Meurtre télécommandé

Nous sommes aux États-Unis d’Amérique, dans le Maine pendant les années 1980. Un magnat du pétrole, Monsieur Jones, prévoit d’implanter une raffinerie dans une baie jusqu’ici préservée des investisseurs destructeurs de la nature. Il a pourtant l’habitude d’y venir pêcher le samedi. Cependant, cette installation ne se fera pas, Jones est mort, assassiné par un modèle réduit d’avion radiocommandé. L’inspecteur Jim Brady arrive de la capitale pour enquêter, les meurtres relevant de la police d’État et non du shérif local qui voit d’un mauvais œil cette intrusion sur son territoire. Quatre suspects, tous habitants la rive, vont devoir démontrer leur innocence. Il y a M. Kayne, un paysan en semi-retraite à la gâchette menaçante, Valérie Curtin, une encore jeune New-yorkaise venue s’installer loin de la ville pour cultiver divers type de plantes à la campagne. N’oublions pas Joe McLoon, rentier et handicapé toujours armé de son fusil depuis qu’il s’est fait renverser par une petite vieille en voiture, heureusement bien assurée. Il y a enfin Steve Goodrich, riche acteur hollywoodien à la retraite, accompagné d’Erik van Heineken, son fidèle homme à tout faire. Il aime survoler les lieux à l’aide de son U.L.M. Toutes ces personnes n’apprécient vraiment pas la perspective d’une industrialisation de leur environnement si bucolique.

Sous couvert d’une enquête policière, l’histoire est surtout prétexte à brosser cinq portraits assez extrêmes, illustrant une certaine vision de l’Amérique des années 1980. Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’ensemble n’est pas flatteur pour la patrie de l’Oncle Sam. Est-ce la vision du scénariste, un Hollandais du nom de Janwillem Van de Wetering ? Il est connu pour ses polards publiés en néerlandais et en anglais (nombre d’entre eux sont disponibles en français), devenu écrivain après s’être installé en 1975 aux États-Unis, dans le Maine. La narration particulière, les situations décalées, ainsi que le dessin, portent incontestablement la patte de Paul Kirchner, le créateur de Dope Rider et des strips non-sensiques du Bus. Le second étant fan des romans du premier, l’amitié qui a résulté de leur rencontre a ainsi débouché sur un des premiers romans graphiques, après que Will Eisner ait popularisé cette nouvelle forme de bande-dessinée à la fin des années 1970 et avant que Maus d’Art Spiegelmen y apporte le succès public en 1986. Bien entendu, cela a été un échec commercial total. Ce qui est à ce jour le seul récit long du dessinateur est ensuite tombé petit à petit dans l’oubli avant que Tanibis décide de le rééditer dans un format rendant justice à un graphisme soigné, fourmillant de détails, fleurant bon celui des années 1950-60. Il faut dire que Paul Kirchner a été dessinateur pour Steve Ditko et Wallace Wood, excusez du peu. Quoi qu’il en soit, il s’agit d’une totale réussite, trop en avance sur son temps.

Après une douzaine de pages assez classiques, d’un point de vue actuel, le symbolisme puis le psychédélisme et même le surréalisme (celui de Magritte plutôt que celui de Dalí même si Kirchner se dit inspiré par les deux) sont de plus en plus présents dans le récit. Il en résulte une narration qui a dû dérouter le lectorat américain et qui ne plaira pas à tout le monde. En effet, dans différents entretiens disponibles sur le Net comme dans l’intéressante postface proposée par l’éditeur Tanibis, Kirchner explique son intérêt pour ces courants artistiques, même s’il n’a jamais été intéressé par l’usage de drogues, laissant son esprit explorer le subconscient, à la recherche d’idées. Le style réaliste et épuré du dessinateur fait merveille dans la représentation d’une certaine Amérique, représentée par des stéréotypes représentant un lieu et une époque. Pourtant, le récit ne fait pas daté et pourrait tout à fait se passer actuellement après quelques ajustements liés aux préoccupations actuelles. Van de Wetering était tellement enthousiasmé par le résultat qu’il voulait écrire une autre enquête, mais Kirchner ne pouvait pas se permettre une telle somme de travail sans être correctement rémunéré et a préféré privilégier ses activités plus commerciales, ayant désormais une famille à faire vivre. Puis le Hollandais est mort prématurément d’un cancer en 2008. C’est ainsi que l’inspecteur Jim Brady n’a jamais repris du service alors que Kirchner estime que Meurtre télécommandé est sa meilleure œuvre. Il est peut-être dommage pour nous de ne pas avoir de suite, mais nous avons ainsi une expérience de lecture unique, ce qui rend cette bande dessinée encore plus exceptionnelle.

Auteurs : Paul Kirchner & Janwillem van de Wetering
Traduit par : Patrick Marcel
Éditeur : Tanibis
Prix : 23€
Format : 22 x 28 cm, 112 pages en noir & blanc
Couverture : Cartonnée
ISBN : 9782848410708
Date de sortie : Novembre 2022

FIBD 2023 : Sélection Fauve Polar SNCF

SoBD 2024

L’année des festivals, salons et conventions se termine traditionnellement pour notre petit groupe de Mangaversien·ne·s début décembre avec le Salon des ouvrages de Bande Dessinée. Cette édition était particulière pour moi, pouvant faire mon fan-boy auprès d’un des deux invités d’honneur. En réalité, je me suis contenté d’écouter Fabrice Neaud lors de ses tables rondes (j’aurais pu aller à sa masterclass du vendredi soir si je m’étais mieux organisé) et d’admirer les planches exposées au Musée éphémère, quasiment un an après en avoir vu une belle série lors de son expo-vente à la Galerie Huberty & Breyne. Qu’est-ce que c’est bô ! 🙂

Traditionnellement, nous nous rendons le samedi après-midi à SoBD surtout pour trois activités : faire le tour des stands afin de réaliser quelques achats, suivre des rencontres / tables rondes et admirer les planches exposées au Musée éphémère. Cette année, je dois avouer que j’ai passé peu de temps sur les stands, me contentant de trois exposants : J’ai, LGBT BD et Stripologie. Il s’agissait pour moi, avant d’aller écouter Fabrice Neaud, d’acheter le dernier numéro du fanzine J’ai dans lequel j’ai une de mes (rares) contributions au groupe Facebook éponyme, de bavarder un peu avec quelques « J’AIistes ». J’en profite pour remercier Hugo pour la Po-j’ai-te spéciale cartes PLG. Ensuite, je n’allait pas manquer d’aller acheter le tome 1 (dédicacé) du recueil Le Mini de la Semaine de Jean-Paul Jennequin et de l’écouter parler (c’est toujours aussi fascinant, surtout quand a-yin est en face pour le relancer).

Une fois terminé le cycle des tables rondes avec Fabrice, je suis allé acheter les numéros (encore disponibles) de la deuxième version de Bananas dans lesquels il y a des contributions dudit Fabrice, information donnée par Évariste Blanchet lors de la présentation de la célèbre revue. C’est qu’il ne fallait pas tarder pour les numéros 2 et 3 dont il s’agissait des derniers exemplaires (le 4 est encore en vente en ligne). Ainsi, j’ai d’autres créations des débuts de Fabrice Neaud qui viennent s’ajouter à celles de la défunte revue ego comme x. J’ai aussi ramené Meurtre télécommandé (un achat en défraichi d’a-yin sur le stand de Tanibis), une lecture du lendemain qui s’est révélée être excellente, dont j’ai prévu un billet WordPress et un achat futur, en plus de m’intéresser de plus près à Paul Kirchner.

