Comme il y a un an, Urban Comics a répété son opération spéciale été et propose actuellement à prix réduit une dizaine de nouveaux titres. Cette fois, ils sont tous consacrés à l’univers de Batman (dont un Justice League, un Joker et un Harley Quinn). Sauf que cette fois, il n’y a rien d’intéressant à mes yeux. Renseignements pris auprès de deux camarades (A-Yin et Gemini) connaissant infiniment mieux que moi la franchise dédiée à l’homme chauve-souris, j’ai eu la confirmation qu’il n’y a rien de bon dans cette sélection. Cela me convainc un peu plus, après avoir lu une petite douzaine de titres supplémentaires depuis mon premier billet consacré à Batman, qu’il n’y a plus d’espoir de trouver quelque chose qui puisse m’intéresser.
Étant donné qu’on a trouvé les éditions spéciales été 2020 aussi bien en automne qu’en hiver, j’ai tenté Batman – Silence fin 2020 et bien m’en a pris. Sans être génial ni franchement original, le premier tiers est très plaisant à lire avant que ça devienne assez moyen. J’avoue que le nom des auteurs (que j’avais remarqué lors de mes recherches durant l’été 2020) a été un critère pour ce choix (en plus du prix modique). Un peu plus tard, l’achat de Batman – Le chevalier noir s’est révélé être inutile car uniquement justifié par le prix d’un livre correspondant aux deux premiers tomes de la série éponyme. Certes, le début est assez réussi une fois qu’on s’est habitué à un dessin assez stéréotypé et une colorisation trop « photoshoppée ». Mais j’ai décroché à partir de la deuxième moitié, contenant trop de violences gratuites et complaisantes. Il est possible que ça soit lié aussi à ma capacité limitée d’absorption de scènes de « super moule-burnes » en action. Bon, rien d’important : à moins de 5 € le bouquin, je ne vais pas me plaindre. Cependant, je n’irai pas plus loin dans la lecture des combats du chevalier noir.
Il n’en est pas de même avec Un long Halloween et Amère victoire. Ces deux titres font parti des incontournables de l’univers Batman : je les ai donc acheté à prix fort, ne les trouvant pas dans la bibliothèque parisienne que je fréquente habituellement. J’étais confiant dans leur qualité, étant donné leur réputation et celle des deux auteurs (Jeph Loeb et Tim Sale). Mal m’en a pris tant la lecture a été laborieuse, avec un récit qui traine… qui traine en longueur avec une forte impression de redite. En effet, certaines situations de ces deux récits ont été reprises dans d’autres titres que j’ai malheureusement lu avant. Avec Curse of the White Knight, je pensais retrouver l’histoire qui m’avait tant plu en 2020. Catastrophe, c’est sans intérêt, c’est insipide, c’est un Batman qui ne sert à rien. Au moins, ça se laisse lire, pas comme Justice League – L’Autre Terre, Joker – Fini de rire et Batman – Hong Kong. Si les deux premiers sont mauvais et sans intérêt à mes yeux, le troisième est incroyable de nullité, à moins d’être un fan inconditionnel desmanhua d’action hongkongais. Heureusement, ce sont trois emprunts en bibliothèque.
