Une Route, un espoir ?

Dans un monde post-apocalyptique, un homme et son fils marchent lentement sur une route, en direction du Sud, de l’océan. La catastrophe tant redoutée par l’Humanité a eu lieu. Dans un paysage dévasté, sans vie animale, les cadavres sont recouverts petit à petit par une cendre qui tombe quasiment sans discontinuer, parfois mélangée à de la pluie ou à de la neige. Poussant un chariot empli d’un bric-à-brac censé leur permettre de survivre pendant leur périple, ils évitent le plus possible les rencontres, généralement conflictuelles et potentiellement mortelles. En effet, la notion d’entre-aide a disparu dans cet enfer sur Terre. Leur quête a-t-elle une chance de réussir ? Malheureusement, rien ne permet de le penser…

Manu Larcenet nous revient avec une nouvelle adaptation de roman en bande dessinée. Comme pour Le Rapport de Brodeck, ce n’est pas la joie de vivre qui caractérise cette version de l’histoire écrite par Cormac McCarthy au mitan des années 2000. La désespérance imprègne quasiment la totalité des 160 pages de la BD, sauf à la toute fin (ouverte comme il se doit). Il est d’ailleurs peut-être regrettable que le nihilisme n’ait pas été poussé jusqu’au bout, ce qui aurait été plus en résonance avec le reste du récit. Cela n’empêche pas l’œuvre d’être une belle réussite que l’on dévore d’une traite, en se demandant à chaque page tournée quelle nouvelle galère le père va devoir gérer. Il faut dire qu’entre les bandes de pillards esclavagistes et cannibales, les rencontres avec des survivants prêts à tout, eux aussi, pour vivre un jour de plus, la recherche continuelle de nourriture alors que toute faune semble avoir disparu, le froid pouvant être mortel la nuit, le risque de se blesser alors qu’il n’est plus possible de se soigner, et le manque de ressources en général, il y a de quoi se faire du soucis… surtout lorsqu’on a charge d’âme, un enfant encore plus démuni que soi devant un monde devenu inhumain.

Le dessin de Manu Larcenet est de plus en plus impressionnant, malgré un passage au numérique opéré depuis plusieurs années (en 2018, nous avions pu voir l’expo-vente « Larcenet – L’adieu au papier » à la Galerie Barbier, annonçant ce changement de technique). Son trait en noir & blanc, relevé d’un lavis de gris participant parfaitement à cette ambiance de fin du monde avec parfois une touche de couleur, fait merveille. Depuis sa géniale série en quatre volumes, Blast, l’auteur nous enchante sur le plan graphique, même lorsqu’il s’agit d’avoir un propos plus humoristique comme avec Thérapie de groupe. Sur le principal forum en ce qui concerne la bande dessinée francophone, certains ont pu émettre certaines réserves dans le sujet dédié (au passage, tout le sujet est à lire). Ils doivent avoir raison, votre serviteur n’ayant aucune compétence en matière de trait et d’encrage. Il n’empêche que c’est superbe.

La narration n’est pas en reste. Malgré une densité de cases importantes (généralement neuf par planche), elle est lente, ce qui est normal. La pagination importante le permet. En effet, lorsqu’on marche sur de longues distances, il ne se passe pas grand-chose pendant de nombreuses heures. Elle ne fait ressentir aucune empathie envers les personnages, il y a peu d’émotions exprimées, et là aussi, cela est normal. Lorsque votre quotidien est aussi incertain et demande beaucoup d’efforts, il ne faut surtout pas trop réfléchir et éviter de tomber dans l’introspection. Néanmoins, il y a des passages plus joyeux (si on peut dire) qui apportent une respiration dans un récit désespérant où les pages proposant des scènes chocs sont assez fréquentes. S’il s’agit de l’adaptation d’un roman, Larcenet réussi à nous proposer une œuvre très graphique, avec peu de dialogues. Si on a ni lu le texte de Cormac McCarthy, ni vu le film de John Hillcoat qui en a été tiré, cela permet de ne pas faire (même inconsciemment) des comparaisons et ainsi d’apprécier pleinement le travail du bédéaste. En l’occurrence, la réussite est indéniable, il n’y a nul besoin de se référer à l’œuvre originale pour comprendre ou interpréter l’histoire.

Une fois de plus, donc, Manu Larcenet nous enchante (si si, malgré le thème). Ses années Fluide Glacial sont désormais bien loin et ses adaptations d’histoires, sombres au possible, sont de parfaites réussites. Cette double proposition (avec Le Rapport de Brodeck) est-elle due à un manque d’inspiration (ce qui peut se comprendre après une carrière aussi longue et diverse) ? Après tout, comme le rappelait Christophe Blain dans son podcast « En pleine page » du Festival d’Angoulême, créer une histoire originale est ce qu’il y a de plus difficile. Quoi qu’il en soit, voici une des meilleures bande dessinée de 2024, qu’il ne faut absolument pas manquer.

Angoulême 51, énième… 2/2

Après avoir exprimé un avis peu enthousiaste sur les expositions proposées lors de la cinquante et unième édition du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême, il est temps d’être un peu plus positif. En effet, la richesse de la programmation permet de privilégier différents types d’activité en fonction de ses sensibilités du moment. En l’occurrence, cette année, étant donné que j’avais un peu de temps disponible, j’avais décidé de « jouer » au chasseur de dédicaces (je n’en avais ramené aucune l’année précédente). Et, généralement, je ne dépasse pas une ou deux à chaque édition. En effet, il s’agit d’une occupation réputée chronophage. Là, j’avais dans l’idée de faire signer cinq ouvrages (avec adjonction d’un petit dessin si possible). Ce n’est pas tant la dédicace qui m’intéresse que le petit moment passé avec l’auteur ou l’autrice, petit moment permettant de bavarder un peu.

Chasser les dédicaces

La première dédicace se devait être quadruple car il s’agissait de faire remplir la page idoine par quatre participants au Placid et Muzo, le retour, une publication hommage du groupe J’AI (auquel je participe assez mollement). Aucune difficulté pourtant à les obtenir : j’en avais déjà deux rien que sur le stand ; et j’ai demandé à El Chico Solo de faire tourner mon exemplaire afin que deux autres dessinateurs viennent se greffer. Merci à eux pour ce gag unique. La deuxième a été assez facile à avoir, le pauvre Cédric Tchao étant bien désœuvré dans l’espace dédicace de Casterman. Nous avons donc pu discuter un bon moment tous les deux. Il ne me reste plus qu’à lire le premier tome de la version manfra des Trois mousquetaires. Par contre, pas de Nicolas Dumontheuil en dédicace chez Futuropolis. Ou je me suis trompé sur le jour / l’horaire, ou l’auteur était empêché. Quoi qu’il en soit, je n’ai jamais eu le temps de faire une nouvelle tentative… La dédicace suivante demandait de ne pas trainer, Claude Leblanc restant peu de temps à Angoulême. Arrivé vers 10h30 au stand IMHO, j’ai dû patienter que le couple avant moi daigne bien lâcher la grappe à l’auteur de La Révolution GARO. C’était interminable d’écouter Claude leur répéter ce qu’il avait expliqué lors de sa rencontre à l’Alpha alors que je devais repartir sur le plateau.

La quatrième et dernière demandait plus d’organisation : du fait d’un emploi du temps assez serré, il fallait que je rencontre Fabrice Neaud en étant dans les premiers de la file d’attente. C’est que j’y tenais : ma première dédicace à Angoulême date de 2004 et c’était justement Fabrice qui me l’avait faite. Souvenirs et temps qui passe… De plus, n’ayant jamais tenté d’aller en dédicace chez Delcourt / Soleil, je ne savais pas trop comment c’était organisé. Déjà, pas de ticket ni de tirage au sort, juste l’achat d’un ouvrage de l’auteur sur le stand, voilà qui simplifie les choses. J’en ai profité pour prendre Esthétique des brutes – Journal 1 & 2 puisque la réédition propose de nombreuses corrections graphiques et une postface dessinée. Par contre, je suis resté devant l’entrée de l’espace dédicace, surveillant le moment où il serait possible d’entrer malgré le conseil du gestionnaire des files d’attente de faire un petit tour et revenir dans un bon quart d’heure. Bien m’en a pris car j’ai pu ainsi être le premier d’un petit groupe de 5-6 personnes. J’en ai profité pour féliciter Fabrice pour ses explications lors du Twtich qui lui était consacré par LL de Mars (6h40 quand même) et de lui dire que la rencontre croisée avec Sophie Darcq était très intéressante mais trop courte, les 45 minutes étant passées trop vite. Il était temps ensuite de laisser Fabrice avec ses autres fans, et moi de foncer vers la médiathèque L’Alpha.

À propos de dédicaces, un certain nombre de celles obtenues au fil du temps par les membres de l’Association FIBD Angoulême (celle qui détient les droits de la manifestation) étaient reproduites et exposées dans le local éphémère de l’association. Bien entendu, les plus intéressantes dataient des années 1970 et 1980. Il y en avait quelques-unes de bien jolies, et Franquin était vraiment une vedette à voir le nombre de petits dessins obtenus lors de différentes éditions. Dommage que l’encadrement fut particulièrement peu « photo friendly » avec de gros soucis de reflets impossibles à éviter dans de nombreux cas. Dommage, dommage…

Trop peu de rencontres à mon goût

Parlons un peu des tables rondes, rencontres et masterclass. Les conférences du conservatoire n’ayant plus lieu (je sais, je radote mais je les regrette tellement), nous avions nettement plus de temps pour assister aux différents événements avec les autrices et les auteurs qui nous intéressaient. Si l’un d’entre nous est friand de cet exercice, ce n’est pas mon cas. Il faut vraiment que j’apprécie les participant·e·s ou le thème. Du coup, je n’ai fait que deux masterclass, une « vraie », payante (je n’ai pas tenté l’invitation presse pour être certain que nous pourrions y assister) et une « fausse », ce qu’on appelait tout simplement « rencontre internationale » il y a quelques années, même quand la personne était française (présentement, il s’agissait de celle avec Nine Antico). En effet, j’avais préféré laisser ma petite camarade et mes deux petits camarades de la délégation mangaversienne assister à celle de Hiroaki Samura (histoire de ne pas taper une invit’ de plus alors que ça ne m’intéressait absolument pas). J’ai bien fait, sa masterclass était encore plus molle du genou que celle de Moto Hagio. Il parait que celle de Shin’Ichi Sakamoto était la plus intéressante des trois et que, concernant les invité·e·s asiatiques, seule la rencontre (à la Scène Manga) avec Rintarô était réellement réussie. Voilà qui ne nous laissera pas de souvenirs impérissables. Le meilleur était en fait au Studio du Théâtre : il y avait plusieurs rencontres qui m’intéressaient, même si je n’en ai fait que deux sur les cinq envisagées. Il s’agit de « Dessiner sa vie » avec Sophie Darcq et Fabrice Neaud, bien animée par Lucie Servin, et de « Saint-Elme » avec Frederik Peeters et Serge Lehman, animée par Julien Brugeas (qui ne s’est pas foulé à faire un diaporama pour illustrer les propos de ses invités). Le programme des rencontres à l’auditorium du Conservatoire n’était pas inintéressant, mais Daniel Clowes ayant dû annuler sa venue au festival, nous n’y avons pas mis les pieds cette année.

