Le fonds patrimonial des imprimés de la Cité, un petit reportage

L’archivage des nombreuses bandes dessinées et revues consacrées au 9e art est l’une des missions de la Cité Internationale de la Bande Dessinée et de l’Image (CIBDI). L’idée de mettre en place à Angoulême un fonds dédié à la BD s’est concrétisée il y a une quarantaine d’années avec le doublement (entre 1984 et 2015) du dépôt légal de la BnF, bien avant la création de la Cité. Cette dernière est ainsi l’héritière de la bibliothèque d’Angoulême, première récipiendaire de ce fonds du fait de sa proximité géographique avec le Salon International de la Bande Dessinée d’Angoulême (devenu en 1996 un festival). À l’occasion de la cinquantième édition du festival, nous (a-yin et moi) avons eu l’occasion de visiter ce fonds en compagnie d’un petit groupe de privilégié·e·s et de découvrir certaines vieilles pépites qui y sont entreposées.

Un peu d’histoire

Ces réserves sont installées dans les chais dits « Magelis » depuis 2008, une fois ceux-ci profondément remodelés pour recevoir le musée de la bande dessinée ainsi qu’un musée du cinéma (qui n’ouvrira finalement jamais). En effet, le lieu a une histoire qui prend ses racines durant la glorieuse période industrielle d’Angoulême et même au-delà.

Remontons à 1857 pour trouver l’origine de ces chais. C’est à cette époque que les onze corps de bâtiments, dont on voit toujours la façade ordonnancée le long de la Charente dans le quartier de Saint-Cybard, ont été construits afin de stocker de l’eau-de-vie (Cognac n’est pas loin). Ces chais ont été transformés par la société Lazare Weiller et Cie en 1908-1910 pour recueillir son usine métallurgique (alors située quelques dizaines de mètres plus loin) et une usine à feutre de papeterie (alors située à Nersac, à l’Ouest d’Angoulême) qui profite ainsi de la proximité des papeteries d’Angoulême. Un entrepôt industriel et des bureaux ont été construits vers 1930 avant que de nouveaux ateliers de fabrications soient ajoutés en 1945 puis en 1960. L’ensemble s’est transformé en friche industrielle après le transfert de l’usine COFPA (ex-Weiller) à Gond-Pontouvre (au Nord d’Angoulême) en 1995. Cette friche a subsisté jusqu’à la réhabilitation du site décidée en 2002 avec la mise en place de la « Cité Magelis ». Tous ces bâtiments ont dû être détruits, en gardant néanmoins les façades et quelques murs, afin de faire place à une nouvelle structure dédiée à la bande dessinée (le musée, ouvert en 2009 dans sa partie droite) et à l’image (l’ex-musée du cinéma des Studios Paradis). Cette partie n’a jamais été ouverte au public entre 2004 et 2022, à une exception près en 2017 à l’occasion d’une exposition temporaire. Depuis peu, les Studios Paradis sont définitivement fermés. Les décors ayant été démontés, le FIBD a pu en profiter en 2023 en y créant un nouvel espace jeunesse.

La Cité Internationale de la Bande Dessinée et de l’Image

La Cité, née en 2008 de la réunion du CNBDI (le Centre National de la Bande Dessinée et de l’Image, dont la création à Angoulême a été décidée en 1984) et de la Maison des auteurs, est organisée en plusieurs pôles sur trois sites (Vaisseau Mœbius, Maison des auteurs, Chais Magelis). Les trois principaux pôles sont le musée de la bande dessinée, la bibliothèque de la bande dessinée et la maison des auteurs, auxquels s’ajoutent des fonctions supports (administration, communication, action culturelle et centre de soutien technique multimédia). Depuis quelques années, le cinéma et la librairie sont directement rattachés à la direction générale, l’action culturelle / médiation, la bibliothèque, le centre de ressources documentaires et les fonds (lecture publique, centre de documentation, patrimoniaux) sont rattachés à la direction « lecture publique et transmissions », en attendant une nouvelle organisation qui ne manquera pas de se mettre en place dans un futur plus ou moins proche.

C’est au premier étage, au-dessus du musée et de la librairie, que se trouvent, entre autres, le centre de documentation avec ses bureaux sur un côté, et en son cœur, la réserve des albums et celle des périodiques (les deux dépendant donc du fonds « imprimés » de la bibliothèque) ainsi que les réserves des collections du musée (des planches et illustrations originales mais aussi divers objets en rapport avec la BD). Elles représentent une surface d’environ 600 m² (dont 190 pour les albums, 230 pour les périodiques et 180 m² pour les collections du musée). Elles étaient situées jusqu’en 2008 au premier étage du CNBDI, du côté de la bibliothèque (donc au bâtiment Castro, devenu en 2013, le Vaisseau Mœbius). Elles représentaient une surface de 355 m² (soit 100, 129 et 126 m²). D’ailleurs, le manque de place dans les nouvelles réserves ont conduit à en ré-ouvrir une ancienne (avec la réimplantation de certains types de documents) dans le Vaisseau Mœbius (la surproduction de bandes dessinées ne touche pas que les lectrices et lecteurs ou les libraires). Cette nouvelle/ancienne réserve sert aussi de lieu de stockage à un récent don exceptionnel.

Qu’est-ce que le fonds patrimonial des imprimés ?

En principe, est patrimonial tout livre qui est soit ancien (antérieur à 1830), soit rare (moins de cinq exemplaires sur le territoire national), soit précieux (plus de 50 000 €), un seul de ces trois critères suffit. Cependant, il est possible de « patrimonialiser » en dehors de ces trois caractéristiques. Rappelons qu’un ouvrage « patrimonialisé » est inaliénable et imprescriptible. Du coup, il n’a pas vocation à être prêté, ni à être aliéné ou détruit. Et des règles de conservation (température, hygrométrie, ventilation, stockage, sécurisation, recollage, etc.) s’imposent à son entreposage et à son prêt pour des expositions temporaires (pas plus de trois mois consécutifs suivi d’une longue mise au « frigo » afin de le préserver de la lumière). Un fonds patrimonial est donc constitué d’un site de conservation, d’une collection qui y est entreposée et d’un catalogue des pièces constituant ladite collection.

Pour simplifier, une bande dessinée (au sens large), mais aussi une revue en lien avec la BD peuvent entrer dans le domaine public mobilier et ainsi devenir un bien d’intérêt national à partir du moment où ledit l’objet a rejoint le fonds de la Cité. Pour cela, il n’est pas nécessaire d’être rare ou précieux, il suffit que l’ouvrage présente un « intérêt public du point de vue de l’histoire, de l’art, de l’archéologie, de la science ou de la technique ». Du coup, cela a permis d’inclure les livres et périodiques collectés au titre du dépôt légal et qui ont été envoyés à Angoulême par la BnF entre 1984 et 2015. Mais aussi ceux obtenus par différents dons (par exemple les fonds « Alain Saint-Ogan » ou « Pierre Couperie » mais il y a d’autres donations) ou à l’occasion de divers achats. Notons que la Cité n’est pas destinataire, pour les bandes dessinées, du dépôt légal imprimeur de la région Nouvelle Aquitaine (pour l’ex-région Poitou-Charentes, c’est la bibliothèque municipale de Poitiers qui est concernée), ce qui aurait été une source permettant d’alimenter le fonds de quelques nouveautés locales.

En fait, l’idée de mettre en place à Angoulême un fonds dédié à la BD s’est concrétisée il y a une quarantaine d’années avec la réception d’un des exemplaires du dépôt légal de la BnF, bien avant la création de la Cité. Cette dernière est ainsi l’héritière de la bibliothèque municipale d’Angoulême, première récipiendaire de ce fonds. Celui-ci a donc commencé à être constitué en 1984 et a été transféré à la bibliothèque du CNBDI en 1990. Un des exemplaires du dépôt légal a cessé d’être envoyé par la BnF en 2015, coupant alors la principale source d’alimentation du fonds. C’est en tout plus de 60 000 ouvrages qui ont été reçus par ce biais et qui sont archivés dans les rayonnages dédiés. Heureusement, la Cité avait et a toujours d’autres possibilités d’acquisition. Par exemple, en 2021, un don de plus 30 000 ouvrages est venu enrichir le fonds des imprimés : une collection privée qu’il faut désormais répertorier et dédoublonner avec l’existant, puis archiver et cataloguer, ce qui représente un travail considérable mais passionnant.

La visite du fonds des imprimés

Après avoir été reçus dans les bureaux du centre de documentation par Pauline Petesch, Lisa Portejoie et Maël Rannou, et après avoir eu une présentation des différentes missions de la division « lecture publique et transmissions » de la Cité, notamment celle de proposer un espace de consultation du fonds des imprimés aux chercheuses, chercheurs, et autres spécialistes de la BD, nous avons pu entrer dans le vif du sujet. Les réserves sont accessibles par de longs couloirs sans fenêtre agrémentés de figures bédéesques illustres en grand format, des formes imprimées récupérées, j’imagine, à l’issue de telle ou telle exposition organisée par le CNBDI puis par la Cité.

Il y a nombre époustouflant d’étagères montées sur rail (on appelle ça des rayonnages mobiles haute densité) sur lesquelles sont entreposées de grandes quantités de livres qui sont rangés par taille (petits, moyens ou grands formats) puis par ordre de catalogage, ce qui tranche avec les collections amateures qui vont privilégier un classement par série, auteur, éditeur, etc. En effet, il n’est pas possible d’avoir une telle approche pour un fonds car il est impossible de ré-agencer en permanence les BD ou d’essayer de garder différents espaces libres pour les futures parutions. Cela donne un effet très disparate mais l’efficacité prime ici sur l’esthétisme, d’autant plus que le lieu est fermé au public. Malgré leur solidité apparente, certaines étagères ploient légèrement sous la charge qui leur est imposée. Car oui, c’est lourd, la bande dessinée…

L’archivage des périodiques est différent de celui des livres, du fait de leur finesse et de leur fragilité. Les magazines, revues, journaux sont regroupés chronologiquement dans de larges chemises boites plastiques. Cela rend le fonds moins impressionnant car nous ne pouvons pas faire un parallèle avec nos propres collections de BD rangées dans nos bibliothèques personnelles. Pour avoir une meilleure vision du fonds des imprimés, dix-huit autres photos sont disponibles sur le mini-site Des Mangaversien·ne·s à Angoulême réalisé à l’occasion du reportage photographique sur l’édition 2023 du fameux festival de la bande dessinée angoumoisin.

Quelques trésors du fonds des imprimés

La visite se termine traditionnellement (il est possible de la faire lors des journées européennes du patrimoine) par la présentation de quelques pièces intéressantes que le fonds préserve et propose pour étude aux chercheuses et chercheurs dans le domaine de la bande dessinées.

Parmi les trésors du fonds des imprimés, outre une édition très ancienne des Aventures de M. Jabot de Töpffer (les premières impressions de l’imprimerie Caillet à Genève datent de 1833), nous avons pu voir le numéro 1 du Journal de Mickey (le vrai, pas le facsimilé que j’ai pu avoir avec différentes éditions commémoratives) mais aussi le mythique numéro 296 imprimé mais jamais distribué du fait de l’arrivée de l’armée allemande à Paris quelques jours avant le 16 juin 1940 (date de sortie prévue du fameux illustré).

Il y avait aussi une reliure éditeur de plusieurs numéros du magazine d’arts martiaux Budo Magazine Europe contenant un des premiers mangas en français connu (avant la revue Le Cri qui tue, donc) : « La dramatique histoire budo du samouraï Shinsaburo » de Hiroshi Hirata (non crédité), un récit publié en octobre 1969 (une autre histoire du mangaka a été publiée un peu avant dans le numéro de mai 1969 de la revue Judo KDK du même éditeur). Le fonds des imprimés possède aussi une curiosité : une sorte de recueil / catalogue promotionnel d’histoires traduites en français d’Osamu Tezuka réalisé en 1984. Il faudrait étudier les raisons de son existence, mais je suis persuadé qu’il a été réalisé par Atoss Takemoto car il était au festival d’Angoulême en 1984 pour essayer de « fourguer » du manga aux éditeurs francophones, après l’arrêt du Cri qui tue. En effet, s’il jouait avec son orchestre des génériques d’animés pendant le festival, il essayait aussi cette année-là de devenir l’agent d’auteurs comme Tatsumi ou Tezuka. Il est difficile de poser la question aux personnes concernées, malheureusement…

Nous avons aussi pu voir le prototype du premier numéro de Métal Hurlant, maquetté en 1974 par Étienne Robial (qui a aussi conçu l’identité visuelle de la Cité). Il s’agit d’un ozalid collé sur les pages d’un numéro de Charlie Mensuel (le n° 71 de décembre 1974). Ce montage permettait de se faire une idée précise de la maquette de ce numéro 1 (sorti en janvier 1975) avant de donner le bon à tirer à l’imprimeur.

Le fonds possède aussi de nombreuses bandes dessinées étrangères, ce qui permet de comparer des éditions selon les pays. C’est ainsi que des différences de format et même de contenu peuvent apparaitre, comme nous le montre une rapide comparaison entre les éditions canadienne (celle en langue anglaise), belge et allemande des Aventures : Planches à la première personne de Jimmy Beaulieu. Il est aussi montré la richesse du fonds en bandes dessinées asiatiques, que ce soient des titres en français reçus du dépôt légal ou des dons, notamment des délégations coréennes, hongkongaises ou taïwanaises, régulièrement présentes au festival d’Angoulême.

Il ne nous restera plus qu’à essayer de visiter les réserves du musée de la bande dessinée à l’occasion d’une prochaine édition du FIBD pour compléter le présent texte par un nouveau billet. Ce serait surtout l’occasion de pouvoir admirer de nombreuses planches originales, nous qui faisons régulièrement des expo-ventes dans les différentes galeries parisiennes spécialisées. N’oubliez pas, pour compléter cet article, d’aller lire le reportage réalisé par Damien Canteau pour le site Comixtrip.

Je remercie Pauline Petesch, Lisa Portejoie et Maël Rannou pour leur invitation, la qualité de leurs explications et leur amabilité. Elles et lui nous ont permis de passer un moment privilégié au « saint des saints » des chais Magelis. Je remercie à nouveau Maël Rannou pour ses corrections et précisions ainsi que Manuka pour sa relecture et ses corrrections. Les photos sont © 2010-2023 Hervé Brient / Éditions H sauf, bien entendu, les deux premières représentant les usines Weiller puis COFPA.