Catwoman – Under the Moon est un titre un peu en marge de l’univers Batman. Il se concentre sur le personnage de Selina Kyle, et cherche à expliquer comment elle est devenue Catwoman en remontant à son adolescence, très difficile comme de bien entendu. En effet, les petits copains que sa mère célibataire ramène à la maison ont tendance à venir du bar où celle-ci a un boulot de serveuse. Ce sont tous des déchets de l’humanité et le dernier en date est particulièrement crétin et violent. N’étant pas du genre à se laisser faire, Selina est obligée de fuir cet environnement toxique pour un autre, sûrement plus mortel : les rues de Gotham. La collection Urban Ink propose des titres « Young Graphic Novel » s’adressant pour certains à un public féminin adolescent. Qui dit « féminin » dit moins de combats et plus d’intime, d’introspection. Soit ! Au moins, même si c’est cliché, cela permet d’avoir des histoires d’une toute autre teneur. Malheureusement, c’est le soucis de cet ouvrage : il est basé sur trop de clichés. Il faut ajouter à ça un rythme un peu lent qui, certes, s’accélère dans la seconde partie, mais sans que le récit devienne palpitant. Il en résulte une histoire se laissant juste lire, proposant un univers graphique très « indé ». Toutefois, cela manque cruellement d’originalité, et le tout donne une impression d’œuvre de commande combinant les éléments d’un cahier des charges…
Batman – Année 100 est tout l’inverse de Catwoman – Under the Moon : ce court récit (quatre chapitres) est survitaminé, avec le dessin si personnel de Paul Pope. L’originalité est à tous les niveaux, ce qui peut d’ailleurs déplaire aux « vrais » fans de l’homme chauve-souris. L’auteur place son histoire une centaine d’année après la première apparition de Batman (en 2039, donc). Le temps est passé, le justicier masqué est oublié, son souvenir n’existe plus que sous la forme de quelques légendes urbaines. Dans un Gotham futuriste, un membre d’une des milices armées chargées de maintenir l’ordre dans la ville est assassiné dans le métro. Il serait victime d’un mystérieux individu déguisé, masqué, qui fait parler de lui depuis quelques jours et qu’il faut absolument neutraliser. Il se ferait appeler Batman… mais qui ou qu’est-ce que ce Batman ? Il n’existe aucune archive à son sujet. Et se rend-il compte de ce qu’il vient de faire ? Les autorités de la ville lancent toutes leurs forces et ne reculent devant aucune bassesse pour abattre ce nouvel ennemi.
Paul Pope propose donc une relecture réussie du mythe. Il réussi à créer un nouveau Batman crédible (même si de nombreuses explications sont manquantes), assez autoritaire, peu sympathique mais terriblement efficace. L’histoire est heureusement débarrassée de tout le « bestiaire » de la franchise. De plus, il propose une nouvelle équipe autour de l’homme à la cape : Il n’ y a pas d’Alfred mais deux femmes (une médecin légiste et sa fille informaticienne) ainsi qu’un Robin (un jeune latino plein de fougue et génial mécanicien). Le récit se déroule à cent à l’heure, le dessin est splendide même si la façon toute personnelle de Paul Pope de représenter les visages humains peut déplaire. Son encrage lourd n’est pas écrasé par les couleurs. Celles-ci sont de Jose Villarrubia dont j’avais déjà pu apprécier le travail sur des titres non-DC. Il réussit à rendre l’atmosphère glauque du récit, à retranscrire l’oppression que tout un chacun peut subir du fait des agissements des dirigeants de Gotham. Le tout est donc superbe et c’est donc sans surprise que le titre a remporté en 2007 un Eisner Award dans la catégorie « Best Limited Series ».
Batman – Année un est la réécriture par Frank Miller (uniquement au scénario cette fois) des origines de Batman, une volonté de l’éditeur DC de rajeunir ses principaux personnages dont les débuts commençaient à sérieusement dater. L’histoire est centrée sur deux personnes : le lieutenant de police James Gordon et le milliardaire Bruce Wayne. Tous deux arrivent au même moment à Gotham, le premier pour sa nouvelle affectation, le second après un exil volontaire d’une douzaine d’années destinés à chasser ses démons intérieurs. Nous suivons alors la lutte de l’un contre la corruption des dirigeants de Gotham, et de l’autre, sous une double identité, contre la criminalité qui gangrène la ville et qui a causé par le passé la mort de ses parents. Inéluctablement, ces deux hommes intègres, sans réellement se rencontrer et même parfois en s’affrontant, vont agir dans le même sens afin d’assainir la mégapole incontrôlable. Comme dans Année 100, il n’y a pas ici de super-méchants, juste une société pourrie où quelques individus cherchent à agir pour le bien commun. Là aussi, il y a quatre chapitres au récit nerveux, notamment grâce à l’utilisation de fréquentes ellipses parfaitement gérées. L’histoire est superbement portée par le dessin de David Mazzucchelli, qui est vigoureux, simple et efficace. La coloriste, Richmond Lewis, réalise une belle mise en couleur qui porte ainsi les différentes ambiances de l’histoire. Le résultat est donc une totale réussite et l’ouvrage est à la hauteur de sa réputation d’incontournable.