Les tables rondes proposées à la Scène Manga de l’Alpha étaient réussies, du moins celles auxquelles nous avons pu assister, à quelques bémols près. Les titres n’avaient souvent que peu à voir avec le contenu réel. Il y a le bel exemple « Manga et écologie » avec Guillaume Singelin. Bien entendu, ça a parlé surtout de Frontier, des mangas lu par Singelin et de sa fibre écolo, et non pas de l’écologie dans les mangas. Autre cas avec « Bienvenue dans les ténèbres : le manga de l’underworld » avec deux directeurs de collection en invités. Le titre ne veut rien dire et, malgré toute la sympathie que j’ai pour Thimothée Guédon et Mehdi Benrabah, j’imagine qu’ils étaient là pour vendre leur came et rien d’autre. Bien entendu, j’avais mieux à faire ailleurs. Au moins, « Garo, la dissidence manga » avec Claude Leblanc ou « Le genre dans le manga : traduire l’ambigu » avec Satoko Fujimoto (qui nous a bien spoilé Cocon de Machiko Kyô alors qu’on ne lui demandait rien) et Miyako Slocombe, nous ont proposé un contenu en adéquation avec le titre. En plus, ces rencontres étaient intéressantes et bien animées (par Frederico Anzalone pour la première et Xavier Guilbert pour la deuxième). Par contre, on a eu droit à du jamais vu, de l’incroyable, de l’inadmissible avec « Le shôjo manga au-delà des frontières » avec trois universitaires (deux Japonaises et une Belge flamande enseignant au Japon), deux bédéastes, un auteur et une autrice, ces deux-là étant venus des USA. Il y avait trop de monde à intervenir, et c’était totalement hors sujet une bonne partie du temps, sans aucune animation car tout le monde était là pour lire de son côté sa (courte) intervention, le pauvre Xavier étant seulement interprète pour la salle. Une seule intervenante avait réellement quelque chose à dire en rapport avec le thème mais n’a pas eu le temps de le faire car passant en dernier. Du grand n’importe quoi… Je terminerai sur un petit coup de gueule à propos de la scène : elle n’était pas assez surélevée, ce qui fait qu’on ne voyait pas les intervenant·e·s à moins d’être aux deux premiers rangs. Pire, l’écran était placé bien trop bas et était en grande partie masqué. Il faudra absolument revoir la conception de la scène l’année prochaine. C’était une catastrophe, là…

Les rencontres peuvent être aussi plus informelles. Ce peut être une discussion plus ou moins courte sur un stand avec un éditeur, un auteur ou une autrice, un libraire, une connaissance, etc. J’ai ainsi pu revoir Pierre Sery d’Asian District avec grand plaisir (au passage, L’Assaisonnement du bonheur de Ruan Guang-Min est vraiment très bien). Ce peut être aussi en se croisant dans une bulle, au restaurant ou à l’espace presse de l’Hôtel de ville. C’est donc avoir la joie de retrouver des connaissances d’année en année, ou après une plus longue période. Par exemple, c’est ainsi que j’ai pu passer un peu de temps avec maevaa, une ancienne mangaversienne que je n’ai jamais totalement perdue de vue grâce à Facebook et dont j’apprécie les messages et les photos de son mur. J’AI aussi pu passer un peu de temps sur le stand éponyme à bavarder un peu avec les membres de ce sympathique groupe FB. Bref, Angoulême, les rencontres, c’est aussi ça…

Les restaurants, c’est important

Pour en terminer avec le compte-rendu de cette édition, rappelons qu’il y a de nombreux restaurants sur le plateau et qu’en période de festival, il vaut mieux y aller manger de bonne heure si on veut trouver de la place même lorsqu’on est un (plus ou moins petit) groupe. Cette année, du fait de nos cinq journées passées sur place et du temps libre qui nous était parfois imparti, nous avons assez souvent utilisé avec bonheur ce mode de sustentation. C’est ainsi que nous avons diné chinois « Chez H » (une habitude prise depuis quelques années), déjeuné italien dans le tout nouveau et minuscule « La Dolce Vita », diné français à l’incontournable « Le Lieu-Dit », pris à emporter de la cuisine du monde le soir au tout récent « Latoti » (situé dans le quartier de L’Houmeau), déjeuné dans la toute aussi coutumière brasserie « L’Atelier » (l’ex Taverne de Maître Kanter) et, enfin, superbement terminé le samedi soir au très couru bistrot français « Le Tire-Bouchon ». Rare furent donc les ravitaillements sous forme de sandwich ou de l’habituel fouée (c’est au masculin car c’est un pain) au grillon charentais (dans ce cas, uniquement pour l’une et l’un d’entre nous), et c’est tant mieux (c’est très bien le fouée mais ce n’est pas mon truc).

Voilà, c’est tout pour cette année, il ne reste plus qu’à attendre la prochaine édition. Il faut espérer que la bande dessinée américaine retrouve une place qu’elle a perdue depuis quelques temps (on veut une grande exposition Vertigo ou sur Mike Mignola) et que la programmation manga se tourne plus vers les autrices maintenant qu’un premier pas a été effectué. Enfin, je remercie 9e Art+, l’Agence La Bande, notamment Anaïs Hervé et Vincent-Pierre Brat, l’Association FIBD Angoulême, la Cité Internationale de la Bande Dessinée et de l’Image pour tout leur travail et la possibilité de nous permettre de profiter du festival dans des conditions privilégiées.

Angoulême 51, énième… 1/2

Du 24 au 28 janvier 2024, la cinquante et unième édition du Festival International de la Bande Dessinée s’est déroulé sous un temps globalement printanier. Comme tous les ans depuis 2006, une petite délégation de Mangaversien·ne·s y était, et les cinq jours, s’il vous plaît, Moto Hagio oblige. En plus du reportage photographique présentant la manifestation par l’image, voici mon compte-rendu (presque) à chaud, celui d’un ronchon blasé (mais vous pouvez plutôt aller lire celui du newbie de la bande). 🙂

Enfin Moto Hagio

Le principal intérêt de la manifestation angoumoisine est, année après année et sans conteste, l’ensemble des expositions proposées. Elles sont généralement de grande qualité. Réclamée depuis des années, encore plus après celle de 2023 qui nous avait fait hurler de dépit, une grande exposition matrimoniale est enfin proposée au Musée d’Angoulême. Avec l’exposition « Moto Hagio, au-delà des genres », le shôjo manga (vous savez, celui qui s’adresse à un public féminin) est enfin mis à l’honneur. Si vous n’avez pas pu aller au festival, rassurez-vous, elle est accessible jusqu’au 17 mars. Sur une scénographie contrainte par le lieu (donc, année après année, elle est devenue assez classique), les deux co-commissaires (Xavier Guilbert et Léopold Dahan) ont su nous proposer une belle exposition, didactique dans un premier temps, balayant largement la carrière de la mangaka dans un second. Il est donc possible d’admirer tout le talent de Moto Hagio, notamment dans sa capacité à mettre de façon magistrale en page son récit. Les planches sont toutes mises en situation par des cartels développés, malheureusement peu lisibles car placés souvent trop bas et surtout écrits en noir sur un fond assez foncé, ce qui est aggravé par un éclairage oblique occulté par la présence des visiteuses et des visiteurs, forcément en nombre lors des quatre jours du festival ouverts au public. Nous ne féliciterons pas le scénographe qui a bien « merdé » sur le coup.

Une autre exposition était remarquable, celle consacrée au travail de Nine Antico. Il s’agit d’une autrice que je ne connaissais que de nom. Heureusement pour ma culture en matière de BD, la (pas si) petite mais intéressante rétrospective « Nine Antico, chambre avec vue » nous montrait une autre facette de la bande dessinée féminine, en proposant un propos féministe axée sur la culture populaire, ainsi que sur le rêve américain, à chaque fois à travers des femmes souvent touchantes dans leur comportement. Une belle mise en avant de la dernière œuvre de Nine Antico, Madones et putains, se déroulant dans l’Italie du XXe siècle, achevait de donner envie de lire l’ensemble de la bibliographie de l’autrice. Sa masterclass (titre pompeux pour dire que la rencontre se déroulait dans une grande salle) était tout aussi intéressante et superbement animée par Sébastien Thème (journaliste culturel, chroniqueur et producteur) que je découvrais (aussi) à cette occasion. Voilà un nouvel animateur qui faisait plaisir à voir et à entendre.

Cependant, le reste des exposition s’est révélé être globalement décevant alors que j’en attendais beaucoup pour certaines d’entre-elles. Je n’ai pas d’avis sur « Riad Sattouf, l’arabe du futur, œuvre-monde », n’ayant pas eu le temps de la visiter. Je n’ai pas beaucoup d’appétence pour le travail de l’auteur et ayant la possibilité de la voir jusqu’au 5 mai, je l’ai zappée, tout comme celle intitulée « Thierry Smolderen, le scénario est un bricolage ». Les deux sont situées au Vaisseau Mœbius, il est donc possible d’y aller bien après le festival. Toujours à propos des expositions non vues, il y avait « Lignes de départ » (au Nil), mais aussi celle consacrée à la série jeunesse Bergères guerrières. Nous zappons souvent l’Espace Jeunesse par manque de temps alors qu’il semblerait que les expositions y sont très souvent réussies, ce qui avait été le cas pour les deux dernières que nous avons pu voir. Nous n’avons pas été à celles organisées par d’autres organismes, telles que « Olivier Ledroit, Requiem » (à la C.C.I.) ou « Adolescents en guerre » au Musée du papier, par total inintérêt dans ces deux cas.

Le dimanche matin, une partie de notre groupe a préféré privilégier les expositions du Musée de la Bande Dessinée qui se sont, une nouvelle fois, révélées être plutôt moyennes, voire très moyennes : « Croquez ! La BD met les pieds dans le plat » est très rapidement foutraque et indigeste, « Photomatoon » est gentillette mais minuscule, « François Bourgeon et la traversée des mondes » est assez pauvre en explications, elle manque de mise en perspective. De plus, elle passait trop rapidement sur Les Passagers du vent et Le Cycle de Cyan. Il y avait heureusement de très belles planches en N&B. Cependant, où sont passées les super expositions du Musée de la BD d’il y a quelques années ? En dehors de l’éclaircie « Calvo, un maître de la fable » en 2020, ça commence à faire longtemps que nous n’avons pas eu quelque chose de vraiment remarquable.