Angoulême, 20 années de festival

Alors que le Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême n’a pas fêté en grande pompe sa cinquantième édition, préférant se tourner vers la jeunesse et l’avenir (heureusement que l’Association du Festival et que PLG ont su faire le boulot), j’ai réalisé que, de mon côté, j’en avais suivi une vingtaine et que ça méritait bien un petit coup d’œil dans le rétroviseur. Néanmoins, me méfiant de ma mémoire et de la propension de nos cerveaux à enjoliver les souvenirs, j’ai voulu classer ces vingt éditions selon onze critères plus ou moins subjectifs, mais appliqués de la même manière à chaque fois. J’avoue avoir été un peu surpris par certains résultats. Pour en terminer avec cette édition 2023, voici donc un petit retour en arrière sur le festival, à partir de ce classement. Bien entendu, je vais en profiter pour ressortir du disque dur quelques-unes de mes photos de la manifestation angoumoisine…

Sans surprise, l’édition 2019 est ma préférée. L’exposition « Batman 80 ans » risque de rester durant de nombreuses années comme la meilleure jamais vue à Angoulême entre scénographie immersive, qualité de cartels très instructifs et nombre d’originaux exposés, sans oublier la présence d’une batmobile devant l’Alpha. Rajoutons à cela l’excellente exposition consacrée à Tayou Matsumoto (dit « le bon »), la venue du mangaka, des dédicaces obtenues, du nombre de jours passé sur place avec tels ou telles Mangaversien·ne·s (ce sont des critères de notation), et globalement de la qualité du programme proposé, nous avons 2019 largement devant toutes les autres années (le graphique a une échelle logarithmique afin de lisser les écarts). Quatre autres éditions sont à classer parmi les excellentes : 2007, 2010, 2011 et 2020. D’ailleurs, elles se tiennent toutes les quatre dans un mouchoir de poche.

Celle de 2007 est particulière car l’ensemble des éditeurs avaient été regroupés à Montauzier, même si le Champ de Mars n’était plus un grand trou (enneigé). Une des raisons de sa bonne note est que je commençais à prendre mes marques en tant que festivalier accrédité, ce qui m’a permis de (nettement) plus l’apprécier que celle de l’année précédente. À cela, il faut aussi se rappeler qu’il y avait à nouveau un véritable espace dédié au manga avec un programme bien organisé, riche en rencontres, en tables rondes et en conférences (un critère important à mes yeux). Je dois l’avouer, les éditions 2010 et 2011 doivent en grande partie leur classement à des Mangaversiennes présentes ces années-là. Néanmoins, beanie_xz et Taliesin ne peuvent à elles seules propulser aussi haut dans mon classement telle ou telle édition. Si 2010 a vu la dernière année du Manga Building et la fin de l’excellent travail effectué par ses deux responsables, Nathalie Bougon et Julien Bastide, la nouvelle version de l’espace Manga, gérée par Erwan Le Verger n’est pas inintéressante, du moins en 2011. Certes, l’évolution a fait un peu mal à l’époque, mais les années suivantes furent pires du point de vue des fans de BD asiatique. Comme le reste de la programmation est intéressant aussi bien en 2010 qu’en 2011 et que le plaisir de longuement bavarder avec José Roosevelt sur son stand (avant que le festival le rejette) lors d’une séance de dédicaces, tous ces éléments font que ce sont deux excellentes éditions.

Ensuite, viennent deux éditions dont une sur laquelle je n’aurai pas misé un centime sur sa sixième position : il s’agit de celle de cette année. Il faut reconnaître qu’elle était plutôt réussie malgré les reproches que j’ai pu lui faire. Son bon classement provient en grande partie du nombre et de la qualité générale de ses expositions. D’ailleurs, ça a été ma principale activité durant ce court passage (deux jours et demi). Outre 2023, il y a aussi l’année 2015 que je classe en « très bonne édition ». Les expositions consacrées à Bill Watterson, celle consacrée à Jack Kirby et à l’originale « The Kinky & Cosy Experience » y sont pour beaucoup. On est fan ou on ne l’est pas, après tout. Il y avait aussi une belle présence de la bande dessinée chinoise cette année-là. Néanmoins, malgré notre présence durant quatre jours et demi et les nombreuses activités que nous avons pu faire, l’absence d’un véritable espace manga avec sa propre programmation et une exposition Taniguchi totalement ratée ont plombé le classement de l’année 2015.

Les six éditions suivantes sont de bonne années mais sans plus. Elles représentent en quelque sorte l’intérêt général de la manifestation et ce que j’attends a minima du festival (et donc que j’en espère plus). 2008 et 2018 en son deux bons exemples, à des périodes différentes. Elles finissent avec le même score, même si ce n’est pas pour les mêmes raisons. 2008 est marquée par l’arrivée du Manga Builing, de son programme intéressant et de son excellente exposition consacrée aux CLAMP. 2018 voit l’édition des premiers catalogues de 9e Art+. En effet, son directeur artistique, Stéphane Beaujean, tenait à laisser une trace des expositions montées par le festival lorsque cela est possible. Une tradition qui se poursuit depuis, pour mon plus grand plaisir (j’en ai une douzaine). Suivent ensuite un peu plus loin les éditions 2022, 2016, 2017, 2013 et 2009, toutes séparées par un demi-point entre elles. Année de reprise post-pandémie, deux années de transition, année plombée par l’absence d’un espace manga digne de ce nom, année trop centrée sur le Manga Building peuvent expliquer ces classements moyens. En fin de compte, elles ne sont pas plus marquantes que cela malgré leurs quelques points forts (les expositions consacrées à Andréas ou à Mickey et Donald en 2013 par exemple) .

Il faut écarter du classement les années 2004 et 2005 où je suis venu en simple festivalier avec un billet pour une journée. Bien entendu, il faut aussi écarter l’année 2021qui n’a existé qu’en distanciel (en plus, la retransmission en direct sur Internet de la cérémonie de remise des prix n’a pas bien fonctionné, c’est le moins que l’on puisse dire). Il reste donc trois éditions en bas de mon classement. 2012 a un mauvais score à cause d’un espace Mangasie totalement dénué d’intérêt et d’un programme général assez moyen. De plus, mes conditions de logement n’ont pas eu la qualité habituelle (mais au moins, j’ai pu découvrir Fables durant une nuit presque blanche passée sur un canapé). En fait, c’est surtout la dernière venue à Angoulême (sur une journée) de beanie_xz qui permet à cette année de devancer l’édition 2006. En effet, cette dernière ne bénéficie pas des points que rapportent un espace dédié à la bande dessinée asiatique ou un programme très intéressant. De plus, à cette époque, les expositions n’avaient pas l’ampleur qu’elles prendront par la suite.

2006 est pourtant une année marquante pour trois raisons : il s’agit de ma première édition s’étalant sur plusieurs jours en tant qu’accrédité et il est tombé tellement de neige le samedi que Sakumoyo et moi sommes rentrés dès le milieu d’après-midi, sans que je laisse le soin à ma jeune conductrice (elle venait juste d’avoir son permis) de nous ramener à l’hôtel sur Cognac. Enfin, en 2006, j’ai passé du temps avec Moonkey et Vanyda, à l’occasion de deux entretiens, activité que je n’ai plus jamais reproduit à Angoulême par la suite. Dans mes souvenirs, voilà donc une édition qui m’est chère malgré son mauvais classement.

L’année 2014 ferme la marche et c’est une édition où je ne me suis pas vraiment amusé. Un peu seul une partie des deux jours et demi passés sur place (ça, je déteste), mal logé (faire du camping dans une maison est une option que je subis, pas que je décide de gaité de cœur). Terminons par un programme me laissant peu de souvenirs à part la venue de Li Kunwu, l’exposition coréenne sur le sort des « femmes de réconfort » durant la Seconde guerre mondiale et plusieurs conférences intéressantes au Conservatoire, sans oublier la très réussie exposition consacrée à Mafalda. Cela fait beaucoup à l’arrivée ? Certes, mais on parle d’Angoulême, un festival d’une très grande qualité habituellement. Du coup, un Little Asia d’une nullité incroyable achève d’expliquer cette mauvaise impression et ce classement pitoyable (2014 est même derrière 2005 et sa journée et demi en tant que simple festivalier).

Voilà, il est temps de passer à autre chose que de faire des comptes rendus sur le Festival d’Angoulême, du moins jusqu’à la fin de l’année et la traditionnelle conférence de presse. Nous en saurons plus alors sur le programme de 2024, programme qui risque d’avoir du mal à se mettre en place avec une direction artistique décimée par les démissions, une mauvaise habitude prise en 2020 et qui se poursuit toujours.

Angoulême 50, impressions

La cinquantième édition du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême s’est achevée il y a peu. Après y avoir passé deux journées et demie, voici ce que j’en retiens, pour le meilleur et pour le mauvais car, oui, j’en ressors avec une impression mitigée. En premier lieu, la magie opère toujours et les heures passées sur place ont défilé extrêmement rapidement. Les expositions sont toujours aussi nombreuses et souvent magnifiques, même si certaines me semblent avoir été moins travaillées que d’habitude, notamment sur les cartels. À l’heure du bilan, et même si les points négatifs ne l’emportent pas sur les positifs comme je le craignais au début, l’impression finale classe la fameuse édition anniversaire plutôt en bas de mon panthéon personnel.

Les points positifs

J’ai pu aller au festival avec ma commère a-yin alors que celle-ci voulait boycotter la cinquantième à cause de l’affaire Vivès et de l’expo manga sur l’œuvre d’Ikegami, le virilisme incarné dans le manga. Mais l’appel des 6 voyages de Philippe Druillet et celui de L’Attaque des titans ont été les plus fort. Ouf ! D’ailleurs, alors que la délégation mangaversienne s’annonçait des plus limitées entre manque d’intérêt, travail chronophage, problème de logement, économies à réaliser pour avoir plus de budget pour de proches vacances à Hong-Kong, etc. je me suis vu jusqu’au dernier moment y aller seul avec parfois comme compère Tanuki (qui a un programme assez différent du mien).

La programmation des rencontres et tables rondes à Manga City semble avoir été de grande qualité. Les trois auxquelles j’ai assisté étaient vraiment réussies. J’adresse mes félicitations à Julien Bouvard et ses trois invités (Christophe de naBan, Benoit d’IMHO, et Vincent de Revival), ainsi qu’à Laure Gamaury et ses deux invité·e·s (Laura d’Akata et Timothée de Kana), sans oublier Rémi et son invitée Akane Torikai accompagnée de son interprète Bruno Pham (Akata). Les retours que j’ai pu avoir concernant la table ronde sur l’édition de manga (je n’ai pas pu y aller, étant occupé autre part) étaient bons ; et je n’ai aucun doute que la table ronde sur la traduction animée par le toujours excellent Julien Bouvard était aussi d’une grande qualité. Pour le reste, je n’en ai aucune idée mais ce serait étonnant que c’eut été mauvais.

Les expositions consacrées à Marguerite Abouet et à Julie Doucet étaient vraiment intéressantes et concernaient deux autrices dont je connais très mal le travail mais dont j’entends souvent parler en bien. Avec des scénographies habituelles pour les lieux concernés (l’Espace Jeunesse pour la première, l’Hôtel Saint-Simon pour la seconde), celles-ci étaient intéressantes, montraient bien le travail des deux femmes et le propos qu’elles portaient. Celle consacrée à Philippe Druillet était un peu courte avec assez peu de planches (forcément, vu leur taille) mais c’était impressionnant, surtout que je n’ai rien lu de l’auteur et que je le connais plus par les parodies de Gotlib que par ses propres bandes dessinées. La projection en musique de ses dessins sur les murs et le plafond de la chapelle du lycée Guez de Balzac était là aussi impressionnante quoique le cycle d’animation était un peu court.

Un peu en marge du festival, organisée uniquement à destination des professionnels, j’ai pu visiter avec a-yin et un groupe d’une dizaine de personnes dont deux membres de Pow Pow (l’éditeur québécois bien connu), le fonds patrimonial des imprimés de la CIBDI et voir comment sont archivées de nombreuses bandes dessinées et revues consacrées au 9e art hors du dépôt légal de la BnF. C’était intéressant : de belles pièces nous ont été montrées. Nous avons ainsi pu voir ce que l’on considère comme le premier manga jamais publié en français dans la revue d’arts martiaux Budo (« La dramatique histoire budo du samouraï Shinsaburo », une histoire courte d’Hiroshi Hirata), éditée de façon pirate (dans le sens où l’éditeur français a traduit l’histoire sans se soucier des droits). Alors, certes, c’est pour amatrices et amateurs de (plus ou moins) vieux papiers, mais j’ai été surpris par la présence de nombreux ouvrages en langues étrangères, dont des mangas, des manhua et des manhwa. Je prépare un reportage photographique sur cette visite.

Les petites déceptions

Ni positifs, ni réellement négatifs, les points suivants sont à classer dans les petites déceptions. Il y a la rencontre avec Geof Darrow, annulée car l’auteur s’est, peut-être à juste titre, vexé. Je pense que de petits soucis de communication et d’incompréhension en sont la cause. Sur le message Facebook qu’il a posté, il s’est plaint, notamment, que ni le déplacement ni le logement ne lui étaient payés par l’organisation, qu’il n’était pas sur le programme officiel (il était dans le « Heure par heure ») alors qu’il devait assurer une masterclass. En fait, j’imagine que dans l’esprit du festival, la prise en charge devait être du ressort de l’éditeur, ce qui est plus que discutable. Autre rencontre ratée, celle avec Fabrice Neaud car nous n’avions plus le temps d’aller au Théâtre (surtout que c’était dans le petit studio tout en haut) à la sortie de la visite du fonds des imprimés de la CIBDI. C’est de ma faute, et c’est ça le festival : des conflits d’emploi du temps. Pourtant, cette année, j’en ai eu très peu, des collisions d’activités, signe d’un programme ne m’intéressant que peu.

Les expositions Junji Itô, dans l’antre du délire et L’Attaque des Titans, de l’ombre à la lumière m’ont un peu déçu par leur manque d’explications, de mise en contexte et d’informations en général. Bref, ça manquait de cartels à mon goût. J’ai eu l’impression que tout le budget et les efforts étaient passés dans la déco et la scénographie (le résultat était réussi, il faut dire). Autant je peux le comprendre pour une question d’ambiance, et la volonté de Junji Itô qui a eu l’occasion d’expliquer que son œuvre parle pour lui et qu’il veut qu’on la découvre à travers son travail, autant je trouve qu’il était possible d’en faire un peu plus pour le manga d’Hajime Isayama, surtout que nous avons eu la chance d’avoir une visite commentée par Fausto, le commissaire, qui nous disait des choses très intéressantes. Du coup, elle se visitait assez rapidement, une grosse demi-heure suffisant pour faire les quatre salles thématiques. Par contre, la musique d’ambiance (originale) était une réussite totale. Quoi qu’il en soit, c’était superbe, même si ça n’arrivait pas au niveau de l’exposition Batman 80 ans, proposée en 2019 et qui avait réussi à être plus belle, plus impressionnante que celle sur L’Attaque des Titans, sans oublier d’être très didactique et avec de nombreux originaux. Mais on nous l’a tellement « vendue », cette exposition titanesque qu’il était facile d’être déçu lorsqu’on est un grincheux comme moi.