Voilà, après une année de lectures « batmaniennes » assez soutenue, je pense avoir fait le tour du sujet. Certes, je ne m’interdirai pas d’emprunter tel ou tel titre par curiosité mais je n’imagine pas m’enthousiasmer pour d’autres histoires de l’homme chauve-souris. Cependant, je suis probablement dans l’erreur et je ne devrais peut-être pas perdre espoir…
Entrer dans le monde complexe des séries de « super moule-burnes » n’est pas chose aisée lorsqu’on a une faible connaissance des comic books grand public. Cela s’est confirmé une fois de plus en ce mois de juillet. Profitant d’une réédition à petit prix (4,90 €) lors d’une opération estivale proposée par Urban Comics qui concerne une dizaine de leurs ouvrages, j’ai pu lire Batman – White Knight et bien m’en a fait ! J’ai aussi pu lire Batman – La Cour des Hiboux et Harley Quinn – Complètement Marteau… Et mal m’en a pris. Il faut dire que je connais mal la deuxième plus importante licence DC tout en ayant acquis les bases nécessaires à sa lecture au fil des années. En effet le présent rédacteur n’a lu que quelques titres comme Souriez (il y a longtemps, la version Comics USA de 1989, c’est dire) et plus récemment grâce au réseau des bibliothèques parisiennesDark Knight, ainsi que les (nettement) moins appréciés Qu’est-il arrivé au Chevalier Noir ?, Les Fous d’Arkham. Ajoutons à cela des titres périphériques comme Mad Love, Gotham Girls et Batgirl – Année Un. Pour être complet, n’oublions pas une anthologie de 20 récits soi-disant « légendaires », deux tomes de Batwoman (en réédition Urban Comics) et MAD présente Batman. On peut rajouter à cette expérience « batmanienne » les deux films de Tim Burton (plutôt appréciés en leur temps, il faudrait que je les revoie) et la superbe et instructive exposition proposée en 2019 par le Festival d’Angoulême.
Bref, cela fait peu lorsqu’on doit se confronter à l’univers du Chevalier noir. Il faut savoir aussi que seuls Souriez, Dark Knight et Batgirl – Année Un avaient jusqu’ici trouvé grâce à mes yeux. Pourtant, la lecture de White Knight est passée sans soucis après un petit temps d’adaptation concernant certains personnages (Nightwing, la version Suicide Squad d’Harley Quinn). À l’arrivée, nous avons là une œuvre excellente, au dessin et à la colorisation réussie. Il ne reste plus qu’à attendre la suite qui est annoncée pour la rentrée 2020 : Curse of the White Knight dont nous avons pu avoir un avant-gout avec le FCBD France 2020 et qui laisse espérer une bonne qualité de lecture. Il faut dire que White Knight est scénarisé, dessiné et encré par Sean Murphy, auteur complet (ce qui n’est pas si fréquent) qui ne m’est pas inconnu, ayant pu lire et apprécier par le passé Joe l’aventure intérieure et Punk Rock Jesus. Pourtant, ce n’est pas sur son nom que je me suis intéressé au présent titre, étant incapable de m’y retrouver rapidement dans la foule des auteurs d’une même licence dans le petit monde des super-héros américains. C’était d’ailleurs un point que j’avais soulevé dans mon billet WordPress à propos de Bloodshot. Néanmoins, le talent ne saurait mentir et c’est donc sans surprise que j’ai été conquis par cette histoire proposant une apparente inversion les rôles de méchants et de gentils. Surtout, les personnages ont tous leur côté sombre à commencer par Batman. Il passe pour le public comme étant le super-vilain du moment. Il faut dire que son manque de subtilité, pour ne pas dire la force excessive employée lors de ses interventions, laissant derrière lui blessés, morts et destructions, commence à lasser les habitants de Gotham. L’auteur en profite d’ailleurs pour passer un message sur les violences policières, ce qui trouve un écho avec les manifestations américaines actuelle.