Comme toujours, le Musée éphémère proposait une belle et dense sélection de planches. Il y en avait environ 80 qui couvraient un peu moins de trente années de créations de Fabrice Neaud. Cette exposition rétrospective permettait d’apprécier l’évolution graphique de l’auteur, dont le dessin s’est affiné au fil des ans, notamment sur la représentation des volumes et de la lumière. Néanmoins, son style réaliste reste immédiatement reconnaissable (tout comme sa narration), les fondamentaux étant déjà en place trente années auparavant. J’ai tout particulièrement apprécié la présence de planches d’Alex et la Vie d’après (je n’ai qu’un PDF en basse définition) et de Nu Men. Je pleure toujours de ne pas pu avoir de tome 3 alors que appréciais tout particulièrement cette série de science-fiction (bien plus que Labyrinthus), ce qui a entrainé une fin précipitée et plutôt ratée de mon point de vue. Néanmoins, le plus intéressant était de voir quelques-uns des fameux carnets de Fabrice. Leur qualité graphique est incroyable !

Repas bulled’air oblige, je ne suis pas resté à la remise du Prix du récit dessiné de la Scam ni à celui du prix SoBD Neuvième art. Il faut dire aussi que ce n’est pas un exercice qui m’intéresse tout particulièrement. Toujours du fait d’un conflit d’emploi du temps, je ne suis pas retourné dimanche pour essayer d’avoir une dédicace de Fabrice Neaud (j’en ai obtenu une en début d’année au FIBD, la troisième en vingt ans) ou pour mieux regarder la petite exposition consacrée à la bande dessinée luxembourgeoise, le pays invité. Toutefois, l’édition 2024 restera dans mon esprit comme une très bonne cuvée (avec 2018 et quelques autres plus anciennes) malgré le peu de temps passé sur place.

Angoulême 52, c’est reparti !

Ce jeudi 21, sous une météo de plus en plus neigeuse sur la Région Parisienne (ce qui m’a rappelé l’édition 2006 du FIBD et son samedi interrompu par la neige), a eu lieu la conférence de presse de la cinquante-deuxième édition du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême, cette fois sise au Musée de la Marine. La priorité étant donnée aux foutus réseaux sociaux, nous étions déjà au courant de la majeure partie du programme des expositions (ce qui intéresse le plus notre petit groupe de Mangaversien·ne·s). Néanmoins, j’ai toujours envie de m’y rendre, année après année, histoire de lancer (dans mon esprit) cet événement annuel francophone qu’est le FIBD, ainsi que pour revoir quelques connaissances.

Dans un auditorium bondé (les 200 places étaient toutes prises), les discours de Franck Bondoux, le délégué général, de Marguerite Demoëte, la directrice artistique et de Fausto Fasulo, le directeur artistique Asie, ont confirmé l’évolution amorcée l’année dernière : la volonté de s’adresser au jeune public afin de former les futurs lecteurs et futures lectrices à culture de la bande dessinée. S’appuyant sur les réseaux sociaux, les pôles Jeunesse et Manga sont devenus les fers de lance du festival. Les expositions doivent être « participatives et festives » tout en suscitant l’envie de lire. Moi qui aime le sobre et le travaillé, on ne peut pas dire que ça m’enchante plus que ça. Néanmoins, heureuse surprise pour cette prochaine édition : une nouvelle mise en avant du comics, celui dit « grand public » que je connais si mal, notamment avec une grande exposition consacrée à Superman. Le retour de la tradition du pays invité (l’Espagne pour 2025, après le Canada en 2024) montre aussi une volonté de continuer à développer une dimension cosmopolite, notamment par le biais de rencontres entre éditeurs du monde entier qui se fera, comme depuis quelques temps, dans une bulle dédiée. Ainsi, le festival mérite bien son qualificatif d’international.

Nous avons donc huit expositions d’importance qui nous seront proposées entre le 30 janvier et le 2 février (dès le 29 janvier pour la presse et les pros). Au Musée d’Angoulême, il n’y aura pas de manga, une première depuis 2016. À la place, nous aurons « Posy Simmonds. Herself » (jusqu’à la mi-mars) ainsi que « Hyper BD : une exposition dont vous êtes les héro-ïne-s » qui sera, pour cette dernière, interactive et s’adressant à un plus jeune public. Au Vaisseau Moebius, nous pourrons voir « Superman, le héros aux mille-et-unes vies » qui durera jusqu’au 10 mars. La médiathèque L’Alpha hébergera « l’immersive » exposition dédiée à « Vinland Saga : une quête d’identité ». Il faudra beaucoup de courage et de patience pour aller voir « L’Atelier des sorcières : la plume enchantée de Kamome Shirahama » car située dans l’Hôtel Saint-Simon et sa jauge minuscule. Il faudra aussi avoir du temps à perdre pour aller voir « Gou Tanabe x H.P. Lovecraft : visions hallucinées » dans la salle Iribe de l’Espace Franquin tant je pense qu’elle sera fréquentée. Ce sera d’ailleurs la seule exposition qui bénéficiera d’un catalogue. « Julie Birmant, les herbes folles » mettra en valeur la scénariste primée l’année dernière par l’institut René Goscinny à travers ses créations pour (notamment) Clément Oubrerie et Catherine Meurisse, ça se passera au Musée du papier (jusqu’à la mi-mars). Enfin, le Quartier Jeunesse abritera l’exposition « La BD règle ses contes » qui présentera cinq univers, ceux de L’Encyclopédie du merveilleux, d’Émile et Margot, des Contes fabuleux de la nuit, des Sept Ours nains et de La Quête. Une exposition présentant la diversité de la bande dessinée espagnole sera accessible sur le parvis de l’Hôtel de Ville en plus de celle qui se trouvera dans la bulle dédiée à l’Espagne.

Il est encore bien trop tôt pour avoir la liste de toutes les autrices et tous les auteurs invités mais nous avons cinq « masterclass » annoncées : Posy Simmonds, John Romita Jr, Gou Tanabe, Kamone Shirahana et Makoto Yukimura, les trois dernières se déroulant au Théâtre d’Angoulême. Je dois avouer que ce ne sont pas ces trois derniers noms qui m’intéressent le plus, loin de là. Le Quartier Jeunesse proposera de nombreuses animations à destination d’un public familial, notamment grâce à l’espace gagné sur feu les Studios Paradis et le développement de la Halle des découvertes. Mais cela ne concernera pas vraiment notre petit groupe de Mangaversien·ne·s, il faut le dire. En ce qui concerne les éditeurs présents, ils seront nombreux à Manga City (les plus importants seront tous là) et nous ne manquerons pas de passer dire un petit bonjour à certains d’entre eux comme Akata, IMHO, Kana, Kotoji, Naban, etc. sans oublier d’aller voir les manhua de Hong Kong et de Taïwan. Globalement, il n’y a pas de réel changement au niveau des bulles éditeurs et, comme tous les ans, nous passerons bien plus de temps au Nouveau Monde sur les stands de certains éditeurs ou dans la partie fanzine qu’au Monde des bulles. Il faut me l’avouer, nous serons peut-être plus intéressé·e·s par le programme du Musée de la Bande Dessinée, à commencer par l’exposition « Super-héros & Cie. L’art des comics Marvel » mais aussi « Plus loin. La nouvelle science-fiction », « Trésors des collections » et pour au moins l’un d’entre nous « Lou ! Cher journal… ». Car, en effet, le programme annoncé par le festival ne nous enthousiasme pas plus que cela.

Comme tous les ans, je n’ai pas vraiment de commentaire à faire sur les différentes sélections, me contentant de me réjouir de la présence de tel ou tel titre ou de constater que la bande dessinée asiatique hors manga est toujours aussi ignorée par le festival. D’ailleurs, il y a beaucoup moins de bande dessinées japonaise en lice cette fois et c’est tant mieux tant je trouvais que ça faisait forcé / copinage depuis quelques années. Les cinq titres mis ici en avant ont fait ou vont faire l’objet de billets sur ce présent blog et leur sélection m’a donc fait tout particulièrement plaisir. Cette sélection officielle permet aussi de se rappeler que tel ou tel ouvrage que l’on avait raté à l’époque de sa sortie mérite qu’on s’y attarde et qu’il est peut-être temps de songer à s’y mettre. Car, il faut le dire, je n’ai pas lu grand-chose cette année : six titres (plus deux autres de prévus) sur les 44 de la sélection officielle, ça fait peu. En patrimoine, j’en suis à deux plus un, et c’est tout… Voilà qui confirme que je me suis un peu éloigné de la bande dessinée en 2024.