Je n’en attendais pas grand-chose et heureusement : l’exposition de la Cité Rock ! Pop ! Wizz ! Quand la BD monte le son était plus que moyenne. Il n’y avait pas réellement de logique aux accrochages, les explications étaient pauvres et les commissaires ne semblaient pas savoir que le manga Nana existe. En plus, le catalogue est moche, incomplet, mais au moins, il n’est pas cher. Celle-là, par contre, j’en attendais plus : je parle de l’exposition Couleurs ! qui manquait franchement de contenu et faisait trop la part belle aux auteurs complets plutôt qu’aux coloristes, un comble. Je m’attendais à une approche historique, sociologique puis technique, il n’en était rien. Les planches proposées ne semblaient pas avoir de liens entre elles. Et comment peut-on oser ignorer à ce point Évelyne Tran-Lê (on la voyait témoigner dans la sempiternelle projection d’extraits du documentaire L’Histoire de la page 52 mais on ne voyait pas son travail in situ)… Reste que de nombreuses planches étaient bien jolies.

Je trouve dommage que le festival n’ait pas mis en avant l’aspect anniversaire de la cinquantième édition. Il y avait bien une petite exposition, 50 ans, 50 regards, située à Franquin mais elle était assez anecdotique, même si quelques illustrations étaient bien jolies et certaines étaient même amusantes. Cela fait peu, et il fallait plutôt compter sur l’exposition du Musée de la BD, 50 ans, 50 œuvres, 50 albums, et les photos géantes que l’on pouvait voir rue Hergé grâce à l’Association du FIBD (sans oublier les 50 affiches dans leur boutique éphémère) pour se faire une séquence nostalgie. Je sais bien qu’il faut être tourné vers le futur et pas vers le passé, mais quand-même…

Le négatif

Cette année, il n’y avait pas les conférences du Conservatoires, alors qu’il s’agit de l’activité que nous préférons après les visites d’expositions et les rencontres avec des autrices et auteurs. Non seulement, j’aime bien en proposer sur le manga (même si c’est beaucoup de travail et un peu stressant) au public angoumoisin, mais surtout j’apprécie celles données par des conférenciers de talent comme Xavier Lancel, Alex Nikolavitch, Paul Gravett ou Bernard Joubert. L’érudition et l’aisance de ces spécialistes font que nous passons à chaque fois d’excellents moments. Pourquoi les avoir supprimées du programme (alors qu’elles étaient annoncées dans de dossier de presse) ? Je sais bien qu’il faut faire « grand public », numérique, jeunesse et manga, mais la fréquentation de ces conférences pointues a toujours été bonne et elles faisaient salle comble (une cinquantaine de personnes, donc) la plupart du temps, aussi bien les vendredis que les samedis, même entre midi et 14h00.

Manga City avait rétrécit au profit d’Alligator 57. Du coup, l’espace Conférences était plus petit que les deux années précédentes et surtout très bruyant étant situé avec les stands. Surtout, malgré l’absence d’éditeurs tels que Ki-oon et Taïfu/Ototo, il y avait peu de place pour circuler, notamment quand il y avait des files d’attente pour les dédicaces. Voilà qui était très gênant pour un éditeur comme naBan qui se retrouvait régulièrement invisibilisé et inaccessible. Dommage, car la bulle était joliment conçue et décorée. C’était d’autant plus problématique que la fréquentation du lieu a été très importante tout au long du festival, la palme revenant au samedi avec une file d’attente extérieure de plusieurs dizaines de mètres. Car malgré Alligator 57 en passage obligé, les festivaliers venaient pour les mangas, pas pour bouffer des trucs nuls hors de prix ou regarder évoluer des skateurs sur de la musique techno. D’ailleurs, ce nouvel espace était ridicule et hors sujet. J’espère que ce n’était qu’une installation provisoire.

Cela va passer inaperçu du fait de la fréquentation record et des ventes qui vont avec mais il y a eu des ratés dans la programmation : du fait d’erreurs d’horaire dans la version imprimée du « Heure par heure », de chevauchement de programmes, plusieurs rencontres ont été annulées, ou ont commencé en retard, ou se sont déroulées devant un très maigre public. Rien qu’à mon niveau, j’en ai eu l’écho de trois mais je sais qu’il y en a eu d’autres. Une festivalière pro m’a fait part de son désappointement de s’être rendue à une rencontre (et d’avoir interrompu une discussion avec des auteurs sur un stand pour cela) pour se retrouver dans une salle pratiquement vide et une animation annulée après plus d’une demi-heure de flottement où on annonçait simplement un retard, tout simplement parce que le « Heure par heure » était erroné. Et ce n’était pas la première fois que ça se produisait, lui a-t-on dit. C’est un peu ce qu’a connu Derf Backderf dont la rencontre avait été mal annoncée (une erreur de lieu) et qui s’est déroulée devant pratiquement personne. Son interprète s’en est excusé le lendemain lors de la rencontre sur la musique punk / rock et la BD. À propos de cette dernière, pauvre Derf Backderf qui a attendu plus d’un quart d’heure (on sentait qu’il s’impatientait) que JC Menu arrive après une dédicace qui avait débordé (et oui, il faut du temps pour descendre du Plateau). Encore plus fort, la rencontre croisée entre Akane Torikai et Maybelline Skvortzoff a été annulée parce que cette dernière était à une quarantaine de kilomètres de là, à Cognac, au moment de commencer la discussion autour des relations hommes-femmes.

Dernier loupé, la gestion des catalogues d’exposition : il n’y en avait que deux qui concernaient les expositions du musée d’Angoulême. Pourquoi si peu ? Surtout, ils ont étés rapidement indisponibles à la boutique du musée, dès le samedi midi. Celui consacré à Druillet, tiré seulement à 1 000 exemplaires (pour 1 500 pour celui consacré à Ikegami, c’est du gros n’imp’) était donc introuvable dans les bulles. Sans Rémi nous informant dimanche matin qu’il en restait un peu à la boutique de Manga City, je n’aurai pas pu en acquérir alors que j’y tenais particulièrement. Pourtant, ils n’étaient pas épuisés comme cela avait été le cas pour le Corben en son temps vu qu’il est désormais vendu sur la boutique en ligne du festival depuis ce lundi matin. Je ne sais pas si c’était la faute de Glénat qui tenait la boutique du musée ou celle de l’éditeur-distributeur 9e Art+, mais organisez-vous, bon sang !

Un point particulier

Il me reste à terminer sur l’exposition Ryōichi Ikegami, à corps perdus. Pour moi, elle n’avait rien à faire au musée d’Angoulême, étant donné le caractère « second couteau » du mangaka, un tâcheron comme il y en a tant au Japon mais pourtant adulé par quelques fans des mangas de genre, ceux avec des yakuzas ou avec de l’action à la façon des films de Hong-Kong des années 1980-1990. Certes, Ikegami a eu en francophonie son petit succès avec Crying Freeman et Sanctuary (mais à une époque où il y avait beaucoup moins de sorties), et il est toujours publié au Japon et en France malgré son âge avancé. Dans mon esprit, Fausto, le responsable de la programmation Asie s’est fait plaisir en bon fan-boy et a profité d’une occasion d’avoir l’auteur à Angoulême avec une exposition en sus. Cependant, ça n’a pas grand-chose de patrimonial, ce qui semble pourtant devenir le thème principal des expositions du musée. Il y a tellement d’auteurs et surtout d’autrices qui méritent plus qu’Ikegami d’être exposé·e·s à Angoulême, à commencer par Moto Hagio qui est déjà venue en France à trois reprises (Salon du livre de Paris, BPI, Japan Expo). Qu’on ne vienne pas me dire qu’elle est inaccessible comme l’est Rumiko Takahashi. En plus, le travail de Moto Hagio va être de plus en plus disponible en français dans les mois qui viennent.

Néanmoins, connaissant XaV, un des deux co-commissaires, je n’étais pas inquiet pour la partie contenu, et j’ai eu raison (même si j’ai eu l’impression que les cartels étaient moins développés que pour les expositions précédentes du musée angoumoisin). Pour moi, la scénographie montre bien les limites d’Ikegami qui était incapable de concevoir lui-même une histoire à ses débuts (il a donc rapidement travaillé avec des scénaristes). De ce fait, elle met bien en valeur ses co-créateurs et développe un aspect plus méconnu de la création du manga, plus collégial. J’ai aussi pu voir à quel point l’auteur faisait du sous-Chiba puis du sous-Hojo avant de trouver un style personnel, réaliste et reconnaissable (ce qui explique à mon sens son succès en francophonie au mitant des années 1990). Alors, oui, c’est plutôt beau, notamment le long du couloir final (mais ça manquait de fesses d’hommes a fait remarquer a-yin et c’est bien vrai), cependant c’est un peu sans intérêt à mes yeux. Toutefois, j’ai pu constater que le public appréciait l’exposition à entendre des réflexions autour de moi. J’ai pu aussi voir qu’il y avait du monde pour les dédicaces, et que sa masterclass avait fini par afficher complet. Il y avait manifestement des fans de l’auteur à Angoulême.

Le butin d’Angoulême

Finalement, je suis rentré avec pas mal d’achats, deux livres étant même dédicacés, Le 50e de Philippe Tomblaine (PLG, 2023) qui retrace les cinquante éditions du festival d’Angoulême. Agréable à lire, factuel, bien illustré, l’ouvrage permet de se rendre compte que les polémiques existaient déjà dès les premières éditions. Mon autre dédicace est de JC Menu sur Croquettes (Fluide Glacial, 2016). Cela m’amuse d’avoir un titre dédicacé de l’auteur (au talent certain, comme j’ai pu le voir dans l’exposition qui lui avait été consacré au festival il y a quelques temps) qui a tant craché sur les BD commerciales avant d’être publié par un éditeur « grand public » (Bamboo se trouve derrière Fluide Glacial). Je voulais le catalogue Druillet, je l’ai eu, et j’ai pris celui sur Ikigami, car je suis complétiste et que je sais que les textes et les reproductions seront de qualité. Je vais aussi avoir de la lecture en manga d’horreur / épouvante (merci à Benoit pour le Service de Presse, essaye de t’en souvenir et de ne pas me l’envoyer en double, haha !) alors que je ne suis absolument pas fan du genre. Mais Moroboshi, quoi ! No Offense est un catalogue d’une exposition fictive satirique envers le mouvement ayant entrainé l’annulation de celle consacrée à Bastien Vivès. Elle se base sur des feuilles blanches, une façon de dénoncer la censure apparue en Russie puis qui s’est développée en Chine. C’était gratuit, je n’allais pas refuser… Le Journal de Mickey était gratuit, lui aussi, je l’ai pris sur le stand du fameux magazine, magazine dont on a pu voir un exemplaire extrêmement rarissime au fonds patrimonial des imprimés. Un passage à la librairie de la Cité m’a permis d’acheter le petit livre des débuts de Fabcaro, celui que j’appréciais, pas comme celui qui a du succès depuis Zaï Zaï Zaï Zaï et qui ne fait que se répéter…

Enfin, je remercie 9e Art+, l’Agence La Bande, l’Association du FIBD, la Cité Internationale de la Bande Dessinée et de l’Image pour tout leur travail et la possibilité de me permettre de profiter du festival dans des conditions privilégiées. Je remercie aussi Manuka pour sa relecture. Je donne rendez-vous à tout le monde à janvier 2024, pour la cinquante-et-unième édition (soyons optimiste) !

FIBD 50 le butin

Angoulême, la cinquantième !

La conférence de presse de la cinquantième édition du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême a eu lieu ce lundi 28 novembre. Cette année, elle était située à la BNF Richelieu, dans la salle Ovale, nouvellement rouverte au public et proposant plusieurs milliers de BD dont de nombreux mangas. Impressionnant !

Depuis la réunion éditeur du mois de septembre, votre serviteur fait le grognon et critique le choix des expositions mangas qui n’ont pas l’heur de lui plaire. Et ce ne sont pas les horribles affiches et le flou sur le programme qui ont arrangé son humeur. Il faut dire qu’assistant au raout de fin janvier depuis 2004, il lui est difficile de ne pas se dire que c’était mieux avant alors qu’on a là une édition anniversaire.

C’est ça de devenir un vieux con blasé 😊… Cela ne m’empêchera pas de présenter un nouveau mini-site « Des Mangaversien·ne·s à Angoulême » !

La magie d’Angoulême a réussi à agir une fois de plus lors de cette conférence de presse (j’y vais depuis 2009). Est-ce le plaisir de retrouver quelques connaissances du monde de l’édition et de la presse spécialisée ? Est-ce le lieu chargé d’histoire et de livres qui a été choisi pour l’événement ? Quoi qu’il en soit, me voilà regonflé pour aller passer quelques jours dans la ville française de la BD fin janvier. Mais voyons plus en détail ce qui nous est présenté.

2023, une édition tournée vers la jeunesse et le futur.

Celles et ceux qui me connaissent savent mon amour pour les enfants et les réseaux sociaux : je déteste les uns comme les autres, ha ha ! Alors, voir que le festival développe de plus en plus son offre en direction de la jeunesse et sur Internet ne m’enchante pas plus que cela. Néanmoins, il faut reconnaître que c’est une évolution normale et souhaitable. Pfff, il va donc falloir que j’apprenne à utiliser Twitch ou Tik Tok (argl). Le festival ne voudrait pas plutôt aller sur Discord ? Au moins, j’y suis présent. Comme l’a fait remarquer (plus diplomatiquement que les propos suivants qui n’engagent que moi) Franck Bondoux, le directeur délégué du festival, il faut s’ouvrir au futur, ne pas regarder le passé (c’est pour cela qu’il n’y aura pas d’exposition rétrospective sur les 50 éditions du festival) et dépasser la BD « à papa » lue par les quinquas (et plus) qui sont, pour certains, incapables de lire autre chose que les séries de leur enfance. Le web est appelé à dépasser le papier, du moins auprès des jeunes. D’ailleurs, concernant le Quartier Jeunesse, je suis assez intéressé par l’exposition qui sera dédiée à la scénariste Marguerite Abouet, même si je n’ai rien lu de l’autrice. Et je me souviens d’y avoir vu une excellente exposition dédiée à Tom-Tom et Nana de Bernadette Després. Le Quartier Jeunesse aura encore un peu plus de place que les années précédentes, toujours aux Chais.