À l’inverse, j’ai très rapidement décroché de La Cour des Hiboux du fait de plusieurs blocages. Le premier est incontestablement lié au dessin de Greg Capullo. Le style de ce dernier est tout ce que je déteste dans la bande dessinée américaine de super héros : des personnages aux muscles hypertrophiés au-delà de tout excès, proposant parfois une vague influence avec le dessin de Frank Miller en le combinant à un hyper réalisme racoleur. Ajoutez à cela des couleurs bien entendu « photoshoppée », abusant des dégradés et des effets de matière : vous avez tout ce qu’il faut pour me faire fuir. Seul le papier glacé manque heureusement à l’appel, grâce à une édition petit prix. Il y a surtout le scénario de Scott Snyder qui me pose problème. Même si celui-ci semble savoir mener un récit tambour battant, notamment en permettant de rentrer sans difficulté dans l’histoire, la multiplication des scènes d’action et de combat, le manque d’intérêt et de profondeur des personnages (y compris Batman), un fil conducteur peu crédible basé sur fond de complotisme lié à une organisation secrète mais pourtant extrêmement puissante et impitoyable comme c’est tant à la mode depuis de nombreuses années, font que ce premier tome d’une longue série (il y en a neuf en tout, ne croyez pas la mention « récit complet ») devient très rapidement sans intérêt. Ce n’est qu’après coup que j’ai appris qu’il s’agissait du « reboot » de la série par DC survenu en 2011. Voilà une nouvelle preuve que la volonté de rajeunir une licence pour capter un nouveau public en lui proposant de la lecture facile ne donne que très rarement quelque chose de bon.
Néanmoins, le pire était à venir avec Harley Quinn – Complètement Marteau. Cette fois, le dessin n’est pas en cause, celui de Chad Hardin étant tout à fait plaisant. Certes, la colorisation est très américaine, mais cela reste supportable à mes yeux. Non, le soucis vient ici du lecteur rapidement gavé par les délires constants des deux scénaristes (Amanda Conner et Jimmy Palmiotti), de la surenchère de violence proposée et des nombreuses scènes gores franchement pas indispensables. De plus, ne pas comprendre le chapitre 0 avec ses nombreuses planches réalisées par des dessinateurs différents n’aide pas à entrer dans l’histoire. Il aura fallu que je lise une chronique dédiée à Complètement marteau pour comprendre que j’étais complètement passé à côté de ma lecture (mon feuilletage sur la fin, pour être honnête). Néanmoins, cela ne me donne pas envie de m’y replonger ni de faire une tentative avec le tome 2 de la série, même si je comprends tout à fait la démarche. Si j’avais mieux connu l’univers de Batman et les innombrables personnages qui y apparaissent, il est possible que j’aurai évité cette déconvenue : soit en m’abstenant de cet achat, soit en ayant les clés de compréhension nécessaires pour apprécier le récit proposé, ce qui n’était manifestement pas le cas dans ce cas précis . Il s’agit donc d’un nouveau rendez-vous manqué avec Harley Quinn après le mitigé Mad Love.
Cependant, je pense qu’il est nécessaire de persévérer et de continuer à profiter de l’offre estivale d’Urban Comics pour tester au moins Batman – Silence. De plus, en épluchant les bullenotes des innombrables titres dédiés à notre chère chauve-souris, tout en ayant relevé quelques conseils de lecture avec des guides comme Commencer les comics Batman du site mdcu-comics.fr ou la Chronologie des lectures comics de Batman proposée par batman-legend.com, j’en suis arrivé à la conclusion qu’il fallait que je lise au moins Année un, Un Long Halloween, Dark Victory et Année 100 (parce que Paul Pope).
Les intégrales que nous pouvons lire en francophonie montrent bien la complexité éditoriale qui règne dans le monde de l’édition des comic books aux États-Unis. La nouvelle parution en français de Bloodshot Reborn par Bliss Éditions en est un parfait exemple. Il ne s’agit pas de la suite de Bloodshot, l’histoire originale, comme nous aurions pu nous y attendre mais celle de The Valiant (que Bliss a l’intelligence de ressortir en même temps dans une nouvelle édition), une mini-série reprenant l’ensemble des super-héros et des super-héroïnes de l’univers Vaillant luttant contre un ennemi surpuissant. En partant du Guerrier éternel, Gilad, le récit se conclue autour de Kay, la Géomancienne, et Bloodshot, un super-soldat tueur solitaire aux capacités augmentées par la nanotechnologie. Bloodshot Reborn est donc la suite directe, centrée sur le personnage de ce dernier.