Toutefois, il restait encore de quoi faire, tant la programmation est riche chaque année. C’est juste qu’elle n’a pas eu l’heur de me plaire… Deux exemples tout à fait parlant : « Attraper la course » permet d’admirer jusqu’au 10 mars de nombreuses planches de Lorenzo Mattotti, bédéaste, illustrateur et peintre de talent dont nous avions pu admirer des pièces magnifiques lors de la dernière édition du défunt Pulp Festival. La magie n’a pas opéré cette fois, peut-être à cause des textes plutôt inintéressants de Maria Pourchet, sans parler de la banalité du sujet à représenter. Seule la dernière petite salle possède une réelle atmosphère. Je n’en attendais pas grand-chose, je n’ai donc pas été réellement déçu par « Hiroaki Samura : corps et armes ». Son manga phare, L’Habitant de l’infini m’indiffère totalement, et ce, depuis une période où j’étais infiniment plus tolérant. Et ce ne sont pas les textes illisibles de Fausto Fasulo, le commissaire, qui a remonté mon intérêt. Par contre, la scénographie était sympa. J’avais l’impression de retrouver (en plus petit) l’exposition sur L’Attaque des titans où là aussi, c’était beaucoup d’esbroufe. Certes, c’était mieux dessiné cette fois, mais bon…

Toujours au rayon des déceptions, surtout quand on fait la comparaison avec la projection de l’année dernière consacrée à Druillet, nous avons « Dracula : immersion dans les ténèbres ». C’était peu impressionnant, moins immersif avec des problèmes de positionnement des vidéoprojecteurs placés ras-du-sol, ce qui créait sur les murs des ombres de visiteurs et visiteuses très malvenues, sans oublier une utilisation du plafond assez pauvre. Et comme je me fiche totalement de Shin’ichi Sakamoto, voilà un quart d’heure (le temps de se rendre sur place et de repartir) de perdu dans un programme heureusement peu chargé. Dernière déception, « Les 50 ans du concours de la bd scolaire ». Je m’attendais à pouvoir admirer l’évolution des centres d’intérêts des collégien·ne·s et lycéen·ne·s au fil des décennies, je n’y ai vu qu’un rapide retour en arrière à base d’affiches des différentes éditions et de pauvres textes versant un peu dans l’auto congratulation.

Bref, vous l’aurez compris, cette édition ne restera dans ma mémoire que pour sa première grande exposition matrimoniale… du moins en ce qui concerne ce type d’activité. Car, heureusement, le festival, ce n’est pas que ça. Il y a tant d’autres choses qui sont proposées que l’on arrive toujours à trouver quelque chose d’intéressant à faire ou à voir. Du moins, c’est ce qu’on attend du FIBD… En a-t-il été de même avec la cinquante et unième ? Vous le saurez dans la seconde partie de ce compte-rendu, qui est un peu plus enthousiaste, je vous rassure 🙂

Angoulême, la cinquante-et-unième !

La conférence de presse de la cinquante-et-unième édition du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême a eu lieu ce jeudi 16 novembre. Nouvelle édition, nouveau lieu… Cette année, c’est au COJO Paris 2024 que la conférence a eu lieu, en petit comité (une centaine de personnes seulement) étant donné le lieu, très sécurisé. J’ai dû, comme quelques autres personnes, faire un peu le forcing pour y assister. J’en profite pour remercier Vincent-Pierre Brat de l’Agence La Bande d’avoir accepté ma demande. En effet, j’assiste au grand raout pré-festival depuis 2009 et ça aurait été dommage de rater celui-ci. Néanmoins, je n’ai pas pu croiser autant de petits camarades du monde de l’édition ou du journalisme spécialisé par rapport aux années précédentes. Dommage…

Le bâtiment du COJO est immense, moderne, son accès est, donc, sacrément sécurisé. J’imagine que c’est pour cela qu’il y a eu aussi peu d’invités à la conférence de presse. Après l’introduction par Franck Bondoux de l’édition 2024 (le festival, pas l’éditeur strasbourgeois) placée sous le signe de l’olympisme (il y a cinq grands festivals nationaux qui ont le label Olympiade Culturelle : Angoulême, Cannes, Avignon, Arles et Rock en Seine), nous avons eu le droit à un petit discours de Thierry Rey (à défaut d’avoir Tony Estanguet) ainsi qu’à une présentation de la forte présence à venir du Canada (Pavillon dédié, stands dans la Bulle du Nouveau Monde et au Marché des droits, exposition sur le parvis de l’Hôtel de ville et même un food-truck proposant des classiques de la cuisine canadienne) qui nous a rappelé l’époque (pas si lointaine) des pays invités. Par ailleurs, cette année, il n’y a pas eu un long défilé de personnalités ayant un petit discours à prononcer et c’est tant mieux.

Bien entendu, composée de Mangaversiens et Mangaversiennes, la petite délégation dont je ferai partie en janvier sera surtout intéressée par la bande dessinée asiatique. Fausto nous a donc éclairci sur l’évolution de Manga City (heureusement, car il n’y a que peu de choses dans le dossier de presse) : Le Hall 57 est reconduit avec Darwin Prod à l’animation, c’est-à-dire qu’il ne présentera aucun intérêt à nos yeux (food-court et goodies, non merci). Par contre, la bulle manga disposera de plus de place grâce au déménagement de l’espace dédié aux rencontres dans l’Alpha, ce qui est une excellente chose, même si du coup, on ne va pas y passer beaucoup de temps, forcément. À l’inverse, on va aller plus souvent à la médiathèque (qui ne proposera aucune exposition, à la différence des années précédentes) pour assister à différentes rencontres concernant la bande dessinée asiatique.

Sur les huit grands expositions annoncées, deux concernent le manga (et, une fois de plus, aucune pour le comics). Une des expositions phares est celle consacrée à Moto Hagio, la mangaka de référence trop longtemps ignorée dans nos contrées, notamment par le Festival (même si j’avais consacré à l’autrice une conférence en 2014 au Conservatoire). Elle sera située au Musée d’Angoulême, proposera environ 150 pièces (principalement des originaux qui ne sont jamais sortis du Japon) et bénéficiera d’un catalogue dont la qualité ne fait aucun doute car rédigé par Léopold Dahan et Xavier Guilbert (les deux co-commissaires). L’autre exposition manga sera consacrée à L’Habitant de l’infini de Hiroaki Samura et sera située dans la salle Iribe de l’Espace Fanquin. Il y aura aussi une sorte d’exposition / projection artistique située dans la chapelle du lycée Guez de Balzac qui mettra en scène la figure bien connue de Dracula par Shin’Ichi Sakamoto, l’auteur de #DRCL. Enfin, les fans d’animation auront l’occasion de rencontrer Rintarô à l’occasion de la diffusion de plusieurs de ses films en sa présence.

Une autre grande exposition (avec celle consacrée à L’Arabe du futur de Riad Sattouf, le Grand Prix 2023) et qui n’est pas à rater est celle consacrée à l’excellent Lorenzo Mattotti (au Musée d’Angoulême). Dans le cadre de l’Olympiade Culturelle, l’artiste / bédéaste a réalisé une centaine d’illustrations originales qui seront proposées avec de courts textes de Maria Pourchet. L’idée est de mettre en image l’art de courir. Là aussi, un catalogue sera édité à cette occasion. D’ailleurs, le programme des expositions est bien plus motivant que celui de la cinquantième édition. Celle de Nine Antico est intrigante. Située à l’Hôtel Saint-Simon (lieu qui a souvent permis de voir ou découvrir de nombreux talents), « Chambre avec vue » mettra en scène les femmes, dans toute leur variété, qui parcourent l’œuvre de l’autrice. Une grande rétrospective, montrant l’évolution des centres d’intérêt et des modes des jeunes lectrices et lecteurs sur plusieurs décennies, sera proposée avec « Les 50 ans du concours de la BD scolaire », située dans le Quartier Jeunesse. Enfin, la Cité propose actuellement (et jusqu’au 5 mai) l’exposition « François Bourgeon et la traversée des mondes », ce qui est à ne pas manquer.

Trois Masterclass nous seront proposées au Théâtre (Moto Hagio le jeudi, Shin’Ichi Sakamoto le vendredi et Hiroaki Samura le samedi). Par contre, on ne sait pas grand-chose des rencontres et tables rondes avec différentes autrices et auteurs, le dossier de presse étant très flou à ce sujet. On ne sait rien sur les rencontres du CNL situées au sous-sol du Conservatoire, et, a priori, il n’y a plus les conférences du Conservatoire (ce qui est extrêmement regrettable tant elles étaient intéressantes). Il va falloir attendre le Heure par heure pour en savoir plus. Il devrait y avoir pas mal de rencontres au pavillon Canada (situé rue Hergé), ceci dit. Seront-elles intéressantes ? On verra bien.

Je n’ai jamais grand-chose à dire ou à reprocher aux différentes sélections (l’officielle et les autres : jeunesse, polar, patrimoine, etc.), n’ayant souvent lu que moins de 10% des titres nommés. Par contre, comme les années précédentes, la sélection manga (là, par contre, je connais nettement mieux ce qui sort sur une année) ne me parait pas à tomber par terre. À part Bâillements de l’après-midi en Jeunesse (l’auteur plait, manifestement, il avait déjà était nommé en 2021), Utsubora en Polar, Le Clan des Poe en Patrimoine, Kujo l’implacable et EVOL en Officielle, les autres auraient pu faire sans mal la place à de bien meilleurs titres. Après, l’absence de telle ou telle œuvre peut être imputable à sa non-soumission par son éditeur, ou à l’absence de consensus au sein du comité de sélection dont je ne doute pas un seul instant du sérieux. Je regrette une fois de plus l’absence de manhua venant de Taïwan tant des choses intéressantes sont proposées depuis trois ans et qui sont largement meilleures que bien des mangas retenus, pour des raisons qui me sont obscures (car je sais que nombre d’entre-elles ont été proposées au comité). Je note aussi le « fiasco » du Lézard Noir et le retour de Cornélius, dans une sorte d’effet de balancier. Néanmoins, je suis très content de la présence du Dernier sergent, de Saint-Elme et de Contrition qui sont trois de mes chouchous de l’année (et il n’y en a pas tant que cela, vu que je n’aime rien… à ce qu’il parait).

Quoi qu’il en soit, et sans connaître le programme détaillé, je sais déjà que je serai sur place les cinq jours du festival (plutôt un après-midi, trois jours entiers et une matinée), « Moto Hagio oblige ». Et je ne doute pas un seul instant que le temps passera à une vitesse folle tant il y aura à faire et que le Festival d’Angoulême reste d’une qualité inégalée par les autres manifestations francophones du même genre…

Formula Bula fait pschitt

Pour le petit groupe parisien de Mangaversien·e·s, la fin du mois de septembre a ouvert le bal des festivals BD. Tout d’abord avec Formula Bula, suivi de Y/CON début novembre, de SoBD un mois plus tard et, en point d’orgue, le FIBD d’Angoulême fin janvier. Nous savions que nous commencions par le moins intéressant, mais nous n’imaginions pas que, dans sa nouvelle configuration, il serait à ce point raté. Voici notre petit retour d’expérience visiteur.