Grâce à une équipe renforcée, la nouvelle direction artistique du festival prend de plus en plus ses marques, et c’est tant mieux même si elles n’ont pas l’heur de me plaire (et je dirais que c’est une bonne chose pour la réussite publique du festival). Je continue à regretter les années du Manga Building (nostalgie, quand tu nous tiens) ou les années Beaujean (mais là, ce n’est pas de la nostalgie, juste une préférence pour ce qui nous était proposé durant ces années-là). Il n’empêche que je ne doute pas un seul instant de passer deux bonnes journées et demi à Angoulême entre le 30 janvier et le 2 février. D’ailleurs, il ne faudra pas oublier d’aller manger une fois dans le Quick devant l’Hôtel de ville, histoire de fêter le nouveau sponsor titre du festival 🙂

Je remercie Manuka pour sa relecture, ainsi que 9e Art+ et l’Agence La Bande, notamment Vincent-Pierre Brat, pour leur invitation à la conférence de presse de l’édition 2025 du FIBD.

Le cinéma hongkongais existe toujours

Organisé par une association culturelle hongkongaise, le FFHKP en est à sa troisième édition. Il s’est déroulé sur cinq jours, du 14 au 19 novembre, et a proposé sept films dont six récents diffusés pour la première fois en France, un documentaire et deux cours métrages. Comme l’année précédente, le festival a eu la bonne idée de se dérouler à l’Épée de bois, situé rue Mouffetard, c’est à dire à dix-quinze minutes à pied de mon parking parisien habituel. Il s’agit d’un petit cinéma de quartier classé Art et d’Essai composé de deux petites salles de moins de 100 places. L’écran est un peu petit mais l’espace entre deux rangées de siège est assez important, ce qui évite de s’ankyloser trop vite. La séance d’ouverture avait fait le plein, celles du week-end permettaient par contre de trouver quelques places au commencement de la projection. Manifestement, le festival a réussit à trouver son public (un peu de tous les âges et moins asiatique que je ne l’aurai pensé), la petitesse de la salle 1 permettant d’avoir plus facilement cette impression.

Avec ses petit·e·s camarades mangaversien·ne·s (a-yin, mais aussi Pierre et Tanuki à deux occasions) votre serviteur a vu quatre des sept films proposés dont deux se sont révélés réellement excellents, dans deux registres différents, l’un étant comique, l’autre dramatique. Voici donc, à l’instar du programme Portrait de Hong Kong qui s’est déroulé entre les mois d’avril et juin, un petit compte rendu de mes séances « d’images qui bougent » hongkongaises, cette fois automnales.

Where the Wind Blows

de Philip Yung (2022 — 2h24′)

J’étais là pour voir Tony Leung et j’ai été bien déçu tant la place du personnage principal a surtout été prise par Aaron Kwok. Surtout, le film a proposé une narration confuse, sautant d’une époque (de 1940 à 1970) à l’autre par bons de 10 ans, avec régulièrement des analepses, sans que ça soit toujours très clair. J’avais tendance à mélanger les personnages dans leur jeunesse (malgré des jeunes acteurs ressemblants, il faut le reconnaître). La reconstitution de la ville lors des trente décennies couvertes par l’histoire était impressionnante, on voyait que le film avait bénéficié d’un gros budget (il s’agit d’une coproduction entre la chine continentale et l’île). De plus, il y avait pas mal de longueurs à certain moments, des passages esthétisants qui n’apportaient rien au récit, et je ne parle pas des parties dansées qui tombaient régulièrement comme des cheveux sur la soupe. Bref, c’était souvent long, très long à regarder. La seule chose à retenir est que la police de Hong Kong a été vraiment corrompue pendant de nombreuses années, tout comme une grande partie de la colonie britannique, qu’elle soit l’origine de sa population : chinoise, indienne ou anglaise.

Over My Dead Body

de Ho Cheuk-Tin (2023 — 1h59′)

Dans ma toute nouvelle culture cinématographique hongkongaise, il me manquait un film comique. C’est donc chose faite. La première partie est tout simplement hilarante tant les mimiques des actrices et acteurs sont réussies, la seconde est parfois un peu longuette. En plus, et je ne l’avais pas prévu, il y a Jennifer Yu parmi les rôles principaux, même si on ne la voit plus trop à un certain moment. Dans sa première moitié, le film nous propose donc en permanence des scènes délirantes qui s’insèrent impeccablement dans le récit. C’est du grand n’importe quoi, mais du n’importe quoi réussi. Il faut dire que les protagonistes ont toutes et tous des problèmes, parfois sérieux, ce qui les amène à avoir souvent un comportement excessif. Pourtant, au delà d’une sorte de grand-guignol qui part un peu dans tous les sens, tout s’explique à la fin. C’est vraiment brillant. De plus, le réalisateur n’oublie jamais de placer dans son film quelques remarques sur certains comportements ou sur les dérives actuelles de la société hongkongaise, à commencer par celles liées aux excès du marché de l’immobilier ou à la difficulté de vivre tranquillement dans une période de marasme économique.

Back Home

de Nate Ki (2023 — 1h42′)

Il s’agit là d’un film d’ambiance plus que d’épouvante (et encore moins d’horreur) avec un récit qui alterne le présent, le passé et le rêve (ou plutôt les cauchemars) dans un lieu où les fantômes semblent régner en maitre sur tout un étage d’un immeuble plutôt délabré. Il m’est difficile de dire si je l’ai apprécié tant je ne sais pas quoi en penser. Je pense que le manque de références culturelles joue pour beaucoup. Le temps n’est pas passé lentement, c’est plutôt bon signe. Quoi qu’il en soit, le quartier où se déroule l’histoire ne donne pas envie de vivre à Hong Kong tant il semble triste et en pleine déréliction. Je ne parle même pas des ambiances glauques à l’intérieur de l’immeuble… Difficile d’en parler, il vaut mieux le voir (et ne pas détester les fins très ouvertes).

In Broad Daylight

de Lawrence Kan (2023 — 1h46′)

Si je suis allé sur Paris un dimanche après-midi pour voir un film dramatique, c’était bien pour son actrice principale, Jennifer Yu. Cependant, le sujet, celui des maisons / foyers d’accueil pour personnes âgées en perte d’autonomie et pour handicapés mentaux, m’intéressait. Bien m’en a pris tant il s’agit du meilleur film du festival, et peut-être même de tous les films hongkongais que j’ai pu voir cette année. Il a même réussi à m’arracher une ou deux « larmichettes » à certains moments, alors que je suis plutôt du genre peu sensible. Il faut dire que de nombreuses situations sont très dures et d’autres assez poignantes. Heureusement, le réalisateur a su ne pas trop « tartiner » son récit de scènes mélodramatiques, celles-ci ne fonctionnant pas trop en général alors même que les actrices et acteurs jouent magnifiquement leur rôle, y compris dans leur handicap. Leur détresse, mais aussi leurs petites joies sont souvent touchantes. Il y a par ailleurs un autre discours dans le film qui montre la disparition du journalisme d’investigation, généralement lié au déclin de la presse écrite. Dernier point appréciable, le réalisateur montre sur la fin que les choses ne sont pas toutes bonnes ou mauvaises, que rien n’est simple et que les meilleures intentions du monde ne débouchent pas nécessairement sur un résultat positif, que l’on peut faire du mal en voulant faire ce qu’on pense être le bien.

