Le manga, un renouvellement sans fin ?

Fin 2018, je faisais le bilan BD d’une année qui s’était passée sans enthousiasme excessif. Pratiquement huit mois plus tard, le constat est ambivalent pour le manga. Si mes lectures ont continué à baisser en volume, il y a quatre, voire cinq débuts de série qui ont réussi à m’enthousiasmer. En 2018, il n’y avait eu aucune nouvelle série avec un tome 1 en coup de cœur, en 2017, il y en avait eu trois tout comme en 2014. Sur l’année 2015, il y en avait eu quatre, une en 2013, 2012 et 2011, etc. J’y vois là la preuve d’une certaine capacité de renouvellement du manga. De nouvelles œuvres de bandes dessinées japonaises ont réussi à relancer mon intérêt alors que je pensais en avoir définitivement fait le tour.

Un peu de retour vers le passé

Il faut dire que je suis lecteur de mangas depuis le mitant des années 1990. Déjà, à la fin de ces mêmes années 1990, j’avais déjà plus ou moins abandonné la bande dessinée japonaise. En 2001, je ne lisais plus que Ranma ½ en mode automatique. Puis j’ai découvert début 2002 Maison Ikkoku, autre œuvre, mais en plus adulte, de Rumiko Takahashi, puis Lamu, (la série qui a lancé l’auteure au Japon) et c’était, à l’époque, reparti pour un tour (un gros tour) avec un pic de lectures sur l’année 2010 (entre services de presse et nombreux achats, je lisais 24-25 mangas par mois, de tous les genres et thèmes). Après une perte d’intérêt (partielle) en 2011-2012 avec quand même une dizaine de mangas lus mensuellement en 2012, une remontée d’intérêt les années suivantes, j’ai effectué dernièrement un nouveau décrochage que je pensais définitif. Il faut dire que le premier semestre 2019 a vu se terminer plusieurs séries dont j’étais plutôt friand : Maiwai, Après la pluie, Dorohedoro et Kamakura Diary. Et pourtant…

Le renouvellement

Économiquement, le manga se porte plutôt bien en France depuis de nombreuses années, le trou d’air rencontré entre 2010 et 2014 n’étant plus qu’un mauvais souvenir. La fin de locomotives comme Naruto ou Fairy Tail a été compensée par l’arrivée de nouveaux best-sellers tels que My Hero Academia ou One-Punch Man. Indéniablement, le marché francophone de bande dessinée japonaise a trouvé un « second souffle » alors qu’on pouvait craindre un effondrement comme l’ont connu les USA durant la seconde moitié des années 2000. En ce qui concerne les sorties, elles se sont stabilisées depuis quelques temps à 1600-1700 volumes par an. Néanmoins, ces mangas à succès, des shônen, forcément, ne me concernent pas, n’étant plus client de ce genre depuis de très longtemps. Les seuls mangas destinés à un lectorat jeune et masculin qui pourraient trouver grâce à mes yeux ne seraient pas de gros succès commerciaux, bien au contraire. Par contre, quelques titres que l’on pourrait classer en young seinen ont réussi à m’intéresser tels que Gleipnir ou Time Shadows. N’oublions pas le seinen très shôjo sous bien des aspects (et pour cause), j’ai nommé Le Tigre des neiges. En ce qui me concerne, c’est donc plus dans la diversité des titres proposés en version française qu’il faut rechercher mon renouvellement d’intérêt qui va se concrétiser dans mes achats du mois de septembre où je vais me jeter (plus ou moins rapidement) sur une dizaine de sorties.

La plupart de mes nouvelles lectures sont à mettre à l’actif de Kana, ce qui doit expliquer le recul permanent de l’éditeur bruxellois au niveau de ses parts de marché. En effet, en tant que bon mangaversien, je représente une boussole inversée en ce qui concerne le succès commercial. Ainsi, il existe un adage : « si ça plait à un mangaversien, ça ne va pas se vendre ! ». Mais trêve de pessimisme, laissez-moi vous présenter ces quatre « coups de cœurs » 2019 :

BL Métamorphose

Présentation de l’éditeur : À 75 ans, Yuki vit le quotidien bien réglé d’une grand-mère japonaise, entre mots croisés et cours de calligraphie. En flânant un jour dans une librairie pour fuir la chaleur, elle craque pour un manga, intriguée par sa couverture chatoyante… Ce n’est qu’en rentrant chez elle que Yuki se rend compte qu’elle a fait l’acquisition d’une bande dessinée d’un genre bien particulier : un boy’s love, une romance entre garçons ! L’histoire pourrait s’arrêter là, mais, contre toute attente, notre mamie tombe littéralement sous le charme de ce récit et n’a plus qu’une idée en tête… lire la suite ! C’est la jeune Urara, apprentie libraire et accro au genre, qui va devenir la conseillère de la vieille dame en la matière ! Pour l’adolescente timide et complexée, qui vit sa passion dans le secret, la rencontre avec Yuki va être un véritable déclic. Par-delà les générations, les deux fangirls vont s’ouvrir l’une à l’autre et découvrir les joies d’une amitié hors du commun !