Du manga, beaucoup de manga

Les jeunes lisant du manga, la bande dessinée japonaise va aussi bénéficier d’un effort pour offrir un espace plus grand et plus attractif. Situé dans des bulles hors du plateau d’Angoulême depuis quelques années, le Quartier Manga va investir la Halle 57, un vieux bâtiment de la SNCF situé à côté de la médiathèque l’Alpha, bâtiment qui devait être détruit et qui va devenir un nouvel espace en dur pour le festival. Cela faisait quelques années qu’on en parlait, ça va devenir une réalité en 2023. C’est ainsi 3800 m² (nettement plus que la bulle située rue Coulomb) qui pourront être proposés aux fans de manga. Les éditeurs auront ainsi de la place pour s’installer. Un habillage rappelant les villes asiatiques (Tokyo, Séoul, Taipei) mettra les festivaliers en conditions pour le futur Manga City des prochaines années (une fois la réfection de la Halle 57 totalement achevée). Nous aurons ainsi le plaisir de retrouver Akata, Des Bulles dans l’océan, Glénat, IMHO, Hong-Kong, Kana, Makma, naBan, Nazca, Pika, Taïwan, etc. Il y aura même un stand Passe Culture, ça va faire hurler quelques grincheux sur un certain forum BD de référence, ha ha !

Trois expositions manga sont annoncées. Il y aura au Musée d’Angoulême Ryōichi Ikegami. À corps perdus, exposition dont je me fiche totalement tant l’auteur ne m’a jamais intéressé, même à mes débuts de lecteur de manga. Le seul point qui peut sauver cette exposition patrimoniale, à mes yeux, est que les commissaires devraient arriver à faire quelque chose d’instructif sur un auteur has been qui n’intéresse plus grand-monde, à part Fausto, le responsable de la programmation Asie. Oui, je suis toujours remonté envers un tel choix… Un catalogue sera proposé mais je ne pense pas l’acheter.

Nous pourrons voir (je ne dis pas admirer) le travail de Junji Ito au sous-sol de l’Espace Franquin (en salle Iribe, donc) avec l’exposition Junji Itō, Dans l’antre du délire. Moi, ça ne me fait pas délirer mais il faut reconnaître que grâce à l’éditeur Mangestu, l’auteur est à la mode actuellement et il mérite amplement une présentation de son travail. De plus, c’est un fidèle du festival. On nous promet une exposition immersive. Nous verrons bien sur place mais je dois avouer que ma curiosité est titillée…

La grosse exposition du festival sera L’Attaque des Titans, de l’ombre à la lumière. Située à la médiathèque l’Alfa, elle devrait être du niveau de l’inoubliable exposition Batman 80 ans de 2019. Dans un décor immersif, 150 planches originales couvrant l’intégralité de la série nous serons proposées. D’ailleurs, étant donné son coût, l’exposition sera payante : il faudra ajouter 10 euros au passe festivalier et elle ne sera ouverte aux professionnels qu’uniquement le mercredi. Il sera toutefois possible d’acheter un billet seul s’il reste de la place (en toute fin de journée, j’imagine) lors des autres journées. Le souci est que je ne prévois pas d’être au festival dès mercredi, ce qui ne me traumatise pas, même si j’aimais bien le titre (mais pas au point de l’acheter).

Sauf contretemps, les trois auteurs concernés par les expositions viendront du Japon et honoreront le festival de leur présence. Il y aura vraisemblablement quelques autres mangaka invité·e·s par différents éditeurs. N’oublions pas la remise du prix Konishi qui récompense le travail d’une traductrice ou d’un traducteur de manga. Sylvain Chollet sera-t-il enfin récompensé ?

De la Franco-Belge, oui, du Comics, non

Les fans de bande dessinée américaine risquent d’être déçus. Aucune exposition sur la création américaine n’est prévue, ni aucun espace dédié : ce sera « passez, il n’y a rien à voir ». Le Canada sera présent grâce à un stand (Pow Pow aussi) dans la bulle du Nouveau Monde. Une exposition dédiée à Julie Doucet, Grand Prix 2022, se tiendra à l’Hôtel Saint-Simon. Il faudra se tourner vers les éditeurs dédiés comme Urban Comics (Panini semble devoir être absent), 404 Comics, Delirium, Komics Initiative, etc. pour pouvoir se prendre une dose d’amerloqueries. Pour ce qui est des invité·e·s en Rencontres Internationales, il est trop tôt pour savoir qui sera présent·e.

La bande dessinée franco-belge va surtout être représentée par l’exposition Les 6 Voyages De Philippe Druillet. Il y aura deux lieux : le Musée d’Angoulême et la chapelle voisine. Je n’aime pas Druillet mais cela pourrait être intéressant. Un catalogue va être proposé et je prévois de l’acheter de suite, afin de ne pas connaître la mésaventure du catalogue dédié à Corben en 2020. Il y aura aussi Dans les yeux de Bastien Vivès au Musée du Papier, mais là, ça sera sans moi. J’espère que l’exposition Couleurs ! sera intéressante. En tout cas, il y aura pour cela de l’espace car située au rez-de-chaussée du bâtiment Castro, pardon, au Vaisseaux Mœbius (c’est à ce détail qu’on voit les vieux festivaliers). Le métier de coloriste a trop longtemps été ignoré malgré son importance. Certainement parce qu’il était essentiellement exercé par des « bonnes femmes ». Au fait, les scénographes, pensez à mettre un peu de lumière, par comme les années précédentes, hein !  Toujours au Vaisseau Mœbius, mais à l’étage, nous aurons Elle résiste, elles résistent, exposition dédiée à Madeleine, Résistante : la rose dégoupillée, de Jean-David Morvan et Madeleine Riffaud au scénario et Dominique Bertail au dessin.

Et le reste…

Au rez-de-chaussée de l’Espace Franquin, il sera possible d’admirer 50 regards d’autrices et d’auteurs (dont Derf Backderf, Ino Asano, Florence Dupré la Tour, Tom Gauld, Léa Murawiec, Naoki Urasawa) sur les 50 ans du festival. Intéressant… Un portfolio à 150 € sera même proposé aux plus fortunés d’entre nous. Les amateurs de planches originales et d’illustrations devraient trouver leur bonheur à la nouvelle Place du 9e art. Les autres bulles devraient être reconduites dans une configuration proche de l’édition 2022. Le Spin Off sera à nouveau aux Ateliers Magelis, le Pavillon Jeunes talents au NIL (avec l’exposition Worldwide Comics Explosion présentant dix autrices et auteurs de demain), il y aura un concert dessiné au Théâtre avec Ana Carla Maza et Aude Picault (dont on avait pu apprécier une exposition en 2022), des masterclass (celle de Hajime Isayama est déjà complète), des rencontres Internationales, et d’autres sous le patronage de Télérama ou du Point, des conférences au Conservatoire (vais-je en proposer une ? cela va dépendre du responsable, s’il veut de moi), etc. etc. Il y aura aussi les animations de la CIBDI, avec une exposition dédiée à Fabcaro, entre autres. Stay Tuned, comme on dit…

Un souffle féminin dans le seinen manga (2/2)

Voici la fin de la version rédigée de ma conférence donnée au Conservatoire le 19 mars 2022 à l’occasion du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême. La première partie est consacrée à la définition et à un rapide historique du seinen manga. La seconde se focalise sur la présence des auteures au sein de ces publications principalement destinées à un lectorat masculin adulte.

Quand le manga se féminisait

Durant les années 1960, alors que le miracle économique japonais s’exprime à plein avec le boom Izanagi, les industries culturelles ne sont pas en reste. C’est ainsi que le marché du manga croît prodigieusement. Le passage au rythme hebdomadaire de plusieurs magazines à la fin des années 1950 ainsi que l’apparition de nouveaux titres durant les années 1960 dont le fameux Weekly Shônen Jump, a provoqué un développement économique et éditorial sans précédent de la bande dessinée. Le lancement de ces nouveaux supports oblige les éditeurs à trouver toujours plus d’auteurs pour pouvoir remplir les pages de leurs différents magazines. Cette croissance profite à tous les genres et le shôjo manga est de plus en plus créé par des femmes, les mangaka hommes étant dirigés vers les supports pour garçons. Ils sont donc remplacés par des femmes qui se lancent dans le métier dès la fin de leurs études secondaires. Leur jeune âge permet  ainsi une plus grande proximité des magazines avec leur lectrices. Actuellement, à part quelques rares cas, les magazines destinés à un public féminin ne proposent que des mangaka femmes.

Durant cette évolution, des auteures vont révolutionner le shôjo manga : Hideko Mizuno et quelques autres ont redéfini les contours du genre en proposant des histoires mettant en scènes des relations, souvent sentimentales, entre les garçons et les filles, en y développant la romance et surtout étant ancrées dans la réalité de la société japonaise. Des pionnières comme Moto Hagio et Keiko Takemiya vont élargir considérablement le champ des possibles, notamment en proposant des récits de science-fiction épiques dans des magazines shôjo et même shônen. En effet, la libéralisation des mœurs venue de l’Occident, le vieillissement du lectorat qui a, de ce fait, de nouveaux centres d’intérêt, permettent aux éditeurs d’accompagner leurs lecteurs et leurs lectrices et de proposer des histoires de plus en plus matures. La série Fire !, parue entre 1969 et 1971 dans l’hebdomadaire Seventeen, est l’une des premières séries shôjo à succès avec un protagoniste masculin. C’est également et surtout une histoire dans laquelle la mangaka met en scène la première représentation connue d’une relation sexuelle dans un magazine shôjo d’un grand éditeur — chose pratiquement inconcevable à une époque où la plupart des personnages étaient des préadolescentes. En effet, l’amour, platonique bien entendu, vient à peine de faire son apparition dans le shôjo vers le milieu des années 1960.

La courte série Nous sommes onze a été prépubliée en 1975 dans le mensuel Bessatsu Shôjo Comic. Pour ce récit, Moto Hagio a reçu le prix manga Shôgakukan en 1976, réalisant le doublé avec son autre série à succès, Poe no ichizoku. C’est une sorte de huis-clos spatial où dix postulants à une prestigieuse académie militaire doivent réussir ensemble une épreuve de survie afin de valider leur concours d’entrée. Bénéficiant d’une narration rythmée, l’histoire nous propose du mystère et du suspense, le tout mis en scène dans un environnement grandiose. L’auteure s’intéresse aux différents protagonistes en prenant le temps de les présenter et de leur donner un rôle. Enfin, cerise sur le gâteau, les questions de genres — biologique, psychologique et social — sont évoquées par le biais du personnage de Flore, ce qui apporte une certaine profondeur au récit. Destination Terra de Keiko Takemiya est un autre exemple de récit de science-fiction écrit par une femme. La série est prépubliée dans le magazine Gekkan manga shônen (Asahi Sonorama) entre 1977 et 1980. Ici, l’humanité a dû migrer sur d’autres planètes suite au désastre écologique qui a rendu la Terre inhabitable. Une nouvelle organisation sociale très stricte a été mise en place pour éviter de renouveler les mêmes erreurs. Celle-ci repose sur le contrôle universel. Le héros de l’histoire va comprendre en quoi celui-ci consiste et va lutter pour que l’humanité retrouve la liberté.

Garo

C’est donc par le biais de la science-fiction que les premières incursions des mangaka femmes vont se faire dans les magazines pour garçons, mais le plus souvent de façon épisodique. Cependant, auparavant, grâce à un magazine bien particulier, elles ont eu l’occasion de s’exprimer en dehors du shôjo manga. Garo a été créé en 1964 pour que Shitaro Sampei puisse créer des gekiga sans les contraintes commerciales des hebdomadaires de shônen manga qu’il ne supportait plus. Très rapidement, le magazine s’est ouvert à l’expérimentation et aux créations personnelles. Yoshiaru Tsuge en est un des représentants emblématique. Si la plupart des bandes dessinées proposées par Garo sont réalisées par des hommes, quelques femmes y trouvent une petite place et font même école.

Kuniko Tsurita est la première à être régulièrement publiée dans la revue et une anthologie de ses créations vient de sortir chez Atrabile. Nous sommes là très loin des récits d’aventure ou de romance car la mangaka est résolument en prise avec son époque (du mitant des années 1960 au début des années 1980), ce qui la rattache au courant du gekiga, mais avec un dessin résolument personnel. Autre auteure remarquable : Hinako Sugiura qui a publié durant les années 1980 plusieurs histoires courtes rattachées à son cycle Oreillers de laque. Il s’agit d’une historienne qui faisait aussi du manga en reprenant le style des estampes du « Monde flottant ». Deux tomes sont sortis aux Éditions Philippe Picquier il y a une quinzaine d’années. Être des pionnières ne leur a pas porté chance, les deux femmes étant mortes relativement jeunes (37 ans pour Tsurita, 46 ans pour Sugiura). Notons que Kiriko Nananan a publié dans Garo au début des années 1990 quelques chapitres de Water. N’oublions pas COM, la revue « concurrente » créée en 1967 par Osamu Tezuka, qui propose aussi quelques récits créés par des femmes, la plus importante, outre Hideko Mizuno, étant Masako Yashiro qui sera aussi publiée au début des années 1970 dans le magazine Manga shônen (Asahi Sonorama) avec une courte série de science-fiction, ouvrant peut-être ainsi une porte à Keiko Takemiya et à ses consœurs.

Du ponctuel au succès

En fait, il faut attendre le début des années 1980 pour qu’une série relevant du seinen manga créée par une auteure connaisse un grand succès public. Il s’agit, sans surprise, de Rumiko Takahashi, avec Maison Ikkoku, série prépubliée dans Big Comic Spirit (Shôgakukan) entre 1980 et 1987. L’auteure avait déjà été la première femme à devenir une auteure majeure dans le petit monde masculin du shônen manga avec Lamu — Urusei Yatsura puis avec Ranma ½ (Shûkan Shônen Sunday dans les deux cas, entre 1978 et 1987 puis entre 1987 et 1996). Durant les années 1980 et 1990, de plus en plus de femmes sont publiées dans les magazines pour garçon, la plupart du temps en utilisant un pseudonyme masculin. Cependant, elles restent très largement minoritaires et font généralement des incursions ponctuelles, continuant généralement leur carrière dans le shôjo ou le josei manga (qui est apparu dans les années 1980).

Il faudra attendre les années 2000 pour que des mangas réalisés par des femmes occupent durablement le devant de la scène. Bien entendu, c’est encore dans le shônen manga que cela se passe en premier, avec le studio CLAMP : il y a d’abord Angelic Layer à la fin des années 1990 dans Monthly Shônen Ace (Kadokawa shoten), puis le collectif change de public avec Chobits au début des années 2000, titre prépublié dans Weekly Young Magazine (Kodansha), puis ensuite avec xxxHOLiC (2003-2011, Weekly Young Magazine puis Bessatsu Shônen Magazine). Il y a surtout Hiromu Harakawa. Avec Full Metal Alchemist qui parait dans Monthly Shônen Gangan (Square Enix) entre 2001 et 2010, la mangaka montre qu’à l’instar de Rumiko Takahashi, il est possible pour une femme de faire essentiellement carrière dans les magazines pour garçon. Par contre, Harakawa ne semble pas décidée à faire durablement du seinen manga. À l’inverse, Fumi Yoshinaga, après une belle carrière dans le Boys’ Love et dans le shôjo manga (Antique Bakery et Le Pavillon des hommes), connait depuis quelques années un beau succès avec sa série What Did You Eat Yesterday? prépubliée dans Morning (Kodansha), commencée en 2007 et toujours en cours.