Ce festival, peut-être un peu trop court et ramassé dans le temps, s’est révélé être une excellente surprise grâce à une programmation variée, intéressante et surtout actuelle. Si tous les films ne peuvent pas plaire, ils sont invariablement intéressants par ce qu’ils montrent du Hong Kong actuel. D’ailleurs, de notre point de vue d’Européen particulièrement favorisé et ethnocentré, les œuvres proposées par le FFHKP nous décrivent globalement une ville / région qui ne donne pas trop envie d’y vivre, même présentée à travers une comédie. Cependant, il ne faut pas oublier qu’il s’agit là d’une vue partielle, née d’une création artistique cherchant à porter un propos. Comme un peu partout dans le monde, la période actuelle est plutôt difficile à vivre, notamment à Hong Kong avec la mainmise politique et économique de la Chine continentale de plus en plus prégnante. C’est ce réalisme qui rend cette programmation si intéressante, qui donne envie de revenir l’année prochaine pour une quatrième édition.

Shinkirari – Derrière le rideau, la liberté

Je sais tout de mon mari. Je connais la taille de ses caleçons, ses plats préférés, ses manies quand il est agacé, les actrices qui lui plaisent… Est-ce qu’il me comprend ? Que sait-il de moi, sinon que je suis sa femme ?

Shinkirari – Derrière le rideau, la liberté raconte la vie d’une femme au foyer dans le Japon des années 1980. Son quotidien est rythmé par les tâches ménagères et l’éducation de ses deux filles, son mari étant absent, comme la plupart des hommes à l’époque. En effet, pour ces derniers, il était socialement obligatoire de faire des journées à rallonge, sur leur lieu de travail ou lors de sorties entre collègues. Ils laissaient alors à leur épouse l’ensemble des tâches liées au foyer familial, à commencer par l’éducation des enfants.

À travers 37 courts chapitres de 8-12 pages, prépubliés dans le magazine alternatif Garo entre 1982 et 1984 (puis publiés en deux tomes reliés), Murasaki Yamada, l’autrice, nous présente la réalité sans idéalisation ni concession de la vie des jeunes femmes japonaise qui devaient se consacrer avant tout à leur famille. La répétitivité des tâches domestiques combinée à l’absence de soutien ou de compréhension de la part de leur entourage, à commencer celui de leur mari, ont pour conséquence de devenir de plus en plus insupportable pour beaucoup. C’est d’ailleurs l’indifférence que rencontre notre protagoniste dans son travail de tout les jours qui est le plus difficile à vire pour elle.

À un moment, Yamada (la protagoniste, pas la mangaka) décide de prendre un petit boulot à temps partiel, ayant plus de temps à elle, ses filles étant scolarisées et le mari toujours à l’extérieur. Quand le foyer devient bien vide, nombre de femmes se trouvent une activité hors de la maison. On se rend compte alors de la précarité des emplois proposés et du peu de considération rencontré, que ça soit par l’employeur ou par l’entourage. Lorsque Yamada décide d’exercer une activité créative en indépendante, elle rencontre encore plus d’incompréhension, surtout de la part de son mari qui n’a jamais eu une idée de ce à quoi pouvait ressembler la vie de son épouse et des besoins de cette dernière.

Ce manga est semi-autobiographique. Il est basé sur la propre expérience de l’autrice qui a été mariée (elle a fini par divorcer, ou plutôt son mari l’a quitté pour une autre), mère de deux filles et qui s’est pliée longtemps aux diktats sociétaux. Néanmoins, son propos est édulcoré pour être plus universel. En effet, son mari la battait lorsqu’il était saoul, ce qui arrivait souvent. Comme dans le manga, il la trompait avec d’autres femmes. Cependant, le pire a été certainement l’incompréhension de son époux en ce qui concerne ses besoins et aspirations en tant que femme, ce qui l’a amenée longtemps à préférer vivre seule, sans chercher à se remarier immédiatement. Car, même si la perception de la vie au foyer des Japonaise commençait à évoluer au début des années 1980, l’idéal du ryōsai kenbo (être une bonne épouse et une bonne mère) né à la fin du XIXe siècle existait toujours à l’époque d’après certaines historiennes et restait fortement ancré dans l’imaginaire japonais. Le manga le montre clairement et le propos de Murasaki Yamada, révélateur d’une époque, n’en est que plus touchant.

Il faut aussi noter la présence d’une très intéressante postface d’une quarantaine de pages, traduite de l’américain, qui revient sur la carrière de la mangaka et sur la difficulté pour celle-ci ainsi que ses consœurs de l’époque (celle des années 1970-1980) pour se faire publier dans des revues de bandes dessinées (on ne parle même pas d’en vivre) à partir du moment que l’on voulait faire autre chose que du shôjo manga. Dans ce dernier cas, hors rares exceptions, les responsables éditoriaux décidaient de ce qui était bon ou mauvais pour les lectrices, alors même qu’ils étaient des hommes plus ou moins âgés et que leur lectorat était principalement celui des collégiennes. Cela ne se limitait pas aux magazines des grands éditeurs : Garo, la célèbre revue alternative de l’époque dans laquelle Murasaki Yamada a fait l’essentiel de sa carrière (néanmoins, elle a débuté dans COM, magazine plus ouvert aux autrices), est restée longtemps fermée aux autrices, le milieu contestataire et alternatif étant sexiste, comme le reste de la société japonaise bien pensante (notons qu’il en était de même en Occident).

Il en résulte une lecture indispensable pour quiconque s’intéresse à la société japonaise, ou à la condition féminine dans les années 1980. Le propos est ici universel et permet de mieux comprendre, de ressentir ce que peut être la vie de femme au foyer. La postface apporte aussi d’intéressantes informations sur le marché du manga à cette même époque, notamment dans le cas des autrices.

Shinkirari – Derrière le rideau, la liberté de Murasaki Yamada
Traduction de Sara Correira (postface traduite par Jérôme Wicky)
Date de sortie : 30/08/2024
ISBN : 978-2-50512673-7
Format : 14,8 X 21 cm, 384 pages, N&B
Prix : 18,50 €

Formula Bula, ça pétille plus

Il y a un an, j’étrillais dans un de mes billets la onzième édition de Formula Bula tant la version proposée à Césure n’avait pas eu l’heur de me plaire. Ce qui ne m’a pas empêché d’aller voir, avec mes petit·e·s camarades bulledairo-mangaviersien·ne·s, ce que pouvait proposer la douzième édition. Grand bien m’en a fait tant cette visite a été plutôt plaisante. Il me faut remonter aux sixième et neuvième éditions pour en avoir un souvenir équivalent. Voici donc le compte-rendu d’un après-midi passé à Censier à faire des dépenses pour des BD, assister à des rencontres et revoir un certain nombre de connaissances…

Des rencontres intéressantes

C’était bien la première fois que j’assistais à des rencontres intéressantes dans le cadre de Formula Bula. Le petit « seul en scène » de Bill Plympton qui revenait sur sa carrière d’illustrateur et d’animateur était plaisant à suivre, bien rythmé, bien traduit (mais l’Américain avait un accent très compréhensible) et entrecoupés d’œuvres iconiques. Les quarante-cinq et quelques minutes sont ainsi passées très rapidement. Heureusement, il était ensuite possible de discuter librement avec l’auteur sur son stand situé à l’entrée du Village des éditeurs tout en lui achetant une illustration si possible, histoire qu’il n’ait pas fait la retape pour rien à la fin de son show.