Pour ma part, je n’attendais rien de bon de cette édition, n’ayant pas une grande appétence pour la BD expérimentale, son seul intérêt pour moi étant d’être proche de mon parking parisien habituel. Ayant vu le programme de cette année et, surtout, vu le nouveau lieu du festival, principalement l’ancien campus de l’université de Censier (les nombreux autres sites participants n’ayant rien d’intéressant à proposer), seule la possibilité de voir quelques connaissances sur et autours des stands au Village des éditeurs m’a motivé pour faire le déplacement. De ce côté, c’est plutôt réussi, même si je n’ai pas pu discuter avec les responsables des maisons d’édition çà et là ou Lézard Noir. Grâce aux différentes rencontres avec des bulledairiens, des membres du groupe Facebook J’AI et quelques autres connaissances trouvées sur tel ou tel stand, sans oublier les dédicaces obtenues par mes camarades, l’après-midi n’a pas été gâché. Mais pour le reste…

Cela a mal commencé avec une absence de panneautage. Passant par l’entrée principal du bâtiment, nous n’avons trouvé aucune indication sur l’emplacement des rencontres et du Village des éditeurs. Il y avait heureusement un panneau indiquant, avec deux flèches allant dans des directions opposées (si si !), l’atelier Manga Miam animé par la traductrice Miyako Slocombe, atelier basé en partie sur la série La Cantine de minuit (Yarô Abe, au Lézard Noir). Nous y sommes arrivés avec presque une demi-heure de retard (sur 1h30), ce qui est regrettable étant donné qu’il était intéressant, interactif, avec une bonne participation du (notamment jeune) public. Ensuite, incapables de trouver le Village des éditeurs (la raison principale de notre venue, rappelons-le), nous avons dû demander à une personne qui passait par le hall d’entrée où ce foutu Village se trouvait (réponse : au premier étage). À l’entrée sur le campus, il fallait, en fait, prendre l’escalier à droite et ne pas chercher à passer par les grandes portes du bâtiment. L’indiquer clairement était manifestement en option, option non levée par l’organisation. Ceci dit, cette belle preuve d’inorganisation nous a permis d’assister à Manga Miam, donc nous ne pouvons pas nous plaindre.

Surprise ! Sis dans un endroit fermé de petite taille, sans aération, regroupant stands et expositions, le Village des éditeurs est moche, étouffant et peu pratique. Nous sommes vraiment très loin de l’espace (presque) bucolique de la médiathèque Françoise Sagan et du Carré Saint-Lazare. Les deux rangées de petits stands séparées par ce que les organisateurs ont appelé pompeusement « expositions » n’aident pas à circuler. Heureusement, il n’y a pas énormément de monde alors qu’on est samedi après-midi… Les « gros » éditeurs indépendants sont situés dans la partie intérieure du Village, les alternatifs sont tournés vers l’extérieur. La fréquentation des stands, comme souvent, dépend beaucoup de la présence ou non d’autrices, d’auteurs. Par exemple, L’Association a des poids lourds en dédicace, à la plus grande joie des bulledairiens : Emmanuel Guibert, Edmond Baudoin, Vincent Vanoli (entre autres) sont au travail. Et comme il n’y a pas beaucoup de monde, cela permet de discuter et de multiplier les demandes de « petits mickey ». Autre exemple, Agnès Hostache attire du monde sur le stand du Lézard Noir. Sur le stand de çà et là, nous pouvons voir Martin Panchaud et sa machine à dédicace. Il est aussi possible de discuter longuement avec Hugues Micol chez Cornélius, et même de le charrier gentiment sur ses sinogrammes dans Romanji. Il ne faut non plus oublier de passer voir les plus petits stands car il y a toujours moyen de trouver quelques titres difficiles à trouver en librairie et même rencontrer son auteur ou son autrice, à l’exemple de Maou et de son Fleur de prunier édité chez un petit éditeur de Lausanne ou acheter le dernier numéro de Rita, une revue montreuilloise (Montreuil Powa !).

Outre les dédicaces, c’est aussi le moyen de se retrouver « en vrai », de dépasser la virtualité des réseaux sociaux, des forums et autres blogs. Ainsi, le noyau parisien du groupe Facebook J’AI en profite pour se voir (maintenant, il faut que je trouve un membre dessinateur pour qu’il me réalise un portrait sur ma carte de membre papier). Nous pouvons aussi croiser telle ou telle connaissance, ou journaliste spécialisé, et échanger quelques mots à cette occasion. Voilà pour le côté positif du Village des éditeurs et ce qui justifie notre présence. Malheureusement, comme déjà dit, le lieu est inadapté : il est trop petit et absolument pas ventilé, ce qui en ces temps de reprise du COVID, n’est pas très malin… et de toute façon mauvais pour la qualité de l’air respiré, car bien vicié en l’occurrence (bonjour les maux de tête au bout d’un certain temps). Il y a aussi l’étrange idée de vouloir placer les « expositions » au centre de la pièce, donc dans le flux du passage des visiteuses et visiteurs, flux qu’on perturbait obligatoirement. Résultat, personne ne s’y arrêtait vraiment, et de toute façon, ça ne donnait pas envie. C’est d’autant plus dommage que même si ce n’était pas des « expositions » à proprement parler vu leur configuration, il y avait matière à lire et à mieux connaître les autrices et les auteurs concerné·e·s.

Je ne parlerai pas des rencontres organisées dans un énorme amphi qui devait résonner bien vide, nous n’avons assisté à aucune d’entre-elles. Concernant les concerts, vu la petitesse et l’emplacement de la scène, placée le long d’un mur, ça devait être bien nul et très loin de ce qui nous était proposé il y a quelques années au Point éphémère. Bref, lorsque je lis la communication et la satisfaction de l’organisation à l’occasion de cette édition, et que je pense à mon ressenti, je me dis qu’il y a comme un décalage. Pour moi, on a atteint cette année le fond (ce ne peut être un sommet) de l’inorganisation et de l’inintérêt. Je dois avouer qu’il s’agit une manifestation pour laquelle je n’ai jamais eu un grand intérêt par le passé (surtout comparé à Pulp Festival et à SoBD). Heureusement, l’entrée est gratuite et ça permet de rencontrer du monde. Mais, comme dirait un vieux con, c’était « moins pire » avant…

La Pomme prisonnière – Chats et filles nues

Il y a un an une sorte d’Objet Manga Non Identifié est sorti chez Noeve Grafx sous un titre étrange : La Pomme prisonnière. Comme l’explique Kenji Tsuruta dans sa postface, il s’agit en quelque sorte de la continuation sous forme de manga de ses travaux d’illustrations publiés dans un art book intitulé Hita hita. Il en profite pour expliquer quelles associations d’idées lui ont permis de passer de Hita hita (une onomatopée faisant référence à la submersion) à La Pomme prisonnière (en français dans la version originale). Il se révèle très rapidement que cette bande dessinée est en fait un improbable croisement entre deux passions de l’auteur : les chats et les filles nues. Voyons donc comment le mangaka en est arrivé là et quel en est le résultat…

Le lectorat francophone a pu découvrir très tôt Kenji Tsuruta, ce qui fait que nous avons en français la quasi-totalité de ses mangas. Son premier recueil, Spirit of Wonder, a été publié chez nous en 1999 par Casterman. Il s’agit d’une compilation de courts récits de science-fiction qui ont été prépubliés entre 1987 et 1996 dans Morning ou Afternoon, deux des magazines seinen de Kodansha. Il s’agit alors de son premier tankobon (volume relié). Tsuruta a débuté professionnellement à l’âge de 25 ans avec une histoire courte réalisée en 1986 pour Morning, après une carrière d’assistant pour plusieurs mangaka et après avoir publié plusieurs dôjinshi (fanzines) durant ses études en optique. En 2004, rebelote chez Casterman avec Forget-me-not, qui introduit Mariel Imari, une détective privée japonaise vivant à Venise. Il y a cette fois une sorte d’histoire suivie mais chaque chapitre est autoconclusif. Ceux-ci ont été prépubliés à partir de 1997 (toujours dans Morning) et regroupés au Japon en un seul tome en 2003.

Ensuite, plus rien en francophonie jusqu’à ce que Ki-oon édite en 2017 le premier des deux tomes de L’île errante. La série, commencée en 2010 dans Afternoon, est plus ou moins en pause depuis de nombreuses années. Plus exactement, elle est à parution très lente car le premier tome est sorti en 2011, le second en 2017 au Japon. C’est ensuite au tour d’Emanon de nous être proposé, toujours par Ki-oon. Il s’agit là de l’adaptation en manga d’une série de nouvelles de science-fiction écrites par Shinji Kajio. Les quatre tomes parus au Japon (en 2008, 2010, 2013 et 2018) ont été traduits en français entre 2018 et 2020. Notons que, cette fois, la série (inachevée) a été prépubliée dans le défunt mensuel Comic Ryu de Tokuma Shoten. En effet, le mangaka s’est mis à travailler assez tôt pour divers éditeurs, notamment pour Hakusensha. Sa dernière œuvre finie, La Pomme prisonnière (2016, Hakusensha) a été prépubliée dans le magazine Rakuen Le Paradis (un recueil périodique d’histoires courtes destiné essentiellement à un lectorat féminin, trois numéros par an) entre 2010 et 2014. Tsuruta y a commencé une nouvelle série en 2017, Le Repaire de Captain Momo (à paraitre en français, normalement fin 2023, chez Noeve Grafx). Cependant, une fois de plus, l’auteur est très lent (le rythme de parution du magazine n’aide pas, il faut dire) et le premier tome relié n’est sorti au Japon que fin 2022.

Car oui, le mangaka n’est pas très productif. Il faut dire qu’il est aussi un illustrateur de romans et qu’il réalise régulièrement des art books dont l’imposant Hydrogen (254 pages, 1997, Hakusensha) ou, comme déjà évoqué, Hita hita, un recueil d’images friponnes (40 pages, 2002, Hakusensha). Récemment, Tsuruta vient de sortir Tsubu-an (120 pages, 2022, Akita shoten), un nouvel art book revenant sur l’ensemble de sa carrière et comprenant notamment de nombreuses illustrations promotionnelles ou de commandes (pour des films ou des albums de musique, par exemple). S’il n’y a pas de nudité, les filles y sont souvent présentées de façon sexy, voire avec un peu de voyeurisme de la part de l’auteur.

La Pomme prisonnière est donc un manga particulier, « un peu spécial » comme le dit lui-même l’auteur. Pour commencer, il est impossible de présenter l’histoire car il n’y en a pas. En vingt-deux chapitres, représentant seize saynètes sans lien les unes avec les autres (certaines sont très courtes car ne comptant que trois pages), nous suivons les rêves, les cauchemars ou les agissements de Mariel, la détective privée du manga Forget-me-not. Le point commun à tous ces petits récits ? Le chat Oni. N’oublions pas les nombreuses apparitions de félidés en plus d’Oni avec, notamment, M. J, Hana et Chee. Il y aurait pu avoir un autre point commun avec la nudité de notre héroïne. Cependant, il arrive parfois que Mariel reste habillée. Venise aurait pu être un troisième fil rouge, mais la plupart des chapitres se passent dans des ruines à demi immergées qui pourraient se trouver n’importe où en Méditerranée. Quoi qu’il en soit, les chats sont représentés de manière réaliste, leur comportement est incontestablement crédible. Nous pouvons donc prendre La Pomme prisonnière avant tout pour une déclaration d’amour envers la gent féline, mais avec une contrainte : faire un manga avec des filles nues, dans la lignée de Hita hita, cet art book où Tsuruta s’en était donné à cœur joie.