Je me suis intéressé à ce titre car il est scénarisé par Jeff Lemire, alors que je ne suis pas fan des bandes dessinées américaines que je nomme (avec un mépris regrettable résultant d’une certaine ignorance) comics de « super-moule burnes » ou de « super-moule miches ». Lemire est un auteur de bandes dessinées canadien que j’ai découvert en 2013 grâce à a-yin avec Essex County. Dessinateur à la patte… disons… personnelle, il est passé d’auteur indépendant peu connu à scénariste vedette travaillant sur d’importantes licences de DC, Marvel et Vaillant, tout en proposant des histoires originales chez Vertigo (un label DC), Image et Black Horse, telles que Trillium, Sweet Tooth et surtout Descender sans oublier Black Hammer. Plus de soixante-dix titres auxquels il a participé sont disponibles en version française, édités principalement chez Urban Comics de Dargaud. Bien entendu, ses créations Marvel sont éditées en français par Panini Comics.
Jeff Lemire est originaire du comté d’Essex situé en Ontario, Canada. C’est en 2008, alors qu’il est âgé de 32 ans (il a commencé à percer dans le monde du comics indépendant en 2005) que son travail est multi récompensé avec Essex County, une œuvre auto-éditée entre 2008 et 2009 puis republiée en 2011 par Top Shelf Productions. Elle raconte l’histoire de deux amis qui ont passé leur enfance à s’ennuyer en Ontario avant de se brouiller définitivement du fait d’une rivalité amoureuse. C’est avec Monsieur Personne – The Nobody, puis Sweet Tooth, réalisés pour le label Vertigo de DC que la carrière de Lemire prend son envol. En 2010, il signe un accord d’exclusivité avec l’éditeur pour une durée de quatre années qu’il va consacrer à scénariser plusieurs personnages de l’univers DC tels que Atom ou Animal Man. Une fois libéré de son contrat en 2014, il va se mettre à écrire pour Marvel et Valiant. En 2015, il crée la série Descender chez Image, première de ses créations originales qu’il ne dessine pas lui-même. Il est ainsi devenu un des scénaristes les plus en vue aux États-Unis.
Son premier travail pour l’éditeur Valiant a donc été de scénariser en 2014 la mini-série The Valiant mettant en scène Bloodshot. Ce personnage, protagoniste de la série éponyme, existe déjà depuis presque trente années (sa première apparition date de novembre 1992, dans la dernière page d’un numéro d’Eternal Warrior). Après un rapide passage dans la série Rai, le super-soldat auto-régénérant qui a oublié son nom a sa propre série entre 1993 et 1996. Elle totalise 52 single issues. Elle est réalisée par Kevin VanHook au scénario (Mark Moretti sur la fin) et Don Perlin puis (principalement) Mike Vosburg puis Sean Chen au dessin. Il s’agit à l’époque d’un des plus gros succès commerciaux de l’éditeur. Après le rachat de ce dernier par Acclaim (le fameux et défunt éditeur de jeux vidéo), le titre est relancé (reboot) en 1997 avec Len Kaminski (scénario) et Sal Velluto (dessin) aux manettes. Une année plus tard et 16 numéros, la série est déjà terminée. La licence est relancée mi 2012 par la nouvelle structure née en 2005 sur les décombres d’Acclaim Comics. Pour cette troisième version, Valiant Entertainment a fait appel à un scénariste, Duane Swierczynski, et à deux dessinateurs, Arturo Lozzi et Manuel Garcia, avant qu’ils soient remplacés par d’autres comme Barry Kitson. Bloodshot s’achève fin 2014 après 25 numéros, une pause, un changement de nom temporaire avec une nouvelle équipe de créateurs et des apparitions du personnage dans quelques crossovers.