Il est difficile d’être aussi enthousiaste pour le dialogue entre Nicole Claveloux et l’historienne de l’art Éva Prouteau. Centrée uniquement sur la nouvelle publication de l’autrice, Ce soir c’est cauchemar (aux Éditions Cornélius), ce qui aurait pu faire une bonne conférence a fait une mauvaise rencontre et ce n’était pas la faute de Nicole Claveloux. Le principe est d’entendre l’autrice parler de son œuvre, pas de subir les longs monologues de l’animatrice, même s’ils étaient intéressants quoiqu’un un peu trop fournis en exemples redondants ou un peu surinterprétés. Bosser son sujet ne suffit pas, il faut savoir aussi animer…

Le Village des éditeurs

Toujours situé au même endroit, mais avec une aération améliorée tout simplement grâce à des fenêtre ouvertes sur les trois côtés, le Village des éditeurs ne m’a pas plus attiré que cela. Pour ma part, je n’ai passé du temps que sur quatre stands : Cornélius, Même pas mal (mais il n’y avait pas Olivier Texier en dédicace, je n’ai pas pu faire mon fan-boy), Mémoire d’images et The Hoochie Coochie avec peu d’achats à l’arrivée. Je verrai à faire mieux lors de SoBD qui s’annonce intéressant… Il faut dire que l’exiguïté du lieu, la petitesse des stands, une fréquentation nettement plus importante que l’année dernière ne me poussaient pas à faire des folies. Je continue à regretter le côté bucolique du Village lorsqu’il était situé autour de la Médiathèque Françoise Sagan… du moins lorsqu’il faisait beau, ce qui n’était pas trop le cas cette année et qu’il était donc préférable d’être en intérieur vu le temps maussade.

Des expositions à revoir

L’organisation de ce qui est pompeusement appelées « expositions » est à revoir en profondeur. Il faut en proposer moins et surtout les développer pour les mettre en valeur. Ce ne sont pas quelques originaux accompagnés de textes (pas inintéressants, il faut le reconnaître) qui vont donner envie de venir à Formula Bula. C’est vraiment dommage que ce point n’ait pas été amélioré par rapport à l’année dernière, il y avait de quoi faire quelque chose d’intéressant avec Bill Plympton et Nicole Claveloux, surtout qu’en ce qui concerne cette dernière, nous étions plusieurs à avoir pu visiter l’exposition qui lui était consacrée à Angoulême 2020. La comparaison a fait très mail…

De l’espace à récupérer

Pour moi, il y a deux espaces à déplacer afin d’avoir des allées latérales plus larges dans le Village des éditeurs et donc plus rendre celui-ci plus circulable en période d’affluence. L’espace jeux et animations n’était pas plus fréquenté que cela, c’est vraiment de l’espace perdu et les ateliers pourraient être déplacés dans des anciennes salles de cours. Le lieu appelé le Grand Plateau (l’ex-grande bibliothèque de Censier) est quand même assez exigu malgré les 1 000 m² annoncés. La cantine / bar située du côté de la porte 2 n’était pas trop fréquentée cette fois et nous avons pu, malgré le temps un peu frisquet et humide, boire notre petite bière à la terrasse.

Conclusion

Formula Bula 12 a permis, cette année, de passer un bon moment convivial avec des Mangaversiens et une Mangaversienne, des Bulledairiens et des J’AI. Néanmoins, l’étroitesse du lieu ne permet pas une programmation ambitieuse et ramassée en un lieu unique. Il ne reste plus qu’à voir ce que la prochaine édition nous proposera, après tout, l’entrée est gratuite…

Une vision du cinéma hongkongais : The Golden Path

Dans le cadre du cycle « Portrait de Hong Kong » proposé durant l’été 2024 par le Forum des images (auquel j’ai consacré un billet) une rencontre (disponible sur YouTube) avec le bédéiste Baptiste Pagani a permis à une partie des personnes présentes (dont votre serviteur) de découvrir un auteur et une œuvre : The Golden Path, ma vie de cascadeuse. La lecture de cette bande dessinée s’étant révélée excellente, voici une petite chronique qui va essayer de rendre honneur au travail de cet auteur fan de cinéma d’action hongkongais de la fin du vingtième siècle.

Fin des années 1980 : Jin Ha débarque du Continent à Hong-Kong en espérant faire une carrière d’actrice cascadeuse dans les films d’action hongkongais dont elle est si fan depuis tout le temps. Sortie diplômée « artiste martiale » d’une école réputée de kung-fu de la province du Henan et munie d’une recommandation à présenter au cousin d’une de ses professeures, la voilà perdue au milieu d’une grande ville, de plus parlant très mal le cantonais. Heureusement pour elle, ses qualités de combattante, son courage, son ardeur au travail (et un peu de chance) lui permettent de réaliser rapidement son rêve : elle travaille dans un des principaux studios de cinéma auprès de celui qu’elle admire depuis toute petite, Eagle Chan. Malheureusement pour elle, un rien peut faire basculer sa vie du rêve au cauchemar, surtout dans un monde aussi difficile que celui du cinéma hongkongais.

Baptiste Pagani, à travers le personnages de Jin Ha, nous montre une facette du cinéma hongkongais, celui que l’on appelle « moderne », c’est-à-dire celui qui succéda à « la nouvelle vague » en 1986 et qui s’acheva à la fin des années 1990, après la rétrocession de l’ancienne colonie britannique à la Chine. La quantité primait souvent sur la qualité et les ambitions artistiques des réalisateurs étaient souvent limitées par les producteurs. Il fallait faire dans le spectaculaire, l’efficace et présenter au public un tableau immédiatement compréhensible et surtout divertissant. Nous retrouvons ce soucis de simplicité et d’efficacité dans la bande dessinée qui n’approfondit pas les relations entre les protagonistes, ni ne s’attarde sur la psychologie ou la vie de tous les jours de notre héroïne. Par exemple, le méchant est vraiment méchant mais on ne sait pas trop pourquoi. Cependant, cela permet de dramatiser le récit et d’expliquer la soumission de Jin Ha, soumission qui est peu compréhensible de nos jours surtout vu de nos yeux d’Occidentaux. The Golden Path fait par ailleurs penser au film Viva erotica de Derek Yee (1996) qui est à la fois une comédie, une métafiction, et même une parodie du cinéma hongkongais. Ce n’est pas le cas ici, mais le fonctionnement des studios de cinéma de Hong-Kong nous y est, ici aussi, présenté de façon sinon réaliste, tout au moins crédible et les références sont nombreuses pour celles et ceux qui sauront les voir.

Une bonne histoire ne suffit pas (même si c’est indispensable). Sa mise en forme, tant graphiquement que pour les dialogues, doit être au niveau. Dans le cas présent, il faut éventuellement faire abstraction d’un dessin influencé par les jeux vidéos japonais, par un graphisme non franco-belge mais plutôt manga et comics alternatifs, par l’univers visuel que l’on peut rencontrer dans le monde de l’animation (et pouvant rappelant l’École des Gobelins). Le tout donne un mélange auquel il faut s’habituer. Néanmoins, les amatrices et amateurs des œuvres de Guillaume Singelin (lui aussi au Label 619) devraient y arriver sans difficulté. La narration est fluide, efficace, sans temps mort, rythmé par un chapitrage réussi. Chaque nouvelle partie est introduite par une fausse (et très jolie) affiche d’un film auquel a participé Jin Ha. N’oublions pas les savoureuses fiches explicatives sur la façon de faire un bon film. Elles apportent une touche d’humour dans un récit qui en manque parfois. Il en résulte une excellente lecture qui donne envie de découvrir le reste de la bibliographie de Baptiste Pagani. Voilà qui prouve la qualité de cette bande dessinée malheureusement passée sous les radars et donc restée trop méconnue.

Portrait de Hong Kong, des images qui bougent…

Cela faisait très longtemps que je n’avais pas vu autant de films dans une période aussi ramassée. C’est que les « images qui bougent » et moi, ça fait deux depuis pas mal d’années… Il faut remonter à ma dernière venue au Festival International du Film d’Animation d’Annecy en 2010. Motivé par la participation en avril-mai d’une partie de mes petit·e·s camarades mangaversien·ne·s au programme Portrait de Hong Kong au Forum des Images à Paris, j’ai fini par prendre aussi ma carte d’abonné pour pouvoir assister à quelques séances. À l’arrivée, parmi les soixante-quinze films proposés, j’en ai pu voir une dizaine et me faire une idée plus précise de ce que représente la diversité des films estampillés HK dont j’ignorais à peu près tout. Voici donc un petit compte-rendu de ces différents visionnages, complétés par trois rencontres auxquelles j’ai assisté, plus pour passer le temps vu l’horaire tardif de certaines projections.