En effet, comme nous l’apprend la postface, c’est une demande du rédacteur en chef (qui avait déjà travaillé avec l’auteur) du magazine pour jeunes femmes Rakuen Le Paradis qui a permis la création de cet OMNI. Néanmoins, l’existence d’une telle œuvre dans la bibliographie du mangaka n’est pas réellement surprenante. Les chats sont présents dans de précédents titres, tels que Forget-me-not (forcément) ou L’île errante. Et plus les années passent, plus les héroïnes de Tsuruta sont sexy et déshabillées, de Mariel que l’on voit de plus en plus découverte au fil des pages à Emanon qui n’est pas toujours très vêtue (surtout dans Errances d’Emanon). Sachant que l’auteur avoue dans ses petits commentaires qu’il aime dessiner des filles nues, il est tout à fait logique que ces différents centres d’intérêt se retrouvent ici… sans oublier le milieu marin que l’on retrouve dans une grande partie de ses mangas.

Dans le cas de Hita hita et, par extension, de La Pomme prisonnière, sommes-nous en présence d’un hommage rendu à un certain courant artistique européen, le nu ? Ou s’agit-il tout simplement de voyeurisme avec ce « male gaze » si important dans l’idéologie woke ? En effet, nous pourrions bien être en face d’une sexualisation exacerbée de la femme asiatique dans un univers occidental, un lointain avatar de l’orientalisme du XXe siècle. Après tout, Mariel est japonaise et l’histoire (si on peut dire) se passe à Venise. D’ailleurs, La Pomme prisonnière est-elle une œuvre compatible avec l’évolution récente des mentalités (et des débats que cela provoque) en ce qui concerne la représentation des femmes dans l’art ? Toutefois, toutes ces questions ne relèveraient-elles pas d’un certain ethnocentrisme ou plutôt d’un culturocentrisme qu’il faudrait apprendre à dépasser ? En effet, nous parlons là d’une œuvre réalisée avec un « esprit d’avant-garde » et créée pour un public de niche, japonais, sans visée exportatrice.

Évacuons de suite l’hypothèse d’un éventuel hommage à l’art du nu. Rappelons que ce dernier, du moins en Europe, est très ancien. Dans l’Antiquité, il s’agissait d’ailleurs plus de nus masculins qui exaltaient les vertus viriles des hommes sans la moindre sexualisation des corps. Petit à petit, ce genre artistique a évolué vers une mise en scène de femmes. Il y a plusieurs raisons à cela, certaines pouvant être amusantes. Notons que le dénudement partiel des corps, surtout féminins, était plutôt transgressif en Europe au XIXe et durant la première moitié du XXe siècle, ce qui permettait aussi de faire parler de soi. Il n’en est pas de même au Japon où l’ukiyo-e est un art pictural qui remonte au début de l’époque d’Edo. À partir du milieu du XVIIe siècle, de nombreuses estampes popularisent l’ukiyo-e, accompagnant ainsi le développement de l’industrie du livre de divertissement. Pour un certain nombre d’entre elles, il s’agit de montrer des courtisanes dans leur vie de tous les jours. Forcément, ces femmes ne sont pas toujours habillées, notamment lorsqu’elles vont au bain. S’il y a une référence au passé dans Hita hita et dans La Pomme prisonnière, c’est plutôt là qu’il faut chercher, et peut-être aussi dans l’art contemporain japonais.

De notre point de vue occidental et actuel, Tsuruta porte-t-il sur Mariel et ses filles de papier un regard masculin réifiant le corps féminin en en faisant un objet de désir ? C’est certain, du moins selon certains points de vue. Nous pouvons aussi penser que nous sommes plus dans une représentation onirique, référencée et humoristique de la nudité plutôt que dans un certain érotisme. D’ailleurs, dans La Pomme prisonnière, il s’agit plus de vivre nue quand cela est possible. Vivant seule à Venise ou dans une ruine à demi immergée à l’écart de toute habitation, Mariel est plutôt dans une position de nudiste, mais plutôt dans la sphère privée. Dans un chapitre, lorsque le brouillard (un phénomène habituel à Venise) se lève, elle et la fille à lunettes doivent cesser de danser nues sur la rive et elles se cachent pour ne pas être vues d’un promeneur solitaire. Toutefois, rappelons que la pudeur n’est pas tout-à-fait la même au Japon qu’en Occident. D’ailleurs, il y a un côté assez transgressif de la part du mangaka lorsqu’il montre la pilosité pubienne et axillaire. Les filles de Tsuruta ne sont pas épilées, elles sont naturelles. Nous pourrions même considérer que l’auteur promeut, notamment avec Mariel, une image de la femme libérée, ayant le contrôle de son corps.

Toutefois, nous pouvons nous demander si tout ceci ne serait qu’une intellectualisation excessive destinée à cacher le fait qu’il s’agit uniquement de se faire plaisir en dessinant / regardant des corps féminins, et qu’il n’y a rien de plus. Après tout, Tsuruta l’a bien dit à propos de Hita hita : « […] des filles nues et c’est tout. » Donc… place aux images !

Contrition – L’Amérique malade

Dans le Sud de la Floride, près d’un lac, un petit bled rural en plein déclin… Nahokee a une particularité : elle abrite une étrange communauté située à l’écart des autres habitants, regroupée dans un hameau appelé « Contrition Village ». Il s’agit essentiellement de personnes jugées coupables de crimes sexuels, généralement liés à la pédopornographie. Condamnés pour le reste de leur vie, ils ont interdiction d’habiter à moins de 1 000 pieds (300 m.) de tout lieu où des enfants peuvent se trouver : il leur est donc impossible de « vivre en ville ».

Christian Nowak est l’un d’eux. Il a purgé sa peine de prison mais n’a nul autre lieu où aller. Il agissait sur Internet en se faisant passer pour une gameuse championne d’un jeu vidéo à succès. Il obtenait ainsi des photos plus ou moins dénudées de ses victimes, de jeunes garçons pouvant être un peu paumés. Un soir, saoul, il meurt dans l’incendie de sa maison, incendie qu’il semble avoir involontairement provoqué. Mais s’agit-il vraiment d’un accident ? Marcia Harris ne le croit pas et elle a raison, cela se confirme rapidement. C’est alors le début d’une enquête rendue difficile par l’absence de mobile, d’indices et par le manque de compréhension de ses proches et de son entourage professionnel pour ce qui est devenu, pour elle, une obsession. Cela pourrait même amener notre journaliste à mettre en péril son couple et son avenir dans une petite ville où il n’est pas bon d’aller à l’encontre des décisions des édiles.

Basée sur des faits réels, Carlos Portela, le scénariste, imagine une enquête située dans le monde des pédocriminels ayant achevés leurs années de prison. Nahokee ressemble beaucoup à la ville de Pahokee en Floride. D’ailleurs, on y trouve le Miracle Village, devenu le Contrition Village dans la bande dessinée. Il y a réellement eu une artiste qui a fait un livre de photographies sur ces criminels sexuels, comprenant que pour eux, leur période de privation de liberté ne se finira jamais, étant fichés publiquement. Ainsi mis définitivement au ban de la société américaine, nulle possibilité de rédemption, nul avenir ne leur est proposé.

Mais un pédophile est-il amendable ? Peut-il s’empêcher de recommencer ? Les avis divergent et n’allez pas penser que Portela prend une position claire sur la question, même si on peut imaginer la réponse au fil des pages. Il livre avant tout un roman graphique policier efficace, une sorte de thriller, bien que les deux premiers chapitres soient un peu longuets, la mise en place de l’histoire manquant un peu de rythme. Par contre, les quatre chapitres suivants sont magistraux avec une alternance de points de vue, des changements d’unités de temps et de lieux maîtrisés, ne perdant jamais lectrices et lecteurs, et apportant par petites touches les réponses aux différents points soulevés au début du récit. On appréciera aussi que les personnages qui font avancer l’intrigue soient des femmes et que l’importance de la communauté afro-américaine de Pahokee ne soit pas gommée.

Le dessin très sombre de Keko retranscrit parfaitement l’atmosphère du récit, même si sa façon de dessiner les décors, manifestement d’après photo, rend souvent ses cases moyennement lisibles, les personnages se détachant mal de l’arrière-plan. L’Amérique rurale des états du Sud est ainsi fidèlement reproduite tant on reconnait les paysages, les habitations, les véhicules de la Floride. Dommage que la technique du dessinateur pour le rendu des volumes et des matières repose sur des hachures réalisées de façon peu convaincante. À l’inverse, ses personnages sont parfaitement caractérisés et dessinés de manière plus sobre. Heureusement, les pages sont principalement réalisées avec des aplats de noir, ce qui sied aux thèmes abordés au fil des pages. Le découpage et le rythme de lecture sont tout à fait réussis, avec plusieurs planches muettes de toute beauté.

Toutefois, on pourrait regretter que les auteurs de Contrition ne prennent pas clairement le parti de dénoncer une législation aberrante typique de l’hypocrisie américaine. Les crimes et délits sexuels sont hystérisés par le puritanisme américain. Les peines peuvent être infligées de façon totalement hors de proportion dans certains cas. D’un autre côté, même si les deux problématiques sont différentes, les tueries de masse sont tolérées d’une manière totalement incompréhensible pour les Européens que nous sommes. Le système de fichage public et l’interdiction de se trouver à moins de 300 (ou 500 mètres voire plus) de tout lieu où peuvent se trouver un enfant est stupide dans l’optique de la réinsertion des individus condamnés ayant purgés leur peine et achevés leur période probatoire.

Si encore cela concernait uniquement les véritables pédocriminels, on pourrait le comprendre, mais comme des articles de presse nous le montraient dans les années 2010, ici ou , à propos de Miracle Village ou d’un équivalent, toutes les situations sont mélangées sans réel discernement. Surtout, cette vision des crimes sexuels alimente le mythe du prédateur sexuel agissant dans l’espace public alors que la plupart des crimes pédophiles se déroule au sein du cercle familial étendu ou dans des structures religieuses, sportives ou éducatives, ce qui est de plus en plus mis en évidence depuis quelques années notamment en Europe (mais il n’y a pas de raison que ça soit très différent aux USA).

Quoi qu’il en soit, le sujet est complexe et il a de tout temps évolué dans nos sociétés occidentales. Il est donc compréhensible que Portela et Keko aient préféré réaliser une excellente fiction basée sur le réel sans chercher à emprunter au domaine du documentaire. Ils ont bien raison et ils laissent ainsi le soin aux lectrices et aux lecteurs d’approfondir le sujet à leur guise. D’ailleurs, c’est un peu ce que fait le présent billet…

Je remercie Manuka pour sa relecture et ses corrections, et a-yin pour ce remarquable cadeau d’anniversaire qui apporte à nouveau la preuve qu’elle connaît parfaitement mes goûts en matière de bande dessinée.

