : le Maréchal-Président T’zée, père du premier et mari (malgré une grande différence d’âge) de la seconde, est déclaré mort lors de la prise d’assaut de la prison où il était retenu prisonnier. En effet, le vieux dictateur y était enfermé par la Rébellion, une révolte qui touche tout le pays. Cette organisation multiforme veut prendre la direction de ce pays d’Afrique centrale en proie à une violente crise économique, politique et sociale. Vu la haine actuelle pour un pouvoir resté en place depuis la décolonisation, haine qui semble avoir submergé la majeure partie de la population, Hippolyte est persuadé que la seule solution est la fuite à l’étranger. De son côté, Bobbi pense qu’il est encore possible de retourner la situation et commence à organiser les forces restées loyalistes afin de reprendre la main dans ce jeu, qui sera mortel pour les perdants. De plus, cette différence de position entre nos deux jeunes gens se double d’une relation d’amour-haine, ce qui complique encore un peu plus les choses. L’ensemble pourrait bien déboucher sur une tragédie dont l’Afrique est malheureusement coutumière.

T’zée est la nouvelle création du duo Appollo au scénario et Brüno au dessin, avec toujours Laurence Croix aux couleurs. Il s’agit cette fois, sous la forme d’une fiction, de raconter la tragédie qu’a connu le Zaïre (ex Congo belge et actuelle République Démocratique du Congo) sous la dictature de Mobutu qui a dû s’enfuir pour le Maroc après la prise de pouvoir par l’AFDL en mai 1997. En effet, comme l’explique Appollo dans son excellente postface, c’est après s’être installé a Kinshasa qu’il a eu envie de raconter l’histoire de son nouveau pays d’adoption. Et c’est avec le même plaisir que pour Attar Gull ou Tyler Cross (les deux sur un scénario de Fabien Nury) que nous retrouvons le dessin si attirant et personnel de Brüno, superbement mis en couleur par Laurence Croix, comme toujours. D’ailleurs, la version noir et blanc de l’ouvrage perd une partie de l’ambiance crée par la colorisation, ce que ne compense pas la mise en valeur du trait du dessinateur, celui-ci n’étant pas écrasé dans la version « grand public ».

Ce récit s’inspire librement de la pièce de théâtre Phèdre de Racine. Appollo reprend la même intrigue principale (l’amour interdit entre deux membres d’une famille royale) pour l’appliquer à la situation du Zaïre en 1997. Le terme « tragédie » est donc à prendre dans ses deux sens. Construit en cinq actes comme il se doit, cette tragédie nous propose des personnages bien définis (une grande réussite), notamment grâce à de nombreuses analepses qui parsèment les 160 pages de l’œuvre. Il en résulte une excellente bande dessinée qui souffre malheureusement de petits soucis de rythme. En effet, la volonté de faire tenir l’intrigue dans cinq chapitres bien séparés donne parfois un résultat un peu artificiel. Surtout, le tempo de la lecture dépend aussi de la présence de récitatifs et ceux-ci sont très nombreux, voire trop, et cassent parfois la fluidité du récit. Pourtant, les vingt-quatre premières planches sont un régal, à la fois par la qualité de la narration et des textes que par le dessin et sa mise en couleur.

En effet, l’acte I introduit les personnages principaux, les définis, et pose les enjeux dramatiques : l’amour de Bobbi pour Hippolyte et la chute annoncée de T’Zée. Cette partie est assez longue car elle compte pratiquement quarante pages et certains planches consacrées à Hippolyte et Walid (un ami) aurait peut-être été mieux dans le chapitre suivant. À l’inverse, l’acte II est peu développé, une vingtaine de pages, dont une partie est consacrée au passé d’Arissi, une amie de jeunesse des deux garçons. L’action (si on peut dire car les récitatifs restent nombreux) est alors censée prendre de l’importance. Le récit se complexifie en approfondissant les enjeux et en intégrant plusieurs personnages secondaires. La « romance » reste au centre de la tragédie et elle clôture une lecture un peu trop rapide.