D’après le dossier de presse, Portrait de Hong Kong avait pour but de nous montrer un cinéma qui n’existe plus, notamment celui des films d’action de la Nouvelle Vague des années 1980-1990 (par exemple ceux de Tsui Hark, Johnnie To et Ringo Lam). Ces hommes ne dédaignaient pas de porter un message politique, ce qui a causé la disparition de ce type d’œuvres du fait de la censure qui s’est développée au fil du temps après la rétrocession de 1997 (annoncée en 1984). Le réalisateur Wong Kar-wai en est un autre exemple, plus récent. Il a été aussi proposé quatre films contemporains, inédits, et une flopée d’autres qui ne sont liés au cycle que par son invité d’honneur : Christophe Gans. La semaine qui lui a été dédiée n’a entrainé qu’inintérêt (quasi) total en ce qui me concerne.

Filatures

de Yau Nai-hoi (2007)

Si, à l’origine, je ne devais voir que ChungKing Express sur le conseil de a-yin, j’ai décidé au dernier moment fin mai d’aller passer une partie de mon dimanche à aller voir avec deux camarades mangaversien·ne·s le film Filatures sans réelle idée de ce qui était proposé. Du coup, l’abonnement au cycle au lieu de payer une place à chaque fois s’est imposé tant il serait rapide de l’amortir. Le film, simple à suivre, efficace, bien rythmé, plutôt réaliste, montrant un coin de Hong Hong populaire après la rétrocession, avec un duo intéressant (Kate Tsui en débutante et Simon Yam en mentor bourru) opposé à un criminel intelligent (Tony Leung, mais un autre : Kai-fai, pas Chiu-wain le seul et unique vrai Tony Leung), s’est révélé être très plaisant à voir même avec une fin un peu facile. Une bonne façon de rentrer dans le cycle.

Chungking Express

de Wong Kar-wai (1994, version remastérisée et remontée de 2021)

C’était donc une bonne idée de commencer par Filatures car Chungking Express n’a pas été aussi simple à appréhender. Avec un grand usage de la caméra portée à l’épaule et tourné en pleine rue en nous plongeant immédiatement sans explication dans l’histoire, avec deux romances indépendantes dont le lien est ténu, pour ne pas dire inexistant, j’ai eu du mal à apprécier les deux parties du film (surtout la première). En point positif, en ce qui me concerne, il n’y a guère à retenir que les images de deux quartiers de Hong Kong des années 1990 et l’actrice Faye Wong (mais Tony Leung fait un bien joli policier, surtout quand il est en uniforme). C’est peu pour un film qui est considéré comme un des meilleurs issus du cinéma hongkongais… Heureusement qu’un spécialiste du cinéma asiatique (Frédéric Monvoisin, un chercheur) était là pour nous donner, après la séance, quelques explications et clés de compréhension sur ce qui nous avait été proposé. Intéressant !

Hong Kong 1941

de Leong Po-chih (1984)

Ayant à rentabiliser un certain abonnement en juin, j’étais curieux de voir le point de vue hongkongais de l’arrivée des Japonais dans l’île en décembre 1941. Mal m’en a pris tant le film était à la limite de l’irregardable : surjoué au-delà de toute caricature, présence d’un triangle amoureux non-crédible, méchants très méchants, situations peu plausibles, etc. Rien n’allait si ce n’est de nous montrer la collaboration (souvent par intérêt personnel) d’un peuple pris en otage par la duplicité d’une armée occupante cruelle. Pour moi, il y avait aussi la possibilité voir Chow Yun-fat jeune. Projeté tardivement (21h) en plein milieu de semaine, c’était une belle erreur de ma part d’y être allé et mes deux camarades mangaversiennes ont d’ailleurs pensé un peu la même chose tant c’était s’imposer beaucoup de fatigue pour pas grand-chose.

Far Far Away

de Amos Wong (2021)

Place au cinéma actuel avec deux films très récents vu lors d’un week-end de juin. Far Far Away est une romance centrée sur Hau (joué par le peu connu Kaki Sham), un informaticien plutôt introverti et timide. On le suit à travers différentes relations (généralement courtes et platoniques) avec des filles vivant dans différents lieux de Hong Kong, généralement dans les « nouveaux territoires » ou les petites îles aux alentours. L’intérêt de ce film est de voir un autre Hong Kong, plus marin, plus champêtre aussi, sans immeubles anciens plus ou moins délabrés et tours modernes immenses. J’avoue n’avoir accroché au récit qu’avec la dernière partie (heureusement la plus longue), lorsque Melanie (Jennifer Yu) teste les sentiments de son placide amoureux. Ceci dit, amatrices et amateurs de coups de foudre et de déclarations fougueuses, passez votre chemin, le film explore le sentiment amoureux sous son aspect pratique, plus que romantique.

The Way We Keep Dancing

de Adam Wong Sau-ping (2021)

À la différence de Far Far Away, nous n’étions plus que deux dimanche pour The Way We Keep Dancing, un film mettant en avant la culture hip-hop de Hong Kong, son utilisation commerciale et la disparition des friches industrielles de Kowloon. Celles-ci avaient donné un lieu aux artistes de tout genre pour développer leur art : danse, musique, graphe, etc. La critique de l’évolution de ce fameux quartier, faisant aussi penser à la transformation de Kwun Tong, est ici transparente. Sans conteste, il s’agit là de mon film préféré sur les dix vu lors du cycle. Les personnages sont bien définis, la difficulté de vivre de leur art et leurs dilemmes aussi. Les actrices et acteurs sont toutes et tous excellents, mentions particulières à Cherry Ngan (l’actrice montante), Babyjohn Choi (le youtubeur à succès) et Heyo (le rappeur).

Time and Tide

de Tsui Hark (2000)

Il manquait un film d’action dans mon programme et, malgré l’heure tardive de sa projection, étant à Paris un vendredi, j’en ai profité pour aller voir Time and Tide, à la réputation flatteuse. D’ailleurs, nous étions nombreux dans la salle, et notre petit groupe comptait cette fois sept personnes (avec le renfort de plusieurs non-mangaversiens). Efficace à défaut d’être crédible, et avec des plans et des cadrages impressionnants, le film a permis de passer un très bon moment de détente même si le récit est souvent confus et les motivations des personnages ne sont pas toujours claires.

The Happenings

de Yim Ho (1980)

Film de remplacement (la projection de l’inédit Intruder ayant été annulée au dernier moment), c’est le plus mauvais film (quoique Hong Kong 1941…) que j’ai pu voir lors de ces « portraits » de Hong Kong. Les personnages sont tous détestables par leur stupidité (y compris les flics), le film contient plusieurs scènes homophobes et transphobes, le sexisme est omniprésent et la bande son, criarde et au volume trop fort, cassait les oreilles. Bref, le film avait tout faux et j’en connais une qui a bien regretté d’être venue le voir. Pour ma part, je n’ai que pu me réjouir de la fin tragique de la plupart des protagonistes. Il faut dire que je n’avais pris mon ticket que pour passer le temps avant de pouvoir voir le film suivant.

