Les projets (plus si) secrets de Sanderson

Une découverte (bien) tardive

Ignorant totalement son existence malgré son immense succès dans le domaine des littératures de l’imaginaire, j’ai découvert Brandon Sanderson suite à l’écoute d’un podcast de l’émission Mauvais genre (France Culture, juin 2023) où le choniqueur a su me « vendre » la dernière sortie en date de l’auteur, Manuel de Survie du Sorcier Frugal dans l’Angleterre médiévale. Ni une ni deux, profitant du passage habituel à Gibert Joseph St Michel lors des « courses » du samedi, et trouvant l’ouvrage en version « normale » (la version « collector » propose une couverture cartonnée, chose que je déteste, et des illustrations sans grand intérêt et guidant trop le mien, d’imaginaire), j’en profitais pour en faire l’acquisition puis la lecture (sur le même week-end). Mi-juillet, c’était au tour de Tress de la mer d’Émeraude. Un petit délai avait été nécessaire car je ne le trouvais qu’en version « collector » et je n’en voulais pas. À peine lu, je me suis précipité sur Yumi et le peintre de cauchemars qui venait juste de sortir. Ces trois (plus ou moins épais) romans font partie d’un ensemble de quatre, appelés « romans secrets », écrits par l’Américain en dehors de tout contrat d’édition puis publiés dans le cadre d’un Kickstarter record.

Au début, il s’agissait pour Brendon Sanderson d’écrire pour son épouse des romans qui n’étaient pas prévus à l’origine d’être publiés. C’était pour lui une façon de lutter contre les effets de la pandémie de Covid-19. Il faut dire aussi qu’il était épuisé par une année 2019 où il avait consacré beaucoup trop de temps à la promotion de ses œuvres (notamment en déplacements), ce qui le rendait presque incapable d’écrire sur ses séries en cours. L’arrêt brutal de ces activités en 2020 et 2021 lui donnant beaucoup plus temps, il s’est ainsi ressourcé avec ce « projet secret », des romans écrits pour lui-même et sans la pression de son éditeur et de ses fans. Cela le ramenait à ses débuts, lorsque qu’il n’était pas encore publié et encore moins l’auteur à succès qu’il est devenu par la suite. Toutefois, Sanderson a décidé de les éditer lui-même… enfin, grâce à l’équipe de Dragonsteel (sa société d’édition créée en 2007, notamment pour proposer des produits dérivés, gérer ses droits et faire sa promotion sur YouTube). C’est ainsi qu’a été mis en place quatre « projets secrets » (et même un cinquième sous la forme d’un scénario de BD), financé grâce à un Kickstarter, avec une double publication, une pour les participants, et une autre, plus traditionnelle, pour le reste du monde. En francophonie, ces quatre romans sortent au Livre de poche en quasi-simultané avec les USA, en grand format sous deux formes : une normale (brochée) et une « collector » (reliée) incluant des illustrations.

Tress de la mer d’Émeraude

Présentation de l’éditeur : Tress vit sur une petite île isolée au beau milieu d’un océan…  de spores. Simple laveuse de vitres, elle partage néanmoins une belle complicité avec Charlie, le fils du duc, et est secrètement amoureuse de lui. Quand celui-ci disparaît, la jeune femme décide de partir à sa recherche. C’est le début d’un périple au bout du monde, où l’on retrouve tous les ingrédients qui font le sel des grandes aventures :  des contrebandiers de la pire espèce, une sorcière malintentionnée, un redoutable dragon, des pirates sales et méchants (ou pas),  et même un rat qui parle… 

Tout débute par une histoire d’amour impossible entre une très ordinaire employée de maison et un jeune noble, un falot de première, sur une petite île sans intérêt que personne n’a le droit de quitter. Partant de ces prémices, Brandon Sanderson développe sur presque 640 pages une aventure épique, mettant en scène une jeune héroïne qui n’a que son courage et son intelligence pour elle, alors qu’elle doit lutter contre des adversaires puissants, voire invincibles. Sans temps mort, avec une légèreté d’écriture irrésistible créant un humour qui fait mouche (félicitations au traducteur Sébastien Guillot), l’auteur nous propose une belle porte d’entrée dans son univers, le Cosmère (même si cela fait rater certaines références, ce qui n’est aucunement gênant). Alors, certes, il ne faut pas vouloir plus qu’une aimable distraction et faire l’impasse sur quelques facilités scénaristiques, mais pourquoi toujours vouloir des intrigues complexes et des personnages torturés. Il est manifeste que l’auteur s’est beaucoup amusé à écrire ce récit pour le plaisir de sa lectrice d’origine (et de tous les autres par la suite). Pour avoir un avis plus développé sur ce roman, je vous conseille de lire la chronique de Tachan.

Manuel de Survie du Sorcier Frugal dans l’Angleterre médiévale

Présentation de l’éditeur : Un homme se réveille dans une clairière, amnésique, dans un pays qui ressemble énormément à l’Angleterre médiévale…
Qui est-il, d’où vient-il et pourquoi a-t-il atterri ici ? Mystère. Traqué par un groupe aussi étrange que puissant, il doit, s’il veut survivre, retrouver la mémoire. C’est son seul espoir. Même s’il faut pour cela s’allier à quelques autochtones, et adopter leurs croyances et leurs superstitions. Il existe bien un guide, intitulé Manuel de Survie du Sorcier Frugal dans l’Angleterre médiévale, qui pourrait l’aider, sauf que son unique exemplaire a explosé pendant le transfert. Et si les fragments qu’il a réussi à sauver sont autant d’indices, aura-t-il même le temps de les exploiter ?