Dans la minisérie The Valiant (quatre issues entre décembre 2014 et mars 2015), Bloodshot est, comme déjà dit, un des trois personnages principaux. Il s’agit du premier travail pour l’éditeur de Jeff Lemire et il travaille en tandem avec Matt Kindt, un de ses bons amis et un des principaux créateurs de personnages de Valiant Entertainment. Ils sont rejoints par les Rivera : Pablo, dessinateur, coloriste, et son père Joe, l’encreur attitré de son fils. Dans le final, Bloodshot est le dernier rempart entre Key, la Géomancienne, et M. L’Écorché, l’Ennemi Immortel qui gagne à chaque fois en jouant sur les peurs de ses adversaires. Sauf que Bloodshot n’a peur de rien ni de personne… L’Ennemi Immortel n’est pas sans rappeler Mr Dark de la série à succès Fables. S’il n’y a ici qu’un « méchant », il y a de nombreux « gentils » qui apparaissent tout au long de l’histoire. Outre Gilad, Bloodshot et Kay, nous rencontrons Armstrong (le frère immortel de Gilad), Ninjak (très présent dans l’univers de Bloodshot Reborn), les différents membres d’Unity (dont Neville Alcott) et des Harbingers Renégats (dont Faith), deux organisations super-héroïques plus ou moins formelles, et bien d’autres personnages de l’univers Vaillant. Néanmoins, ils ont pratiquement tous un petit rôle qui ne leur fait pas honneur. Rapidement, le récit se focalise sur Bloodshot et Kay et la relation qui se crée entre eux, celle-ci servant de base à Bloodshot Reborn.
Rappelons qu’un « comic single issue » est le format de base de publication aux États-Unis. Généralement mensuel, il fait une trentaine de pages dont une vingtaine (entre 22 et 25 en l’occurrence) est consacrée à la série proprement dite. Chaque chapitre de The Valiant contient une mini intrigue qui s’inscrit dans le cadre d’un arc narratif plus général (qui est unique ici car il s’agit d’une minisérie). Jeff Lemire n’innove en rien, d’autant plus que les deux co-scénaristes reprennent la construction classique d’un chapitre : exposition de la mini intrigue, développement de celle-ci puis cliffhanger pour donner envie de lire la suite. Il est toutefois à noter que celui-ci n’est pas repris au début de chaque nouveau numéro car les deux auteurs jouent beaucoup sur les changements d’unités de lieu dans un même chapitre. Il en résulte un titre nerveux, qui se lit facilement, ce qui est facilité par le dessin semi-réaliste sans fioriture de Pablo Rivera. Ce dernier s’occupe aussi des couleurs et nous retrouvons ce goût de la simplification dans l’utilisation d’aplats (les dégradés sont heureusement assez rares) sans chercher à créer outrageusement du volume, des effets et des textures lors de la colorisation. Bliss Éditions a bien raison de conseiller ce titre comme porte d’entrée à l’univers Vaillant.
Jeff Lemire se retrouve seul à la barre de Bloodshot Reborn. Reprenant l’histoire là où elle s’est arrêtée, il va développer le personnage de Ray Garrison, le nom choisi par l’ex-Bloodshot. Après une première édition regroupant les dix-huit issues et l’annual 2016 en quatre tomes reliés entre 2016 et 2017, Bliss Éditions propose en 2020 une intégrale incluant Bloodshot USA qui contient la fin de l’histoire. Par contre, il n’y a pas Bloodshot Salvation qui est une autre aventure, toujours scénarisée par Lemire. Voilà un bel exemple de la complexité des séries aux États-Unis. Et encore, dans ce cas précis, il n’y a pas de crossover à intégrer. Nous nous retrouvons donc en présence d’une œuvre composée de cinq arcs (Colorado, La traque, L’homme analogique, Bloodshot Island et Bloodshot USA), d’un épilogue d’un chapitre ainsi que de quatre courts récits complets plus ou moins bien rattachés à l’histoire principale. Nous rajoutons à cela une galerie d’illustrations et nous obtenons à l’arrivée un énorme pavé de plus de 670 pages. Il est à noter qu’en même temps sort la nouvelle version de Bloodshot (un effet de la sortie du film éponyme avec Vin Diesel, vraisemblablement). Il s’agit d’un reboot extraordinairement mauvais, une véritable caricature des comics de « super-moule burnes » bas du front, basés sur l’action à outrance, un dessin tape à l’œil et des couleurs bien flashy et photoshoppées. Les fans avisés se limiteront à l’intégrale de Bloodshot (troisième version) parue en français en 2018 et fuiront la nouvelle mouture.
