Être moderne : le MoMA à Paris (II)

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Ayant les idées un peu plus claires en ce qui concerne la distinction art moderne / contemporain, je vais essayer, par le biais d’une douzaine d’œuvres exposées à « Être moderne : le MoMA à Paris », de dissocier ce qui me plait (ou est susceptible de me plaire) de ce qui « m’inintéressera » (sauf surprise), tout en essayant de comprendre pourquoi. En une quinzaine d’années, j’ai visité plus de 260 expositions dont une bonne soixantaine relève de l’une ou l’autre catégorie (si j’inclus les expos photos monographiques). Il est certain que c’est insuffisant, surtout en ce qui concerne l’art contemporain, tant il est divers. Concernant l’art moderne, il me manque surtout une exposition sur le dadaïsme, ce qui me permettrait de mieux cerner ce courant.  Pour commencer, je pourrai aller visiter la salle 19 au niveau 5 du centre Pompidou lors de mon prochain passage au MNAM.

L’art est plastique !

Revenons un instant sur les arts plastiques. Pour moi, une œuvre d’art est avant tout un objet. Il peut être bi ou tridimensionnel : dessin, peinture ou sculpture au sens large (une installation peut être considérée comme étant une sculpture par assemblage). C’est une vision restrictive, c’est certain, mais je n’arrive pas à voir de l’art plastique (et même de l’art tout court, je le crains) dans un happening qui relève plus du spectacle (donc des arts du spectacle au même titre que la danse, le théâtre ou le cirque) que d’autre chose. Ce ne sont pas les explications de Roman Ondák lors d’un court entretien vidéo à propos de son œuvre Prendre la mesure de l’Univers (ou la notice qui lui est consacrée dans le catalogue) qui consiste à marquer la taille et le prénom de chaque visiteur sur un mur blanc qui pourraient me faire changer d’avis. À la fin, la galerie N° 8 qui lui était consacrée ne proposait plus qu’une longue bande quasi noire, ce qui était normal, vu l’affluence qu’a connue l’exposition durant ses cinq mois.

Un art plastique doit aussi refléter des compétences, ce qui sous-entend un apprentissage au moins technique et qui peut aussi être complété par une certaine connaissance de l’Histoire de l’art, d’un minimum de culture générale, d’une méthodologie, d’une pratique, etc. Certes, la maitrise technique ne suffit pas et ne remplace pas le « talent », la créativité, mais elle me semble indispensable lors de la création de l’objet. Action et réflexion se combinent pour donner forme à l’œuvre d’art, pour concevoir et mettre en pratique sa représentation. L’artiste peut se faire assister, voire remplacer pour la mise en œuvre, ce qui se fait dans l’art contemporain. J’ai souri lorsque j’ai vu que Roy Lichtenstein ne peignait pas lui-même au pochoir ses trames mais laissait à une jeune assistante la tâche de le faire (Exposition « Roy Lichtenstein » au Centre Pompidou en 2013 ou plus vraisemblablement « Pop Art – Icons  that matter » au Musée Maillol en 2017). J’ai été surpris par le monde qui participait à la réalisation de White Tone de Cai Guo-Qiang, présentation visionnée à l’occasion du « Grand Orchestre des Animaux » à la Fondation Cartier pour l’art contemporain (2016).

Certes, on trouve un peu de tout ça dans l’assemblage de neuf panneaux reliés par un ruban adhésif bleu réalisé par Edward Krasiński mais où se trouve la compétence de l’artiste ? Dans le fait de savoir poser un miroir ? Dans celui de couler un carré de béton ou de gribouiller quelque chose ? Et de relier le tout par du ruban adhésif d’une largeur et à une hauteur bien précises ? Les photos d’Eugène Atget ou d’Alfred Stieglitz me laissent la même impression. Leurs travaux présentés lors de l’exposition sont d’une très grande banalité, ne portent aucun propos, et ne demandent aucune technicité ou compétence particulière (hors développement). Je n’ai d’ailleurs jamais compris comment on pouvait qualifier d’artistique le travail d’Atget, surtout après avoir vu son exposition au Musée Carnavalet en 2012. Pour en terminer avec le sujet des photos, bien qu’appréciant beaucoup celles réalisées par Walker Evans, comme Ferme à Westchester, New-York, ce n’est pas, pour moi, un art plastique mais de la photographie, un art visuel, donc. Il en est de même avec celles de Man Ray, bien plus abstraites telle Anatomies ou surréalistes, à l’exemple de Rayogramme.