Les actes III et IV sont de longueur équivalentes (une trentaine de pages). C’est ici que le point culminant de la tragédie est censé être atteint. Pourtant, c’est un long retour en arrière qui nous est proposé avec la vie étudiante et parisienne d’Hippolyte. Le fameux « point culminant » est atteint lors du du troisième tiers de l’acte III. La progression du récit est ici sous forme de montagne russe avec une longue descente avant une remontée rapide puis une nouvelle descente dans la quatrième partie. Néanmoins, les auteurs présentent bien leur vision de l’Afrique francophone et des étudiants de l’époque par le biais de plusieurs anecdotes. L’acte IV prépare bien la fin de l’histoire. Cette partie est très réussie, avec l’irruption d’un combat de catch allégorique remettant en avant la magie africaine. L’acte V amène le dénouement de la tragédie. Ce chapitre est malheureusement un peu trop court (une vingtaine de pages) et un lectorat insuffisamment attentif pourrait (comme votre serviteur) ne pas comprendre facilement les drames qui s’y jouent, et surtout les motivations qui amènent à terminer ainsi le récit. Une petite dizaine de planches auraient peut-être ainsi permis d’éviter une impression de déception lors de la fermeture de l’ouvrage.

En conclusion, malgré ces quelques petits défauts de narration surtout liés à la volonté de faire tenir le récit dans le carcan des cinq actes et qui empêchent de pleinement apprécier l’œuvre, T’zée reste une excellente bande dessinée grâce à sa galerie de personnages, sans oublier l’utilisation subtile de la magie africaine dans un récit réaliste. Surtout, elle reste malheureusement d’actualité, la Chine ou la Russie remplaçant de plus en plus la France dans l’exploitation éhontée de l’Afrique francophone au détriment des populations locales… comme toujours !

Pulp Festival 2022, dernière ?

La septième édition du Pulp Festival (il a été annulé en 2020 et 2021) s’est déroulée du 8 au 10 avril avec Lorenzo Mattoti en tête d’affiche. Ce samedi 9 avril, en achetant nos pass expos pour le Pulp Festival, nous avons appris que cela devrait être la dernière édition, Vincent Eches, l’ancien ancien directeur général de la Ferme du Buisson et créateur du Pulp Festival, ayant été nommé directeur général de la Cité Internationale de la Bande dessinée et de l’Image d’Angoulême. Voilà une nouvelle qui nous attriste fortement, ayant pris plaisir à aller tous les ans à Noisiel pour y voir les expositions proposées, et ce, depuis la première édition en 2014. D’ailleurs, la manifestation a fait l’objet d’un billet sur le présent blog et deux mini-sites, un en 2015 et un autre en 2017. Pour cette possible dernière, voici un retour sur les principales expositions qui étaient proposées au public (et qui sont visibles jusqu’à mi-mai).

Mais qu’est-ce que le Pulp Festival ?

La Ferme du Buisson a été créée sur les bases d’une ferme centenaire à la fin du 19e siècle par la famille Meunier, des industriels du chocolat du même nom, qui installent leur chocolaterie dans les années 1850. La ferme est là pour produire des ingrédients nécessaires aux usines, comme le lait, et sert aussi de centre de recherche. En 1960, à la faillite de l’entreprise Meunier, la ferme est rachetée par l’EPA de Marne-la-Vallée pour en faire un centre d’art et de culture qui se met en place durant les années 1970-1980. Depuis 1990, la Ferme du Buisson est une scène nationale à laquelle se sont rattachés par la suite un centre d’art et un cinéma. Lieu d’exposition d’art contemporain et de création, notamment de spectacles relevant des arts du vivant, la Ferme du Buisson organise au fil des années 2000 des événements culturels comme le festival Temps d’images avec la participation d’Arte.

