
Pratiquement six ans après la sortie de son vingt-troisième et dernier tome, la série mythique Dorohodoro revient dans une « Chaos Edition », regroupant à chaque sortie deux volumes de la parution originale. Le quatrième opus est attendu pour début octobre. Voilà l’occasion de revenir sur un titre qui a eu du mal à trouver son public pendant des années avant de devenir culte auprès du lectorat francophone.
Deux mondes se côtoient : Il y a Hole, où (sur)vivent des humains, dans une société en pleine décomposition. De plus, ceux-ci sont victimes de mages qui vivent dans une autre dimension et qui viennent s’exercer et s’amuser à les transformer en diverses choses, selon leur talent magique. Leur pouvoir résulte de leur personnalité et le résultat est souvent imprévisible. Certains peuvent vous transformer en champignon, d’autre vous découper en rondelles sans vous tuer, d’autre encore peuvent vous faire fondre ou vous transformer en saurien, en insecte, etc. Des mages, aux pouvoirs très recherchés, peuvent vous soigner et vous retaper physiquement quel que soit l’importance de vos blessures. Il se dit même que certains mages peuvent ressusciter les morts ou maitriser le temps…

L’histoire commence à Hole où Caïman, un humain (?) amnésique dont la tête est celle d’un lézard, cherche à tuer tous les mages qu’il rencontre, mais seulement après avoir vérifié qu’il ne s’agissait pas de celui qui l’a transformé. Il est assisté dans sa quête par Nikaido, la tenancière d’un restaurant de gyozas et redoutable combattante. Cependant, à force de tuer des mages alors que ceux-ci ont plus l’habitude d’être des chasseurs que des proies, notre duo attire sur lui l’attention d’En, le dirigeant (de fait) du monde des mages. Il s’agit d’un mage surpuissant qui bénéficie de l’aide de Chidamura, le premier et le plus puissant des diables. Ces derniers sont des anciens mages qui ont réussi à s’élever à un niveau supérieur après un entrainement très sélectif et réservé aux meilleurs.

Deux des plus puissants acolytes d’En se lancent à la recherche de Caïman et de Nikaido : Shin (un demi-humain) et Noï. Ce sont deux puissants combattants, aux pouvoirs magiques redoutables. L’affaire devrait être donc rondement menée… sauf que l’homme-lézard est insensible à la magie. Celle-ci s’exprime sous forme de fumée, une fumée de poudre noire que peuvent produire tous les mages, la quantité dépendant de leur puissance magique. Il se révèle assez rapidement que Caïman semble lié à une secte, celle des « yeux en croix » qui regroupe des minables, ceux qui sont incapables de produire leur propre fumée. Il y a de nombreuses années, En a déjà eu affaire à leur chef et ne s’en est sorti que de justesse. Il pensait s’en être débarrassé. Il faut dire que dans un monde où la mort est rarement permanente, aucune victoire ne peut être définitive !

C’est avec un plaisir sans limite que l’on se (re)plonge dans l’univers original, nonsensique et gore mis en place dans Dorohedoro. Cela grâce à la présence de personnages peu manichéens, à de nombreux dialogues décalés proposant un humour teinté d’autodérision, et une histoire se déroulant deux mondes particulièrement bien étudiés. Le tout donne une atmosphère très particulière accentuée par le graphisme immédiatement reconnaissable de Q-Hayashida, l’autrice. Il est à la fois lâché et très sombre. L’influence de l’artiste suisse H.R. Giger et de ses peintures biomécaniques est manifeste, mais aussi de l’œuvre de l’artiste japonais Kenji Yanobe célèbre pour ses sculptures issues d’un univers dystopique. La narration reste un modèle de rythme et de clarté malgré les multiples trames scénaristiques. Grâce à des analepses toujours bien gérées, on apprend petit à petit le passé de certains personnages, même si les informations sont souvent données avec parcimonie.
Il ne faut pas compter sur le All ★ Star Guide Book (sorti à l’occasion de la nouvelle édition de Dorohedoro) pour en savoir beaucoup plus, surtout à propos des personnages plus que secondaires. Nous avons bien droit sur près de la moitié de l’ouvrage à une fiche sur quasiment toutes les personnes et « bestioles » rencontrées tout au long du récit, mais ça ne présente pratiquement aucun intérêt. L’autre grosse moitié consiste en de courtes histoires. Si les deux premières (chacune faisant environ 25 pages) ne sont pas inintéressantes, le reste est totalement dispensable. Ce reste consiste en de courtes saynètes de trois ou quatre planches en couleurs, ou plus exactement qui mélangent plusieurs bichromies. À la fin, on se retrouve donc avec une soixantaine de pages sur les 220 qui valent le coup d’être lues. Même si le prix de ce guide book est très serré pour une fabrication très qualitative qui a dû demander beaucoup de travail de traduction et de mise en plage, voilà une sortie à réserver aux plus fans d’entre nous.

Pour en revenir à la Chaos Edition, chaque tome reprend donc deux volumes de la série originale, avec les pages couleurs, même lorsqu’elles sont intérieures. Le format est le même, mais les planches sont ici infiniment mieux reproduites car l’éditeur bénéficie cette fois du matériel japonais au lieu de devoir scanner la version japonaise. La traduction a été revue par Sylvain Chollet afin de lui donner plus de « pep’s ». Il s’était occupé de la version française durant les seize années de la première version. L’adaptation graphique de GB One a été entièrement refaite par Anne Demars, la lettreuse de Dorohedoro depuis 2008 : le gain est manifeste. Sur la jaquette, nous retrouvons l’effet « peau de serpent » des tous premiers tomes des années 2003-2004, sans embossage mais avec un vernis sélectif 3D. C’est donc une très belle édition qui nous est proposée, même si on apprécierait une couverture une peu moins souple. Ne boudons donc pas notre plaisir et remercions Iker Bilbao, le directeur éditorial de Soleil Manga de nous permettre de (re)découvrir un des meilleurs mangas actuellement disponibles en français.






