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Incontestablement, ces exigences, très traditionalistes je le reconnais, écartent à mes yeux, en plus des happenings, les performances. De par leur nature éphémère et l’absence d’objet (la plupart du temps), les performances « artistiques » étaient peu présentes dans l’exposition. En effet, les performances, une fois achevées, n’existent que par les photos ou les vidéos qui en sont faites, des documents préparatoires ou d’un éventuel compte-rendu. Trio A d’Yvonne Rainer est une performance et de l’art contemporain par la décision de certains, mais ce n’est qu’un film N&B d’une danseuse, qui questionne non pas l’art mais la danse, c’est-à-dire un spectacle. Au moins, l’image bougeait et pouvait éventuellement provoquer une émotion esthétique. Il n’en était rien de la vidéo Miroir de Lili Dujourie projetée à l’occasion de l’exposition « Women House – La maison selon elles » à la Monnaie de Paris en 2018 : il n’y avait que l’artiste, nue, qui bougeait à peine dans un intérieur domestique. Toutefois, il y avait un message…

Et l’art numérique ?

Il en va de même pour l’art numérique. Étant par nature immatériel (il n’y a pas d’objet) et reproductible à l’infini (ce qui est aussi un peu le souci de la photo), cela l’exclut à mes yeux des arts plastiques. Il s’agit d’un art visuel, au même titre que la vidéo (ou le cinéma). Certes, les arts numériques (car il y a plusieurs formes) demandent une certaine maîtrise technique mais cela ne suffit pas. Pourtant, ils peuvent être matérialisés, surtout s’il s’agit de peinture digitale ou d’images de synthèse fixes. Les travaux préparatoires (et ce, d’autant plus s’ils sont réalisés « analogiquement » sous forme de dessins, peintures ou sculptures) et les documents produits, comme les impressions sur toile ou plaque Forex®, peuvent être l’équivalent de ce que produisaient les artistes peintres du XIXe siècle. Cependant, dans ce cas, le numérique n’est qu’un outil dans la réalisation d’une création, rien de plus : ce n’est pas l’essence de l’œuvre d’art.

Le MoMA est très avancé sur le sujet de l’art numérique et possède un beau centre de données pour le stockage mais cela ne s’est pas réellement retranscrit dans l’exposition à la Fondation Louis Vuitton. Les galeries 8 et 11 étaient censées nous montrer les acquisitions les plus récentes du musée new-yorkais et son implication dans ce domaine. Las, je n’y ai rien vu d’artistique, que ce soit avec emoji de Shigetaka Kurita, l’Épingle Google Map de Jens Elstrup Rasmussen ou encore dans Émissaire. Dans le squat des dieux de Ian Cheng. Dans ce dernier cas, il s’agit plus d’une narration visuelle, générée de façon que j’imagine plus ou moins aléatoire par des algorithmes et animée en 3D, que d’une œuvre d’art, quoi qu’on en dise. Je ne parle même pas de Space Invaders de Tomohiro Nishikado… C’est un jeu vidéo, l’auteur n’a jamais eu l’intention de faire une œuvre d’art, il me semble.

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Après ces considérations plutôt matérielles, il est évident que je rejette tout un pan de l’art contemporain. Est-ce le signe d’un esprit peu ouvert qui privilégie la forme à l’idée, qui est excessivement matérialiste ? Nous pouvons le craindre, hé hé !