Contrition de Carlos Portela (scénario) et Keko (dessin)
Traduction de l’espagnol par Alexandra Carrasco
168 pages, N&B
Parution : 22/03/2023
Denoël Graphic

Le fonds patrimonial des imprimés de la Cité, un petit reportage

L’archivage des nombreuses bandes dessinées et revues consacrées au 9e art est l’une des missions de la Cité Internationale de la Bande Dessinée et de l’Image (CIBDI). L’idée de mettre en place à Angoulême un fonds dédié à la BD s’est concrétisée il y a une quarantaine d’années avec le doublement (entre 1984 et 2015) du dépôt légal de la BnF, bien avant la création de la Cité. Cette dernière est ainsi l’héritière de la bibliothèque d’Angoulême, première récipiendaire de ce fonds du fait de sa proximité géographique avec le Salon International de la Bande Dessinée d’Angoulême (devenu en 1996 un festival). À l’occasion de la cinquantième édition du festival, nous (a-yin et moi) avons eu l’occasion de visiter ce fonds en compagnie d’un petit groupe de privilégié·e·s et de découvrir certaines vieilles pépites qui y sont entreposées.

Un peu d’histoire

Ces réserves sont installées dans les chais dits « Magelis » depuis 2008, une fois ceux-ci profondément remodelés pour recevoir le musée de la bande dessinée ainsi qu’un musée du cinéma (qui n’ouvrira finalement jamais). En effet, le lieu a une histoire qui prend ses racines durant la glorieuse période industrielle d’Angoulême et même au-delà.

Remontons à 1857 pour trouver l’origine de ces chais. C’est à cette époque que les onze corps de bâtiments, dont on voit toujours la façade ordonnancée le long de la Charente dans le quartier de Saint-Cybard, ont été construits afin de stocker de l’eau-de-vie (Cognac n’est pas loin). Ces chais ont été transformés par la société Lazare Weiller et Cie en 1908-1910 pour recueillir son usine métallurgique (alors située quelques dizaines de mètres plus loin) et une usine à feutre de papeterie (alors située à Nersac, à l’Ouest d’Angoulême) qui profite ainsi de la proximité des papeteries d’Angoulême. Un entrepôt industriel et des bureaux ont été construits vers 1930 avant que de nouveaux ateliers de fabrications soient ajoutés en 1945 puis en 1960. L’ensemble s’est transformé en friche industrielle après le transfert de l’usine COFPA (ex-Weiller) à Gond-Pontouvre (au Nord d’Angoulême) en 1995. Cette friche a subsisté jusqu’à la réhabilitation du site décidée en 2002 avec la mise en place de la « Cité Magelis ». Tous ces bâtiments ont dû être détruits, en gardant néanmoins les façades et quelques murs, afin de faire place à une nouvelle structure dédiée à la bande dessinée (le musée, ouvert en 2009 dans sa partie droite) et à l’image (l’ex-musée du cinéma des Studios Paradis). Cette partie n’a jamais été ouverte au public entre 2004 et 2022, à une exception près en 2017 à l’occasion d’une exposition temporaire. Depuis peu, les Studios Paradis sont définitivement fermés. Les décors ayant été démontés, le FIBD a pu en profiter en 2023 en y créant un nouvel espace jeunesse.

La Cité Internationale de la Bande Dessinée et de l’Image

La Cité, née en 2008 de la réunion du CNBDI (le Centre National de la Bande Dessinée et de l’Image, dont la création à Angoulême a été décidée en 1984) et de la Maison des auteurs, est organisée en plusieurs pôles sur trois sites (Vaisseau Mœbius, Maison des auteurs, Chais Magelis). Les trois principaux pôles sont le musée de la bande dessinée, la bibliothèque de la bande dessinée et la maison des auteurs, auxquels s’ajoutent des fonctions supports (administration, communication, action culturelle et centre de soutien technique multimédia). Depuis quelques années, le cinéma et la librairie sont directement rattachés à la direction générale, l’action culturelle / médiation, la bibliothèque, le centre de ressources documentaires et les fonds (lecture publique, centre de documentation, patrimoniaux) sont rattachés à la direction « lecture publique et transmissions », en attendant une nouvelle organisation qui ne manquera pas de se mettre en place dans un futur plus ou moins proche.

C’est au premier étage, au-dessus du musée et de la librairie, que se trouvent, entre autres, le centre de documentation avec ses bureaux sur un côté, et en son cœur, la réserve des albums et celle des périodiques (les deux dépendant donc du fonds « imprimés » de la bibliothèque) ainsi que les réserves des collections du musée (des planches et illustrations originales mais aussi divers objets en rapport avec la BD). Elles représentent une surface d’environ 600 m² (dont 190 pour les albums, 230 pour les périodiques et 180 m² pour les collections du musée). Elles étaient situées jusqu’en 2008 au premier étage du CNBDI, du côté de la bibliothèque (donc au bâtiment Castro, devenu en 2013, le Vaisseau Mœbius). Elles représentaient une surface de 355 m² (soit 100, 129 et 126 m²). D’ailleurs, le manque de place dans les nouvelles réserves ont conduit à en ré-ouvrir une ancienne (avec la réimplantation de certains types de documents) dans le Vaisseau Mœbius (la surproduction de bandes dessinées ne touche pas que les lectrices et lecteurs ou les libraires). Cette nouvelle/ancienne réserve sert aussi de lieu de stockage à un récent don exceptionnel.

Qu’est-ce que le fonds patrimonial des imprimés ?

En principe, est patrimonial tout livre qui est soit ancien (antérieur à 1830), soit rare (moins de cinq exemplaires sur le territoire national), soit précieux (plus de 50 000 €), un seul de ces trois critères suffit. Cependant, il est possible de « patrimonialiser » en dehors de ces trois caractéristiques. Rappelons qu’un ouvrage « patrimonialisé » est inaliénable et imprescriptible. Du coup, il n’a pas vocation à être prêté, ni à être aliéné ou détruit. Et des règles de conservation (température, hygrométrie, ventilation, stockage, sécurisation, recollage, etc.) s’imposent à son entreposage et à son prêt pour des expositions temporaires (pas plus de trois mois consécutifs suivi d’une longue mise au « frigo » afin de le préserver de la lumière). Un fonds patrimonial est donc constitué d’un site de conservation, d’une collection qui y est entreposée et d’un catalogue des pièces constituant ladite collection.

Pour simplifier, une bande dessinée (au sens large), mais aussi une revue en lien avec la BD peuvent entrer dans le domaine public mobilier et ainsi devenir un bien d’intérêt national à partir du moment où ledit l’objet a rejoint le fonds de la Cité. Pour cela, il n’est pas nécessaire d’être rare ou précieux, il suffit que l’ouvrage présente un « intérêt public du point de vue de l’histoire, de l’art, de l’archéologie, de la science ou de la technique ». Du coup, cela a permis d’inclure les livres et périodiques collectés au titre du dépôt légal et qui ont été envoyés à Angoulême par la BnF entre 1984 et 2015. Mais aussi ceux obtenus par différents dons (par exemple les fonds « Alain Saint-Ogan » ou « Pierre Couperie » mais il y a d’autres donations) ou à l’occasion de divers achats. Notons que la Cité n’est pas destinataire, pour les bandes dessinées, du dépôt légal imprimeur de la région Nouvelle Aquitaine (pour l’ex-région Poitou-Charentes, c’est la bibliothèque municipale de Poitiers qui est concernée), ce qui aurait été une source permettant d’alimenter le fonds de quelques nouveautés locales.

En fait, l’idée de mettre en place à Angoulême un fonds dédié à la BD s’est concrétisée il y a une quarantaine d’années avec la réception d’un des exemplaires du dépôt légal de la BnF, bien avant la création de la Cité. Cette dernière est ainsi l’héritière de la bibliothèque municipale d’Angoulême, première récipiendaire de ce fonds. Celui-ci a donc commencé à être constitué en 1984 et a été transféré à la bibliothèque du CNBDI en 1990. Un des exemplaires du dépôt légal a cessé d’être envoyé par la BnF en 2015, coupant alors la principale source d’alimentation du fonds. C’est en tout plus de 60 000 ouvrages qui ont été reçus par ce biais et qui sont archivés dans les rayonnages dédiés. Heureusement, la Cité avait et a toujours d’autres possibilités d’acquisition. Par exemple, en 2021, un don de plus 30 000 ouvrages est venu enrichir le fonds des imprimés : une collection privée qu’il faut désormais répertorier et dédoublonner avec l’existant, puis archiver et cataloguer, ce qui représente un travail considérable mais passionnant.

La visite du fonds des imprimés

Après avoir été reçus dans les bureaux du centre de documentation par Pauline Petesch, Lisa Portejoie et Maël Rannou, et après avoir eu une présentation des différentes missions de la division « lecture publique et transmissions » de la Cité, notamment celle de proposer un espace de consultation du fonds des imprimés aux chercheuses, chercheurs, et autres spécialistes de la BD, nous avons pu entrer dans le vif du sujet. Les réserves sont accessibles par de longs couloirs sans fenêtre agrémentés de figures bédéesques illustres en grand format, des formes imprimées récupérées, j’imagine, à l’issue de telle ou telle exposition organisée par le CNBDI puis par la Cité.

Il y a nombre époustouflant d’étagères montées sur rail (on appelle ça des rayonnages mobiles haute densité) sur lesquelles sont entreposées de grandes quantités de livres qui sont rangés par taille (petits, moyens ou grands formats) puis par ordre de catalogage, ce qui tranche avec les collections amateures qui vont privilégier un classement par série, auteur, éditeur, etc. En effet, il n’est pas possible d’avoir une telle approche pour un fonds car il est impossible de ré-agencer en permanence les BD ou d’essayer de garder différents espaces libres pour les futures parutions. Cela donne un effet très disparate mais l’efficacité prime ici sur l’esthétisme, d’autant plus que le lieu est fermé au public. Malgré leur solidité apparente, certaines étagères ploient légèrement sous la charge qui leur est imposée. Car oui, c’est lourd, la bande dessinée…

L’archivage des périodiques est différent de celui des livres, du fait de leur finesse et de leur fragilité. Les magazines, revues, journaux sont regroupés chronologiquement dans de larges chemises boites plastiques. Cela rend le fonds moins impressionnant car nous ne pouvons pas faire un parallèle avec nos propres collections de BD rangées dans nos bibliothèques personnelles. Pour avoir une meilleure vision du fonds des imprimés, dix-huit autres photos sont disponibles sur le mini-site Des Mangaversien·ne·s à Angoulême réalisé à l’occasion du reportage photographique sur l’édition 2023 du fameux festival de la bande dessinée angoumoisin.

Quelques trésors du fonds des imprimés

La visite se termine traditionnellement (il est possible de la faire lors des journées européennes du patrimoine) par la présentation de quelques pièces intéressantes que le fonds préserve et propose pour étude aux chercheuses et chercheurs dans le domaine de la bande dessinées.

Parmi les trésors du fonds des imprimés, outre une édition très ancienne des Aventures de M. Jabot de Töpffer (les premières impressions de l’imprimerie Caillet à Genève datent de 1833), nous avons pu voir le numéro 1 du Journal de Mickey (le vrai, pas le facsimilé que j’ai pu avoir avec différentes éditions commémoratives) mais aussi le mythique numéro 296 imprimé mais jamais distribué du fait de l’arrivée de l’armée allemande à Paris quelques jours avant le 16 juin 1940 (date de sortie prévue du fameux illustré).