Viva Erotica

de Derek Yee (1996)

Un réalisateur de films que l’on pourrait définir comme étant des « œuvres exigeantes » ne connait que des échecs commerciaux. Sa carrière risque donc de s’arrêter là s’il n’accepte pas de tourner un « catégorie III », c’est-à-dire un film interdit aux moins de 18 ans (soit en raison de scènes sexuellement explicites, ou offensantes, ou à la violence / l’horreur extrême). Il s’agit ici de réaliser un film érotique avec la petite amie du producteur, une actrice taïwanaise débutante qui joue extrêmement mal. Viva erotica est une comédie, une métafiction, et même une parodie du cinéma hongkongais avec d’innombrables références et clins d’œil qui nous ont échappé à moi et à Tanuki. Heureusement qu’a-yin nous a donné quelques explications et informations après la projection (sachant que beaucoup ont dû lui échapper). Bénéficiant d’un humour plutôt subtil, de scènes oniriques et de quelques plans sur la très belle poitrine dénudée de Shu Qi (la fameuse taïwanaise… que j’ai pu voir par ailleurs dans Le Transporteur de Luc Besson il y a quelques années), nous avons pu passer un excellent moment de cinéma.

La 36e Chambre de Shaolin

de Liu Chia-liang (1978)

Le cinéma hongkongais, c’est aussi les « films de kung-fu » et j’ai donc attendu la dernière journée pour aller voir ce genre, centré sur les arts martiaux. Après tout, j’aimais bien suivre la série bien nommée étant gamin, celle avec David Carradine. Je n’allais donc pas rater un film-référence !Comme prévu, je l’ai trouvé ridicule, certaines scènes en devenant comique (mais je ne pense pas que c’était le but du réalisateur). Néanmoins, malgré les invraisemblances, le jeu limité et artificiel des acteurs (pas de femme ou si peu dans cette histoire), je n’ai pas vu passer le temps trop lentement, les 1h55 se sont révélées supportables. J’ai bien fait de faire l’effort de voir ce film, ça m’a conforté dans l’idée que les films de la Shaw Brothers ne sont pas pour moi.

The Grandmaster

de Wong Kar-wai (2013)

Dans la foulée, j’ai préféré voir The Grandmaster à Limbo pour des raisons très terre à terre (l’horaire de projection), et aussi parce qu’il parait que c’est un excellent film de kung-fu, mais moderne, celui-là. Ah ? C’est vrai pour le côté moderne, aussi bien pour le rythme dans les combats (qu’ils étaient lents, ceux de La 36e Chambre de Shaolin) que pour la qualité des images ou du jeux des acteurs et actrices (j’aurai aimé plus de Tony Leung et moins de Zhang Ziyi, ceci dit). Mais où était l’histoire ? Avec un récit bien trop décousu et de nombreuses longueurs n’apportant rien, je me suis ennuyé la plupart du temps. Qu’elles ont été longues, les 123 minutes de la projection… La malédiction de la salle 500, sans doute. L’autre gros reproche, c’est que la production n’a pas jugé bon d’investir dans le maquillage des personnages principaux qui passent plus de vingt années à travers de nombreuses vicissitudes, entre plusieurs combats d’arts martiaux, l’invasion japonaise (mal traitée) en 1937-39, la guerre civile (inexistante à l’écran) qui a suivi, sans prendre une ride ou du poids. Bref, j’ai trouvé le film très mauvais et ça m’a confirmé que j’ai bien un problème avec Wong Kar-wai et sa conception du cinéma. Un manque certain de références culturelles peut-être ? Mais bon, je ne regrette pas ce choix, j’ai ainsi amélioré ma connaissance du cinéma hongkongais (relativement) récent et j’ai vu ce que pouvait donner un film cofinancé par la Chine continentale.

Les rencontres

Il n’y a pas grand-chose à dire sur les trois rencontres auxquelles j’ai assisté, j’y suis allé plus pour passer le temps avant la projection des films prévus que par réel intérêt. L’assistance était d’ailleurs très clairsemée pour les deux premières. La table ronde « Hong Kong 2024 : quel avenir pour les artistes ? » n’était pas inintéressante mais convenue et prévisible. Les témoignages de Lok Kan Cheung (une artiste du vivant, réfugiée politique en France, notamment organisatrice via CUBE [C3] du Festival des arts hongkongais d’Annecy) et de Justin Wong (dessinateur réfugié à Londres, dont une BD est disponible en français) confirmait ce que l’on peut penser de la censure imposée par la Chine continentale depuis plusieurs années. La « rencontre BD Golden Path. Ma vie de cascadeuse de Baptiste Pagani » était certes très bien animée par Xavier Guilbert (comme toujours) mais ni l’œuvre ni l’artiste ne m’intéressaient…

Au moins, le temps est passé assez rapidement lors de ces deux rencontres. Car le pire était à venir, même si je m’y attendais. Le « cours de cinéma par Fabien Gaffez (directeur artistique du Forum des images) » intitulé « Esthétique de la rétrocession (leurs années sauvages) » était une purge tant les sur-interprétations des films allant jusqu’au ridicule, le langage ampoulé, et les certitudes assénées par l’animateur étaient totalement inintéressantes. Mais bon, c’est ça la critique cinéma : quelques idées noyées dans une masse de bullshit ! Et ça a duré 2h30 au lieu des 1h50 « promises » ! Heureusement qu’il y avait de nombreux extraits de films pour aider à passer le temps. Vu l’heure, j’aurai mieux fait d’aller au resto mais je déteste y être seul. Et comme mes deux camarades mangaversien·ne·s préféraient assister à la conférence…

À l’arrivée, je ne regrette pas d’avoir changé d’avis et d’avoir suivi plutôt assidument le programme de juin alors que j’avais boudé les mois d’avril et mai (sans rater grand-chose à mon goût, aidé par un système de double date de diffusion). Cependant, je ne vais pas enquiller avec la rétrospective de « La Shaw Brothers et le kung-fu » à la Cinémathèque, faut pas déconner, hein ! 🙂

Tortax, le Super-Chélonien oublié

Présentation par l’auteur : « Dans le village de Primevert-Sur-Roseaux vit une Tortue au tempérament plutôt paisible qui ne la différencie pas de ses consœurs. Ceci en apparence car cette Tortue aux allures naïves cache son identité de super héros. A l’approche de menaces et lorsque son village se trouve en danger cette Tortue change de carapace pour entrer dans celle de Tortax. Une super carapace remplie et bourrée de gadgets qui la rend invulnérable et qu’elle actionne selon les circonstances. Des pouvoirs technologiques qui la permet de voler et se déplacer à des vitesses extraordinaires. Indestructible grâce à sa carapace qui la protège de tout les dangers qui l’entoure. Son principal ennemi est Zanzyme 1er, Roi d’une armée de Corbeaux qui sème la terreur dans la forêt et particulièrement sur le village de Primevert-Sur-Roseaux. Après ses missions et lorsqu’elle a quittée sa super carapace Tortax redevient une tortue aussi vulnérable qu’une tortue ordinaire mais aussi maligne comme dans une célèbre fable de La fontaine. » 1

En matière de bandes dessinées, nous avons toutes et tous nos « madeleines de Proust », même si celles-ci ne sont pas toujours de bon goût. J’ai réalisé il y a peu que Tortax – Le trésor du marais vert en faisait partie. Presque un demi-siècle après sa sortie, la BD a bien supporté sa relecture, me ramenant à l’époque bénie de l’enfance. Toute simple qu’elle est, cette œuvre qui s’adresse à un jeune public a des qualités indéniables, au point de toujours pouvoir plaire à un lectorat actuel à ma grande surprise (constatation faite sur un échantillon non représentatif et familial). Si à l’époque, je n’accordais que peu d’intérêt aux auteurs et aux circonstances éditoriales de mes lectures, il n’en est plus de même maintenant : d’après les informations trouvées sur le site Internet d’un des deux auteurs, la série a été prépubliée pendant deux ans (quatre d’après un entretien lu autre part) dans le mensuel jeunesse Record (Bayard Presse) et s’est arrêtée en même temps que son support. Néanmoins, évitant à la super tortue de tomber (totalement) dans l’oubli, les éditions Dargaud ont décidé en 1974 de sortir en album cinq histoires (de six à huit planches sauf la cinquième qui en compte seize). Il n’y a pas eu de deuxième tome et il faudrait faire quelques recherches au département des périodiques de la BnF pour savoir ce qu’il resterait à éditer (car à lire différents entretiens trouvables sur le net, DuBouillon ne semble pas avoir une mémoire fiable à ce sujet). En effet, les informations disponibles sur son site sont contradictoires et ne correspondent pas à d’autres dates glanées ici ou là, comme sur le site lambiek.net qui consacre une fiche au bédéaste. Autre exemple : Il semblerait, d’après le site BD oubliées, qu’une nouvelle aventure en 6 pages de Tortax soit parue dans le magazine Hop! de juin 1977. Si un éditeur de vieilleries (pardon, spécialisé dans le patrimoine du neuvième art) avait dans l’idée de proposer une intégrale, cela lui demanderait un sacré travail de recherche, à moins que DuBouillon ait gardé tous ses originaux…