Voilà un excellent premier tome, quoiqu’il se lise très vite (140 pages à 5-6 cases par planche, prépublication Internet oblige, cela fait court à l’arrivée). Les réactions de Yuki et d’Urara sont dépeintes avec bienveillance par Kaori Tsurutani, l’auteure, qui puise dans sa propre expérience pour développer son récit. C’est ainsi que l’asociabilité (relative) d’Urara est dépeinte avec pas mal de subtilité, ainsi que de son désir de nouer des relations avec des personnes partageant sa passion pour le BL. L’intérêt soudain de Yuki pour l’homo-érotisme masculin est totalement vraisemblable et n’est pas un simple artifice de scénario. Une telle maîtrise narrative est remarquable même si la mangaka n’est pas totalement une débutante ayant emporté un prix en 2007, même s’il lui a fallu ensuite une dizaine d’année avant de connaître le succès et une première série longue.

From End

Présentation de l’éditeur : Enseignante au lycée depuis peu, Rui Shinomiya tombe un jour sur une photo précieusement gardée par Rui Hayase, l’un de ses étudiants. Choquée, elle se reconnaît sur le cliché, adolescente, à l’époque où elle était victime d’agressions sexuelles. Le passé qu’elle avait tout fait pour oublier ressurgit brutalement. C’est un nouvel enfer, pavé de chantage et de manipulation, qui commence…

Il s’agit d’un thriller en trois tomes réalisé par Mitsuo Shimokitazawa, une auteure qui a une dizaine d’année de carrière qu’elle a exercée dans plusieurs déclinaisons du magazine Margaret (Shueisha). Cela se voit à son dessin, très typique des mangashi pour filles du célèbre éditeur. Par contre, en ce qui concerne le contenu, il ne va pas falloir s’attendre à de la romance lycéenne (d’où le changement de magazine, je pense). On a du sombre, du sordide, du chantage, du suspense, de la mort qui rôde (et plus). Bref, c’est un sacré thriller (pas seulement) psychologique qui nous est proposé par Kana. Et en trois tomes, je pense qu’on ne va pas s’ennuyer un seul instant et que l’on va trembler pour Rui Shinomiya jusqu’au bout. Surtout que personne ne semble vraiment honnête et on sent que la mort peut survenir à n’importe quel moment, de n’importe qui.

Hi Score Girl

Présentation de l’éditeur : 1991. Haruo est un élève de primaire qui n’a qu’une passion : les jeux vidéo. Il passe la quasi-totalité de son temps libre dans les salles d’arcade à aiguiser sa maîtrise des jeux de combat. Alors qu’il pense être le meilleur dans son domaine, ses certitudes vont voler en éclats le jour où une redoutable adversaire va se dresser contre lui : Akira, la plus brillante et la plus jolie des filles de son école. Déclaration d’amour au rétrogaming, ce récit touchant se joue des idées préconçues pour nous offrir une virée à la fois nostalgique, drôle et référencée dans la scène compétitive vidéoludique des années 1990.

Ce premier tome s’est révélé être excellent alors que le sujet choisi ne promettait rien de bon pour une personne ne s’intéressant pas (ou plus) aux jeux vidéo. D’ailleurs, la plupart des jeux ne me disent rien car j’ai surtout été un joueur sur micro-ordinateurs (C64, Amiga puis PC) et non de jeux vidéo d’arcade (peut-être aussi sont-ils trop « récents » pour moi). Donc, le côté « geek sur le retour » et la nostalgie ne fonctionnent absolument pas pour moi. Néanmoins, nous avons là une histoire à la fois très amusante et attendrissante à de nombreux moments. Certes, il faut savoir dépasser le dessin assez particulier (mais tout à fait réussi). Une fois cette étape franchie, ce n’est que du plaisir de lecture. De plus, vu la façon dont de termine le présent volume, nous ne pouvons que nous demander comment la série va évoluer, ce qui amplifie notre intérêt pour l’histoire.

La voie du tablier

Présentation de l’éditeur : Notre homme est un ancien yakuza devenu homme au foyer… Il se faisait appeler « Tatsu, l’immortel » ! Aujourd’hui, il est l’homme idéal : il prépare des bentos à tomber, il repère les meilleures promotions et il aide même d’anciens collègues (?) dans leur quotidien…Mais malgré son adorable tablier, il ne peut totalement gommer son air patibulaire et son regard de tueur… Pour notre plus grand plaisir !

Encore une série étonnante par ses prémisses improbables. Yakuza et homme au foyer, il fallait oser l’idée ! Le résultat est extrêmement hilarant, notamment le chapitre dédié au robot ménager. Certes, il faut s’habituer aux têtes des personnages, parfois bizarrement dessinées, ainsi qu’au trait un peu particulier de la série (et le détourage des silhouettes), mais une fois ce possible écueil passé, ce n’est que du plaisir à lire les « aventures » de Tatsu. S’il semble sur le forum de Mangaverse que ça ne soit pas le cas pour tout le monde, pour ma part, j’accroche totalement à l’humour et aux chutes décalées de fins de chapitres. Le rythme est soutenu car chaque histoire fait peu de pages et du coup, on ne s’ennuie jamais. Néanmoins, il faudra voir comment l’auteur va réussir à se renouveler dans la durée.

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