Durant les années 2010, sous l’impulsion de Vincent Eches (arrivé en 2011), la Ferme du Buisson se tourne vers la bande dessinée en lui apportant une vision pluridisciplinaire. Pour cela, l’établissement propose des créations originales mélangeant spectacle du vivant, musique et BD, ainsi que des expositions thématiques qui cherchent à dépasser la simple présentation de planches (souvent prêtées par MEL). Le départ de son directeur vers de nouveaux horizons alors qu’il portait à bout de bras l’organisation du Pulp Festival ouvre donc une période d’incertitudes pour 2023 : aurons-nous une huitième édition ? La Ferme du Buisson pourrait bien se tourner vers d’autres horizons plus en adéquation avec les goûts de la future direction.

Une programmation classique

Comme en 2019, la programmation est organisées autour de deux pôles : les expositions et les spectacles. Les chasseurs de dédicaces ne peuvent pas trouver leur bonheur car les quelques autrices et auteurs sont là avant tout pour discuter de leur art (mais à cette occasion, il y a parfois une petite séance organisée au sein la librairie éphémère). À une seule occasion nous avons assisté à un spectacle, en 2017. C’était de l’art du vivant contemporain, c’était donc très spécial et cela n’a pas eu l’heur de nous plaire, même si c’était une expérience à faire. Nous nous concentrons donc sur les expositions qui sont principalement situées dans quatre lieux : la Piscine, La Halle, l’Abreuvoir et les Écuries (les spectacles sont souvent donnés au Théâtre, au Studio et au Caravansérail). La Médiathèque participe aussi en proposant une mini-exposition et il y a parfois quelque chose à voir au Grenier. Cette année, le Caravansérail est transformé en lieu d’exposition, celle consacrée à Andy Warhol et c’est tant mieux pour nous.

La Halle : Lorenzo Mattotti — Obsessions

Mattotti ! Voilà un auteur que notre trio de mangaversien·ne·s connaissait seulement de nom et de réputation, sans plus. L’occasion était donc belle de mieux connaitre l’Italien par le biais de son travail d’illustrateur et de peintre. Principale exposition de cette édition, il faut reconnaître qu’elle valait le déplacement à Noisiel. Lorenzo Mattotti (représenté par la Galerie Martel) est un auteur de bande dessinée parfait pour le Pulp Festival : il est pluridisciplinaire. Il faut dire qu’avec une carrière de presque cinquante années, il a eu le temps d’explorer différentes voies artistiques. La présente exposition est organisée avec MEL Publisher et FEHL. Il faut dire que Michel-Edouard semble être fan de l’artiste depuis longtemps. Présentant souvent de nombreuses variations sur un même sujet, les peintures et dessins exposées sont superbes. Néanmoins, il faudrait aussi pouvoir voir ses bandes dessinées car ce n’est pas ça qui manque dans la bibliographie de Mattotti. Malheureusement, aucune planche n’est proposée, ce qui occulte cette facette de l’artiste. Par contre, son côté obsessionnel est très bien rendu avec une douzaine de thèmes : l’élégance, l’énergie, l’immensité, l’onirisme, l’aliénation, l’intimité, la solitude, les visages, les paysages, les forêts, le clair-obscur et les métamorphoses. La variété des techniques et des styles, la virtuosité de l’artiste sont tout simplement impressionnantes.