Plus important, il est possible pour une femme de faire carrière en commençant par le seinen manga. Fumiyo Kono débute en 1995 chez Futabasha, éditeur pour lequel elle reste longtemps fidèle. Elle crée de petits bijoux dans Manga Action comme Une longue route, Le Pays des cerisiers, Pour Sanpei, et surtout Dans un recoin de ce monde. Il est même possible de ne faire que du seinen manga, à l’instar de Kaoru Mori. Après avoir commencé comme beaucoup d’auteures avant elle dans le dôjinshi (une sorte de fanzinat), Kaoru Mori débute en 2002 au sein de la revue un peu « arty » Comic Beam (Enterbrain) avec Emma avant de poursuivre dans les différents supports de l’éditeur (Fellows puis Harta) avec Shirley et surtout Bride Stories (depuis 2009). Mieux, il est dorénavant possible de débuter et de connaître immédiatement un important succès public comme nous le montre un duo de femmes, Itsuki Nanao (scénario) et Nekokurage (dessin), avec Les Carnets de l’Apothicaire. La série est l’adaptation en manga d’une série de light novels (roman pour jeunes adultes) du même nom écrit par Natsu Hyūga (possiblement de genre féminin). La bande dessinée est prépubliée depuis 2017 dans Monthly Big Gangan (Square Enix) et a déjà été imprimée au Japon à plus 13 millions d’exemplaires pour seulement neuf tomes. Les éditeurs japonais ont ainsi la preuve que faire appel à des femmes pour leurs magazines destinés à un public essentiellement masculin permet d’avoir des séries à succès, tout en élargissant la base de leur lectorat. Quand aux auteures, elles ont de plus en plus la possibilité d’échapper aux carcans du shôjo ou du josei manga, et ont plus de choix dans le ton de leurs œuvres, dans le genre de récit abordé et dans leur rythme de travail.

Une grande variété

La douzaine de planches montrées ci-après donne un aperçu de la diversité du seinen manga réalisé par des femmes, tel qu’on peut le percevoir en francophonie. Il aurait été possible d’en montrer de nombreuses autres mais il fallait faire un choix. Celui propose toutefois une certaine variété graphique et ce sont toutes des œuvres récentes.

Avec Olympia Kykos, Mari Yamazaki propose une œuvre avec un graphisme et un récit qui sont très typés seinen. La série était prépubliée dans le bimensuel Grand Jump (Shueisha) et totalise sept tomes. Nous voyons ici qu’une mangaka peut faire exactement la même chose qu’un mangaka. Avec Demande à Modigliani (Big Comic Special, Shôgagukan, 5 tomes), nous avons un titre graphiquement plus difficile mais avec un thème typiquement seinen : celui de la vie étudiante. L’originalité vient ici du type d’études, celles que l’on reçoit dans les écoles d’art. Les questions qui tournent autour d’une voie incertaine sont au centre du récit car Ikue Aizawa, une jeune auteure, puise ici dans sa propre expérience. Akane Torikai aborde un thème bien plus difficile dans les huit tomes d’En proie au silence (Morning Two, Kodansha), celui des violences sexistes quotidiennes subies par la population féminine au Japon.

Jun Mayuzuki, qui a conçu une des trois affiches de l’édition 2022 du festival d’Angoulême, est une auteure qui a débuté dans le shôjo manga en 2007. Après la pluie (Big Comic Spirit, Shôgagukan, 10 tomes) est une comédie romantique à succès mettant en scène une lycéenne sportive qui a connu une grave blessure et son patron (elle a un petit boulot de serveuse dans un restaurant) qui est bien plus âgé. Il est aussi question d’une grande différence d’âge dans BL Métamorphose (Comic Newtype, Kadokawa shoten, 5 tomes) de Kaori Tsurutani qui puise dans sa propre expérience pour développer l’histoire d’une vielle dame qui découvre le Boys’ Love et une jeune vendeuse asociale qui rêve de devenir mangaka. Avec A Tail’s Tale (Comic Zenon, Tokuma shoten, 4 tomes), retour à la comédie romantique lycéenne qui propose une ode à la différence. Mizu Sahara est une mangaka qui a débuté dans le dôjinshi avant de connaître une carrière à succès dans le BL sous le nom de plume de Sumomo Yumeka.

Le thriller, le fantastique, la science-fiction, l’horreur et le sexy sont autant de domaines où les femmes excellent. Gift +/- (Manga Goraku, Nihon Bungeisha, 24 tomes, série en cours) est un thriller au dessin très soigné mais classique, mâtiné d’horreur et avec quelques scènes de violences sexuelles non consenties. Le titre s’adresse à un public averti, comme on dit. Yuka Nagate, la mangaka, exerce dans le domaine du seinen manga depuis une quinzaine d’années après avoir débuté dans le Weekly Shônen Magazine de Kodansha et y avoir publié pendant cinq ans. La tonalité de La Lanterne de Nyx est totalement différente. Il s’agit là d’un récit fantastico-historique très calme. Kan Takahama est une auteure connue ici, abondamment publiée y compris avec des créations originales directement destinées à la francophonie. Récit plus ou moins policier et teinté de fantastique, le manga d’Aki Irie, Dans le sens du vent – Nord, Nord-Ouest (Harta, Enterbrain, 5 tomes, série en cours), lui permet d’exprimer pleinement son dessin si soigné et stylisé., ce qui correspond bien à la ligne éditoriale du magazine de prépublication.

Dorohedoro est la série à succès de Q-Hayashida.malgré les vicissitudes qu’elle a connu avec sa prépublication (IKKI puis HiBaNa et enfin Gessan, Shôgakukan, 23 tomes). Mélangeant science-fiction, magie, transformations corporelles ou démembrements divers et humour décalé, l’histoire nous présente un univers divisé en deux. Dans Versailles of the Dead, Kumiko Suekane (qui n’a pas abandonné pour autant sa carrière de dôjinshika) va plus loin dans le gore. Débutée dans le magazine HiBaNa et achevée sur le site web de prépublication Ura Sunday (Shôgakukan, 5 tomes), la série revisite la France du XVIIIe siècle, juste avant la Révolution française, mais une France en proie aux zombies de toutes sortes. Le royaume est menacé, mais par qui ? Restons sur les costumes avec Sexy Cosplay Doll (Young GanGan, Square Enix, 9 tomes, en cours), mais ceux des animés et jeux vidéo à succès. Il s’agit d’un récit situé dans l’univers du cosplay avec des jeunes filles aux formes (très) développées et pas toujours très habillées. C’est pourtant bien une femme qui, sous couvert d’un nom de plume masculin, Shinichi Fukuda, qui en est la créatrice. Il faut dire qu’elle s’est fait une spécialité des mangas plus ou moins érotiques basés sur des « gros plans culottes et décolletés ».

Après avoir rapidement passé en revue douze mangas montrant l’importance et la qualité des seinen réalisés par des femmes, intéressons-nous à deux auteures emblématiques de ce souffle féminin qui apporte une diversité certaine dans le manga pour homme.

Cuvie, une double carrière

Originaire de Nagoya, vivant à Kyoto, née en juillet 1976, Cuvie (dont le pseudonyme est emprunté au magazine CUTiE) a commencé sa carrière professionnelle en 2001, alors qu’elle était encore étudiante, en publiant de courts récits hentai, après avoir été repérée par ses dôjin. En effet, entre 1997 et 2004, elle animait un cercle qui proposait ses travaux lors des comiket d’été. Elle a la particularité de poursuivre sa carrière d’autrice de manga hentai alors qu’elle produit depuis de nombreuses années des séries plus grand public dans des magazines young pour Akita shoten ou seinen (pour Kodansha). Elle est réputée pour sa grande productivité.

En presque vingt ans d’une carrière toujours en cours d’autrice hentai, elle a publié de nombreux recueils reprenant ses différentes histoires courtes (toutes ne sont d’ailleurs pas compilées) chez de nombreux éditeurs spécialisés tels que Issuya, Fujimi Shuppan, Wanimagazine, etc. Selon les années deux à quatre recueils paraissent, ce qui représente plus d’une trentaine d’ouvrages parus entre 2003 et 2021.

Sa carrière prend une autre dimension en 2005 lorsqu’elle publie Dorothea, le châtiment des sorcières, (six tomes chez Asuka) entre juin 2005 et mars 2008 dans un magazine plus grand public de Fujimi Shobo (une marque de Kadokawa shoten, rien à voir avec Fujimi shuppan), le mensuel Dragon Age qui s’adresse à un public amateur d’héroïnes à (très) forte poitrine. Elle crée aussi pour Akita shoten. D’abord, elle publie en 2007 une série courte dans une des déclinaisons du Young Champion, puis vient ensuite toujours dans le même magazine Nightmare Maker, une comédie érotique qui totalise 6 tomes entre 2008 et 2012. À noter qu’il existe une version ebook non censurée qui nécessite un avertissement aux mineurs. En 2013, Cuvie passe dans Champion RED ichigo pour une autre courte série (un volume publié en 2014) mettant en scène succubes et incubes. Ensuite, en septembre 2013, c’est le début de l’aventure En scène ! dans le magazine principal Champion RED, un titre qui compte 19 tomes et qui est toujours en cours.

Kodansha ouvre ses portes à Cuvie en 2011 qui publie dans le défunt Nemesis la série en trois tomes Kagome no Mura, un récit d’action érotisant qui s’achève en 2013. Ensuite, vient Hitohake no Niji entre 2015 et 2017, à nouveau en trois tomes. Il s’agit cette fois d’un récit fantastico-érotisant autour de la peinture classique occidentale glorifiant la beauté féminine. Dans la foulée, toujours pour le même Nemesis (puis pour Comic Days) Cuvie crée une nouvelle série en trois tomes (2018-2020), mais d’une tonalité totalement différente : Erzsébet, une fiction historique située à la fin du 19e siècle et basée sur l’indépendance de la Hongrie. Elle met en scène une activiste qui va être amenée à rencontrer Sissi, l’impératrice d’Autriche.

Ayako Noda, la nouvelle génération

Ayako Noda a commencé sa carrière professionnelle en 2011 après avoir remporté un concours pour débutants organisé par le magazine IKKI (Shôgakukan). Elle y réalise ensuite sa première série, Le Monde selon Uchu (2 tomes, Casterman), qui est remarquée par la presse généraliste à l’exemple du journal Asahi Shimbun. Parallèlement à ses créations dans le seinen manga, elle crée des Boys’ Love sous le pseudonyme de Niboshiko Arai. Elle publie principalement dans deux magazines spécialisés, Opera (Akaneshinsha) et OnBlue (Shodensha). Il s’agit de récits courts, tel que le demande un genre où les histoires longues sont rares. Elle a publié cinq titres dans Opera et trois dans OnBlue. Actuellement, elle a une série BL qui est prépubliée dans Comic Marginal (Futabasha) : Mugi-kun no mune no uchi dont un tome est sorti en version reliée.

En seinen manga, elle a notamment publié Incandescence (Lézard Noir, 3 tomes) et Double (Lézard Noir, 2 tomes sur 5), ce dernier titre fait d’ailleurs l’objet d’une adaptation en un drama de dix épisodes diffusés sur une chaine de télé numérique. Outre le fait de mener en parallèle une double carrière BL / seinen manga, il est remarquable qu’Ayako Noda ne change pas de style graphique, même si celui-ci évolue avec les années. De plus, elle apporte autant de soin à ses personnages, qu’ils soient pour du BL ou du seinen. Nous sommes loin, notamment pour le BL, d’un style graphique « canon », imposé comme cela a été longtemps le cas chez un éditeur comme Libre shuppan. Dans les deux types de manga, ses histoires sont ancrées dans la réalité japonaise actuelle. Par contre, récit de genre oblige, ses histoires BL intègre des relations charnelles que l’on ne retrouve pas dans ses seinen manga.

Le cas d’Ayako Noda n’est pas unique et elle n’est pas précurseure. Depuis quelques années, plusieurs auteures venues du BL poursuivent de front le même genre de carrière, même si leurs publications grand public prennent plus d’importance du fait de leur plus grande audience. Nous avons évoqués ici le cas de Fumi Yoshinaga, ou de Mizu Sahara, mais il ne faut pas oublier des auteures comme Natsume Ono (Ristorante Paradisio, Gente et Goyô chez Kana) / Basso (Tonari ni vo est censé sortir chez Taifu en 2022), est em (Tango aux Éditions H) ou Asumiko Nakamura dont quelques BL sont disponibles dans la collection Hana chez IDP. Cette dernière est aussi réputée pour ses œuvres seinen comme Utsubora (Manga Erotics f, Ohta Shuppan, 2 tomes) que ses BL comme Dôkûsei (Opera, Akaneshinsha, 1 tome). Il est peut-être là, le véritable souffle féminin dans le seinen manga !

Un souffle féminin dans le seinen manga (1/2)

Ceci est le texte développé de ma conférence donnée au Conservatoire le 19 mars 2022 à l’occasion du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême. La première partie est consacrée à la définition et à un rapide historique du seinen manga et la seconde se focalise sur la présence des autrices au sein de ces publications principalement destinées à un lectorat masculin adulte.

On parle de quoi ?

Il fut un temps où, au Japon, les hommes concevaient et réalisaient tous les mangas, même ceux destinées aux petites filles. Celles-ci ont grandi et certaines ont désiré créer des bandes dessinées comme celles qui les avaient fait rêver enfant. Au cours des années 1960, elles sont ainsi de plus en plus nombreuses à prendre une place qui leur revient. Mieux encore, depuis de nombreuses années, elles sont devenues des auteures à succès en créant des mangas à destination d’un public masculin qui se vendent à des millions d’exemplaires. Cette évolution, qui a vu les femmes passer de simples lectrices (quand elles étaient jeunes) à créatrices, y compris dans le manga pour hommes, est le sujet du présent dossier.