Il y avait aussi une reliure éditeur de plusieurs numéros du magazine d’arts martiaux Budo Magazine Europe contenant un des premiers mangas en français connu (avant la revue Le Cri qui tue, donc) : « La dramatique histoire budo du samouraï Shinsaburo » de Hiroshi Hirata (non crédité), un récit publié en octobre 1969 (une autre histoire du mangaka a été publiée un peu avant dans le numéro de mai 1969 de la revue Judo KDK du même éditeur). Le fonds des imprimés possède aussi une curiosité : une sorte de recueil / catalogue promotionnel d’histoires traduites en français d’Osamu Tezuka réalisé en 1984. Il faudrait étudier les raisons de son existence, mais je suis persuadé qu’il a été réalisé par Atoss Takemoto car il était au festival d’Angoulême en 1984 pour essayer de « fourguer » du manga aux éditeurs francophones, après l’arrêt du Cri qui tue. En effet, s’il jouait avec son orchestre des génériques d’animés pendant le festival, il essayait aussi cette année-là de devenir l’agent d’auteurs comme Tatsumi ou Tezuka. Il est difficile de poser la question aux personnes concernées, malheureusement…

Nous avons aussi pu voir le prototype du premier numéro de Métal Hurlant, maquetté en 1974 par Étienne Robial (qui a aussi conçu l’identité visuelle de la Cité). Il s’agit d’un ozalid collé sur les pages d’un numéro de Charlie Mensuel (le n° 71 de décembre 1974). Ce montage permettait de se faire une idée précise de la maquette de ce numéro 1 (sorti en janvier 1975) avant de donner le bon à tirer à l’imprimeur.

Le fonds possède aussi de nombreuses bandes dessinées étrangères, ce qui permet de comparer des éditions selon les pays. C’est ainsi que des différences de format et même de contenu peuvent apparaitre, comme nous le montre une rapide comparaison entre les éditions canadienne (celle en langue anglaise), belge et allemande des Aventures : Planches à la première personne de Jimmy Beaulieu. Il est aussi montré la richesse du fonds en bandes dessinées asiatiques, que ce soient des titres en français reçus du dépôt légal ou des dons, notamment des délégations coréennes, hongkongaises ou taïwanaises, régulièrement présentes au festival d’Angoulême.

Il ne nous restera plus qu’à essayer de visiter les réserves du musée de la bande dessinée à l’occasion d’une prochaine édition du FIBD pour compléter le présent texte par un nouveau billet. Ce serait surtout l’occasion de pouvoir admirer de nombreuses planches originales, nous qui faisons régulièrement des expo-ventes dans les différentes galeries parisiennes spécialisées. N’oubliez pas, pour compléter cet article, d’aller lire le reportage réalisé par Damien Canteau pour le site Comixtrip.

Je remercie Pauline Petesch, Lisa Portejoie et Maël Rannou pour leur invitation, la qualité de leurs explications et leur amabilité. Elles et lui nous ont permis de passer un moment privilégié au « saint des saints » des chais Magelis. Je remercie à nouveau Maël Rannou pour ses corrections et précisions ainsi que Manuka pour sa relecture et ses corrrections. Les photos sont © 2010-2023 Hervé Brient / Éditions H sauf, bien entendu, les deux premières représentant les usines Weiller puis COFPA.

Blutch : Rêveries et souvenirs

Grâce aux éditions 2024, Blutch nous reviens avec une création originale huit années après sa dernière bande dessinée personnelle, Lune l’envers (Dargaud, 214). En effet, Mais où est Kiki ? Une aventure de Tif et Tondu (Dupuis, 2020) était une reprise, avec Robber (son frère étant au scénario), d’un des plus célèbres duos de la BD francophone. Voilà donc une bonne occasion de redécouvrir un auteur plutôt atypique.

Rêveries

Dans La Mer à boire, nous faisons la connaissance de B qui, après un long voyage en train, doit retrouver A dans la ville de Bruxelles, célébrée pour son lac et ses belles plages, ses montagnes aux alentours, sans oublier son casino. En chemin, B retrouve son ancien mentor, ignore ses conseils avisés et le quitte en l’abattant d’un coup de pistolet. Cherchant à rejoindre son point de rendez-vous, B se fait ensuite capturer par une tribu de Peaux-rouges à la couleur plutôt bleue, bien décidés à faire passer une épreuve à notre aventurier. De son côté, A, une jeune fille à l’apparence très garçonne, termine son voyage en taxi, qu’elle partage avec trois autres personnes dont elle ne veut pas entendre des conseils sur ses affaires de cœurs. Arrivée à l’hôtel Métropole, la voilà partie à la recherche de B, en utilisant une corde funambule tendue à partir de sa chambre…

Blutch (dont le nom d’artiste provient de la série Les Tuniques bleues) est un des représentants les plus en vue de la « nouvelle BD », notamment depuis qu’il a reçu le Grand prix du festival d’Angoulême en 2009. Auteur prolifique à ses débuts (pendant sa période Fluide Glacial et Cornélius) se faisant plus rare ces dernières années (rappelons que sa carrière a débuté au début des années 1990), il n’a créé que quatre bandes dessinées depuis sa consécration angoumoisine. Par contre, il est pratiquement de tous les hommages collectifs aux séries franco-belge emblématiques, en grand amateur et connaisseur du genre. Lecteur il était dans sa jeunesse, lecteur il est resté. Son ouvrage Variations (Dargaud, 2017) en est le meilleur exemple où il propose sa version de trente planches issues de ses lectures de bédéphile. Délaissant les grands éditeurs (Dargaud, Dupuis, Casterman, Futuropolis/Gallimard), Blutch nous revient ici avec une création publiée par le plus-si-petit éditeur strasbourgeois 2024. Un retour aux sources en quelque sorte pour ce diplômé de la remarquable école supérieure des Arts Décoratifs de Strasbourg (devenue depuis la Haute école des arts du Rhin).

Avec La Mer à boire, Blutch nous propose une œuvre onirique sur le désir. En effet, il s’agit ici de la mise en forme d’un rêve qu’aurait pu faire l’auteur. Il se met en scène sous l’apparence d’un cow-boy un peu âgé et dégarni qui cherche à retrouver une jeune femme dans le but de coucher avec elle. Cette dernière a d’ailleurs une apparence changeante au fil des pages. Les péripéties s’enchainent les unes après les autres sans logique apparente, tout comme cela se produit si souvent dans les songes. Il ne faut donc pas s’attendre à un récit construit selon les règles du genre. Blutch ne s’interdit aucune digression, à l’exemple de celle du parfum Incartade. Une fois ce postulat accepté, il ne reste plus qu’à imaginer le propos sous-jacent à telle ou telle scène, voire à se projeter en tant que lectrice ou lecteur dans une création qui se révèle être formellement assez classique. En effet, comme le dit lui-même l’artiste dans un intéressant entretien disponible sur ActuaBD, il voulait faire du Tintin, avec du Manara, du Moebius, etc. dedans. Il cherche d’ailleurs à ne pas perdre son lectorat au fil des pages même si la trame du récit n’est pas toujours très linéaire. Toutefois, le mini-récit final de sept planches nous permet de changer de point de vue et impose une relecture immédiate. Bien entendu, le dessin, joliment mis en couleur par l’auteur lui-même, est une fois de plus le point fort de l’ouvrage. Blutch est un maître en la matière, son style et surtout son encrage sont immédiatement reconnaissables. D’ailleurs, nous pouvons estimer que La Mer à boire représente une excellente synthèse de l’imaginaire et du style de l’auteur.

Les éléments relevant du songe sont immédiatement décelables, entre dialogues décalés, agissements illogiques, personnages surgissant de nulle part, etc. Il s’agit aussi d’un rêve érotique, les deux protagonistes ne cherchant à se retrouver que pour coucher ensemble dans un hôtel (de luxe, bien entendu). Cela n’interdit pas une certaine forme d’humour, le grotesque n’étant jamais loin. L’érotisme, frôlant parfois la pornographie lors de plusieurs scènes assez explicites, se développe au fur et à mesure des pages, une fois que l’auteur a fait se rencontrer A et B. Cet érotisme, avec ses différentes représentations fantasmées, n’est pas uniquement masculin : la nudité n’y est pas exclusivement féminine. Effectivement, une certaine vision du sexe se développe à cette occasion. Certes, le point de vue est indéniablement hétérosexuel mais il est quelque peu ridicule d’en faire le reproche comme cela a pu être vu sur un forum spécialisé en bulles de BD : en quoi cette vision de l’amour ne serait plus possible en 2022 ? Les rêves et les fantasmes sont de l’ordre du privé tant qu’aucune atteinte réelle à autrui (et illégale) ne soit constatée par une décision de justice. Aucun reproche ne devrait être fait à se sujet. Quoi qu’il en soit, la romance promise en quatrième de couverture est là, et elle se révèle être explicite ! Cela n’a rien d’étonnant quand on connait le travail d’illustrateur de Blutch, visible lors de plusieurs expositions qui lui ont été consacrées et dans un livre comme La Beauté (Futuropolis, 2008). Cet érotisme avait d’ailleurs frappé l’auteur de ces lignes lors des dessins proposés en 2010 par le festival d’Angoulême à son Grand Prix 2009.

Souvenirs

En effet, Blutch est un auteur que je suis depuis de très nombreuses années, sans pour autant toujours apprécier à chaque fois ses créations. C’est en 2003 que je le découvre, grâce à son excellent Donjon Monster, le tome 7 intitulé « Mon fils le tueur ». Mais cet opus n’est absolument pas représentatif de l’œuvre de l’artiste. Cinq années plus tard, à l’occasion d’une vente de défraichis dans les locaux parisiens de l’éditeur Cornélius, je m’attaque à Péplum. C’est un échec, je n’arrive pas à apprécier le titre. Pourtant, à l’époque, je me suis habitué à lire de la BD indépendante, notamment celle publiée par ego comme x, par Atrabile et par L’Association. Blutch étant Grand Prix en 2009, c’est l’occasion pour moi d’acheter la version intégrale de Blotch (Audie/Fluide Glacial, 2009). Là, par contre, c’est une réussite : j’adore l’humour caustique, le cynisme et le dessin expressif, vivant, qui nous sont proposés. Il faut dire que ce n’est pas l’exposition angoumoisine de 2010 qu m’avait préparé à la carrière de Blutch dans Fluide Glacial (un magasine BD qui ne m’a jamais plu, malgré la présence de Goossens en ses pages), avec pourtant la présence de plusieurs dessins de presse, plutôt nonsensiques et intéressants. Pour celles et ceux qui seraient intéressé·e·s, plusieurs de ces illustrations se retrouvent dans deux expositions qui ont fait l’objet de catalogues publiés par Dargaud : Vue sur le lac (2015) et Un autre paysage (2019). N’oublions pas Variations (Dargaud, 2017) qui vient compléter de façon remarquable les deux précédents ouvrages.