Parlons un peu d’esthétisme

L’esthétisme est un concept difficile à analyser. Tout comme le « beau », il met en jeu un ressenti, un sentiment, une sensation. Le plaisir (ou l’émotion) esthétique, et son opposé, le déplaisir, n’est pas physique, à la différence du plaisir ressenti en mangeant ou lors d’une expérience sexuelle (quoique… lorsqu’on voit le nombre d’œuvres avec des femmes nues… réalisées par des hommes, bien entendu). L’esthétisme est intellectuel avant tout. Pour moi, le plaisir (ou sentiment) esthétique provient de la mise en œuvre de mécanismes « immatériels » (souvenirs, fantasmes, rêveries, sensibilités, etc.) s’effectuant au sein de notre esprit, généralement de manière inconsciente. Étant lié à ce que nous sommes, il ne peut pas être défini par une notion universelle, il est en grande partie subjectif. De plus, notre perception du « beau » n’est pas immuable, nos goûts évoluent avec le temps. Il ne serait donc pas inné mais acquis sous l’influence de notre environnement, de notre culture, et ce, de façon généralement inconsciente : on ne nait pas « esthète », on le devient ! À partir de là, pour apprécier l’art contemporain dans toutes ses variantes, il serait nécessaire de passer par une phase d’accoutumance, d’apprentissage, encore plus que pour l’art moderne, plus viscéralement accroché à l’objet, support du plaisir esthétique. C’est pour cela que je pense que le figuratif est plus aisé à apprécier que l’abstraction, au moins dans un premier temps. Pourtant, la réflexion peut venir en aide pour dépasser tout déplaisir esthétique immédiat.

Je ne vais pas « m’amuser » à classer les 200 œuvres (surtout que je ne les ai pas toutes vues, il y avait trop d’attente pour entrer dans certaines petits salles) de l’exposition « Être moderne : le MoMA à Paris » en leur donnant une note allant de 0 à 5. Pourtant l’exercice pourrait être intéressant en comparant ensuite les ensembles qu’il serait possible de faire à partir de différents critères. Prenons plutôt quelques exemples : Accumulation No. 1 de Yayoi Kusama est un fauteuil sur lequel sont cousues de nombreuses formes phalliques, le tout peint en blanc. Car oui, ce sont bien des « bites » et pas des saucisses comme s’était exclamé, amusé, un gamin à côté de moi. Mon premier sentiment a été un déplaisir esthétique, avant de réaliser ce que cela représentait et de commencer à apprécier l’œuvre pour le message que je pensais percevoir. Notons que je l’apprécie encore plus après avoir lu le cartel puis la notice du catalogue.

Echo n° 25, 1951 de Jackson Pollock m’a, par contre, immédiatement plu. Pourtant, je n’ai qu’une opinion assez faible de l’action painting, surtout après avoir vu (et très peu apprécié) l’exposition « Cy Twombly» au Centre Pompidou en 2017. Il faut dire que je reste marqué par le visionnage d’une vidéo (non censurée) sur une peinture relevant plus ou moins du drip painting intitulée PlopEgg de Milo Moire. Vous pouvez voir la version censurée sur YouTube (je vous laisse chercher la vidéo sans les caches noirs). Nul doute que Echo n° 25, 1951 a réussi à me plaire grâce à la complexité des formes peintes, celles-ci ayant éveillé quelque chose en moi. Je n’ai pourtant jamais fait de calligraphie (la notice fait référence à cet art ancestral). Effet tout à fait différent avec La Louve, du même artiste, peinture présente aussi à l’exposition pour laquelle je n’ai ressenti aucun intérêt.

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Il ressort de tout ceci que j’ai une vision assez traditionnelle, pour ne pas dire « traditionaliste » de l’Art (des arts plastiques, pour être plus précis). De ce point de vue, l’art contemporain embrasse plusieurs domaines : les arts plastiques (dans une définition réduite), les seuls qui trouvent grâce à mes yeux et qui me « parlent », les arts du spectacle et les arts visuels. Le comble de l’hypocrisie, c’est qu’en plus, il est nécessaire d’être adoubé par une institution pour pouvoir prétendre à cette appellation. Je tire aussi de cette petite réflexion sur le plaisir (ou le sentiment) esthétique et la notion de « beau », la conclusion que j’ai quelques lectures philosophiques qui m’attendent, tout comme m’attendent les écrits de Nathalie Heinich (même si je ne partage absolument pas certaines de ses positions sociétales), si je veux approfondir le sujet. En attendant, il ne me reste plus qu’à aller voir « Les Hollandais à Paris, 1789-1914 : Van Gogh, Van Dongen, Mondrian… » au Petit Palais : il y a du Van Gogh et du Mondrian, je m’en délecte d’avance !

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