Prépublication et classification au Japon

Pour bien cerner notre champ d’étude, il est nécessaire de rappeler rapidement comment le manga est édité au Japon et des classifications qui en découlent. Si en France, on connaît les mangas principalement sous une seule forme, au Japon, les bandes dessinées sortent généralement en premier dans des magazines de prépublication (mangashi). Une fois qu’il y a assez de chapitres (donc de pages), le titre sort en format relié, c’est-à-dire sous la forme d’un livre au format poche ou semi-poche (tankobon) comprenant 140 à 220 pages (180 le plus souvent). Certains magazines sont hebdomadaires, d’autres bimensuels, mensuels, trimestriels, voire annuels (les « spéciaux »). Il existe de nombreux magazines et ils visent tous un lectorat précis. C’est un marché très segmenté et c’est donc en fonction du public principalement ciblé que l’on va les classifier. Ceci dit, les magazines papiers sont de plus en plus remplacés par des sites internet de prépublication qui sont plus multi-audiences (par exemple Ura Sunday de Shôgakukan ). De plus, comme les classifications japonaises sont assez mal utilisées en France, il vaudrait peut-être mieux les oublier pour s’intéresser plutôt aux types d’histoires proposées, comme le fait un éditeur comme Akata. Néanmoins, étant utilisées par quasiment tout le monde, voici un rappel des principales classifications qui sont faites : shônen, shôjo, seinen, josei mais aussi kodomo, etc.

Il s’agit là de cœurs de cible, le lectorat est plus étendu et les limites des catégories sont parfois assez floues. Les filles ou les adultes peuvent lire du shônen là où on ne verra quasiment aucun garçon lire du shôjo manga. Il y a aussi de nombreuses thématiques qui sont abordées dans des magazines spécialisés. Ils ont donc un ciblage axé sur le thème, celui-ci qui comptant plus que la tranche d’âge et le sexe. Voici quelques exemples de mangas de genre : horreur / fantastique / science-fiction, mah-jong, Gundam (franchise à succès mettant en scène des robots géants), boys’ love (yaoi), érotisme ou pornographie (hentai), lolicon (lolita complex) / moe (mignon), yonkoma (gags en quatre cases), etc. Tout part donc du magazine de prépublication (sauf à de rares exceptions près) et une connaissance fine du support permet de se faire une idée précise de son contenu, même si celui-ci est souvent très varié au sein d’un même numéro.

Chaque magazine a un rédacteur en chef qui dirige le mangashi et qui définit la ligne éditoriale. Il y a surtout une équipe d’éditeurs (tantosha), ceux-ci étant chargés de superviser un certain nombre d’auteur·e·s (mangaka). Ce sont les tanto qui vont voir avec chaque auteur·e dont ils ont la charge comment réaliser un chapitre pour le prochain numéro à paraitre. Si leur but premier est de récupérer les planches dans les temps, il est important de rappeler l’importance des tanto sur la tonalité de l’histoire et la mise en scène des péripéties. Cela varie selon la politique du magazine et le caractère des mangaka, mais les tanto peuvent être très directifs comme nous le montrait Mikito Takase (tanto de Makoto Yukimira, l’auteur de Vinland Saga) lors d’une rencontre organisée au Festival d’Angoulême 2010. D’ailleurs, généralement, ce sont les tanto qui ont le dernier mot. De plus, le rythme de parution du magazine conditionne la taille du chapitre et la fréquence des réunions. Les hebdomadaires sont réputés être plus formatés que les mensuels. La série Réimp’ nous montre la vie de la rédaction d’un magazine de prépublication de manga. Le titre, créé par la mangaka Naoko Mazda est prépublié depuis 2012 dans Big Comic Spirit et compte 17 tomes au Japon.

Pour un hebdomadaire, l’auteur·e doit produire généralement 16 pages, ce qui l’oblige à travailler six jours sur sept, dont trois ou quatre journées intenses lors de la production des planches qu’il faut rendre impérativement à temps. Pour un bimensuel, on est généralement à 20-30 pages, pour un mensuel, c’est plutôt entre 40 et 60 pages. Dans quasiment tous les cas, le ou la mangaka fait appel à des assistant·e·s en plus ou moins grand nombre, selon le volume de pages à produire. Il y en a souvent deux à quatre et il peut y avoir une hiérarchie dans l’équipe, liée au type de travail (dessin des décors, pose des trames, gommages, etc.). Ceci étant dit, voyons maintenant plus précisément ce qu’est le seinen manga, ce que le terme recoupe, quand il est apparu et s’est développé.

Un peu de pinaillage

La classification seinen manga peut être considérée comme étant une sorte de fourre-tout où on peut y mettre ce que l’on ne peut pas facilement ranger autre part. De plus, la plupart des magazines vont viser des tranches d’âges différentes, voire des public différents, ce qui apporte une grande diversité. C’est ainsi qu’il est intéressant de distinguer les young seinen des seinen « classiques », des titres « alternatifs » ou ceux « spécialisés », etc. Les young seinen (ce qui signifie jeune jeune, si on traduit les deux mots issus de l’anglais et du japonais) visent principalement un public assez jeune (donc), des post-adolescents et des jeunes adultes (16-20 ans). Le terme « young » est d’ailleurs souvent présent dans le nom du magazine et les couvertures proposent généralement des photos de jeunes filles peu habillées (que l’on appelle des « gravures »). Les Young Magazine (Kodansha), Young Jump (Shueisha), Young Champion (Akita shoten) et Young Gangan (Square Enix) sont les titres les plus connus. Ceux que l’on appelle plus communément « seinen » visent plutôt les étudiants et les salary men, tout comme les alternatifs (mais dont le lectorat est plus féminin). Les titres de Kodansha (Morning, Afternoon, Evening), de Shôgakukan (Big Comic et toutes ses déclinaisons), de Futabasha (Manga Action) sont les plus réputés.

En ce qui concerne les magazines dits « alternatifs » (même si ce terme ne veut rien dire), au contenu souvent plus expérimental, c’est un peu la Bérézina ces dernières années. Garo a été remplacé par Ax au début des années 2000, COM n’a pas survécu aux déboires financiers de Tezuka au début des années 1970, Ikki a été remplacé par HiBaNa en 2014 (dont le lectorat était à 70% féminin) qui s’est arrêté après seulement trois années, Manga erotics f a cessé de paraitre en 2014. Bref, il ne reste que Ax, mais pour combien temps ? Nous reviendrons un peu plus loin sur les cas de Garo et de Manga erotics f.

Il existe aussi toute une série de supports que l’on pourrait considérer comme « spécialisés » dans un genre, un thème, un univers, etc. Il y a des magazines qui ne proposent que des yonkoma (gags en quatre cases), d’autres qui ne proposent que des histoires de mah-jong, etc. Un exemple : Manga Home (Hôbunsha) contient principalement des récits centrés sur la vie domestique et familiale. Le magazine s’adresse à toute la famille, principalement à la « maîtresse de maison ». De nombreuses auteures y officient et, sans surprise, le lectorat est très mixte. Nous pouvons aussi évoquer Lupin III Official Magazine (Futabasha), un trimestriel (passé du papier au web en 2016, arrêté en 2017) qui se consacrait uniquement à la série mettant en scène Lupin III, en proposant surtout des informations sur les produits dérivés et un peu de manga. Newtype (Kadokawa shoten) est un magazine qui se consacre à la science-fiction, à l’animation et aux jeux vidéos. Entre deux articles d’actualités, les mangas qui y sont prépubliés sont souvent liés à des franchises. Il ressemble plus à un magazine tel qu’on le conçoit en occident qu’à un mangashi.

Il y a aussi le cas des magazines érotiques ou pornographiques à destination d’un lectorat adulte et masculin. Sont-ils à classer en seinen ou dans leur propre case ? C’est à chacune et à chacun de se faire son opinion. Un magazine comme Manga erotics f proposait des histoires centrées sur le sexe (de façon parfois très crue ou extrême) mais pas uniquement. Sa ligne éditoriale très libre et variée a permis la publication de nombreux récits expérimentaux ou en décalage avec ce que pourrait laisser penser son titre. De nombreuses auteures y ont proposé leurs œuvres et le lectorat était mixte. Le contenu était varié et il y avait une différence énorme au niveau de la charge érotique et la représentation du sexe. C’était le cas entre les histoires courtes assez extrêmes de Shintaro Kago (inédites en français), des séries courtes comme l’explicite et juvénile La Fille de la plage de Ino Asano (IMHO), les innocents Ristorante Paradisio de Natsume Ono (Kana) et Fleurs bleues de Takako Shimura (Asuka), deux titres réalisés par des femmes, ou l’érotisme léger et stylisé des Enfants de l’araignée de Mario Tamura (Casterman). S’il y a un fétichisme dans Ristorante Paradisio, il s’agit celui des hommes murs à lunettes en uniforme de serveur car le manga suit une jeune femme qui a une relation compliquée avec sa mère qui l’a abandonnée enfant pour aller vivre avec le patron d’un restaurant. Fleurs bleues se situe dans la droite ligne de la culture shôjo shôjetsu initiée dans les années 1920 par l’écrivaine Nobuko Yoshiya qui a créé nombre de romances scolaires platoniques mettant en scène des adolescentes fascinées et attirées par leurs ainées.

Comic Kairakuten de l’éditeur Wanimagazine pose la question clairement de sa classification en seinen manga. Son contenu est très explicite, souvent pornographique, mais ne propose pas vraiment de sexualité plus ou moins déviante comme on a pu l’avoir dans Manga erotics f. C’est de la pornographique classique, explicites et proposant de nombreux gros plans. Le magazine Comic Rin (Akane shinsha qui édite aussi Opera, un magashi Boys’ Love) en est un autre exemple, plus orienté moe, lolicon et même hermaphrodisme. Ce magazine qui est paru entre 2004 et 2012 (en partie remplacé par Comic LO du même éditeur) avait la particularité de compter un nombre important de femmes mangaka, ce qui n’est pas courant pour ce type de support. Pour compliquer le tout, le magazine Young Animal (Hakusensha) propose des histoires très explicites, mais les organes génitaux sont floutés : les hommes comme les femmes ont du brouillard entre les jambes. En fait, peut-être plus que l’interdiction au moins de 18 ans, cette autocensure pourrait être le critère déterminant pour inclure ou exclure telle revue de la classification seinen car les magazines à caractères pornographiques ne manquent pas au Japon. Des collections comme NiHo NiBa (Taifu Comics) ou Hot Manga (IDP) proposent nombre de ces publications en version française.

Une petite histoire du seinen manga

C’est au mitan des années 1950 que le manga grand public visant un public plus âgé fait son apparition. Si la bande dessinée destinée aux adultes existe depuis de nombreuses années dans la presse quotidienne, il faut attendre novembre 1956 et l’arrivée du magazine Weekly Manga Time en tant que supplément d’un autre hebdomadaire de Houbunsha, éditeur qui revendique d’être le premier à avoir mis en place un rythme de sortie hebdomadaire. S’ensuit Weekly Manga Sunday (Jitsugyo no Nihon sha) qui est lancé quelques mois plus tard. Pour info, Hinako Sugiura y publie Miss Hokusai (Picquier) entre 1983 et 1987. Il faut ensuite attendre la fin des années 1960 pour voir apparaitre d’autres magazines seinen avec le lancement du Manga Action Weekly de Futubasha en 1967. Il est suivi un an plus tard par Big Comic de Shôgakukan. Viennent ensuite, entre la fin des années 1970 et le début des années 1980, plusieurs magasines visant un public plus jeune avec Weekly Young Jump, Young Magazine, etc.

Dans les années 1950 et 1960, les magazines seinen contiennent du rédactionnel et ressemblent un peu aux magazines « de charme pour hommes » tels qu’on les connait ici (genre Lui), mais avec de la bande dessinée qui ressemble graphiquement plutôt au manga de presse. Il s’agit souvent de gags en quelques pages avec un contenu incontestablement misogyne étant donné la représentation des femmes qui est proposée. Feuilleter un ancien numéro de Weekly Manga Time des années 1960 ou 1970 peut être surprenant. La présence de femmes nues (y compris sur une double page qui se déplie) alors qu’il s’agit d’un numéro datant de 1962 est pour le moins… inattendu pour un magazine qu’on imagine de mangas. Comme pour les magazines destinés à un public plus jeune, le rédactionnel est remplacé au fil des années par du manga dont le style se diversifie de plus en plus. Il n’est pas inintéressant de voir l’évolution d’un titre comme Young Comic (Shônen Gaôsha) apparu lui aussi en 1967 et qui glisse au fil des décennies d’une revue pour homme trentenaire ou quadragénaire (son slogan est alors « comic for men ») à un support pour post-adolescents et jeunes adultes. Cette évolution se voit aussi aux couvertures, ici celles de Weekly Manga Time, qui sont tout à fait représentatives des changements éditoriaux des magazines seinen. Cependant, il n’y a toujours aucun doute sur le public visé.

La première partie de la conférence est terminée. La seconde s’attachera à montrer comment, petit à petit, les femmes ont su se faire une place dans cet univers essentiellement masculin. De nombreux exemples permettront de mieux saisir la diversité des titres proposées par des auteures de seinen manga. Enfin, un focus sur deux auteures viendront illustrer l’évolution récente de la carrière des mangaka femmes.

Festival d’Angoulême : c’est (re)parti !

Ce mardi 23 novembre, la conférence de presse du quarante-neuvième Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême a révélé les différentes sélections et rappelé les différentes réjouissances qui nous attendent pour fin janvier (si le COVID le veut bien). Pendant pas loin de deux heures (cette année, nous avons donc eu droit à une version plutôt longue), les expositions, les spectacles, les temps forts, les partenariats du festival nous ont donné une bonne idée de ce qui nous sera proposé. Voici quelques commentaires à chaud de votre serviteur et (normalement) futur festivalier pour la dix-huitième fois !

Nous avons une fois de plus droit à de belles affiches, montrant bien la diversité de la bande dessinée. Je suis bien content que Jun Mayuzuki ait été sollicitée pour en réaliser une (même si, pour l’instant, je peine à être convaincu par sa nouvelle série). Toutes les trois sont réussies, surtout celle de Chris Ware, le président de cette édition. Comme il y a deux ans, le tote bag presse nous en offrait une version miniature pour le bureau. Mignon…

Cette année, la conférence de presse a eu lieu au Palais de la Porte Dorée, où se trouve dorénavant le musée de l’Histoire de l’immigration. L’auditorium Philippe Dewitte pouvant accueillir près de 200 personnes a fait salle comble. Le musée est partenaire du festival avec la création d’un prix de bande dessinée qui s’intéresse aux œuvres intégrant des thématiques comme celles des migrations, de l’exil, des identités plurielles. La sélection proposée est d’ailleurs intéressante. Elle nous a été proposée après une introduction en musique et en image (avec un dessin réalisé en direct par Fanny Michaëlis, nous rappelant qu’il y a aussi un aquarium tropical dans les lieux) et un (long) discours.