L’Abreuvoir : Catel et Bocquet — Alice Guy, l’étoile oubliée

Après un passage rapide à la médiathèque pour s’apercevoir que les quelques reproductions de Coming In et l’espace Réalité virtuelle ne présentaient que peu d’intérêt, nous voilà en train d’assister à la projection de plusieurs films d’Alice Guy (la plupart de ses réalisations ont été perdues, mais certains films ont survécu dont sa première œuvre) sonorisés par un véritable pianiste, comme à l’époque du cinéma muet. L’exposition est à l’image de la bande dessinée : une forme plan-plan mise au service d’un propos intéressant. En effet, la série de biographies de Catel et Bocquet mettant un coup de projecteurs sur certaines (plus ou moins) oubliées de l’Histoire de France a comme but une lisibilité maximum pour un public peu habitué aux bandes dessinées. Celle consacrée à Alice Guy ne fait pas exception, ce qui n’empêche pas de l’apprécier. Une fois de plus, l’injustice historique faite aux femmes est démontrée, Alice Guy devrait être aussi connue que les Frères Lumière ou Georges Méliès. L’exposition bénéficie d’une jolie scénographie avec de grands panneaux séparant trois grandes zones, une consacrée aux débuts du cinéma avec la reproduction d’une petite salle de projection à l’époque du muet, une deuxième se focalisant sur Alice Guy et la troisième sur les sources iconographiques de Catel.

Le Caravansérail : Typex — Andy Warhol : I’ll Be Your Mirror

Andy Warhol est un artiste (peintre et plasticien) fondamental du Pop art américain et il n’est plus besoin de le présenter. Néanmoins, il a aussi joué un rôle important dans le développement des arts populaires, notamment dans la promotion de la culture hip-hop. Sa capacité à baigner à la fois dans les milieux underground et VIP l’ont placé au centre de la culture américaine durant les années 1960 et 1970. Typex est un auteur hollandais qui a réalisé pendant cinq ans une biographie de Warhol en BD, en adaptant son graphisme et sa narration aux différentes périodes artistiques de l’Américain. Le résultat est exposé ici sous la forme d’extraits (planches originales et reproductions) de l’ouvrage Andy. Un conte de faits disponible chez Casterman. Cette exposition a été créée pour les Rencontres du 9e art d’Aix-en-Provence et aurait dû être proposée en 2020 au Pulp Festival. Covid oblige, il a fallu attendre deux années supplémentaires pour l’avoir ici. Entre-temps, elle a été proposée au Grand Curtius à Liège. Elle est effectivement ludique (on peut entrer sous les applaudissements des artistes et du public), intéressante, esthétique et variée. Il ne reste plus qu’à lire les plus de 560 pages du livre pour se plonger dans une période de bouleversements artistiques aux USA…

La Piscine : Femzine

Habituellement, nous commençons notre visite à la Piscine, cette année n’a pas fait exception. Si ce n’est pas la plus belle des expositions, c’est la plus instructive. Située sur deux étages dans un petit bâtiment situé proche du Théâtre où nous achetons nos billets, Femzine est consacrée à la presse de bande dessinée féminine (et surtout féministe). Après être passé sous un énorme clitoris gonflable rose (et éventuellement mangé une petite confiserie en forme du fameux organe érectile féminin), nous pouvons aller à l’étage où, notamment, Wimmen Comix (une intégrale est sortie en version française), Julie Doucet (Grand Prix du FIBD 2022), l’éphémère revue Ah!Nana sont mises en avant. Une partie importante de l’étage est consacrée à quelques créations et fanzines francophones féministes actuels, étant donné l’absence de publications professionnelles. Neuf autrices (dont Chantal Montellier, Ulli Lust, Florence Dupré-Latour, Fanny Michaélis) ont réalisé autant de couvertures d’un Ah!Nana qui continuerait à paraitre si la censure n’avait pas injustement frappé en 1978. Le retour au rez-de-chaussée permet de trouver un incubazine où visiteuses et visiteurs peuvent participer en réalisant des illustrations. Une petite bibliothèque propose de consulter ouvrages et fanzines féministes. Voilà une exposition intéressante, instructive et édifiante.

Une fois de plus, le Pulp Festival a permis d’apprécier sous diverses formes la bande dessinée durant un après-midi. Il ne reste plus qu’à espérer que la nouvelle direction voudra bien reprendre le flambeau et s’attaquer au fardeau de la lourde organisation d’un festival de bande dessinée qui a su trouver sa place dans notre agenda parisien.