La petite amie de Minami

Minami n’est pas un adolescent comme tous les autres. Certes, il a la chance d’avoir une petite amie mais il ne peut pas s’afficher avec car elle est… littéralement trop petite. Par un effet mystérieux, Chiyomi a rapetissé jusqu’à avoir la taille d’une poupée. Elle a préféré s’enfuir de chez elle, et trouver refuge auprès de son copain, plutôt que de demander de l’aide à sa famille. Minami se retrouve donc à cacher chez lui une fille qui est devient parfois un véritable jouet vivant entre ses mains, lorsqu’il doit l’habiller, la nourrir mais aussi l’utiliser pour des activités qu’une certaine morale pourrait réprouver. Il faut dire que nos deux jeunes comparses sont des adolescents pleins de vie. En fait, malgré sa petitesse, Chiyomi a tout d’une femme…

Shungiku Uchida, artiste pluridisciplinaire (écrivaine, mangaka, actrice, chanteuse), n’est pas totalement inconnue en France. S’il s’agit là de son seul manga à être, pour l’instant, traduit en français, les amateurs de films de série Z ont eu l’occasion de la voir jouer le rôle de la mère battue, toxicomane et prostituée de Visitor Q, un film fortement dérangeant de Takashi Miike, le réalisateur controversé qui a adapté au cinéma le manga ultra-violent Ichi the Killer. Avec de telles références, on pourrait donc supposer que l’éditeur IMHO s’est intéressé à une œuvre extrême, parue principalement dans la revue alternative Garo entre 1985 et 1987. Mais est-ce vraiment le cas ?

La petite amie de Minami est un conte moderne dont il est toujours aussi difficile de déchiffrer le message avec sa réédition de 2022 (la première édition date de 2011). Le refus de Chiyomi de faire connaître son état et de rechercher une solution pour retrouver sa taille d’origine révèle-t-il une absence d’acceptation à devenir adulte ? L’aide inconditionnelle que Minami apporte à celle-ci est-elle liée à un désir de toute puissance, à une envie d’avoir un jouet sexuel ou plutôt à un sens des responsabilités développé ? L’amour ne peut pas tout expliquer. Pourtant, il ne faut attendre aucune explication tout au long du récit ou lors de la postface de l’autrice. Ce flou n’est à aucun moment frustrant et n’empêche pas de ressentir les doutes, les questionnements et les peurs de nos deux jeunes gens. Il en résulte une lecture très plaisante, dont la subtilité peut amener les lectrices et lecteurs à réfléchir et c’est bien là le principal.

Il est toutefois possible d’estimer que Shungiku Uchida a voulu imaginer ce qu’il peut se passer dans la tête d’un garçon, d’essayer d’explorer le sentiment amoureux chez un adolescent. Elle ne cherche pas à occulter la dimension sexuelle d’une relation qui ne se contente pas ici d’être platonique, comme nous pouvons le voir trop souvent dans les mangas plus grand-public publiés à destination d’un lectorat âgé de 12 à 16 ans (couvrant principalement la période du collège au Japon). De ce fait, la nudité, très régulièrement montrée dans La petite amie de Minami, est, du moins quand il s’agit de la représentation des organes sexuels, exclusivement féminine. L’époque étant aux sensibilités exacerbées, cela peut poser problème à une partie du lectorat actuel, ce qui n’était pas le cas il y a une dizaine d’années.

C’est ainsi que l’autrice montre des jeunes filles sexuellement actives, que ça soit Chiyomi (avant son rétrécissement) ou Nomura, une camarade de classe de Minami qui a du succès auprès des garçons. En cela, Shungiku Uchida illustre un mouvement qui a débuté durant les années 1980 et s’est développé dans les années 1990, ce qui a émut une partie de l’opinion publique japonaise au début des années 2000 : les jeunes japonaises se montrent de plus en plus pressées d’avoir des rapports sexuels, au point que 45% de celles qui sont en dernière année de lycée (dans leur 18 ans, donc) en ont déjà eu. Ce phénomène, d’après un article du fameux journal Asahi Shimbun paru à cette époque, est attribué notamment au développement des médias qui encouragent la précocité dans ce domaine, médias qui présentent une culture du sexe dictée par les hommes et qui considèrent les jeunes filles comme des objets sexuels. Cela amène les lycéennes à penser qu’elles doivent être des objets de désir, à l’exemple du girls band Morning Musume. Il est donc « normal » que les adolescentes en viennent à exercer leur sexualité de plus en plus tôt, et que ce n’est pas à elles à qui on doit le reprocher.

Shungiku Uchida ne se situe pas clairement par rapport à ce débat, elle laisse lectrices et lecteurs se faire leur propre opinion. Elle se contente de montrer des comportements. Par exemple, c’est à chacune ou à chacun de se positionner devant une scène où Minami se masturbe devant Chiyomi (leur différence de taille ne permet plus une relation plus intime) puis éjacule sur sa petite amie. Celle-ci est entièrement souillée (forcément), ce dont Minami s’excuse tout en l’essuyant avec une lingette. Le garçon a vraiment l’impression de prendre la jeune fille pour un jouet sexuel et d’être un pervers, ce que ne comprend pas Chiyomi. C’est une situation qu’elle accepte tout naturellement car, comme elle le dit, elle l’aime. Voilà un argument qui pousse trop souvent les filles à accepter certaines exigences de leur copain, ce qui n’est plus aussi toléré de nos jours. En cela, La petite amie de Minami est, en 2022-23, incontestablement une œuvre qui demande à se questionner et à se déterminer sur les questions du féminisme actuel.

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