La petite bande de Mangaversien·ne·s qui se retrouve tous les ans pour le raout angoumoisin est surtout intéressée par les expositions, les conférences et les rencontres. Pas de grosses surprises sur ces trois activités : les expositions ont été annoncées en avant-première lors d’une réunion éditeurs qui a eu lieu quelques semaines auparavant et, pour ce qui est du reste, les restrictions sanitaires en vigueur et futures ne permettent pas d’avoir une idée précise de ce qui sera proposé fin janvier. Il va falloir attendre la mise en ligne du heure par heure. Toutefois, en épluchant le dossier de presse, nous pouvons voir qu’il est prévu une masterclass avec Chris Ware le samedi 29/01 à 10 H au Théâtre d’Angoulême. Les autres rencontres organisées sous l’égide du Point ou de Télérama n’ont pas l’heur de m’intéresser (sauf celle avec Blain), je dois avouer. Néanmoins, nul doute que le programme va s’étoffer au fur et à mesure qu’on s’approchera de la fin janvier. Je sais aussi depuis 13 H que je vais avoir un sujet à préparer pour les « conférences et débats du Conservatoire », bénéficiant une fois de plus de la confiance de son organisateur. D’ailleurs, il me tarde de savoir qui seront les autres intervenants et sur quoi ils parleront tant ces conférences font partie de nos animations préférées pendant le festival (même si nous sommes obligés d’en manquer beaucoup).

En ce qui concerne les expositions, cinq m’intéressent tout particulièrement :  « Building Chris Ware » (Espace Franquin),  « René Goscinny scénariste, quel métier ! » (musée d’Angoulême),  « Loo Hui Phang, écrire est un métier » (Espace Franquin),  « Shigeru Mizuki, contes d’une vie fantastique » (musée d’Angoulême) et  « Christophe Blain, dessiner le temps » (Vaisseau Moebius). 9e Art+ aura l’excellente idée de proposer trois catalogues (Ware, Goscinny et Blain) à cette occasion. Les autres dépendront beaucoup du temps disponible dans un emploi du temps surchargé et de leur facilité d’accès (ce qui condamne celle à l’Hôtel Saint Simon). Il faut dire que les expositions du festival ont un niveau de qualité exceptionnel.

Mais venons-en à la compétition officielle (après tout, nous sommes à la conférence de presse pour cela et c’est elle qui fait gloser sur les réseaux sociaux et autres forums dédiés à la BD). Je n’ai globalement rien à redire des catégories Patrimoine (quoique Destination Terra aurait eu sa place mais le titre n’a peut-être pas été proposé par naBan), Polar, Jeunesse (8-12 et 12-14 ans), Eco qui me paraissent proposer des titres de qualité (j’en ai lu quelques uns, j’en ai d’autres dont la lecture est prévue). Je souhaite par contre bon courage aux lectrices et lecteurs du jury du Fauve Lycéen tant la sélection (dix titres pris dans la sélection officielle) me semble éloignée de leurs centres d’intérêt, sans parler d’un certain nombre d’œuvres qui sont assez pointues. Mais bon, je ne suis plus lycéen depuis bien longtemps.

Concernant la sélection officielle, j’avoue une réelle déception en ce qui concerne la bande dessinée asiatique (pour le reste, je n’ai rien à redire, j’en ai lu trop peu, comme tous les ans). Déjà, il n’y a pas assez de mangas (et je ne parle pas des mahua et des manwha qui sont carrément absents) par rapport à la diversités des sorties et à la part de marché prise par la bande dessinée japonaise en 2020 et 2021. Certes, il ne faut pas en sélectionner trop mais là… Sur 46 titres, il n’y en a que 6 ! Vous ne me ferez jamais croire que Kana, Ki-oon, Delcourt (mais bon, dans ce cas, il n’y a quasiment rien de bon chez cet éditeur), voire Kazé ou d’autres n’ont rien proposés de qualité. Y avait-il vraiment besoin de sélectionner le tome 4 de Mauvaise herbe. C’est excellent, j’adore, mais bon, il a déjà été sélectionné par le passé, il a eu sa chance, pas la peine d’insister… C’est surtout la présence de deux VEGA qui m’agace (pourtant, c’est un éditeur qui a toute ma sympathie). Natsume no sake en sélection ? Franchement, il y avait bien d’autres titres à proposer à la place. J’avoue ne pas comprendre comment on peut sélectionner ce titre alors qu’il y a déjà Le Bateau de Thésée de nommé une fois de plus (en 2020, et le fait que j’ai abandonné ces deux séries dès le tome 1 n’est pas étranger à mon petit coup de gueule, j’avoue). Et les quelques retours que j’ai pu avoir d’Une brève histoire du Robo Sapiens me laissent un peu dubitatif quand à sa sélection. Le contenant aurait primé sur le contenu ?

Il faut dire que le manga a le défaut, vis-à-vis d’une sélection, de proposer surtout des séries. Cela représente un handicap rédhibitoire, j’en suis certain (et je suis persuadé que le comité de sélection série n’a pas assez de poids dans le choix final). Quand je pense à tous les titres lus en 2021, je me demande pourquoi il n’y a rien de la collection Life de Kana (& – And ou Entre les lignes par exemple). Don’t Fake Your Smile, Sengo (j’ai réalisé après coup qu’il avait été sélectionné en 2020), Terrarium, Trait pour Trait, Wombs ou même Search and Destroy auraient toute leur place dans la sélection. Du côté des one-shot, citons Nos Meilleures Vies. En fait, les bons choix manga sont en Jeunesse à mes yeux. Après, je dois avouer que cela ne m’empêchera pas d’apprécier (ou non) cette édition. Pour moi, l’intérêt d’Angoulême est dans ses expositions et ses rencontres, je le répète !

Les Mangaversien·ne·s n’y étaient pas !

Ce dimanche 27 juin devait marquer la fin de l’édition 2021 du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême. Néanmoins, et for justement, elle a été annulée, les restrictions sanitaires ne permettant pas d’organiser correctement une manifestation drainant une grosse foule de festivalières et de festivaliers, sans oublier la quantité d’auteur·e·s, de presse, etc. participant à l’événement angoumoisin. Je n’ai donc pas pu montrer à ma camarade a-yin à quoi ressemble Angoulême en été (mes compères Tanuki et Manuka connaissent). Ceci dit, il a fait particulièrement moche sur le Poitou-Charente ces derniers jours, on se serait cru en automne. Il ne nous reste plus qu’à espérer que la quarante-neuvième édition pourra se dérouler selon les modalités habituelles en janvier 2022. Cependant, il est permis d’en douter un peu.

En attendant, nous avons pu connaître mercredi le nom du Grand prix : il s’agit donc de Chris Ware, l’un des trois finalistes. Si pour ma part j’aurai largement préféré Pénélope Bagieu, il faut reconnaître que cette récompense est très largement méritée, tant l’Américain est une référence dans le petit monde de la bande dessinée. En ce qui me concerne, n’ayant lu que Jimmy Corrigan et ne l’ayant pas apprécié (c’est le moins que l’on puisse dire), je profiterai de cette occasion pour connaître mieux l’œuvre de Chris Ware. Après tout, un des intérêts du festival est de nous ouvrir à la diversité stylistique et thématique de la BD. Nous pouvons imaginer une belle exposition au Musée d’Angoulême (à moins que le manga réussisse à réinvestir les lieux) nous éclairant sur la démarche artistique du président de la prochaine édition.

En ce qui concerne la bande dessinée asiatique, nous avons appris en mai le nom du remplaçant de Stéphane Ferrand au poste de « Directeur Artistique Adjoint en charge de la programmation Asie ». Il s’agit de Fausto Fasulo, qui participait depuis deux années à la programmation de Manga City. J’imagine que nous verrons à la rentrée ce qui nous sera proposé par la nouvelle direction. Sinon, nous attendrons patiemment la conférence de presse. Espérons que les délégations asiatiques puissent venir en janvier 2022. En attendant, je continue à travailler sur mon histoire de la bande dessinée venue d’Asie au festival d’Angoulême entre 2001 et 2021. Pour l’instant, une série de billets ont vu le jour sur ce blog :

Si ce n’est pas déjà fait, n’hésitez pas à replonger sur vingt années de présence de l’Asie à Angoulême.

Le Fauve © Lewis Trondheim / 9e Art+

La Bande dessinée asiatique au festival d’Angoulême (annexe)

Pour se donner une meilleure idée de la représentation des bandes dessinées asiatiques au Festival d’Angoulême, il est nécessaire de s’intéresser aux tires sélectionnés. Vous trouverez ci-dessous l’ensemble des œuvres concernées par les différentes sélections entre 2001 et 2020. Notons qu’un comité de sélection (dont fait partie Benoit Mouchard, futur directeur artistique entre 2003 et 2013) est mis en place pour l’édition 2001. Et c’est cette même année qu’un manga est mis en évidence, le Japon étant invité à montrer sa production BD dans deux expositions. Les prix remis dans le cadre du FIBD (mais pas par le festival proprement dit) sont aussi recensés.

2001

Sélection Alph-Art du meilleur album étranger Le Journal de mon père – tome 3 de Jirō Taniguchi (Casterman)
Prix du Jury Œcuménique Le Journal de mon père – tome 3 de Jirō Taniguchi (Casterman)

2003

Alph-Art du meilleur scénario Quartier lointain – tome 1 de Jirō Taniguchi (Casterman)
Sélection Alph-Art du meilleur scénario Monster de Naoki Urasawa (Kana)
Prix Canal BD Quartier lointain de Jirō Taniguchi (Casterman)

2004

Prix de la série 20th Century Boys – tome 10 de Naoki Urasawa (Panini Manga)
Prix Tournesol Gen d’Hiroshima de Keiji Nakazawa (Vertige Graphic)
Sélection Prix du scénario Planètes de Makoto Yukimura (Panini Manga)
Sélection Prix du dessin Ping-pong – tome 1 de Taiyō Matsumoto (Akata / Delcourt)
Sélection Prix du patrimoine Ayako d’Osamu Tezuka (Akata / Delcourt)
Sélection Prix du patrimoine Coups d’éclat de Yoshihiro Tatsumi (Vertige Graphic)
Sélection Prix public du meilleur album 20th Century Boys – tome 10 de Naoki Urasawa (Panini Manga)
Sélection Prix public du meilleur album Quartier lointain – tome 2 de Jirō Taniguchi (Casterman)

2005

Prix du dessin Le Sommet des dieux – Tome 2 de Jirō Taniguchi et Yumemakura Baku (Kana)
Sélection Prix du meilleur album L’Homme sans talent de Yoshiharu Tsuge (ego comme x)
Sélection Prix du premier album Love My Life d’Ebine Yamaji (Asuka)
Sélection Prix de la série Coq de combat d’Izō Hashimoto et Akio Tanaka (Akata / Delcourt)
Sélection Prix du patrimoine Gen d’Hiroshima de Keiji Nakazawa (Vertige Graphic)
Sélection Prix public du meilleur album Coq de combat d’Izō Hashimoto et Akio Tanaka (Akata / Delcourt)
Sélection Prix public du meilleur album Say Hello to Black Jack de Sato Shuho (Glénat)

2006

Sélection Prix du scénario Dans la prison de Kazuichi Hanawa (ego comme x)
Sélection Prix du dessin Gogo Monster de Taiyō Matsumoto (Akata / Delcourt)
Sélection Prix du premier album Cornigule de Takashi Kurihara (Cornélius)
Sélection Prix du patrimoine Prince Norman – Tome 1 d’Osamu Tezuka (Cornélius)
Sélection Prix du patrimoine L’École emportée de Kazuo Umezu (Glénat)
Sélection Prix public du meilleur album Terres de rêve de Jirō Taniguchi (Casterman)
Sélection Prix public du meilleur album Nana d’Ai Yazawa (Akata / Delcourt)
Sélection Prix public du meilleur album Naruto – Tome 15 de Masashi Kishimoto (Kana)

2007

Prix du meilleur album NonNonBâ de Shigeru Mizuki (Cornélius)
Sélection officielle Ki-Itchi de Hideki Arai (Akata / Delcourt)
Sélection officielle Zipang de Kaiji Kawaguchi (Kana)
Sélection officielle In the Clothes Named Fat de Moyoco Anno (Kana)
Sélection officielle Jacaranda de Shiriagari Kotobuki (Kanko)
Sélection officielle Gyo de Junji Itō (Tonkam)
Sélection officielle Avant la prison de Kazuichi Hanawa (Vertige Graphic)
Sélection patrimoine Hato d’Osamu Tezuka (Cornélius)

2008

Prix du patrimoine Un gentil garçon de Shin’ichi Abe (Cornélius)
Sélection officielle Amer béton – intégrale de Taiyō Matsumoto (Tonkam)
Sélection officielle Death Note de Takeshi Obata et Tsugumi Ōba (Kana)
Sélection officielle Helter Skelter de Kyōko Okazaki (Sakka / Casterman)
Sélection officielle Journal d’une disparition de Hideo Azuma (Kana)
Sélection officielle L’Âme du Kyudo de Hiroshi Hirata (Akata / Delcourt)

2009

Essentiel Patrimoine Opération mort de Shigeru Mizuki (Cornélius)
Sélection officielle Les Gouttes de Dieu – tome 1 de Shu Okimoto et Tadashi Agi (Glénat)
Sélection officielle Ushijima, l’usurier de l’ombre de Shohei Manabe Manabe (Kana)
Sélection officielle Le Voleur de visages de Junji Itō (Tonkam)

2010

Prix de la bande dessinée alternative Special Comix No 3 (Collectif, Chine)
Sélection officielle Ikigami – tome 1 de Motorō Mase (Asuka)
Sélection officielle Le Vagabond de Tokyo de Fukutani Takashi (Le Lézard noir)

2011

Prix Intergénérations Pluto de Naoki Urasawa et Takashi Nagasaki (Kana)
Sélection officielle La Chenille de Suehiro Maruo et Edogawa Ranpo (Le Lézard noir)
Sélection patrimoine La Fille du bureau de tabac de Masahiko Matsumoto (Cambourakis)
Sélection patrimoine Ashita no Joe – tome 4 d’Asao Takamori et Tetsuya Chiba (Glénat)
Sélection jeunesse Naruto – tome 50 de Masashi Kishimoto (Kana)
Sélection jeunesse Détective Conan – tome 62 de Gōshō Aoyama (Kana)

2012

Prix Intergénérations Bride Stories – tome 1 de Kaoru Mori (Ki-oon)
Prix Regards sur le monde Une vie dans les marges – tome 2 de Yoshihiro Tatsumi (Cornélius)
Sélection officielle Les Vacances de Jésus et Bouddha de Hikaru Nakamura (Kurokawa)
Sélection officielle Soldats de sable de Susumu Higa (Le Lézard noir)
Sélection officielle Le Samouraï bambou de Taiyō Matsumoto et Issei Eifuku (Kana)
Sélection patrimoine Kuzuryū de Shōtarō Ishinomori (Kana)
Sélection patrimoine Sous notre atmosphère d’Osamu Tezuka (Éditions H)
Sélection patrimoine Le Voyage de Ryu – tome 5 de Shōtarō Ishinomori (Glénat)