Si Mish Mash (Cornélius, 2002) a l’heur de me plaire en 2010 (à ma grande surprise), il faut attendre l’année 2014 pour que je me remettre à lire des titres de Blutch. Si j’accroche bien à Sunnymoon (L’Association, l’intégrale de 2009) ce n’est absolument pas le cas de Lune l’envers (Dargaud, 2014). Après une nouvelle pause de six années interrompue par le très plaisant Mais où est Kiki ? (Dupuis, 2020), il se produit un peu le même effet avec ces deux nouvelles lectures : excellente avec les deux tomes du Petit Christian (L’Association, 1998 et 2008), mauvaise avec Pour en finir avec le cinéma (Dargaud, 2011). Par ailleurs, j’ai vu trois expositions consacrées à Blutch entre 2010 et 2020 : à Angoulême en 2010, au Pulp Festival en 2016 et à Formula Bula en 2019. La première était « sans case » et mettait en avant son travail d’illustrateur. La deuxième était plus classique et se focalisait surtout sur ses bandes dessinées (par ailleurs, l’érotisme était bien présent dans « Belles de jour« ). La troisième se limitait à un parallèle entre Le Petit Christian et sa reprise de Tif et Tondu dans une scénographie simple donnant envie de lire les albums concernés. Il ressort donc de ce petit passage en revue de mes lectures « blutchiennes » que je ne sais jamais quoi attendre d’une création de l’auteur et que les titres parus chez Furturopolis pourraient tout aussi bien me plaire que me tomber des mains. Tant mieux, l’effet de surprise est important afin de ne pas devenir blasé, ce que j’ai trop tendance à être…

Angoulême, la cinquantième !

La conférence de presse de la cinquantième édition du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême a eu lieu ce lundi 28 novembre. Cette année, elle était située à la BNF Richelieu, dans la salle Ovale, nouvellement rouverte au public et proposant plusieurs milliers de BD dont de nombreux mangas. Impressionnant !

Depuis la réunion éditeur du mois de septembre, votre serviteur fait le grognon et critique le choix des expositions mangas qui n’ont pas l’heur de lui plaire. Et ce ne sont pas les horribles affiches et le flou sur le programme qui ont arrangé son humeur. Il faut dire qu’assistant au raout de fin janvier depuis 2004, il lui est difficile de ne pas se dire que c’était mieux avant alors qu’on a là une édition anniversaire.

C’est ça de devenir un vieux con blasé 😊… Cela ne m’empêchera pas de présenter un nouveau mini-site « Des Mangaversien·ne·s à Angoulême » !

La magie d’Angoulême a réussi à agir une fois de plus lors de cette conférence de presse (j’y vais depuis 2009). Est-ce le plaisir de retrouver quelques connaissances du monde de l’édition et de la presse spécialisée ? Est-ce le lieu chargé d’histoire et de livres qui a été choisi pour l’événement ? Quoi qu’il en soit, me voilà regonflé pour aller passer quelques jours dans la ville française de la BD fin janvier. Mais voyons plus en détail ce qui nous est présenté.

2023, une édition tournée vers la jeunesse et le futur.

Celles et ceux qui me connaissent savent mon amour pour les enfants et les réseaux sociaux : je déteste les uns comme les autres, ha ha ! Alors, voir que le festival développe de plus en plus son offre en direction de la jeunesse et sur Internet ne m’enchante pas plus que cela. Néanmoins, il faut reconnaître que c’est une évolution normale et souhaitable. Pfff, il va donc falloir que j’apprenne à utiliser Twitch ou Tik Tok (argl). Le festival ne voudrait pas plutôt aller sur Discord ? Au moins, j’y suis présent. Comme l’a fait remarquer (plus diplomatiquement que les propos suivants qui n’engagent que moi) Franck Bondoux, le directeur délégué du festival, il faut s’ouvrir au futur, ne pas regarder le passé (c’est pour cela qu’il n’y aura pas d’exposition rétrospective sur les 50 éditions du festival) et dépasser la BD « à papa » lue par les quinquas (et plus) qui sont, pour certains, incapables de lire autre chose que les séries de leur enfance. Le web est appelé à dépasser le papier, du moins auprès des jeunes. D’ailleurs, concernant le Quartier Jeunesse, je suis assez intéressé par l’exposition qui sera dédiée à la scénariste Marguerite Abouet, même si je n’ai rien lu de l’autrice. Et je me souviens d’y avoir vu une excellente exposition dédiée à Tom-Tom et Nana de Bernadette Després. Le Quartier Jeunesse aura encore un peu plus de place que les années précédentes, toujours aux Chais.

Du manga, beaucoup de manga

Les jeunes lisant du manga, la bande dessinée japonaise va aussi bénéficier d’un effort pour offrir un espace plus grand et plus attractif. Situé dans des bulles hors du plateau d’Angoulême depuis quelques années, le Quartier Manga va investir la Halle 57, un vieux bâtiment de la SNCF situé à côté de la médiathèque l’Alpha, bâtiment qui devait être détruit et qui va devenir un nouvel espace en dur pour le festival. Cela faisait quelques années qu’on en parlait, ça va devenir une réalité en 2023. C’est ainsi 3800 m² (nettement plus que la bulle située rue Coulomb) qui pourront être proposés aux fans de manga. Les éditeurs auront ainsi de la place pour s’installer. Un habillage rappelant les villes asiatiques (Tokyo, Séoul, Taipei) mettra les festivaliers en conditions pour le futur Manga City des prochaines années (une fois la réfection de la Halle 57 totalement achevée). Nous aurons ainsi le plaisir de retrouver Akata, Des Bulles dans l’océan, Glénat, IMHO, Hong-Kong, Kana, Makma, naBan, Nazca, Pika, Taïwan, etc. Il y aura même un stand Passe Culture, ça va faire hurler quelques grincheux sur un certain forum BD de référence, ha ha !

Trois expositions manga sont annoncées. Il y aura au Musée d’Angoulême Ryōichi Ikegami. À corps perdus, exposition dont je me fiche totalement tant l’auteur ne m’a jamais intéressé, même à mes débuts de lecteur de manga. Le seul point qui peut sauver cette exposition patrimoniale, à mes yeux, est que les commissaires devraient arriver à faire quelque chose d’instructif sur un auteur has been qui n’intéresse plus grand-monde, à part Fausto, le responsable de la programmation Asie. Oui, je suis toujours remonté envers un tel choix… Un catalogue sera proposé mais je ne pense pas l’acheter.

Nous pourrons voir (je ne dis pas admirer) le travail de Junji Ito au sous-sol de l’Espace Franquin (en salle Iribe, donc) avec l’exposition Junji Itō, Dans l’antre du délire. Moi, ça ne me fait pas délirer mais il faut reconnaître que grâce à l’éditeur Mangestu, l’auteur est à la mode actuellement et il mérite amplement une présentation de son travail. De plus, c’est un fidèle du festival. On nous promet une exposition immersive. Nous verrons bien sur place mais je dois avouer que ma curiosité est titillée…

La grosse exposition du festival sera L’Attaque des Titans, de l’ombre à la lumière. Située à la médiathèque l’Alfa, elle devrait être du niveau de l’inoubliable exposition Batman 80 ans de 2019. Dans un décor immersif, 150 planches originales couvrant l’intégralité de la série nous serons proposées. D’ailleurs, étant donné son coût, l’exposition sera payante : il faudra ajouter 10 euros au passe festivalier et elle ne sera ouverte aux professionnels qu’uniquement le mercredi. Il sera toutefois possible d’acheter un billet seul s’il reste de la place (en toute fin de journée, j’imagine) lors des autres journées. Le souci est que je ne prévois pas d’être au festival dès mercredi, ce qui ne me traumatise pas, même si j’aimais bien le titre (mais pas au point de l’acheter).

Sauf contretemps, les trois auteurs concernés par les expositions viendront du Japon et honoreront le festival de leur présence. Il y aura vraisemblablement quelques autres mangaka invité·e·s par différents éditeurs. N’oublions pas la remise du prix Konishi qui récompense le travail d’une traductrice ou d’un traducteur de manga. Sylvain Chollet sera-t-il enfin récompensé ?

De la Franco-Belge, oui, du Comics, non

Les fans de bande dessinée américaine risquent d’être déçus. Aucune exposition sur la création américaine n’est prévue, ni aucun espace dédié : ce sera « passez, il n’y a rien à voir ». Le Canada sera présent grâce à un stand (Pow Pow aussi) dans la bulle du Nouveau Monde. Une exposition dédiée à Julie Doucet, Grand Prix 2022, se tiendra à l’Hôtel Saint-Simon. Il faudra se tourner vers les éditeurs dédiés comme Urban Comics (Panini semble devoir être absent), 404 Comics, Delirium, Komics Initiative, etc. pour pouvoir se prendre une dose d’amerloqueries. Pour ce qui est des invité·e·s en Rencontres Internationales, il est trop tôt pour savoir qui sera présent·e.

La bande dessinée franco-belge va surtout être représentée par l’exposition Les 6 Voyages De Philippe Druillet. Il y aura deux lieux : le Musée d’Angoulême et la chapelle voisine. Je n’aime pas Druillet mais cela pourrait être intéressant. Un catalogue va être proposé et je prévois de l’acheter de suite, afin de ne pas connaître la mésaventure du catalogue dédié à Corben en 2020. Il y aura aussi Dans les yeux de Bastien Vivès au Musée du Papier, mais là, ça sera sans moi. J’espère que l’exposition Couleurs ! sera intéressante. En tout cas, il y aura pour cela de l’espace car située au rez-de-chaussée du bâtiment Castro, pardon, au Vaisseaux Mœbius (c’est à ce détail qu’on voit les vieux festivaliers). Le métier de coloriste a trop longtemps été ignoré malgré son importance. Certainement parce qu’il était essentiellement exercé par des « bonnes femmes ». Au fait, les scénographes, pensez à mettre un peu de lumière, par comme les années précédentes, hein !  Toujours au Vaisseau Mœbius, mais à l’étage, nous aurons Elle résiste, elles résistent, exposition dédiée à Madeleine, Résistante : la rose dégoupillée, de Jean-David Morvan et Madeleine Riffaud au scénario et Dominique Bertail au dessin.

Et le reste…

Au rez-de-chaussée de l’Espace Franquin, il sera possible d’admirer 50 regards d’autrices et d’auteurs (dont Derf Backderf, Ino Asano, Florence Dupré la Tour, Tom Gauld, Léa Murawiec, Naoki Urasawa) sur les 50 ans du festival. Intéressant… Un portfolio à 150 € sera même proposé aux plus fortunés d’entre nous. Les amateurs de planches originales et d’illustrations devraient trouver leur bonheur à la nouvelle Place du 9e art. Les autres bulles devraient être reconduites dans une configuration proche de l’édition 2022. Le Spin Off sera à nouveau aux Ateliers Magelis, le Pavillon Jeunes talents au NIL (avec l’exposition Worldwide Comics Explosion présentant dix autrices et auteurs de demain), il y aura un concert dessiné au Théâtre avec Ana Carla Maza et Aude Picault (dont on avait pu apprécier une exposition en 2022), des masterclass (celle de Hajime Isayama est déjà complète), des rencontres Internationales, et d’autres sous le patronage de Télérama ou du Point, des conférences au Conservatoire (vais-je en proposer une ? cela va dépendre du responsable, s’il veut de moi), etc. etc. Il y aura aussi les animations de la CIBDI, avec une exposition dédiée à Fabcaro, entre autres. Stay Tuned, comme on dit…