J’ai donc découvert Brandon Sanderson par ce roman de science-fiction. Bien m’en a pris car l’histoire ne s’inscrit pas dans un des univers créés par l’auteur et elle relève d’un genre que j’apprécie bien plus que la fantasy. Néanmoins, ce dernier aspect n’est pas absent mais la magie n’est pas réellement le sujet principal, sauf vers la fin, lors du grand final (un peu décevant et un peu trop facile). Il s’agit en fait d’une sorte de roman policier, mais ça, on ne le découvre que petit à petit, lorsque le héros (anti ?) recouvre sa mémoire au fil des événements. Comme pour Tress de la mer d’Émeraude, le récit est conté de manière plutôt humoristique, malgré la brutalité du monde où est arrivé le personnage principal. Le rythme est enlevé, on ne s’ennuie pas un seul instant (pas comme pour le troisième roman secret) et, là aussi, on sent que Sanderson se fait plaisir à l’écrire, comme ses lectrices et lecteurs à le lire.

Yumi et le peintre de cauchemars

Présentation de l’éditeur : Sur une planète baignée de lumière et écrasée par la chaleur, Yumi est une yoki-hijo, une prêtresse qui invoque les esprits pour venir en aide à son peuple.
Dans une cité froide entourée de ténèbres perpétuelles, Peintre repousse chaque jour les manifestations physiques des cauchemars des habitants grâce à ses pinceaux.
Tout les oppose, ils ignorent même jusqu’à l’existence du monde de l’autre. Pourtant, leurs destins vont littéralement s’entremêler le jour où ils commencent à échanger leur place à chaque réveil. Parviendront-ils à mettre leurs différences de côté et à travailler ensemble afin de sauver leurs peuples d’un désastre imminent ?

Dans sa postface, Brandon Sanderson déclare qu’il s’agit de son « roman secret » préféré. Peut-être parce qu’il a essayé de faire quelque chose de différent, avec une influence revendiquée de la culture manga (qu’il connait mal). L’auteur cite notamment Hikaru no go, principalement pour l’idée de l’enseignement d’un art par un esprit immatériel. Il a aussi voulu mettre une romance au cœur de son récit. Ajoutez à cela deux sociétés inspirées l’une par la Corée, l’autre par le Japon, tout en se plaçant dans le Cosmère, et on aurait pu espérer une histoire prenante et dépaysante. Las, si le dépaysement est bien là, une totale absence de rythme, des enjeux mal définis (il faut attendre plus de 500 sur les presque 650 pages pour qu’ils soient clairement énoncés) et trop peu de tension dramatique, le tout combiné à une absence d’humour dans la narration, font de ce (trop) long roman un véritable pensum à lire. Enfin, des facilités scénaristiques finissent par décevoir définitivement, malgré quelques passages ou situations réussies. Quel dommage… et cela fait craindre le pire pour le quatrième opus.

En conclusion

Il va donc falloir attendre la sortie en fin d’année du quatrième « projet secret » pour se faire un avis définitif sur cet exercice littéraire. En attendant, cela m’a permis de découvrir un nouvel auteur. Par contre, je suis bien en difficulté pour choisir d’autres romans dans sa production pléthorique. J’avoue que le fait qu’il ait été choisi pour finir la série La Roue du temps alors que j’ai vite décroché de l’œuvre de Robert Jordan, tant je trouvais cet auteur banal et sans intérêt, ne plaide pas en la faveur de Brandon Sanderson. Néanmoins, impossible d’oublier l’excellente lecture de Tress de la mer d’Émeraude. Je pense donc persévérer, mais en fonction des occasions trouvées à Gibert ou Book Off, en privilégiant le recueil de nouvelles Sixième du crépuscule et autres nouvelles ou l’intégrale de Légion.


 

2 réflexions sur “Les projets (plus si) secrets de Sanderson

  1. Tu as vraiment plongé dans ce projet et enchaîné les tomes !
    J’avais quelques appréhensions quant au Manuel mais si ça vite au roman policier, ça pourrait me plaire. En revanche je ne m’attendais pas à un tel ratage pour Yumi dont j’attendais beaucoup…
    Je ne sais pas si le recueil Sixième du crépuscule est une bonne porte d’entrée, il me semble que c’est rattaché à la 2e saga de Fils des brumes. Peut-être à vérifier 😉

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    • Après, nul doute que beaucoup de monde appréciera Yumi. Cela n’a pas fonctionné avec moi, surtout pour des questions de rythme et de développement de l’histoire. On rajoute l’absence d’humour et on a une tonalité très différente des deux premiers « projets secrets », ce qui m’a fait sortir de l’histoire. Après, c’est quand même un pavé de 650 pages, ça fait beaucoup pour se lancer juste « pour voir »…

      Aimé par 1 personne

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