2013

Sélection officielle I Am a Hero de Kengo Hanazawa (Kana)
Sélection officielle Soil – tome 11 d’Atsushi Kaneko (Ankama)
Sélection officielle Thermæ Romæ – tome 4 de Mari Yamazaki (Sakka / Casterman)
Sélection patrimoine 2001 Night Stories de Yukinobu Hoshino (Glénat)
Sélection patrimoine Anjin San de George Akiyama (Le Lézard noir)
Sélection jeunesse Chi : Une vie de chat – tomes 7 et 8 de Konami Kanata (Glénat)

2014

Sélection officielle Opus de Satoshi Kon (IMHO)
Sélection officielle L’Attaque des Titans – tome 1 de Hajime Isayama (Pika Édition)
Sélection officielle Cesare – tome 1 de Fuyumi Soryo (Ki-oon)
Sélection officielle Goggles de Tetsuya Toyoda (Ki-oon)
Sélection patrimoine Les Trois Royaumes d’après Luo Guanzhong (Éditions Fei)
Sélection patrimoine Poissons en eaux troubles de Susumu Katsumata (Le Lézard noir)
Sélection jeunesse Space Brothers – tome 1 de Chūya Koyama (Pika Édition)

2015

Prix du patrimoine San Mao, le petit vagabond de Zhang Leping (Éditions Fei)
Prix Tournesol Le Parfum des hommes de Kim Su-Bak (Atrabile)
Sélection officielle Le Chef de Nobunaga – tome 4 de Takuro Kajikawa et Mitsuru Nishimura (Komikku)
Sélection officielle L’Enfer en bouteille de Suehiro Maruo (Sakka / Casterman)
Sélection officielle Sunny – tome 1 de Taiyō Matsumoto (Kana)
Sélection patrimoine Capitaine Albator – intégrale de Leiji Matsumoto (Kana)
Sélection patrimoine Sex & Fury de Bonten Tarô (Le Lézard noir)
Sélection jeunesse Seven Deadly Sins – tome 5 de Nakaba Suzuki (Pika Édition)
Sélection polar Wet Moon d’Atsushi Kaneko (Casterman)

2016

Sélection officielle Ajin de Gamon Sakurai et Tsuina Miura (Glénat)
Sélection officielle Chiisakobé de Minetarō Mochizuki (Le Lézard noir)
Sélection officielle La Fille de la plage d’Inio Asano (IMHO)
Sélection officielle Unlucky Young Men de Kamui Fujiwara et Eiji Otsuka (Ki-oon)
Sélection patrimoine Cette ville te tuera de Yoshihiro Tatsumi (Cornélius)
Sélection patrimoine La Maison aux insectes de Kazuo Umezu (Le Lézard noir)
Sélection jeunesse A Silent Voice de Yoshitoki Oima (Ki-oon)
Sélection polar Inspecteur Kurokôchi de Kōji Kōno et Takashi Nagasaki (Komikku)

2017

Prix de la série Chiisakobé de Minetarō Mochizuki (Le Lézard noir)
Prix révélation Mauvaises filles d’Ancco (Cornélius)
Prix du patrimoine Le Club des divorcés – tome 2 de Kazuo Kamimura (Kana)
Sélection officielle Last Hero Inuyashiki – tome 6 de Hiroya Oku (Ki-oon)
Sélection officielle Le Mari de mon frère – tome 1 de Gengoroh Tagame (Akata)
Sélection officielle Sunny – tome 6 de Taiyō Matsumoto (Kana)
Sélection jeunesse Ichiko et Niko – tome 1 de Lunlun Yamamoto (Kana)
Sélection jeunesse My Hero Academia – tome 1 de Kohei Horikoshi (Ki-oon)

2018

Prix du patrimoine Je suis Shingo – tome 1 de Kazuo Umezu (Le Lézard noir)
Sélection officielle La Cantine de minuit – tome 1 de Yarō Abe (Le Lézard noir)
Sélection officielle Charlie Chan Hock Chye de Sonny Liew (Urban Comics)
Sélection officielle L’Enfant et le Maudit – tome 3 de Nagabe (Komikku)
Sélection officielle Tokyo Alien Bros. – tome 1 de Shinzo Keigo (Le Lézard noir)
Sélection jeunesse Hanada le garnement – tome 1 de Makoto Isshiki (Ki-oon)

2019

Sélection officielle Blue Giant – tome 3 de Shinichi Ishizuka (Glénat)
Sélection officielle La Cantine de minuit – tome 3 de Yarō Abe (Le Lézard noir)
Sélection officielle Les Montagnes hallucinées de Gō Tanabe (Ki-oon)
Sélection officielle Pline – tome 5 de Tori Miki et Mari Yamazaki (Casterman)
Sélection officielle Saltiness – tome 3 de Minoru Furuya (Akata)
Sélection officielle Sunny sunny Ann ! de Miki Yamamoto (Pika Édition)
Sélection patrimoine Charivari de Maki Sasaki (Le Lézard noir)
Sélection jeunesse L’Atelier des sorciers – tome 1 de Kamome Shirahama (Pika Édition)

2020

Prix de la série Dans l’Abîme du temps de Gō Tanabe (Ki-oon)
Prix jeunes adultes Le Tigre des neiges – tome 4 d’Akiko Higashimura (Le Lézard noir)
Sélection officielle Le Bateau de Thésée de Toshiya Higashimoto (Vega)
Sélection patrimoine Les Fleurs Rouges : Œuvres 1967-1968 de Yoshiharu Tsuge (Cornélius)
Sélection jeunes adultes Beastars – tome 6 de Paru Itagaki (Ki-oon)
Sélection jeunesse My Hero Academia – tome 20 de Kohei Horikoshi (Ki-oon)

Cette longue liste permet de voir à quel point Le Lézard noir (15 sélections, 3 prix) a remplacé Cornélius (9 sélections, 4 prix) comme éditeur « chouchou » du festival au tournant des années 2010. Elle permet aussi de réaliser la montée en puissance d’un éditeur comme Ki-oon (12 sélections, 2 prix), ce qui se fait manifestement au détriment de Kana (19 sélections, 3 prix) ces dernières années. On aussi peut constater, sans surprise, le peu d’auteures dans les sélections : les femmes représentent un peu plus de 12% des sélections, seules Kaoru Mori, Ancco et Akiko Higashimura ayant réussi à remporter un prix (soit presque 16% des prix). D’ailleurs, les titres relevant du shôjo / josei manga sont au nombre de 4 (1 / 3), soit un peu plus de 3% des sélections (toutes entre 2005 et 2008). Enfin, le manga est, comme prévu, omniprésent, ce qui représente un peu plus de 94% des sélections. Il n’y a que la Corée du Sud, la Chine continentale et, étrangement, Singapour, qui ont réussi à briser ce quasi-monopole de la bande dessinée japonaise. Les manhua de Taïwan et de Hong-Kong y arriveront-ils un jour à avoir au moins une sélection, alors que ces deux Chine sont présentes depuis de nombreuses années au Festival d’Angoulême ?

La Bande dessinée asiatique au festival d’Angoulême (4B/4)

À l’étroit depuis plusieurs années dans Le Monde des bulles 2 (qui se trouve au centre-ville, à côté du Champ de Mars), l’espace dédié aux bandes dessinées asiatiques déménage en 2019. Appelée Manga City, une grande bulle est montée à côté des chais du Musée de la Bande Dessinée (donc de l’Espace Jeunesse). Certaines personnes peuvent regretter ce (relatif) isolement, ainsi qu’une catégorisation générique (le manga) qui ne reflète pas la diversité des productions de l’Asie de l’Est, sans parler de l’aspect un peu communautariste d’un tel lieu, empêchant ainsi de montrer les passerelles qui existent entre les différentes BD issues du monde entier. Il n’empêche que sur un plan pratique, c’est une réussite avec bien plus d’espace pour circuler, une zone dédiée aux animations et rencontres, où l’on peut (enfin) réellement s’asseoir, sans oublier des stands éditeurs de plus en plus nombreux et à l’aspect professionnel. En 2020, Manga City déménage à nouveau, dans le but de préparer le futur développement de la zone située derrière la gare SNCF, là où se trouve la médiathèque L’Alpha. L’espace en profite au passage pour gagner un peu plus de superficie.

Les années 2019 et 2020

Contrairement à ce que l’on pouvait craindre au début, l’accès à Manga City est assez aisé en 2019. Y aller à pied est assez simple et rapide : il suffit de descendre du plateau à partir des Halles par l’avenue de Cognac puis de couper par les escaliers du Vaisseau Moebius avant de traverser la passerelle Hugo Pratt (et poser au passage devant la statue de Corto Maltese). Pour remonter, c’est encore plus facile : il n’y a qu’à emprunter une des fréquentes navettes dédiées qui relient Manga City au Champ de Mars (il est possible de la prendre dans les deux sens, bien entendu). Résultat, nous n’avons aucun souci à changer régulièrement de lieux durant nos cinq jours de présence. Heureusement, car le programme est fourni, de véritables rencontres remplaçant les innombrables « performances graphiques » des années précédentes. Que Stéphane Ferrand (le responsable de Manga City) et Fausto Fasulo (Rédacteur en chef du magazine ATOM et le responsable des animations) en soient mille fois remerciés. Alors, certes, nous n’avons pas tout suivi mais nous avons passé pas mal de temps sur place comme, par exemple, le dimanche où nous avons enchainés les trois rencontres du jour. Il faut dire que la richesse des animations (y compris sur les stands des éditeurs) est rendue possible par la présence de nombreux mangaka et d’une délégation importante venue de Taïwan.

Signe de la place toujours plus importante donnée au manga par Stéphane Beaujean (le directeur artistique), il y a de nouveau deux invités plutôt prestigieux : Tayô Matsumoto et Tsutomu Nihei. Outre le fait que chacun bénéficie d’une exposition dédiée, ils participent à un programme de rencontres, même si Nihei semble être quelqu’un de plus discret que Matsumoto (pourtant réputé pour ça). En effet, entre sa masterclass au CGR, sa Rencontre internationale et ses trois séances de dédicace à Manga City, sans oublier sa grande exposition monographique située au Musée d’Angoulême (avec le catalogue qui vient avec), Tayô Matsumoto est sur tous les fronts. Une conférence du Conservatoire, animée par l’excellent Gwenaël Jacquet, lui est même consacrée. Par ailleurs, nous avons pu jouer aux fans, les Mangaversien·ne·s ont toutes et tous eu leur dédicace du mangaka. L’exposition « Dessiner l’enfance » est vraiment réussie, tout comme le catalogue l’accompagnant. Toutefois, nous regrettons une masterclass assez peu intéressante, moyennement bien animée par Lloyd Chéry, ce qui nous a fait rater la rencontre avec Paru Itagaki (Beastars chez Ki-oon) qui est proposée aux mêmes horaires (ahhh, le samedi et ses sempiternels conflits d’emploi du temps). L’exposition consacrée à l’œuvre de Tsutomu Nihei est, elle aussi, réussie malgré un espace assez réduit. La prestation (dessiner en public) de Nihei est intéressante (les photos étant malheureusement interdites). Il est à noter que la séance de dédicace du mangaka consiste en une simple signature mais qu’elle permet de rencontrer le « maître », au plus grand plaisir de l’une d’entre nous. La première année de Manga City se révèle donc être une belle réussite, participant activement à faire de la quarante-sixième édition du FIBD d’Angoulême la meilleure que nous ayons pu suivre. Les lectrices et lecteurs peuvent avoir une vue plus générale de la manifestation en consultant le mini-site dédié à 2019 (qui propose notamment de nombreuses photos) et en allant voir mon compte-rendu sur le présent blog.

En 2020, Manga City déménage une nouvelle fois. L’emplacement situé derrière la gare SNCF n’est pas franchement meilleur ni plus accessible mais il préfigure le développement du festival dans le nouveau quartier de la gare. Du coup, l’espace dédié aux bandes dessinées asiatiques gagne à nouveau un peu plus de surface, ce qui permet de bien séparer l’espace dédié aux animations de celui consacré aux stands. Malheureusement, le programme de ces animations est trop grand public à nos yeux et ne nous intéresse absolument pas. Il faut dire que l’absence du Grand Prix 2019, Rumiko Takahashi, combinée à la présence extrêmement discrète (du fait de son grand âge) de Yoshiaru Tsuge, et à l’absence d’intervenant·e japonais·e d’un « certain calibre » font que nous ne suivons pratiquement aucune activité liée au manga et nous ne mettons quasiment pas les pieds à Manga City, juste ce qu’il faut pour faire quelques achats et discuter un peu sur les stands de Kana et Akata.

Certes, il n’y a pas que Manga City au festival mais même les conférences du Conservatoires liées à la bande dessinée japonaise ne sont pas très motivantes. Heureusement, il reste les masterclass des deux principaux invités japonais. Celle d’Ino Asano est vraiment réussie, Lloyd Chéry s’étant bien amélioré. Nous n’assistons pas à celle de Yukito Kishiro, préférant faire autre chose, ce qui est un peu regrettable étant donné les retours que nous en avons peu après son déroulement. L’exposition « Gunnm, l’ange mécanique » se révèle être de qualité alors que celle consacrée à Yshijaru Tsuge, « Être sans exister », ne réussit pas à nous intéresser autant (malgré sa grande érudition) que celles proposées au Musée d’Angoulême les années précédentes. Du coup, comme déjà dit, il est difficile de s’enthousiasmer autant qu’en 2018 et en 2019. L’édition 2020 est donc à nos yeux, comme à une époque pas si lointaine, sauvée par ses autres activités, notamment les expositions, les animations et les rencontres liées aux comics.

Et maintenant ?

La quarante-septième édition a pu se dérouler normalement avant que le fameux coronavirus provoque l’annulation des festivals BD et conventions manga (à de rares exceptions près) prévus en 2020 mais aussi en 2021. Résultat, la quarante-huitième édition n’existe que sous forme virtuelle, avec une diffusion vidéo de la remise des prix en janvier 2021 et un vote pour le Grand prix en juin 2021. Surtout, les changements dans la direction artistique du festival d’Angoulême avec la démission en février 2020 de Stéphane Beaujean, suivie quelque temps après de celle de Stéphane Ferrand qui était pressenti pour s’occuper de la partie « asiatique » du programme 2021, sans oublier le départ récent de Frédéric Felder (chargé de la BD franco-belge), font que nous n’avons aucune idée de ce à quoi pourrait ressembler l’édition 2022, surtout sur le plan de la bande dessinée asiatique. Il ne nous reste plus qu’à attendre les prochaines annonces et réunions du festival (sans oublier la conférence de presse) et surtout à espérer que la situation sanitaire soit revenue à peu près à la normale à la rentrée de septembre…

Je remercie une nouvelle fois Manuka pour sa relecture et ses précieuses corrections. J’adresse aussi tous mes remerciements au FIBD et à ses différentes organisations dont 9e Art+.