Trouver de nos jours des informations sur des auteurs de presse jeunesse utilisant des pseudonymes peu originaux et ayant exercé trente ou cinquante ans plus tôt n’est pas simple, surtout si les périodiques où ils ont officié ne sont pas encore indexés par des sites comme le fameux bdoubliees.com. Cependant, en cherchant bien, on finit par trouver deux ou trois choses : DuBouillon (de son vrai nom Alain Bouillon) a commencé sa carrière comme illustrateur à Paris Match en 1965, à l’âge de 22 ans. Il y publie des courts gags, les Gribouillons qu’il reprend des années plus tard dans la version française du journal Tintin (Le Lombard). Il en est un collaborateur régulier dans les années 1960-1970, ainsi que dans le magazine Record où il propose sur des scénarios de Reiser les courts gags Gazoual. Ses dessins d’actualité et ses caricatures, son activité dans la presse sont même proposées dans le magazine allemand Stern pendant plusieurs années. Il est d’ailleurs étonnant de voir que Tortax a été traduit en brésilien et en turc. Une grande partie de sa carrière, toujours en cours, se déroule dans les pages du Progrès Dimanche et ses meilleurs dessins sont regroupés en album tous les ans : Les semaines de DuBouillon. Les amateurs de planches originales ont même la possibilité d’en acquérir auprès d’un galeriste à des prix tout à fait abordables, DuBouillon ayant eu les honneurs d’une expo-vente fin 2023. Auguste n’a pas laissé une trace aussi importante dans le monde de la bédéphilie. De son vrai nom Jean-Paul Auguste Lesoeur, né en 1940, mort en 2003, Auguste est principalement connu pour sa série de gags en une demi-page, les Cromagnonneries, publiées dans Tintin durant la deuxième moitié des années 1960. D’après le site lambiek.net, il s’est ensuite consacré au dessin publicitaire avant de devenir libraire. Et c’est tout ! Résultat, nous n’avons pas réussir à éclaircir un dernier point : quel était le rôle précis des deux auteurs dans l’élaboration de Tortax ? 2

  1. Afin de respecter la prose de l’auteur, nous avons laissé les fautes, mais sans les relever ↩︎
  2. Je remercie Manuka pour sa relecture et ses précieuses informations complémentaires. ↩︎

Une Route, un espoir ?

Dans un monde post-apocalyptique, un homme et son fils marchent lentement sur une route, en direction du Sud, de l’océan. La catastrophe tant redoutée par l’Humanité a eu lieu. Dans un paysage dévasté, sans vie animale, les cadavres sont recouverts petit à petit par une cendre qui tombe quasiment sans discontinuer, parfois mélangée à de la pluie ou à de la neige. Poussant un chariot empli d’un bric-à-brac censé leur permettre de survivre pendant leur périple, ils évitent le plus possible les rencontres, généralement conflictuelles et potentiellement mortelles. En effet, la notion d’entre-aide a disparu dans cet enfer sur Terre. Leur quête a-t-elle une chance de réussir ? Malheureusement, rien ne permet de le penser…

Manu Larcenet nous revient avec une nouvelle adaptation de roman en bande dessinée. Comme pour Le Rapport de Brodeck, ce n’est pas la joie de vivre qui caractérise cette version de l’histoire écrite par Cormac McCarthy au mitan des années 2000. La désespérance imprègne quasiment la totalité des 160 pages de la BD, sauf à la toute fin (ouverte comme il se doit). Il est d’ailleurs peut-être regrettable que le nihilisme n’ait pas été poussé jusqu’au bout, ce qui aurait été plus en résonance avec le reste du récit. Cela n’empêche pas l’œuvre d’être une belle réussite que l’on dévore d’une traite, en se demandant à chaque page tournée quelle nouvelle galère le père va devoir gérer. Il faut dire qu’entre les bandes de pillards esclavagistes et cannibales, les rencontres avec des survivants prêts à tout, eux aussi, pour vivre un jour de plus, la recherche continuelle de nourriture alors que toute faune semble avoir disparu, le froid pouvant être mortel la nuit, le risque de se blesser alors qu’il n’est plus possible de se soigner, et le manque de ressources en général, il y a de quoi se faire du soucis… surtout lorsqu’on a charge d’âme, un enfant encore plus démuni que soi devant un monde devenu inhumain.

Le dessin de Manu Larcenet est de plus en plus impressionnant, malgré un passage au numérique opéré depuis plusieurs années (en 2018, nous avions pu voir l’expo-vente « Larcenet – L’adieu au papier » à la Galerie Barbier, annonçant ce changement de technique). Son trait en noir & blanc, relevé d’un lavis de gris participant parfaitement à cette ambiance de fin du monde avec parfois une touche de couleur, fait merveille. Depuis sa géniale série en quatre volumes, Blast, l’auteur nous enchante sur le plan graphique, même lorsqu’il s’agit d’avoir un propos plus humoristique comme avec Thérapie de groupe. Sur le principal forum en ce qui concerne la bande dessinée francophone, certains ont pu émettre certaines réserves dans le sujet dédié (au passage, tout le sujet est à lire). Ils doivent avoir raison, votre serviteur n’ayant aucune compétence en matière de trait et d’encrage. Il n’empêche que c’est superbe.

La narration n’est pas en reste. Malgré une densité de cases importantes (généralement neuf par planche), elle est lente, ce qui est normal. La pagination importante le permet. En effet, lorsqu’on marche sur de longues distances, il ne se passe pas grand-chose pendant de nombreuses heures. Elle ne fait ressentir aucune empathie envers les personnages, il y a peu d’émotions exprimées, et là aussi, cela est normal. Lorsque votre quotidien est aussi incertain et demande beaucoup d’efforts, il ne faut surtout pas trop réfléchir et éviter de tomber dans l’introspection. Néanmoins, il y a des passages plus joyeux (si on peut dire) qui apportent une respiration dans un récit désespérant où les pages proposant des scènes chocs sont assez fréquentes. S’il s’agit de l’adaptation d’un roman, Larcenet réussi à nous proposer une œuvre très graphique, avec peu de dialogues. Si on a ni lu le texte de Cormac McCarthy, ni vu le film de John Hillcoat qui en a été tiré, cela permet de ne pas faire (même inconsciemment) des comparaisons et ainsi d’apprécier pleinement le travail du bédéaste. En l’occurrence, la réussite est indéniable, il n’y a nul besoin de se référer à l’œuvre originale pour comprendre ou interpréter l’histoire.

Une fois de plus, donc, Manu Larcenet nous enchante (si si, malgré le thème). Ses années Fluide Glacial sont désormais bien loin et ses adaptations d’histoires, sombres au possible, sont de parfaites réussites. Cette double proposition (avec Le Rapport de Brodeck) est-elle due à un manque d’inspiration (ce qui peut se comprendre après une carrière aussi longue et diverse) ? Après tout, comme le rappelait Christophe Blain dans son podcast « En pleine page » du Festival d’Angoulême, créer une histoire originale est ce qu’il y a de plus difficile. Quoi qu’il en soit, voici une des meilleures bande dessinée de 2024, qu’il ne faut absolument pas manquer.