ReV – un rêve vidéoludique

Sur l’insistance de son filleul, Gladis découvre un jeu virtuel massivement multijoueur, un de ces univers où l’on peut vivre d’autres histoires que celles que propose la vie réelle. ReV a une double particularité : la psymulation qui rend l’expérience plus « réelle », et l’absence de scénario scripté. En effet, le jeu s’adapte continuellement aux joueuses et joueurs afin de leur proposer une expérience personnalisée et unique. Plus ou moins guidée par un autre joueur qui s’est placé en position d’observateur et qui poursuit sa propre quête (comprendre le fonctionnement du jeu), Gladis va vivre une aventure inoubliable.

La lecture de ReV est assez spéciale mais heureusement prenante, du début à la fin ! Tout au long de la centaine de pages de l’ouvrage, Édouard Cour réussit à rendre l’impression que pourrait provoquer un jeu massivement multijoueur capable de générer des histoires adaptées aux joueuses et joueurs qui s’y plongeraient totalement, avec des IA aux manettes, et non des actions scriptées, pour faire progresser l’aventure. Le monde onirique que l’auteur met en place est tout à fait crédible, tout comme le sont les événements qui s’enchaînent pourtant sans logique apparente et qui rythment le récit. Comme Gladis, nous sommes happés par l’univers de ReV et nous ne pouvons pas nous en détacher avant que la fin survienne. La narration est sans temps mort, elle propose des péripéties variées, ce qui fait de ReV une véritable réussite, ce qui n’était pas obligatoire gagné d’avance. Il faut dire que l’auteur nous avait habitué à sa maîtrise du médium bande dessinée dès sa première création, Herakles (2012-2015, 3 tomes, Akileos).

Édouard Cour n’est effectivement plus un jeune auteur : il s’approche de la quarantaine et a donc débuté sa carrière il y a un peu plus d’une dizaine d’année. Pourtant, il apporte toujours avec ses créations un vent de fraîcheur, une touche d’originalité et de créativité, ce qui est toujours la bienvenue. Il faut dire qu’il a une formation d’infographiste, plus exactement en « design visuel et graphique ». Ce cursus se retrouve dans ses bandes dessinées, notamment par un certain non-respect des canons graphiques de la BD. Ici, pas de dessin réaliste, pas de « gros nez », pas de simili-manga, mais un style personnel qui se retrouve plus ou moins au fil des œuvres, même si celui-ci évolue au fur et à mesure des années et des projets. Par exemple, les aplats, hachures, traits et pointillés destinés à rendre les effets de matière sont assez reconnaissables, surtout depuis O sensei (2016, Akileos). En effet, Herakles reposait plus sur la couleur que les titres suivants où les volumes, éclairages, ambiances doivent être rendues différemment. De plus, le mélange N&B et touches de couleur signifiantes découvert avec L’Extrabouriffante aventure des Super Deltas (2017-2018, série interrompue au deuxième tome, Akileos) est à nouveau de mise avec ReV. La nouveauté, outre le thème et son traitement, est la présence de nombreux décors incluant différents types de techniques graphiques.

ReV utilise donc le thème des mondes virtuels tels nous pouvons les connaître dans Le Deuxième monde (1997-2001, Cryo), qui a été suivi par Second Life (depuis 2003, Linden Lab) ou le petit nouveau Horizon Worlds (depuis 2021, Meta), le métavers proposé par Facebook. N’oublions pas Les Sims (depuis 2000, Maxis) mais aussi les jeux vidéo en ligne massivement multijoueurs (MMOG) tels qu’Ultima Online (depuis 1997, Origin) ou World of Warcraft (depuis 2004, Blizzard). ReV peut aussi faire penser à d’autres jeux vidéo selon les expériences de chacune et chacun. En ce qui concerne le rédacteur de ces lignes, Journey (2020, thatgamecompany) et Gris (2018, Nomada Studio) sont deux références qui s’imposent immédiatement à l’esprit du fait de leur ambiance. Il s’agit là de deux jeux au graphisme affirmé qui se déroulent dans un monde étrange, onirique. En partie jeux de plateforme, mais aussi de découverte et de contemplation, ces deux créations laissent les joueuses et joueurs trouver ce qu’il faut faire et comment le faire, même si les mécanismes sont ensuite un peu toujours les mêmes. Quoiqu’il en soit, ils sont immersifs quoique rapidement terminés, tout comme ReV.

En effet, comme dans tout jeu vidéo, Gladis va devoir apprendre à interagir, puis à agir, afin d’achever une quête qui ne présente pas tellement d’intérêt en elle-même. L’enchaînement des péripéties se fait sans logique apparente, tout comme dans un rêve ou dans certains jeux. En fait, il s’agirait presque d’un cauchemars tant de nombreuses scènes sont assez dures, notamment celles de la chambre d’hôtel et qui suivent immédiatement. D’ailleurs, à ce sujet, nous pouvons nous inquiéter de la façon dont l’IA du jeu a pu obtenir des informations sur Gladis, sur sa vie réelle, alors qu’il s’agit de la première partie de notre héroïne. Il faut rappeler que nous laissons publiquement beaucoup d’informations sur le net, même sans utiliser abusivement les réseaux sociaux, si intrusifs… et que nous ignorons grandement ce que peuvent donner les croisements de bases de données alors que celles-ci sont souvent en vente, légalement ou non. Cette progression dans l’aventure se matérialise par un dessin de plus en plus coloré et d’une narration parfois très syncopée, avec des cases qui peuvent partir dans tous les sens, littéralement.

Comme déjà dit, Édouard Cour mixe dans ReV différentes techniques de dessins, vraisemblablement toutes informatisées, car même les silhouettes semblent être réalisées au feutre pinceau numérique sur leur propre calque. Il faut dire que les outils sur palette graphique permettent dorénavant un résultat des plus satisfaisant. Les résultat est bluffant. Par exemple, les formes produites à base de fouillis de traits génèrent des motifs en parfaite adéquation avec l’effet recherché. Il faut aussi noter le gros travail de l’auteur sur les trames, hachures, effets posés en arrière plan, tous ces procédés étant discrets mais parfaits. Enfin, l’utilisation des couleurs est magistrale : le graphisme en N&B se colorise au fur et à mesure que l’histoire progresse, qu’elle devient de plus en plus épique. Certaines planches sont absolument superbes, et toutes les colorisations semblent justifiées par l’impression recherchée. Il faut dire que la formation de designer d’Édouard Cour a dû bien aider car il y a là une réflexion permanente permettant de concevoir le meilleur design afin d’illustrer au mieux tel ou tel passage du récit.

ReV se révèle donc être donc une excellente surprise grâce à un récit efficace et un graphisme hors norme : il s’agit là d’une lecture et une expérience formelle à ne pas manquer, surtout que l’objet livre ne fait pas injure au titre, bien au contraire !

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