Concernant Bloodshot Reborn, incontestablement, c’est la partie « Colorado » qui est la plus intéressante. Ayant été purgé de ses nanites, Ray Garrison est redevenu un simple humain. Toutefois, il n’a aucun souvenir de ses origines, de sa vie d’avant Bloodshot. Il ne se souvient que des dernières atrocités qu’il a pu commettre en tant que super-soldat, de certaines de ses fausses vies implantées dans sa mémoire. Rongé par ses souvenirs, il sombre dans l’alcool et la drogue, tout en occupant un emploi d’homme à tout faire dans un motel perdu au fin fond du Colorado. Il commence par être hanté par deux personnages manifestement issus de son imagination : Bloodsquirt et Kay. Le premier est une sorte de toon malfaisant, l’autre est son amour défunt. C’est ainsi que des dialogues intérieurs avec sa mauvaise et sa bonne conscience viennent aider Ray à prendre des décisions concernant son avenir. Un élément déclencheur va l’obliger à sortir de sa torpeur et de sa conduite suicidaire : un massacre avec des armes à feu a été perpétué dans une ville voisine. Les vidéos diffusées aux informations montrent un individu à la peau extrêmement blanche avec un cercle rouge sur la poitrine. Il semblerait que les nanites n’aient pas disparues et qu’elles aient trouvé d’autres corps à infester. Ray se sent obligé d’intervenir, étant le seul à comprendre le danger. Surtout, il se sent attiré par les nano-machines. La conclusion est évidente : seul Bloodshot est capable de contrôler les nanites et les pulsions qu’elles engendrent.
Bloodshot Reborn, au moins dans les premiers chapitres, est un titre très introspectif. Après plusieurs pages qui consistent à présenter le personnage et à résumer (très) rapidement les événements précédents, la narration reposant sur une voix off, celle du héros, se poursuit pour nous définir la situation actuelle de celui qui est devenu Ray Garrison. Les récitatifs se poursuivent jusqu’à l’apparition des « hallucinations ». A partir de là, un dialogue se met en place avec la Kay irréelle et Bloodsquirt. Comme Jeff Lemire l’a fait remarquer lors de différents entretiens, il n’a aucune attache ni souvenirs du super-soldat et de l’univers Vaillant, ne s’y étant jamais intéressé lors qu’il était plus jeune. Il faut dire que Bloodshot représente typiquement le genre d’histoires ultra violentes qu’il n’aime pas. Ayant la liberté de faire du personnage quelqu’un de plus réfléchi et conscient de ses actes, il ne s’en est pas privé. De plus, chaque arc narratif a été pour lui la possibilité d’explorer d’autres facettes de Bloodshot et de le placer dans des histoires avec des ambiances totalement différentes. Étant donné que Lemire a travaillé avec des dessinateurs et des coloristes différents à chaque changement, ceux-ci sont particulièrement visibles. Voilà quelque chose à laquelle les lectrices et lecteurs de bandes dessinées franco-belge ou de manga sont peu habitués. En effet, cette façon de changer de tonalité dans l’histoire, de graphisme peut être particulièrement déroutant, et cela est particulièrement présent dans Bloodshot Reborn.
C’est ainsi que nous avons au début, avec « Colorado » et grâce à Mico Suayan, un dessin très réaliste, très travaillé dans les volumes et les matières, dessin qui est amplifié par le beau travail sur les couleurs de David Baron. À l’inverse, le single issue numéro 5 est en rupture, aussi bien narrativement que stylistiquement. Retour à l’introspection, à l’onirisme (tendance cauchemar), avec un dessin totalement différent. Il est nettement plus simple et assez stylisé, surtout sur les nombreux décors sans détourage. Il est réalisé par Raúl Allén qui se charge aussi des couleurs, plus simples et plus sombres. Nous avons ici une sorte de respiration avant le retour de l’action, qui se poursuit dans « La traque ». Si David Baron est de retour pour les couleurs, le dessin est à nouveau de la responsabilité d’un autre artiste : Butch Guice, un vieux de la vieille. Son dessin, plus simple et plus lâché, fleure bon les années 1980-1990 et les comics Marvel sur lesquels il officiait, ce qui crée un décalage avec une colorisation « moderne » qui ne colle pas toujours, surtout aux visages. Voici une autre caractéristique de la bande dessinée américaine, la nécessaire connaissance encyclopédique de qui intervient sur quoi. Les auteurs se succèdent souvent sur une même licence, comme nous pouvons le voir avec Bloodshot Reborn.
Nouveau changement avec la partie intitulée « L’Homme analogique ». Graphiquement, nous avons un retour (en moins virtuose) au style de Mico Suayan / David Baron. Les artistes sont ici Lewis LaRosa (dessin) et Brian Reber (couleurs). Cette fois, c’est l’histoire qui part dans une direction totalement différente, du fait d’un énorme changement dans les unités de lieu et de temps. Le récit se passe trente années plus tard en Californie, dans un mode post-apocalyptique qui n’est pas sans rappeler le film Mad Max ou le clip vidéo de la reprise de House Of The Rising Sun par Five Finger Death Punch. Le thème est celui du « No Futur », littéralement, différentes analepses nous apprenant ce qu’il s’est passé durant toutes ces années. Néanmoins, la rédemption d’Alex ne va pas durer plus longtemps et la fin n’est qu’une transition vers le dernier arc de Bloodshot Reborn.
Avec la partie intitulée « Bloodshot Island », retour aux fondamentaux : Mico Suayan et David Baron sont à nouveaux là, place à l’action et aux confrontations à répétition. Il s’agit aussi de recoller ensemble les précédents arcs et de préparer le final qui, étrangement, se fait dans une autre série. « Bloodshot Island » n’est pas très intéressant, il faut le reconnaître. Mais cette partie apporte un peu de profondeur au récit en développant un peu le monde mis en place et apporte son lot de nouveaux personnages. Il faut se contenter d’un récit survolté superbement mis en image car le dernier single issue, le 18, n’apporte rien, si ce n’est des longueurs et une autre paire d’artistes peu marquants. C’est donc avec une minisérie, Bloodshot USA, que l’histoire développée jusqu’ici par Jeff Lemire sur plus de 460 pages s’achève. Les quatre numéros ne proposent qu’une fin facile, prévisible, sans grand intérêt, assez téléphonée, qui survient après des combats peu passionnants. Tout y est poussif, y compris le dessin classique « comic books », donc banal, de Doug Braithwaite (pourtant un pilier de Marvel) et une colorisation de Brian Reber qui écrase les traits des personnages et abuse des effets, sans avoir le talent de David Baron. L’avantage est que tout ceci se lit vite. Ne parlons pas des quatre récits indépendants publiés originellement dans un annual, c’est-à-dire un numéro spécial qui ne sort qu’une fois par an et qui contient des récits courts auto-conclusifs qui viennent enrichir (ou proposer un délire) un univers à succès. Ils ne sont pas tous inintéressants, notamment celui de Lemire, mais ils n’apportent pas grand-chose. Néanmoins, leur présence est indispensable dans toute intégrale digne de ce nom.
Bref, pour retrouver du Jeff Lemire inspiré, il vaut mieux lire Bloodshot Salvation, une féroce (quoique facile) critique des États-Unis, la version rurale, celle qui supporte Trump. C’est du moins le cas dans la première partie, qui joue aussi beaucoup sur la notion de revanche, ainsi que sur les émotions telles que la haine et la colère. En effet, la seconde est fantastique, sombre, horrifique et basée sur la culture vaudou. Un mélange étonnant et fascinant où le scénariste retrouve toute sa verve et son imagination. C’est ainsi que Lemire apporte une nouvelle preuve de son talent et qu’il mérite réellement d’être un des auteurs à suivre actuellement.